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L’interrogative in situ : aspects formels, pragmatiques et variationnels. Présentation

Published online by Cambridge University Press:  03 May 2024

Alexander Guryev*
Affiliation:
Samarkand State Institute of Foreign Languages
Laurie Dekhissi
Affiliation:
Université de Poitiers
Caterina Bonan
Affiliation:
University of Cambridge, St. John’s College
*
Corresponding author: Alexander Guryev; Email: a.st.guryev@gmail.com
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Editorial Note
Copyright
© The Author(s), 2024. Published by Cambridge University Press

1. L’interrogative in situ en français

En français contemporain, du moins dans sa variété européenne ou nord-américaine, le locuteur dispose d’un arsenal important de structures interrogatives afin de poser une question. Plusieurs sont attestées pour l’interrogative totale (1), et jusqu’à une dizaine de variantes différentes pour l’interrogative partielle (2) (cf. Coveney Reference Coveney2011, Larrivée et Guryev Reference Larrivée and Guryev2021 pour ces différentes possibilités) :

Dans le cas de l’interrogative partielle, on voit en outre que l’option dite ex situ recouvre des structures variées (2b-f, i-l), à la différence de celle qu’on appelle in situ (2a, hFootnote 4 ) où le mot interrogatif occupe « la place où serait le complément dont il joue le rôle » (Le Goffic Reference Le Goffic1993 : 110).Footnote 5 Il importe de souligner que le classement des interrogatives peut être assez différent d’une conception à une autre. Par exemple, Quillard (Reference Quillard2000 : 45) retient seize variantes de l’interrogation partielle, alors qu’Adli (Reference Adli, Adli, García García and Kaufmann2015 : 178) distingue encore deux sous-types de la variante in situ, à savoir avec un objet postposé, tel que le dessin en (2m), et sans (2a) :

Depuis l’ancien français, le mot Qu-, dans une interrogation partielle, se plaçait en position frontale ou ex situ, et l’émergence progressive de l’interrogative in situ en français aux 19e–20e siècles, où le mot Qu- apparaît à la place du complément postverbal, « boulevers[e] », selon les termes de Foulet (Reference Foulet1921 : 323–324), « les règles les mieux établies de la syntaxe, […] romp[t] non seulement avec la tradition française mais avec la tradition latine » ; pour l’auteur, « c’est aller à l’encontre de vingt-quatre siècles d’histoire ». L’interrogative in situ étant plutôt rare avant le 19e siècle (Coveney Reference Coveney2011 : 12 ; Dekhissi Reference Dekhissi2013 ; Guryev et Larrivée Reference Guryev and Larrivée2021) et ayant, selon Farmer (Reference Farmer2015), rapidement gagné du terrain au cours du 20e siècle, comment expliquer la co-présence des interrogatives ex situ et in situ en français d’aujourd’hui ? Parmi les explications avancées, on distinguera notamment celles qui relèvent des cadres théoriques diglossique et variationniste, dévolus par excellence à l’étude des phénomènes de variation, que celle-ci soit d’ordre phonologique ou morphosyntaxique. Selon l’hypothèse diglossique, les locuteurs francophones sont amenés à alterner entre deux grammaires : « grammaire standard » (GS), acquise au cours du processus de scolarisation, et « grammaire dialectale » (GD), acquise naturellement dans le contexte d’interaction informelle (Rowlett Reference Rowlett2007 ; Massot Reference Massot2010 ; Zribi-Hertz Reference Zribi-Hertz2011). Dans cette optique, les variantes interrogatives par inversion du clitique (1b, c ; 2d, e) sont générées par la GS, les variantes par intonation (1a) ou in situ (2a, h) par la GD, et les variantes en est-ce que (1d, 2c), constituant des options plutôt neutres, sont générées tantôt par la première, tantôt par la deuxième (Zribi-Hertz Reference Zribi-Hertz2011 : 237, 240). Toutefois, le modèle diglossique reconnaît qu’il existe des différences d’ordre régional notables entre plusieurs variétés du français, par exemple entre le français hexagonal et le français québécois, la grammaire de ce dernier présentant ses particularités (Zribi-Hertz Reference Zribi-Hertz2011 : 234, 239 ; cf. Valdman Reference Valdman2000). Quant à l’hypothèse variationniste, elle considère que la variation reflète une diversité d’ordre sociostylistique au sein même du système linguistique, si bien que les variantes, tout en exprimant le même sens, s’emploient de façon inégale selon le registre de la parole et/ou selon les différences d’ordre sociodémographique qui s’observent entre plusieurs groupes d’individus dans une communauté linguistique (Coveney Reference Coveney1997 : 90 ; Labov Reference Labov1972 : 271). Vues sous cet angle, les interrogatives par inversion du clitique (1b, c ; 2d, e) constituent des variantes « soutenues », les interrogatives en est-ce que des variantes « neutres » (1d, 2c), et les interrogatives qui maintiennent l’ordre SV (1a ; 2b), dont fait partie la structure in situ (2a, h), des variantes « familières » (Coveney Reference Coveney2011 : 10). Là encore, les tendances dans la réalisation des interrogatives peuvent être différentes d’une variété à l’autre. À ce propos, voir les travaux qui portent sur les interrogatives en français canadien, dont l’usage spontané, à la différence du français informel d’Europe, atteste régulièrement des occurrences de l’inversion du clitique ou celles de la particule interrogative (Elsig et Poplack Reference Elsig and Poplack2006 ; François Reference François2013 ; Auger et Villeneuve Reference Auger and Villeneuve2021 ; Bergeron-Maguire et al. Reference Bergeron-Maguire, Dostie and Lefeuvre2024).

