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La certification de la valeur de l'art. Experts et expertises

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Raymonde Moulin
Affiliation:
Centre de sociologie des arts, EHESS-CNRS

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On assiste aujourd'hui à la prolifération de l'expertise et le recours aux experts est devenu un phénomène de mode qui n'épargne pas la politique artistique. La compétence du professionnel culmine dans l'expertise et, si tous les experts ne sont pas des professionnels au sens que le mot revêt dans la sociologie anglo-saxonne, ils aspirent généralement à le devenir. Les responsables politiques et administratifs, de leur côté, ont pris l'habitude de faire appel à la capacité d'objectivation des experts. La commission d'experts apparaît ainsi comme la version actualisée du processus de consultation très général et très ancien de l'administration républicaine, à la fois protection et alibi. L'art étant devenu, au terme de la rationalisation, une activité spécialisée, on ne saurait s'étonner que le modèle de recours aux experts se soit généralisé au point de dominer les institutions culturelles et le marché.

Summary

Summary

Art being now a specialized activity, appeal to experts is generalized and dominates cultural institutions and the art market. The analysis of the two major categories of experts, in the French use of the term, museum curators and independant experts, is undertaken on the basis of the concepts of the sociology of professions. A distinction between the specialists of “art classe” and of contemporary art is drawn within these two large categories of actors. In the case of “art classe”, art value certification is constructed on the basis of attribution. In the case of contemporary art, the validation of the work as art is the basis of this certification. Certification of art value minimizes the uncertainty risk which is characteristic of art markets and especially the contemporary art market.

Type
La Carrière des Œuvres
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1993

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References

1. Voir en particulier Catherine Paradeise, « Rhétorique professionnelle et expertise », Sociologie du Travail, n° 1-85, pp. 17-31 et Magali Sarfatti-Larson, « A propos des professionnels et des experts ou comme il est peu utile d'essayer de tout dire », Sociologie et Sociétés, numéro spécial, La Sociologie des Professions, vol. XX, n°2, oct. 1988, pp. 23-40.

2. La terminologie anglo-saxonne en usage dans les marchés de l'art tend au contraire à dissocier les deux fonctions : l'expert (expert) agissant en tant que professionnel de l'art a pour activité principale de définir la valeur artistique et il ne se confond pas avec l'appréciateur ou estimateur (appraiser) qui évalue le prix. Le premier est un spécialiste et le second un généraliste.

3. Lemoine, Serge, « Le rôle de l'expert dans la pratique », L'expertise dans la vente d'objets d'art, Zurich, Schulthess Polygraphischer Verlag, 1991, pp. 6776 Google Scholar.

4. Le 16 mai 1990, trois décrets paraissent. Ils concernent le statut particulier des conservateurs du patrimoine, le statut particulier du corps des conservateurs généraux du patrimoine et la création d'une Ecole nationale du patrimoine. Cette nouvelle École est une grande école d'application chargée d'assurer la formation professionnelle des conservateurs de l'État, après leur concours de recrutement. Compte tenu de la tentation d'autonomie qui se manifeste dans les régions, soutenue par les lois de décentralisation, la difficulté subsiste de mettre au point un système national de recrutement et de formation pour les conservateurs des musées territoriaux. Le concours « Collectivités territoriales » a eu lieu pour la première fois en 1992 et a été étroitement imbriqué avec le concours « État », bien qu'il s'agisse de concours juridiquement distincts, les résultats de l'undevant être publiés par ordre de mérite et ceux de l'autre par ordre alphabétique. De plus, le concours « Collectivités territoriales » ne débouche pas immédiatement sur une proposition de poste ; au contraire, les lauréats, inscrits sur une liste d'aptitude, doivent se faire recruter par l'une des collectivités ayant proposé des postes au concours, avant de suivre la scolarité prévue à l'École nationale du patrimoine. Enfin, la solution reste à trouver qui permettrait de rémunérer les conservateurs, ainsi sélectionnés, pendant les dix-huit mois de leur scolarité. Nous renvoyons le lecteur aux travaux actuellement menés au Centre de sociologie des arts (Pascaline Costa, Danièle Hanet, Nathalie Roux).

5. Vera Zolberg, « Le musée d'art américain : des optiques contradictoires », Sociologie du Travail, numéro spécial, Les Professions artistiques, 1983, 4, pp. 446-458.

6. Françoise Cachin, dans « Où en est l'histoire de l'art en France ? », Paris, Gallimard, Le Débat, n°65, mai-août 1991, p. 189.

