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Analyse factorielle et analyses statistiques classiques : le cas des ordres mendiants dans la France médiévale

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Alain Guerreau*
Affiliation:
CNRS - Paris

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Le catalogue des couvents des ordres mendiants dans la France médiévale, publié en 1962 par R.W. Emery, nous intéresse pour trois raisons :

1. Il fournit un matériau statistique remarquable : une « population » de plusieurs centaines de couvents, chacun d'entre eux déterminé par trois caractères : l'appartenance à un ordre, l'emplacement (ville et département), la date de fondation. Grand nombre, précision, exhaustivité : de quoi contenter le statisticien le plus exigeant.

2. Ce matériau concerne avant tout la France des XIIIe et XIVe siècles, époque et espace pour lesquels l'approche statistique des réalités sociales est réputée quasi impossible, surtout à un niveau général.

Summary

Summary

The point of departure for this study is Jacques Le Goff 's hypothesis that the monasteries Of the mendiant orders can serve as a good index for the urbanization of medieval France.

A series of specifically statistical analyses (primarily factor analysis of correspondances and adjustments to classical statistical laws) were applied to 609 mendiant monasteries established on French territory before the year 1450.

From this type of analysis, a number of observations—impossible to establish by any other means—emerge on a number of subjects, such as the settlement policy of the orders or the structures of the two urban networks of medieval Franc.

Type
L'Europe Médiévale
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1981

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References

Notes

1. Emery, Richard W., The friars in médiéval France. A catalogue offrench mendicant convents, 1200-1550. New York-Londres, 1962.Google Scholar

2. Voir par exemple, Woijf, Philippe, « L'étude des économies et des sociétés avant l'ère statistique », dans Samaran, Charles éd., L'histoire et ses méthodes, Paris, 1967, pp. 847892.Google Scholar

3. Pour tout ce qui concerne les ordres mendiants dans cet article, nous renvoyons une fois pour toutes à trois études de Jacques Le Goff, dans lesquelles on trouvera l'essentiel de la bibliographie du sujet, ainsi qu'une forte réflexion sur les rapports entre ces ordres et les villes : « Apostolat mendiant et fait urbain dans la France médiévale : l'implantation géographique et sociologique des ordres mendiants (xme-xvc siècles) », Annales Esc, n° 2, 1968, pp. 335-352 ; « État de l'enquête » sur « Ordres mendiants et urbanisation dans la France médiévale », Annales E.S.C., n° 4, 1970, pp. 924- 946 ; « France du Nord et France du Midi dans l'implantation des ordres mendiants au xmc siècle », Cahiers deFanjeaux, 8, 1973, pp. 133-140. Jacques Le Goff a également donné une vue d'ensemble sur les villes de cette époque : « The town as an agent of civilisation (c. 1200-c. 1500) », The Fontana économie history of Europe, Londres-Glasgow, 1971, vol. I, chap. 2.

4. Sur cette évolution et sur ses répercussions dans le champ des études historiques, on consultera deux synthèses du meilleur spécialiste français de la question, Genêt, Jean-Philippe, « L'historien et l'ordinateur », Historiens et géographes, 270, 1978, pp. 125142 Google Scholar ; « Die kollective Biographie von Mikropopulationen : Faktorenanalyse als Untersuchungsmethode », dans Irsigler, Franz éd.. Quantitative Methoden in der Wirtschafts- und Sozialgeschichle der Vorneuzeit, Stuttgart, 1978, pp. 69100.Google Scholar

5. Bien que le sujet soit récent, la bibliographie est déjà considérable. D'où la nécessité d'une sélection plus ou moins arbitraire, Benzécri, Jean-Pierre et ai, L'analyse des données. Il : L'analyse des correspondances, Paris, 1976 Google Scholar 2. (La deuxième partie de l'ouvrage est composée de onze études de cas, plus éclairantes que la première partie.) Lebart, L., Morineau, A., Tabard, N., Techniques de la description statistique. Méthodes et logiciels pour l'analyse des grands tableaux, Paris, 1977.Google Scholar (Panorama plus large des diverses méthodes existantes, avec des développements sur les limites de validité et les moyens d'interprétation.) Lefebvre, Jacques. Introduction aux analyses statistiques multidimensionnelles, Paris, 1976.Google Scholar (L'ouvrage qui, de loin, apparaît comme le plus utile : partant d'un niveau mathématique très élémentaire, il permet au lecteur de comprendre progressivement le pourquoi et le comment de l'ensemble des calculs constitutifs des analyses factorielles.) Saforta, Gilbert, Théories et méthodes de la statistique, Paris, 1978 Google Scholar ; Bouroche, Jean-Marie et Saporta, Gilbert, L'analyse des données, Paris. P.U.F., « Que sais-je ? », 1980.Google Scholar Personnellement, je dois par ailleurs beaucoup aux enseignements et aux observations de Cibois, Philippe, La représentation factorielle des tableaux croisés et des données d'enquête : étude de méthodologie sociologique, Paris, 1980.Google Scholar

6. Depuis le début de 1979 paraît, sous l'égide de l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes (40 avenue d'Iéna, 751 16 Paris) et de l'Équipe de Recherche Associée 713 du C.N.R.S., un bulletin trimestriel multigraphié. Le médiéviste et l'ordinateur,

7. On peut déjà se faire une idée des possibilités de ces petites machines en parcourant Smith, Jon M., Méthodes numériques pour calculateur de poche, Paris, 1978.Google Scholar

8. Guerreau, Alain. « Analyses factorielles au moyen d'une calculatrice programmable de poche », Le médiéviste et l'ordinateur, 2, 1979, pp. 1012 Google Scholar (étude sur la décomposition des opérations permettant de réaliser une analyse des correspondances sur une calculatrice de poche Texas- Instruments 58.)