Parmi d’autres approches, on peut également mentionner celles qui postulent l’hypothèse, fût-ce avec différentes nuances, que l’interrogative in situ est motivée sur le plan pragmatique par la structure de l’information. En ce sens, il a été postulé que son emploi apparaît, ou du moins a plus de chances de se produire, dans des environnements discursifs spécifiques, tels que : les contextes fortement présupposés (Chang Reference Chang1997; Cheng et Rooryck Reference Cheng and Rooryck2000) ; les contextes où la partie [Sujet-Verbe-Complément] de la question est ‘discourse-given’ (Hamlaoui Reference Hamlaoui2011) ; les contextes dont le contenu interrogé fait partie du savoir partagé (Garassino Reference Garassino2022 ; Rosemeyer dans ce volume) ; les configurations dans lesquelles la partie [Sujet-Verbe-Complément] de la question est peu informative (Coveney Reference Coveney1995 ; Lefeuvre Reference Lefeuvre2006 ; Hamlaoui Reference Hamlaoui2010, cf. Li Reference Li2021: 48 ; Guryev et Delafontaine dans ce volume) ; les configurations avec des syntagmes Qu- relativement longs (Coveney Reference Coveney1995 ; Guryev et Delafontaine dans ce volume). Toutefois, si l’acceptabilité de l’interrogative in situ dans différents contextes donne potentiellement lieu à des débats (voir infra § 2 pour différents positionnements), plusieurs auteurs semblent aujourd’hui s’accorder sur le fait que son emploi devient de plus en plus prépondérant en français contemporain et, faisant l’objet de peu de restrictions, apparaît librement dans une grande variété de configurations syntactico-discursives (Adli Reference Adli2006 ; Kaiser et Quaglia Reference Kaiser and Quaglia2015 ; Larrivée Reference Larrivée2019 ; Guryev et Larrivée Reference Guryev and Larrivée2021 ; Garassino Reference Garassino2022 ; Baunaz et Bonan Reference Baunaz and Bonan2023 ; Rosemeyer dans ce volume). Effectivement, grammaticalisée plus tard que d’autres variantes de l’interrogation, l’interrogative in situ représente actuellement l’une des structures les plus usuelles : il a ainsi été observé, dans certains corpus de français informel européen (Huková Reference Huková2006 ; Adli Reference Adli, Adli, García García and Kaufmann2015 ; Guryev Reference Guryev2017), que cette variante est susceptible d’assumer à elle seule près de 60% des emplois des interrogatives partielles. De surcroît, elle est aujourd’hui capable d’investir les interrogatives indirectes, en donnant lieu à des productions telles que ‘on sait pas c’est quoi’ (Gardner-Chloros et Secova Reference Gardner-Chloros and Secova2018 ; Ledegen dans ce volume). Enfin, sur le plan sociodémographique, certaines études ont suggéré que c’est surtout dans le discours de locuteurs jeunes que l’interrogative in situ connaît le taux d’emploi le plus élevé (Quillard Reference Quillard2000 ; Zwanziger Reference Zwanziger2008 ; Gotowski Reference Gotowski2018 ; Palasis et al. Reference Palasis, Faure and Lavigne2019). À ce propos, dans les données du corpus suisse de SMS (Stark, Ueberwasser et Ruef 2009–2015), l’emploi de cette variante représente à peu près 73 % de tous les usages des interrogatives partielles chez les individus âgés de 12 à 19 ans (Guryev Reference Guryev2017). En un mot, plusieurs indices semblent suggérer que l’interrogative in situ tend à devenir la forme par défaut de l’interrogative partielle en français informel, étant sélectionnée au détriment d’autres variantes grammaticales dans un nombre important de contextes linguistiques (Posner Reference Posner1997 ; Myers Reference Myers2007 ; Coveney et Dekhissi Reference Coveney, Dekhissi, Béguelin, Coveney and Guryev2018 ; Baunaz et Bonan Reference Baunaz and Bonan2023 ; Guryev et Delafontaine dans ce volume).