7. Pierre Rosenberg, id., p. 219.

8. Pascaline Costa, La profession de conservateur de musée aux États-Unis, Centre de sociologie des arts, 1991, rapport ronéotypé, 70 p.

9. Henri Mercillon, « Les musées : institutions à but non-lucratif dans l'économie marchande », Revue d'Économie politique, n” 4, 1977, pp. 630-641.

10. C'est en publiant un catalogue raisonné que l'historien de l'art engage publiquement sa responsabilité scientifique. Les historiens de l'art universitaires, non soumis à une obligation de réserve, se solidarisent néanmoins, le plus généralement, avec les conservateurs en ne demandant pas d'honoraires pour exprimer un avis sur le (ou les) artiste(s) dont ils sont considérés comme les spécialistes. Ces avis sont le plus souvent rédigés avec prudence : « Je, soussigné … considère que le tableau … est une oeuvre de Untel » ou « A mon avis, le tableau …” (exemples cités dans François Duret-Robert, Paris, Pierre Belfond, 1992, p. 188).

11. Jean-Paul Bouillon, dans « Où en est l'histoire de l'art en France ? », op. cit., pp. 183- 187.

12. La tradition française de l'histoire de l'art —d'Henri Focillon à André Chastel— ne s'épuise pas dans la problématique de l'attributionisme. Les prises de position des « attributionistes », comme, à l'opposé, celles des « théoriciens », doivent être interprétées dans le contexte des polémiques intellectuelles indissociables des positions que les uns et les autres occupent dans le champ de la recherche en histoire de l'art. Aucun des camps n'a le monopole de l'intelligence des œuvres.

13. Rosenberg, Cf. Pierre, « L'apport des expositions et de leurs catalogues à l'histoire de l'art », Les Cahiers du musée national d'art moderne, n” 29, automne 1989, pp. 4956 Google Scholar.

14. Des ouvrages sociologiques classiques (Pierre Bourdieu, L'amour de l'art, Paris, Éditions de Minuit, 1986) ont démontré l'illusion de l'« oeil » comme don de nature. Dans une perspective différente, de récents travaux analysent le rôle des sensations et la complexité des liens qu'elles entretiennent avec les formes d'expression et de jugement : Christian Bessy, Francis Chateauraynaud, « Le savoir-prendre. Enquête sur l'estimation des objets », texte à paraître dans Techniques et Culture, à paraître, et « Les ressorts de l'expertise, épreuves d'authenticité et engagement des corps », texte à paraître dans Raisons pratiques, n“4, 1993.

15. Lebel, Robert, cité dans François Duret-Robert, Marchands d'art ou faiseurs d'or, Paris, Belfond, 1992, p. 155 Google Scholar.

16. Alexandre Ananoff, cité dans François Duret-Robert, op. cit., p. 155.

17. Extraits de l'interview d'un responsable du Sfepoa.

18. « Toute personne justifiant d'une compétence professionnelle de notoriété reconnue dans un domaine précis et spécialisé de l'art et des objets de collection est habilitée à présenter sa candidature. La possession d'un diplôme de fin d'études d'une école d'art ne constitue évidemment pas, en elle-même, un cas de validité de candidature, pas plus que l'inscription sur une liste d'experts, par qui qu'elle soit établie ». (Extrait du règlement intérieur du Sfepoa, chap. I, admissions.)

19. Le règlement du Sfepoa précise qu'« il est obligatoire pour les membres actifs de voir leur responsabilité civile professionnelle couverte par un contrat d'assurance ». Cette garantie leur est offerte par une assurance de groupe passée par les soins du syndicat avec une compagnie d'assurance notoirement solvable. La compagnie qui assure le syndicat ventile ses membres entre cinq catégories en fonction des risques qu'ils semblent lui faire courir, selon leur chiffre d'affaires en matière d'expertise, soit : de 0 à 200 000 F de 200 000 à 800 000 F de 800 000 à 1 500 000 F de 1 500 000 à 3 000 000 F au-dessus de 3 000 000 F. La cotisation au Sfepoa se compose de deux parties, l'une fixe correspondant aux frais de fonctionnement du syndicat (4 500 F), l'autre variable correspondant à la cotisation d'assurance calculée sur les expertises de l'année.

20. Haskell, Francis, trad. fr. La norme et le caprice, Paris, Flammarion, 1986, p. 35 Google Scholarss. Voir aussi, Pomian, Krzysztof, Collectionneurs, amateurs et curieux: Paris-Venise, xvie-xviiiesiècle, Paris, Gallimard, 1987 Google Scholar.