9. Bourdieu, Pierre, Saint-martin, Monique De, « Le patronat », Actes de la Recherche en Sciences sociales, 20-21, 1978, p. 4.Google Scholar Cet article constitue par ailleurs un exemple de méthode lumineux. On se reportera également à Bourdieu, Pierre, La distinction. Essai sur la critique sociale du jugement, Paris, 1979 Google Scholar, qui fourmille d'indications sur l'emploi des analyses factorielles.

10. Les données se trouvent toutes dans Emery. op. cit. (n° I ). On n'a pas pu reproduire ici tous les tableaux par manque de place. Je tiens l'ensemble des tableaux de chiffres que j'ai traités à la disposition de tout lecteur intéressé.

11. Si l'on observe la figure 3. on constate que la plupart des départements de ce groupe (ainsi que le Finistère) se situent non pas au centre du graphique mais dans le centre de la concavité formée par le grand arc de cercle sur lequel se situent la plupart des départements : cela est caractéristique d'un important effet d'interaction (cf. Cibois, Philippe. « Analyse factorielle et interaction », Informatique et Sciences humaines, 39, 1978, pp. 130131 Google Scholar). Il est remarquable qu'aucun département méridional (figure 4) ne figure dans cette zone : il n'y eut pas dans le midi, comme on le verra plus loin, d'effet global d'interaction analogue à celui qui se manifesta dans le nord.

12. Pour tester l'éventuelle distorsion produite par ce regroupement, on a soumis à l'analyse des corespondances un tableau de contingence à 7 colonnes et 18 lignes où sont répartis les 609 couvents (figure 7 f). La position des 7 points-colonnes sur les deux premiers axes est très voisine de celle qui ressort de la première analyse du tableau global (7 colonnes et 88 lignes), d'où l'on conclut à une très faible perte d'information.

13. Outil statistique fondé pour l'essentiel sur la théorie de l'information. Sa formalisation et son utilisation concrètes restent l'objet de vifs débats : voir les contributions très argumentées de Jacques Jenny et Philippe Cibois, dans Informatique et Sciences humaines, 39. 1978, pp. 1-151.

14. Effectifs théoriques indiqués sur le tableau 1. Soient : R le total des couvents créés dans une région

L’ indépendance, pour une case a est définie simplement comme :

Pour chaque case, on connaît également : po : nombre de couvents créés dans la même période par le même ordre pr : nombre de couvents créés dans la même période et la même région ro : nombre de couvents créés dans la même région par le même ordre L'effectif théorique correspondant à une interaction nulle est donné par la formule :

Il est intéressant de noter que les deux formules, appliquées à l'ensemble des cases fournissent des effectifs théoriques dont la somme globale, dans l'un et l'autre cas, égale la somme réelle : on voit bien par là qu'il s'agit en fait de deux manières de calculer une « indépendance théorique ». Quelle que soit l'interprétation analytique qu'on donne de ces deux formules, on a tout intérêt à considérer conjointement les deux effectifs calculés pour obtenir une idée plus complète de I’ « indépendance ».

15. La bibliographie dans ce domaine est illimitée. Citons trois bons manuels : Calot, Jacques. Cours de statistique descriptive, Paris, 1973 Google Scholar 2 ; Piatier, André, Cahuzac, Pierre, Chambadai, Lucien., Economie et mathématiques, II : Analyse statistique et applications à l'économie, Paris, 1971 Google Scholar ; Vhntsei, Hélène., Théorie des probabilités, Moscou, 1969 Google Scholar 2, tr. fr. 1973.

16.

(In : logarithme népérien. jC : loi normale, m : moyenne, a : écart-type.) En utilisant ainsi la loi de distribution log-normale, nous la détournons évidemment de sa signification habituelle, puisqu'en général, on porte en abscisses une échelle de taille, et non une échelle chronologique (cf. CAI.OT, Cours de statistique descriptive, p. 165). Mais une telle courbe ne permettrait-elle pas des ajustements analytiques efficaces d'un grand nombre de phénomènes historiques ?

17. Pour le nord :

(x : mêmes valeurs que pour les équations citées note 16.)