2. Fonctionnement et contextes d’emploi

Les emplois de l’interrogative in situ dans les langues romanes seraient normalement réservés, selon Kaiser et Quaglia (Reference Kaiser and Quaglia2015 : 92–93), à des constructions interrogatives à plusieurs proformes Q (3) ou à des questions échos (4) :

Cependant, une langue non romane ex situ comme l’anglais peut également admettre l’emploi de Qu- in situ dans certains contextes de communication. Outre les contextes susmentionnés, tels que les questions échos (5) ou à plusieurs proformes Qu- (6), c’est aussi le cas des questions marquant l’étonnement (7) ou réactivant l’information ancienne (8) (les exemples ci-dessous sont cités par Guryev et Larrivée Reference Guryev and Larrivée2021) :

Les linguistes ne s’accordent pas sur la caractérisation des conditions formelles ou pragmatiques qui rendent possible l’emploi de Qu- in situ. Comme le remarque Adli (Reference Adli2006 ; cf. Mathieu Reference Mathieu2009 ; Shlonsky Reference Shlonsky2012), il a été parfois soutenu que son emploi n’est pas accepté en français dans les énoncés négatifs (ex. 9 ; Chang Reference Chang1997 ; Cheng et Rooryck Reference Cheng and Rooryck2000) ; dans les propositions enchâssées (ex. 10 ; Cheng et Rooryck Reference Cheng and Rooryck2000) ; dans les constructions à verbes modaux (ex. 11 ; Chang Reference Chang1997 ; Cheng et Rooryck Reference Cheng and Rooryck2000) ; ou encore dans les constructions comportant des éléments scalaires ou des quantifiants (ex. 12 ; Cheng et Rooryck Reference Cheng and Rooryck2000 ; Hamlaoui Reference Hamlaoui2011 : 35) :

Pour d’autres linguistes en revanche, ces contextes n’auraient rien d’agrammatical (Adli Reference Adli2006 ; Poletto et Pollock Reference Poletto and Pollock2009 ; cf. Kaiser et Quaglia Reference Kaiser and Quaglia2015 : 101 pour l’interrogative in situ enchâssée). Et en fait, dans les exemples issus d’œuvres littéraires, on trouve des emplois de Qu- in situ dans des contextes modaux (13) ou avec la négation (14), dans des subordonnées (15) ou dans des contextes avec des quantifieurs (16) (exemples cités par Guryev Reference Guryev2017 : 82–83) :

Dans le même temps, il a été postulé par certains linguistes que l’emploi de l’interrogative in situ est sujet à certaines conditions pragmatiques. Ainsi, son emploi serait associé à des « contextes fortement présupposés » (de l’anglais ‘strongly presupposed contexts’), comme en (17), et donc incompatible avec une réponse telle que rien, nulle part, etc. (Chang Reference Chang1997 : 42–46 ; Cheng et Rooryck Reference Cheng and Rooryck2000, cités également par Adli Reference Adli2006 : 184 ; Kaiser et Quaglia Reference Kaiser and Quaglia2015 : 94) :

Chang notes that in-situ wh-questions in French are associated with a “strongly presupposed context (i.e., event)” (in contrast with a presupposed answer set). The interpretation of in-situ wh-questions in French seeks “… details on an already established (or presupposed) situation” (Chang Reference Chang1997: 45). (Cheng et Rooryck Reference Cheng and Rooryck2000: 4–5)

Dans le même ordre de raisonnements, Beyssade (Reference Beyssade2006 : 181) considère l’interrogative in situ comme une « question déclarative », le mot Qu- étant alors analysé comme une proforme indéfinie. Elle postule notamment « qu’une question in situ ne peut que continuer sur le thème de discours en cours » (2006 : 189), d’où son incompatibilité avec les titres de journaux, lesquels introduisent d’habitude un nouveau thème de discours :

On trouve des idées similaires chez Hamlaoui (Reference Hamlaoui2011 : 149), selon qui l’in situ s’emploie dans les contextes discursifs où la partie SV(O) (en angl. “non-wh portion”) reprend les informations anciennes (et donc correspond logiquement au thème), alors que le mot Qu- se situant sous l’accent final réfère par excellence à une partie réservée au focus (cf. Le Goffic Reference Le Goffic1993 ; Coveney Reference Coveney1995 ; Lefeuvre Reference Lefeuvre2006 pour une analyse très similaire). Par exemple, Coveney (Reference Coveney2002 : 227), en analysant un énoncé interrogatif (19), considère qu’il serait impossible d’utiliser l’interrogative par Qu- antéposé, dans la mesure où la partie verbale SV(O) est « complètement non informative » et devrait donc être en dehors de la portée de l’interrogation :

Il conclut : “[…] the SVC part of the sentence (which, being a tautology, is not ‘in question’) is not in fact part of the question” (2002 : 227). Enfin, s’il est toujours possible d’utiliser l’interrogative par antéposition du mot Qu- dans ce type de contextes, son emploi, selon Hamlaoui (Reference Hamlaoui2011), serait tout simplement moins économique :

Using a fronted wh-question in a context in which the non-wh part is discourse-given is just not the most economical way to express the question, but it is still possible as they both express the same informational need. (Hamlaoui Reference Hamlaoui2011: 156)

