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Gens du finage, gens du bois

Published online by Cambridge University Press:  06 September 2021

Tina Jolas
Affiliation:
Paris, École Pratique des Hautes Études, VIe Section
Françoise Zonabend
Affiliation:
Paris, École Pratique des Hautes Études, VIe Section

Extract

Minot, village de plateau, groupé au centre de son terroir, s'ouvre sur la plaine, appropriée, morcelée, cernée sur presque tout son pourtour par la masse unie de la forêt communale. Entre finage et forêt s'insèrent les fermes d'écart. Dans cette configuration est donnée d'emblée, comme inscrite dans le dessin même du terroir et dans son aménagement, l'opposition entre périphérique et central, sauvage et cultivé, communal et approprié.

Au recensement de 1876, Minot compte 523 habitants : 50 chefs de famille cultivateurs, 49 artisans, 11 marchands-commerçants, 47 manouvriersjournaliers- domestiques de culture, 35 rentiers, 7 fonctionnaires d'État ou de commune, 1 médecin et 2 mendiants. La crise économique qui, au tournant du siècle, sévit dans le Châtillonnais accentue la décroissance de la population amorcée dès la fin du XVIIIe siècle.

Type
Pratiques et Cultures
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1973 

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References

Notes

1. L'étude du village de Minot (Bourgogne du Nord) est un travail collectif, mené dans le cadre du Laboratoire d'Anthropologie sociale par : Tina Jolas, Marie-Claude Pingaud, Yvonne Verdier et Françoise Zonabend.

2. Plainedésigne à Minot la partie cultivée du terroir, le finage.

3. En 1876, il n'existe déjà plus de véritable tradition artisanale à Minot et les artisans sont liés soit à l'activité agricole (3 maréchaux-ferrants, 2 charrons, 2 bourreliers), soit à la construction (6 maçons, 1 plâtrier, 1 terrassier), soit au bois (11 bûcherons, 6 scieurs de long, 1 fendeur de merrain). On trouve également 3 tonneliers et 2 cercliers qui travaillent pour les vignerons de la Côte, 4 sabotiers, 2 cordonniers, enfin 5 tisserands, témoins d'une activité autrefois plus florissante. Les femmes sont lingères, couturières, modistes ou blanchisseuses.

4. Sur l'économie du Châtillonnais à la fin du XIXe siècle, Mathal, cf. P.et Evrard, P., L'évolution en longue période de l'agriculture d'une petite région : le Châtillonnais, Paris, Institut de la Recherche agronomique, 1967 Google Scholar, ronéoté, s.p. En particulier le chapitre 11, où sont analysées les causes et les conséquences de la crise économique : mévente de la laine, mévente des blés ; fermeture des débouchés du fer et du bois.

5. La tranche de temps où se situent la plupart des récits rapportés ici va de la jeunesse de nos plus vieux informateurs — aux alentours de 1880 — à l'immédiat après-guerre et aux bouleversements technologiques des années 50. Nous avons pris 1876 comme point de départ de l'analyse des recensements afin de couvrir cette période.

6. On notera la différence dans le mode de référence : le terme de « Monsieur » traduit la distance non équivoque de Potey, notable de longue date, avec la communauté. En revanche, on désigne Verdelet, dont l'ascension sociale est de plus fraîche date, par le terme de « Monsieur » auquel on accole encore la préposition « chez » qui précède toute référence à une famille du village.

7. Sur l'histoire de la famille Mairetet, Roupnel, cf. G., La ville et la campagne au XVIIe siècle. Étude sur les populations du pays dijonnais, Paris, 1955, pp. 221273.Google Scholar

8. Le souvenir de ces luttes politiques nous a été gardé par L. P. Chaume, instituteur au village, dans son Histoire de Minot, manuscrit rédigé vers 1913 (Archives familiales).

9. Tous les enfants, tant du boisque du finage, participent à cet apprentissage de l'espace. Mais ce qui est pour les uns une nécessité économique immédiate (” Les enfants des bûcherons allaient en maître dès l'âge de 6 ans ; ils gardaient les vaches, au moins ils étaient nourris et gagnaient leurs sabots ») est, pour les autres, pratique éducative : « On mettait les enfants (de cultivateurs et d'artisans) chez un oncle pour apprendre à travailler. » « Garder aux champs » constitue une expérience commune à tous, presque une initiation, à laquelle on attribuera plus tard, lorsqu'elle ne correspondra plus à une nécessité économique, une valeur normative. « L'Albert Cochois (un maçon) est venu chez nous m'offrir ses enfants en disant ‘ j'ai été aux champs les vaches petit, je veux que mes gosses y aillent aussi ’. »

10. Les premières clôtures sont attribuées aux Morvandiaux et à ce souvenir on rit encore : « Autrefois, il n'y avait que chez Desgranges qu'ils avaient clôturé pour faire un pré ; ils étaient bien patients pour faire un mur autour d'un champ ! »

11. Les mariages ne sont pas homogames pour autant : les alliances entre artisans et cultivateurs sont nombreuses pourvu qu'il y ait de chaque côté un « petit quelque chose » ou un héritier pour reprendre l'exploitation familiale. « Mon père a refusé son consentement à mon mariage, il ne voulait pas que j'épouse un boutiquier, j'étais enfant unique, il n'y avait plus personne pour reprendre la ferme », raconte l'ancienne mercière du village.

