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État, classification sociale et compromis sous Louis XIV : la capitation de 1695

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Alain Guery*
Affiliation:
CNRS-Centre de Recherches historiques

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La formation d'un État-Nation en France a été un processus de longue durée, dont le déclenchement est d'initiative royale. Le roi, en France, a créé l'État, et au moyen de cet État, la Nation. La distinction puis la séparation institutionnalisée de son entourage en organismes spécialisés dans des types d'affaires envisagés et classés selon les réponses que les membres de cet entourage sont habilités par le roi à donner, constitue peu à peu un appareil institutionnel et administratif qui devient celui d'un Etat tel que nous l'entendons encore aujourd'hui. Cette atomisation institutionnelle dans le long terme du politique procède de manière concomitante par quadrillage de la société et obéit à des principes liés à une idée du pouvoir politique. La connaissance de la société par les administrateurs est inséparable de la question du pouvoir royal vu sous l'angle d'un vouloir politique.

Summary

Summary

Historians and sociologists use the social classifications they find in administrative documents to try to account for a society's social structures at any given moment in time. These documents, drawn up for other than sociological purposes, are utilized not simply to criticize other sources on the basis of a particular theory; the political events in which a country is involved, and the short-, middle-, and long-term goals of its established powers play a determining role in the elaboration of complex social classifications. France's 1695 capitation offers a good example of this. The word “class” appeared here for the first time in descriptions of the society. While the capitation was not first introduced in 1695, it nonetheless broke with the social exclusion characteristic of previous capitations. This does not mean that we can consider it to be akin to modern-day taxes: it made the state into the society's unifying and hierarchizing principle as a result of pressure created by very particular circumstances : war. The primary criterion for the social classification System used in determining tarifs was proximity to the state—as conceived of by Louis the Fourteenth and his ministers—to the war-besieged state. The 1695 capitation and its various tarifs illustrate the fact that social classifications are never innocent, but they represent stakes linked to current problems.

Type
État et Société Sous L'Ancien Régime
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1986

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References

Notes

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3. Selon un édit du 14novembre 1689, toute pièce d'argenterie à usage séculier dépassant un certain poids doit être fondue. Le roi montre l'exemple à ses contemporains en envoyant ses plus beaux objets à la fonte en 1690. L'argenterie a été considérée comme l'une des merveilles de Versailles sous Louis XIV. Elle se compose de nombreux objets : tables, guéridons, vases, coffrets, chandeliers, vaisselle de grande valeur, célèbres partout en Europe. Lors de l'exposition sur Versailles organisée par le Centre culturel suédois à Paris en septembre et octobre 1985, à l'occasion du premier colloque international sur le château de Versailles, réuni à Versailles à l'initiative des professeurs Guy Walton et W. Howard Adams, de très beaux dessins de cette vaisselle et de ces meubles d'argent, réunis par les envoyés du roi de Suède à Paris, ont permis de mesurer l'importance et la splendeur de cette collection d'objets rares et précieux. Voir Guy Walton, Versailles à Stockholm ; Dessins du National- Muséum. Peintures, Meubles et Arts décoratifs des collections suédoises et danoises. Catalogue de l'exposition, Centre culturel suédois de Paris, septembre-octobre 1985. Nationalmuseums Skriftserie, Uddevalla, 1985, pp. 163-176. La fonte des objets en argent n'est donc pas un expédient de pure forme. Guy Walton pense que le trône royal en argent a lui aussi été fondu en 1690 (Guy Walton, Versailles à Stockholm, p. 176). On peut néanmoins s'interroger sur l'intérêt d'une mesure de cet ordre, la valeur des objets venant beaucoup plus de la quantité et de la qualité du travail des artistes que du métal utilisé. En avait-on conscience ? Le mobilier d'argent disparaît ainsi pour toujours. Seule la vaisselle a été remplacée, mais dans un style moins impressionnant (Guy Walton, Versailles à Stockholm, p. 177 et sur cette nouvelle vaisselle d'argent, pp. 177-192) en attendant une nouvelle fonte en 1707, pour payer les dépenses de la guerre de Succession d'Espagne cette fois. Aucune argenterie royale de cette époque n'est, de ce fait, parvenue jusqu'à nous.

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17. B. N. Ms fr. 8852, fol. 83v°.

18. Les nombreux cas mentionnés par les intendants dans leur correspondance avec le contrôleur général des finances, édités par Arthur Michel De Boislisle, t. I, Paris, 1874, en témoignent.

19. B. N. Ms fr. n” 8852, fol. 83v°.

20. Le texte de la déclaration du 18 janvier 1695 et le tarif des 22 classes ont été publiés par Boislisle dans son édition de la Correspondance des Contrôleurs généraux des finances avec les Intendants des Provinces, Paris, 1874, t. I, pp. 565-574.

21. B. N. Ms fr. n° 8852, fol. 83v°.

22. Id., fol. 84v°.

23. « Au mois d'octobre, M. de Pontchartrain m'a mandé qu'il avoit été proposé au roi d'établir une capitation payable indistinctement par tous ses sujets et m'a demandé des mémoires que je lui ai envoyés le 5 novembre ; mais une des conditions principales que je lui ai mandé devoir faciliter cette imposition étoit d'ôter tous les recouvrements extraordinaires. Il m'a envoyé un modèle de dénombrement des habitants d'une élection. Je l'ai fait pour celle de Caen et le lui ai envoyé. J'ai offert, par une autre lettre, de commencer l'établissement de la capitation dans la généralité de Caen et de donner l'exemple aux autres provinces ». Mémoires de Nicolas-Joseph Foucault, publiés par F. Baudry, Paris, 1862, pp. 309-310.

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28. Voir le compte rendu des séances du conseil consacrées à la capitation dans le Journal du marquis de Dangeau, publié par Messieurs Soulie, Dussieux, Chennevières, Mantz, De Montaiolon, t. 5, années 1694, 1695, 1696, Paris, 1855, pp. 105, 121-122 et 136.

29. Voir Alain Guery, « Le roi dépensier… », art. cit.

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41. Le premier projet de tarif s'appelle « Projet de tarif pour la subvention generalle », A.N. G7 1132.

42. François Bluche et Jean-François Solnon, op. cit., pp. 135-203.

43. Id., pp. 32-38.

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