En revanche, d’autres linguistes considèrent que l’activation de l’information ancienne, intrinsèque au fonctionnement pragmatique de la structure in situ en diachronie (Guryev et Larrivée Reference Guryev and Larrivée2021), ne caractérise pas nécessairement ses emplois en français contemporain (Mathieu Reference Mathieu2009 ; Boucher Reference Boucher, Breul and Göbbel2010 ; Adli Reference Adli2006 ; Kaiser et Quaglia Reference Kaiser and Quaglia2015 ; Larrivée Reference Larrivée2019). De son côté, Adli (Reference Adli2006 : 198–199) semble suggérer que l’emploi de l’interrogative in situ serait optionnel et s’opposerait à d’autres variantes de l’interrogation sur le seul plan sociostylistique, et non sur le plan pragmatique. Comme l’observent Larrivée (Reference Larrivée2019) et Guryev et Larrivée (Reference Guryev and Larrivée2021, voir infra § 3), la valeur activée est seulement constitutive des premiers emplois de SVQ en diachronie, mais se trouve graduellement perdue au fil du temps, la structure in situ étant de plus en plus intégrée au répertoire grammatical du français moderne (19e–20e siècles). De plus, l’analyse micro-diachronique récente de Baunaz et Bonan (Reference Baunaz and Bonan2023) montre clairement qu’à la différence de ses emplois dans le corpus oral ESLO1, dont un nombre non négligeable a lieu dans les contextes à présupposition forte (p. ex., pour les enregistrements du français parlé effectués entre 1968 et 1971), les emplois de l’interrogative in situ dans ESLO2 sont moins dépendants vis-à-vis du contexte pragmatique (p. ex., pour les enregistrements du français parlé effectués depuis 2003). Les observations de Guryev et Delafontaine (dans ce volume) vont dans le même sens : ils montrent que, si certains types de constructions favorisent déjà l’emploi de l’in situ dans les années qui précèdent 1970 (Coveney Reference Coveney1995), ces tendances prennent une forme plus poussée dans les données des années 2000, l’interrogative in situ ayant fini par dominer avec les mêmes constructions.

De surcroît, plusieurs études montrent que, sur le plan distributionnel, Qu- in situ s’emploie en fonction de la nature du mot Qu- ou selon la forme verbale (Palasis et al. dans ce volume ; Guryev et Delafontaine dans ce volume). D’une part, il a été observé que la copule être favorise l’emploi de Qu- in situ (Coveney Reference Coveney1995 ; Hamlaoui Reference Hamlaoui2010 ; Palasis et al. dans ce volume, Guryev et Delafontaine dans ce volume). D’autre part, plusieurs études sur corpus montrent que pourquoi s’emploie rarement en position in situ (Quillard Reference Quillard2000 : 123 ; Lefeuvre et Rossi-Gensane Reference Lefeuvre and Rossi-Gensane2015 : 13 ; Adli Reference Adli, Adli, García García and Kaufmann2015 : 192). Korzen (Reference Korzen1985) va même jusqu’à considérer les emplois de pourquoi en position in situ comme agrammaticaux ; pour elle, il s’agirait d’une erreur de transcription où l’assertion réalisée sous la forme de SV est suivie d’une interrogative averbale en pourquoi. Ce type d’obstacle à l’emploi in situ s’expliquerait par « la portée extra-prédicative de pourquoi » (Bolinger Reference Bolinger and Hiz1978 : 137–138, Lefeuvre et Rossi-Gensane op. cit.), ce qui fait que, dans une perspective typologique, il aurait du mal à apparaître dans une position intraprédicative (Bonan et Shlonsky Reference Bonan, Shlonsky and Soare2021). Cependant, on en trouve des emplois dans certains contextes, comme les « questions introductives » qui s’emploient « à but essentiellement phatique » (Quillard Reference Quillard2001 : 60) :

Les emplois de pourquoi in situ ne sont donc pas exclus de façon catégorique. Assez curieusement, Bonan et Shlonsky (Reference Bonan, Shlonsky and Soare2021) montrent que le dialecte trévisan, en Italie du Nord, dispose de deux formes distinctes pour pourquoiparché et parcossa – dont la deuxième s’emploie en position in situ. En outre, plusieurs études montrent également que le mot interrogatif comment défavorise l’emploi de Qu- in situ et apparaît souvent en position ex situ (Coveney Reference Coveney2002 : 221 ; Dekhissi Reference Dekhissi2013 ; Lefeuvre et Rossi-Gensane Reference Lefeuvre and Rossi-Gensane2015 ; cf. Li Reference Li2021 : 51 ; Palasis et al. dans ce volume ; Guryev et Delafontaine dans ce volume ; Tailleur dans ce volume).