21. Raymonde Moulin, L'artiste, l'institution et le marché, Paris, Flammarion, 1992, chap. V, et Alain Ouemin, Les commissaires-priseurs : analyse d'une profession et de son rôle dans la valorisation de l'art, thèse de doctorat en cours.

22. Le commissaire-priseur est habilité à estimer les objets, à inventorier des biens à titre d'expertise, en vue d'un partage ou pour un contrat d'assurance, sans que cela conduise nécessairement à l'organisation d'une vente aux enchères publiques ; ce service s'appelle la prisée. Les commissaires-priseurs ont mis en place le service Drouot-Estimations qui produit chaque jour plus d'une centaine d'estimations gratuites. Les experts y dénoncent une concurrence déloyale.

23. Karpik, Lucien, « L'économie de la qualité », Revue française de Sociologie, 30, 1989, pp. 187210 CrossRefGoogle Scholar.

24. François Duret-Robert, op. cit., p. 166.

25. Serge Lemoine, op. cit., p. 76.

26. Sont soumises, pour l'exportation, à la procédure simplifiée de l'attestation auprès du Comité professionnel des galeries d'art, les oeuvres d'artistes vivants, ou dans le cas d'artistes décédés, les oeuvres datant de moins de vingt ans, la frontière se trouvant ainsi en continuel déplacement.

27. Hugh Honour, John Fleming, trad. fr., Histoire universelle de l'art, préface d'André Chastel, Paris, Bordas, 1988

28. Dominique Bozo, « Les Fram et l'art contemporain », Nouvelles des musées classés et contrôlés, n° 9, avril 1986.

29. Après la mort de l'artiste, des conflits risquent d'intervenir entre la veuve de l'artiste, les critiques, les marchands qui ont été ses proches. Un exemple récent est fourni par la controverse sur l'authenticité d'un certain nombre de travaux de Beuys.

30. Cité par Nathalie Heinich, « La partie de main-chaude de l'art contemporain », Art et Contemporanéitê, Bruxelles, La Lettre volée, 1992, pp. 81-110.

31. Voir Mesnard, André-Hubert, Droit et politique de la culture, Paris, PUF, 1990 Google Scholar.

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33. Voir en particulier Howard S. Becker, Art Worlds, 1982 ; trad. fr. Les mondes de l'art, Paris, Gallimard, 1988, chap 5. Voir aussi Yves Michaud, L'artiste et les commissaires, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1989, et Nathalie Heinich, op. cit.

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35. Les activités professionnelles associées au commerce de l'art sont beaucoup plus répandues aux États-Unis qu'en France dans la mesure où elles sont étroitement liées au développement des collections privées et des collections d'entreprises. L'adoption de la terminologie anglo-saxonne accroît le caractère flou et incertain de la taxinomie française.

36. Moulin, Raymonde, Le Marché de la peinture en France, Paris, Éditions de Minuit, 1967, nouvelle édition 1989, pp. 459460 Google Scholar.

37. Extrait de l'interview d'un commissaire-priseur parisien spécialisé dans les ventes d'art contemporain, cité dans R. Moulin, op. cit., 1992, p. 214.

38. Voir Pierre-Michel Menger, « Rationalité et incertitude de la vie d'artiste », L'Année sociologique, vol. 39, 1989, pp. 111-151, et « Est-il rationnel de travailler pour s'épanouir ? », Le modèle et l'enquête. Les usages du principe de rationalité dans les sciences sociales, Paris, Éditions de l'EHÈSS, sous presse ; voir aussi Gianfranco Mossetto, Aesthetics and Economies, Dordrecht-Boston-Londres, Kluwer Académie Publishers, 1993.

39. En France, les biens qui font partie du patrimoine national sont définitivement retirés du marché.

40. Les travaux de Jean-Pierre Cuzin qui a porté son attention sur l'œuvre d'un peintre de la seconde moitié du xviiie siècle ont permis d'attribuer à ce dernier des œuvres préalablement attribuées à Fragonard, Gros, Boilly, David, Géricault et Delacroix.

41. Les définitions des oeuvres et des objets d'art sont d'une très grande importance pour les transactions sur le marché de l'art. Ces définitions ont fait l'objet d'un décret du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transactions d'œuvres d'art et d'objets de collection élaboré par le ministère de la Culture. Les définitions des termes « attribué à », « atelier de », « école de » sont précisées par le décret (art. 4, 5 et 6).

42. Michael Montias, Cf. John, Artists and Artisans in Delft: A Socio-Economic Study of the Seventeenth Century, Princeton, Princeton University Press, 1982 Google Scholar.