18. Les flux, entre les bornes chronologiques que nous avons indiquées, ne paraissent dépendre que de leur propre dynamique ; en particulier, 1274 (concile de Lyon) ne semble correspondre à aucune inflexion repérable. L'utilisation d'une moyenne mobile sur 15 ans fait disparaître les fluctuations à court terme et les exclut donc du champ de l'observation. Il est légitime de s'interroger sur la licéité d'un tel lissage et la signification des données ainsi transformées : on peut d'abord considérer que ce lissage est surtout susceptible de faire disparaître des variations qui tiennent plus aux incertitudes de la documentation qu'à la dynamique du processus ; mais surtout, il paraît évident que l'intérêt des équations indiquées aux notes 16 et I 7 tient moins à leur correspondance avec les courbes observées qu'au fait qu'elles sont directement interprétables : tous les ajustements analytiques n'ont pas le même intérêt. On peut, par exemple, calculer facilement un développement en série de Fourier, selon la méthode approchée, dite « en 12 points » (Jon M. Smith, Méthodes numériques pour calculateur de poche, pp. 112-121). Voici l'équation d'un tel développement pour le flux de créations dans le nord :

La correspondance de cette équation avec la série réelle est excellente, mais cette décomposition ne paraît pas susceptible d'apporter une quelconque lumière sur les propriétés du flux qu'on veut étudier, contrairement aux équations des notes 16 et 17.

19. La nature probabiliste de cette loi est l'objet de vives discussions. On se reportera avec grand fruit à : Mandelbrot, Benoît, « Sur l'épistémologie du hasard dans les sciences sociales. Invariance des lois et vérification des prédictions », dans Piaget, Jean éd.. Logique et connaissance scientifique, Paris, 1967, pp. 10971113 Google Scholar; Mandelbrot, Benoît, Fractals. Form, chance and dimension, San Francisco, 1977 Google Scholar (édition française, Paris, 1975).

20. Guerreau, A., « Rentes des ordres mendiants à Mâcon au xivc siècle », Annales ESC, n° 4, 1970, pp. 956965.Google Scholar

21. L'observation d'une carte sur laquelle on ne porte que le « semis » tend à suggérer l'existence, à côté du grand triangle dont nous avons parlé, d'une zone grossièrement circulaire centrée à peu près sur Lyon et d'environ 130 km de rayon. Cette constatation, purement visuelle, n'est pas corroborée par les diverses analyses numériques que nous avons effectuées. Elle est d'autant plus difficile à interpréter que la plupart des couvents de la zone 15 (Jura-Alpes du Nord) sont de création très tardive.

22. En anglais existe : Fioud, Roderick, An introduction to quantitative methods for historians, Londres, 1980 Google Scholar 2. (Cet ouvrage n'est en effet qu'une introduction élémentaire.); Ohler, Norbert, Quantitative Methoden fur Historiker. Eine Einfùhrung, Munich. 1980.Google Scholar Les ouvrages consacrés à l'étude des variables en fonction du temps (« chroniques ») peuvent suggérer à l'historien des procédures intéressantes, mais au prix d'une adaptation délicate : ces livres sont généralement axés sur le problème des prévisions. Voir, Barbut, Marc, Fourgeaud, Claude, Eléments d'analyse mathématique des chroniques, Paris, 1971 Google Scholar ; Chatfieid, C., The analysis oftime séries : theory and practice, Londres, 1975.Google Scholar D'une manière générale, pour étudier les statistiques, on doit recourir à des manuels destinés aux ingénieurs, aux médecins, aux agronomes, aux météorologues, aux économistes, aux linguistes, etc. La formation et la pratique des historiens les ont jusqu'à présent empêchés d'utiliser autre chose que des moyens de calcul très faibles et des outils conceptuels anémiques. Voir : Heffer, Jean, « Statistique », dans Goff, J. Le, Chartier, R., Revel, J.. éds, La nouvelle histoire, Paris. 1978. pp. 522524.Google Scholar Prendre comme base de réflexion, comme le fait Furet, François, « L'histoire quantitative et la construction du fait historique », Annales E.S.C., n° I, 1971, pp. 6375 Google Scholar ; repris dans Goff, J. Le, Nora, P. éds. Faire de l'histoire, t. I, Paris, Gallimard, 1974, pp. 4261 Google Scholar, l'opposition irréductible qualitatif/quantitatif, c'est s'enfermer dans une impasse : il n'est pas vrai que l'histoire quantitative suppose l'existence de longues séries homogènes; on ne peut assimiler «quantitatif» à «non-finaliste» et «qualitatif” à «finaliste», ni non plus tenir pour équivalent “sériel” et « cohérent ». N'abordant pas les véritables difficultés posées par l'application de raisonnements statistiques aux réalités historiques, privilégiant résolument le « partiel » au détriment du « global », F. Furet reste victime, en dépit de ses dénégations véhémentes, de l'illusion atomiste d'une synthèse par simple juxtaposition.

23. Sur ce problème de l'articulation des concepts et sur la notion de système, Goldman, Lucien, « Épistémologie de la sociologie » dans Piaget, J. éd.. Logique et connaissance scientifique, Paris, 1967, pp. 9921018.Google Scholar Une étude très suggestive sur les villes médiévales prend en fait comme objet cette notion de système, Yves Barei., La ville médiévale. Système social, système urbain, Grenoble, 1975.

24. Goff, Jacques Le, Pour un autre Moyen Age. Temps, travail et culture en Occident : 18 essais, Paris, 1977, p. 15.Google Scholar