Enfin, sur le plan prosodique, peu d’études ont mis en lumière les contours intonatifs de l’interrogative in situ par rapport à d’autres variantes d’interrogatives partielles. Reinhardt (Reference Reinhardt2016 : 24) et Reinhardt et Matuschat-Petersen (dans ce volume) observent une tendance à l’intonation montante pour les interrogatives in situ malgré le petit nombre d’occurrences, mais aussi compte tenu des spécificités de leur corpus.Footnote 7 De leur côté, Ledegen et Martin (Reference Ledegen and Martin2020), en analysant le profil mélodique de l’interrogative indirecte in situ dans le corpus OFROM (Avanzi et al. 2012–2023), ont constaté que c’est le caractère statique ou descendant qui révèle son caractère enchâssé, tandis que le contour mélodique montant caractérise l’interrogative directe in situ, c’est-à-dire en principale.

3. Considérations diachroniques

Sur le plan diachronique, il est bien connu que l’ordre SV caractérisant formellement l’interrogative in situ (p. ex., la variante SVQ ‘Tu vas où ?’) est très tôt devenu une propriété grammaticale constitutive d’autres interrogatives. De manière générale, le français, au cours de son histoire, semble avoir graduellement adopté l’ordre SV dans une énonciation interrogative. Il est possible que cela se soit produit par analogie avec l’ordre des mots dans une énonciation déclarative qui adopte le schéma SVO au cours des 14e et 15e siècles (Marchello-Nizia Reference Marchello-Nizia2003 : 68–70, 75 ; Foulet Reference Foulet1921 : 262 ; Léard Reference Léard1996 : 119 ; Druetta Reference Druetta2011). Par exemple, s’agissant de l’émergence de l’interrogative totale SV ‘Tu le sais ?’ en français, Coveney (2002 : 100) signale, en faisant référence aux observations de Grevisse (Reference Grevisse1986 : 648, 653), que cette variante – dont l’emploi serait plutôt rare avant le 15e siècle et ne devient plus régulier qu’au 17e siècle (Posner Reference Posner1997 : 369) – pourrait être déjà attestée en ancien français, même si elle n’apparaît que de façon sporadique et que ses emplois se limitent aux questions du type « écho » ou aux exclamatifs. Quant à l’interrogation partielle, il a été suggéré que la variante de QESV ‘Où est-ce que tu vas ?’, qui n’inverse pas l’ordre SV dans le prédicat, apparaît déjà au 12e siècle ; de même, le français voit apparaître au 15e siècle la variante QSV ‘Où tu vas ?’ (Marchello-Nizia Reference Marchello-Nizia1999 : 63–64 ; Reference Marchello-Nizia2003 : 77). D’un autre côté, la postposition du mot Qu- dans un énoncé interrogatif ne fut pas non plus une invention propre à la variante SVQ, dans la mesure où l’on retrouve déjà de telles occurrences en diachronie dans une variété de constructions interrogatives. C’est le cas des interrogatives partielles coordonnées (21) ; des énonciations construites à deux, la séquence avec Qu- étant actualisée dans un contexte dialogique par l’interlocuteur (22) ; des interrogatives indirectes réduites au mot Qu- (23) ; des structures adnominales, dans lesquelles Qu-, formant un SPrép, est régi par un SN (24) ; des constructions verbales non-finies bloquant l’antéposition de Qu- (25) ; et des séquences avec Qu- introduites par des coordonnants (26) ou insérées dans la proposition enchâssée (27) (cf. Guryev et Larrivée 2021 pour la discussion de ces exemples) :

On peut néanmoins penser que si les constructions en question ne sont pas formellement des interrogatives in situ, leur présence en diachronie (du moins pour certaines d’entre elles) alimente à sa façon, sous forme de stockage de possibilités structurelles, la mémoire grammaticale du français, tout en préparant potentiellement le terrain pour la future adoption de l’interrogative in situ par la grammaire. À ce propos, il serait particulièrement intéressant de considérer en diachronie la construction en (23) qui fonctionne potentiellement comme une question autolocutée et où l’interrogative indirecte est réduite au mot Qu- (cf. Coveney Reference Coveney2011 : 8–9 ; Rigaud Reference Rigaud2013). D’une part, les séquences de type (23), qui sont des interrogatives totales, « ressemblent superficiellement » aux structures in situ (Coveney op. cit. : 8 ; cf. Tailleur dans ce volume), surtout si la partie SV de la proposition principale est réalisée sous la forme non inversée ‘Tu sais comment ?’. D’autre part, attestées depuis l’ancien français, elles se spécialisent, sur le plan pragmatique, dans la projection d’une attente relative à la suite du discours en train d’être tenu, la réponse étant souvent prise en charge par le locuteur lui-même. Et c’est là exactement que cette « fausse in situ » est en concurrence avec quelques premières occurrences de l’interrogative in situ en diachronie (voir infra ex. 28), lorsque celle-ci fonctionne à l’époque, au plan discursif, comme une question différée Footnote 8 ou « retardée » (Le Bidois et Le Bidois Reference Le Bidois and Le Bidois1967). La question in situ est alors utilisée par le locuteur à des fins de création d’une attente, celle-ci étant en principe saturée dans un deuxième temps par le locuteur lui-même (voir supra ex. 20 ; cf. Quillard Reference Quillard2001 : 59–60). Cela dit, le rôle des constructions de type (23) dans l’émergence de l’interrogative in situ mérite encore d’être mis en lumière.