12. On trouvera une description de ces mariages dans «Parler famille… », L'Homme, Paris, 1970, 10, n° 3, pp. 5-26.

13. Sur la transmission des patrimoines fonciers, Pingaud, cf. M.-C., « Terres et familles dans un village du Châtillonnais», Études rurales, Paris, 1971, n° 42, avril-juin.Google Scholar

14. Ce rapport avec la terre exprimé sous forme d'une obligation impérative de « rester », de la « faire », éclaire la valorisation de l'endogamie villageoise que nous avions notée dans un précédent travail. En fait, le taux d'endogamie n'a guère changé : sur un siècle (1880-1970), les gens du finagese marient à environ 38 % avec l'extérieur. Tout au plus voit-on s'élargir l'aire matrimoniale avec la généralisation de la voiture, ce qui a moins pour effet de créer de nouvelles possibilités de mariage que de permettre de renouer avec des branches perdues de vue. « Avec la voiture, les mariages entre cousins, ça revient. » Ce qui s'est modifié, c'est une certaine idéologie de l'endogamie.

15. Sur 162 mariages recensés au village entre 1880 et 1967, cinq seulement unissent gens du finageet gens du bois.

16. La vache, tout comme la terre, figure dans les contrats de mariage. C'est une vache et son veau que le jeune homme ou la jeune fille emmène dans sa nouvelle demeure : « A mon mariage, j'ai eu un trousseau, une chambre à coucher, avec armoire, lit, chevet, table de toilette, 3 vaches, une batterie de cuisine et une broche ancienne. »

17. Histoire racontée par un Morvandiau.

18. Nicolas Martenot figure dans le recensement de 1876 comme bûcheron ; cinq ans plus tard, il est manouvrier-bûcheron, en 1886 il est journalier. En 1891, il est recensé « au bois », vers la fin de sa vie, il est à nouveau bûcheron.

19. En patois, tainusé :« celui qui s'occupe à des riens ».

20. Dans les années 30, l'entrepreneur de battage est un bûcheron venu tardivement à la culture. Il « fait le public », reproduisant par là, sous forme mécanisée, une activité typique des gens du bois.

21. Mais ces deux rôles sont incompatibles. Le porteur intervient à deux moments de la cérémonie funèbre : de la maison à l'église, puis de l'église au cimetière. Or le fos soyeur quitte la cérémonie avant la fin pour changer de vêtement et être ainsi prêt à recouvrir la tombe dès que les parents ont quitté le cimetière.

22. Les « petits parents » sont tous les membres de la famille au-delà du deuxième degré de collatéralité. Les « conscrits » désignent les membres d'une même classe d'âge — tant d'hommes que femmes — par extension du terme appliqué à « la classe » des garçons qui font, ensemble, leur service militaire.

23. Les enfants appelaient les vieilles femmes « tante » ; c'était plus respectueux que de dire « la mère… », terme qui désigne plus particulièrement celles qui se singularisent « en bien ou en mal ».

24. Les femmes sont désignées par le prénom de leur mari.

25. Après la disparition des Messieurs, ce sont les gens du finagequi ont assumé pendant quarante-cinq ans le pouvoir municipal. Ce n'est que tardivement, au début du XXe siècle, qu'entrent au conseil un ou deux représentants des gens du bois.A la faveur des oppositions entre agriculteurs, le maçon, l'ouvrier du conseil devient maire en 1962. Il y aurait beaucoup à dire sur cette prise du pouvoir toute récente par les gens du bois.On rit de l'ignorance du maire en matière de généalogie : « Il ne sait rien du tout sur les vieilles familles… »

26. En revanche, les gens du boisse caractérisent par une endogamie villageoise de résidence de l'ordre de 50 %.

27. L'avènement des murgers : « Le premier essai qu'Edme R. fit de la manière qu'il avait imaginée fut dans un champ de son beau-père : on y découvrait sous la pierre une terre noire assez fertile ; Edmond sacrifia le haut du champ, presque absolument non labourable, pour y amonceler les pierres. C'est le plus rude de tous les travaux rustiques ; cependant, il s'y employa avec un infatigable courage, et se fit aider des domestiques ; il eut soin de maçonner lui-même, avec les pierres les plus larges, le bas du merger(c'est le nom qu'on donne à ces tas de pierres) et de mêler dans les entre-deux un peu de terre, avec des touffes de laume et d'autres herbes du genre des graminées, jusqu'à la hauteur d'un homme, tant pour consolider par là le bas du merger que pour fournir une pâture aux bestiaux, presque égale en étendue au terrain qu'il était forcé de couvrir. Il avait aussi eu soin de pratiquer un chemin en limaçon pour monter jusqu'au sommet ; et chaque année, avant le labourage, on y portait les pierres que les pluies avaient découvertes. » (N. Rétif de lA Bretonne, la vie de mon père, Paris, 1970, p. 71. la scène se passe à Sacy dans l'Yonne en 1778, à 80 km environ de Minot.)

28. Au lendemain de la guerre de 1914, on est plus réaliste encore : on dresse dans l'allée centrale un tas de sable figurant « une tombe sur le Front ».

29. Le Pâquis, lieu-dit situé à une des extrémités du village, est diamétralement opposé au château du haut. Ce lieu est marqué négativement : là se trouvaient les nazoires où rouissait le chanvre, la fontaine où on lavait les boyaux des cochons, le feu où le charron battait ses roues. Aujourd'hui on y brûle les ordures.

30. « Cette année, le charme n'avait pas encore sorti ses feuilles, ils ont coupé des branches de saule ; le propriétaire a réclamé ; ils ont dû payer. »

31. « Les filles sont ravies de gagner ; elles rangent dans un carton ce qu'elles gagnent pour que leurs mères ne s'en servent pas et accumulent pour quand elles se marieront ; elles savent qu'elles ont gagné telle ou telle chose aux différents 14 juillet. »