Comme il a déjà été observé ci-dessus, l’interrogative in situ semble se répandre de plus en plus surtout en français moderne (19e–20e siècles) et, après avoir connu une montée sans précédent dans la deuxième moitié du 20e siècle (Farmer Reference Farmer2015 : 474–476 ; Dekhissi Reference Dekhissi2013 : 138 ; Rossi-Gensane et al. Reference Rossi-Gensane, Córdoba, Ursi and Lambert2021 : 189 ; Baunaz et Bonan Reference Baunaz and Bonan2023), a fini par devenir l’une des variantes les plus usuelles en français contemporain. Là encore, Farmer (op. cit. : 480) fait une intéressante remarque : dans son étude menée sur un ensemble de films des années 1930–2009, elle observe que si Qu- in situ gagne progressivement du terrain tout au long du 20e siècle, l’usage de l’inversion du sujet clitique, au contraire, diminue de plus en plus et se voit dépassé par cette première dans les années 80. Ces tendances semblent aller dans le même sens que celles déjà observées pour les interrogatives totales : selon Elsig (Reference Elsig2009 : 142), si l’usage de SV ‘Tu vas à Paris ?’ progresse au cours des 16e–17e siècles, celui de l’inversion ‘Vas-tu à Paris ?’, en revanche, semble décliner. Il est possible, cependant, que quelques rares emplois de l’interrogative in situ soient déjà sporadiquement attestés en diachronie dans deux contextes discursifs.Footnote 9 Le premier contexte, comme nous l’avons déjà dit, est celui des questions « retardées » (28) (cf. Le Bidois et Le Bidois op. cit.), alors que le deuxième est celui des questions à valeur d’activation de l’information ancienne (29) (Larrivée Reference Larrivée2019 ; Guryev et Larrivée Reference Guryev and Larrivée2021). Les ex. (28) et (29) datent respectivement du 17e et du 15e siècle :

Mais si l’interrogative in situ gagne de plus en plus du terrain au 20e siècle, il est possible qu’encore au début de ce siècle, son emploi soit considéré par les éditeurs comme non normé. À ce propos, le témoignage de L. Foulet (Reference Foulet1921) est plutôt éloquent :

Ces phrases ne pénètrent guère dans les livres, parce qu’elles font l’effet d’être amorphes ou désarticulées. Elles sont pourtant très fréquentes et semblent gagner du terrain. […] Il n’est pas surprenant que la langue écrite refuse de prendre au sérieux des phrases qui lui font l’effet de balbutiements d’enfant. (Foulet Reference Foulet1921 : 323–324)

En outre, il n’est pas exclu qu’afin de se conformer à la norme, les éditeurs, par le passé, soient souvent amenés à présenter les emplois de Qu- in situ avec une ponctuation la faisant ressembler à deux énoncés interrogatifs : ex. ‘Tu pars ?! Quand ?’ (Guryev et Larrivée Reference Guryev and Larrivée2021).

4. Présentation du numéro

Centré sur l’étude de l’interrogative in situVous faites quoi ?’, ce numéro a pour objectif, d’une part, de décrire son fonctionnement en français contemporain et, d’autre part, de contribuer à une meilleure compréhension du poids des différentes contraintes (formelles, sémantico-pragmatiques, sociolinguistiques) impliquées dans sa sélection vs celle des variantes ex situ. Réunissant les plus récents développements dans le domaine, le présent numéro propose un large panorama des approches existantes dans l’étude de l’interrogative in situ. Envisagées sous des angles multiples, les études recueillies ici couvrent un large domaine et contribuent à une meilleure compréhension du fonctionnement de l’interrogative in situ en français.

Le premier article, dû à Malte Rosemeyer, présente une analyse contrastive qui – en s’appuyant sur les données orales en provenance des sous-corpus français et espagnol de la base C-ORAL-ROM (Integrated reference corpora for spoken romance languages) – compare les emplois de deux variantes de l’interrogation partielle : « in-situ-wh » et « in-situ-Ø ». Alors que la première structure réalise ouvertement l’élément Qu- en position in situ (ex. ‘Cette série, ça parle de quoi ?’), la deuxième le fait seulement implicitement (ex. L1 : ‘Et alors ? Cette série, ça parle de… [Ø=quoi] ?’ L2 : ‘De la vie des riches.’). Autant en français qu’en espagnol, l’usage des deux variantes peut apparaître dans des contextes communicatifs similaires, ce qui montre que les deux alternent potentiellement en tant qu’options concurrentes. Dans le même temps, l’auteur montre que, dans les deux langues, la variante in-situ-Ø atteste de son propre fonctionnement : associée à des contextes pragmatiques où la demande d’information émise par L1 crée, de façon non ambiguë, une attente qui doit être saturée par le destinataire L2, cette variante constitue une stratégie discursive efficace pour tout type de situation qui nécessite une certaine rapidité dans les échanges d’informations (conversations téléphoniques professionnelles, contextes pédagogiques, etc.). Enfin, étant réalisée sous un format syntaxique minimal, l’option in-situ-Ø représente un certain avantage en termes d’économie. De surcroît, une étude d’acceptabilité révèle que les individus francophones préfèrent, de manière générale, l’usage de la variante Qu- in situ à celle de in-situ-Ø. En revanche, les individus hispanophones semblent opter pour la dernière ; selon l’auteur, ceci s’expliquerait par le fait qu’en espagnol, l’interrogative Qu- in situ relève d’une conventionnalisation, en tant que demande neutre d’information, moins nette qu’en français.

Avec la contribution d’Alexander Guryev et François Delafontaine, on s’intéresse au rôle de la structure de l’information dans l’usage de l’interrogative in situ. Plus précisément, les auteurs analysent 217 occurrences de Qu- in situ, sur 425 interrogatives partielles, en provenance du Corpus suisse de SMS (2009-2015) et testent l’hypothèse de Coveney (Reference Coveney1995), selon laquelle l’emploi de Qu- in situ pourrait être favorisé par les contraintes dites ‘End-Weight’ et ‘End-Focus’. Après avoir confirmé, à l’instar de l’étude de Coveney (Reference Coveney1995), l’incidence des contraintes de ‘End-Weight’ et ‘End-Focus’ sur la sélection de Qu- in situ, les auteurs observent que les tendances en question prennent une forme plus poussée dans les données SMS suisses. En débouchant régulièrement sur l’emploi de l’in situ, les contextes linguistiques en cause réduisent drastiquement les chances d’apparition des variantes ex situ. Selon les auteurs, la différence observée pourrait être due au fait que les données de Coveney (Reference Coveney1995) datent d’avant les années 1970 et que, depuis ce temps, l’emploi de Qu- in situ a connu un progrès important en français informel. Les auteurs concluent en émettant l’hypothèse qu’en français contemporain, l’usage de l’in situ serait en train d’évincer celui des variantes ex situ dans ces contextes linguistiques qui se sont initialement montrés propices à son emploi, du moins si l’on se fie aux données de Coveney (Reference Coveney1995).

Katerina Palasis, Richard Faure et Fanny Meunier se penchent sur les aspects développementaux des interrogatives in situ en français à partir de l’étude de 1084 structures interrogatives partielles extraites d’un corpus de données spontanées produites par 16 enfants d’un âge qui va de 2 ans et 5 mois à 5 ans et 11 mois pendant leurs trois années de maternelle. Les auteurs examinent statistiquement la distribution des interrogatives partielles selon l’âge des enfants, selon la forme des verbes (« fixe » ‘c’estvs « libre » ‘êtrevs « libre lexical ») et selon la catégorie grammaticale des mots Qu- (pronom vs adverbe). Les résultats montrent que la position Qu- in situ reste majoritaire pendant les trois années malgré une progression constante des Qu- ex situ. En outre, les auteurs observent que la forme des verbes (« fixe » vs « libre ») se révèle une variable discriminante pour la position de Qu- dans les trois années, qui interagit avec la catégorie de Qu-. La forme « fixe » c’est favorise l’emploi des pronoms Qu- in situ (c’est qui Taz ?), alors que les formes « libres » privilégient la position Qu- ex situ et apparaissent souvent avec des adverbes (par exemple, ‘combien ça coûte ?’). De plus, l’émergence du pronom Qu- ex situqu’est-ce que’ (vs in situquoi’) est identifiée comme l’un des facteurs de progression de la position ex situ. Enfin, l’étude des auteurs montre que la plupart des exceptions (Qu- in situ avec la forme « libre ») appartiennent au même paradigme que les interrogatives in situ avec c’est : elles sont non présupositionnelles, ce qui se voit à l’usage fréquent de , un terme déictique comme c’est.

La contribution de Sandrine Tailleur a pour objet les emplois des interrogatives in situ en diachronie, de 1840 à aujourd’hui, en français québécois. L’objectif principal de l’étude étant de comprendre comment l’interrogative in situ émerge en français du Québec, l’auteure observe que, si l’emploi de cette variante dépend du mot interrogatif, il semble néanmoins plus avancé à Montréal qu’ailleurs. S’inscrivant dans une approche de sociolinguistique historique et fournissant des productions originales, tirées des données historiques (écrites) et contemporaines (orales), l’étude de l’auteure montre à quel point le système d’interrogation directe partielle est peu stable dans le temps, tout en suggérant que l’évolution à l’œuvre dans la communauté montréalaise distingue celle-ci des autres communautés étudiées. Enfin, si le mot interrogatif comment résiste encore à la variante in situ, les taux globaux d’utilisation, selon les observations faites par l’auteure, permettent de considérer la variante in situ comme faisant partie intégrante de l’interrogation en français québécois oral.

Gudrun Ledegen s’intéresse, quant à elle, aux emplois de l’interrogative indirecte in situ, structure vernaculaire attestée dans plusieurs zones de la francophonie, dont la Réunion et le Québec. L’auteure met en exergue les avantages du recours aux données écologiques, comme par exemple celles du corpus Multicultural Paris French. Contrairement à des corpus plus traditionnels qui recourent à des entretiens, le corpus en question atteste de nombreuses occurrences de l’interrogative in situ indirecte. Afin de comprendre comment a émergé cette structure, l’auteure examine plusieurs hypothèses : celles d’un contact de langue, d’un changement linguistique récent, ou encore d’une structure « populaire » établie de longue date. En outre, dans le but de dégager les tendances actuelles dans l’emploi de l’interrogative in situ indirecte selon différents modes d’interaction (à l’oral ou à l’écrit, mais aussi en diachronie), l’auteure explore les données de plusieurs corpus, dont celles en provenance du Fonds de données linguistique du Québec.

La dernière contribution, réalisée par Janina Reinhardt et Wiebke Matuschat-Petersen, analyse les emplois de l’interrogative in situ dans un corpus de onze livres audio, et ce en croisant les approches phonétique et pragmatique. Les auteures partent du constat, fait par de récentes études, selon lequel la production des interrogatives in situ s’accompagnerait, en termes de tendances observées, d’une montée finale. Elles mettent ensuite en corrélation la fonction communicative de la question avec son contour intonatif, tout en démontrant que la pragmatique exerce potentiellement une influence sur le mouvement intonatif. Toutefois, elles révèlent que d’autres facteurs ont également une incidence sur l’intonation des interrogatives in situ, comme par exemple la variation interlocuteur.

Footnotes

1 Nous remercions Marie-José Béguelin, Nathalie Rossi-Gensane et Pierre Larrivée pour leurs remarques et suggestions d’amélioration lors de la relecture des versions précédentes de cette présentation. Nous demeurons, bien entendu, entièrement responsables des propos exprimés.

2 Attestée dans certaines régions en France, l’emploi de la particule -ti semble aujourd’hui rare (Coveney Reference Coveney2011 : 11). Cf. Auger et Villeneuve (Reference Auger and Villeneuve2021) pour les remarques qui concernent le picard, une langue gallo-romane parlée dans le Nord de la France et en Belgique, qui semble attester des occurrences de la particule interrogative.

3 Larrivée et Guryev (Reference Larrivée and Guryev2021) indiquent que contrairement à la particule -ti, son équivalent québécois -tu serait en principe indisponible avec l’interrogative partielle. Cependant, si l’usage des particules interrogatives est en effet souvent limité à une interrogation totale (François Reference François2013 : 35), la réalité semble plus complexe. François (op. cit. : 36) cite un exemple en provenance du français québécois, dans lequel -tu est associée à une interrogative partielle : ex. Pis, un moment donné qui s’que j’aperçois-tu pas, la guidoune qui était icitte… ? (Olivier Guimond 1971 ; cité par François Reference François2013).

4 La structure focalisante (par « clivage » selon les termes de Coveney Reference Coveney2011 : 3) telle que (2h) ‘C’est où que tu vas ?’ peut aussi être considérée comme une interrogative in situ, dans la mesure où le mot interrogatif occupe la place du complément correspondant dans un dispositif clivé : ex. C’est à l’école que tu vas.

5 Suite à une remarque de Nathalie Rossi-Gensane, on pourrait également se demander dans quelle mesure la variante (2g) pourrait être considérée comme in situ, sachant que le mot interrogatif occupe la place du sujet « dont il joue le rôle » (Le Goffic op. cit.). À ce propos, il est également intéressant de noter la présence d’une structure variante de (2g), où le mot interrogatif, assumant la fonction de sujet, est postposé : À cela s’ajoute quoi ? (Lefeuvre Reference Lefeuvre2006 : 103 ; cf. Larrivée et Guryev Reference Larrivée and Guryev2021 : 13).

6 En revanche, on verra plus bas que pour d’autres linguistes, les contextes communicatifs de type (17) ne seraient pas apragmatiques.

7 Il s’agit d’un corpus de onze livres audio.

8 Nous remercions Nathalie Rossi-Gensane pour cette remarque.

9 Nous nous permettons ici de citer une communication personnelle avec Marie-José Béguelin. Selon elle, il est possible que les emplois de la variante in situ soient déjà présents en diachronie. Toutefois, elle souligne qu’il existe plusieurs limites inhérentes aux corpus historiques disponibles qui empêchent une compréhension exhaustive de la situation : « Il est en effet probable que des biais de corpus conditionnent les observations que l’on peut faire sur l’évolution de l’interrogative in situ du français. En cause : non seulement les inégalités quantitatives énormes dans la disponibilité des corpus aux différentes époques, mais aussi la forte disparité des types discursifs dont nous gardons des témoignages. On ne saurait supposer que les corpus disponibles pour le passé, même constitués de plusieurs millions de mots, donnent un reflet fidèle du français tel qu’il était utilisé aux différentes époques. »

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