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La Nature et le corps du roi

Réflexions sur l’idéologie politique des temps carolingiens

Published online by Cambridge University Press:  22 November 2022

Geneviève Bührer-Thierry*
Affiliation:
Université Paris1-Panthéon-Sorbonne/LaMOP UMR 8589genevieve.thierry@univ-paris1.fr

Résumé

Dans son livre La Nature et le roi. Environnement, pouvoir et société à l’âge de Charlemagne (740-820), Jean-Pierre Devroey traite en profondeur, à travers plusieurs chapitres, de la personne du roi dans la bonne marche du monde, mettant ainsi en évidence la pluralité des héritages dans la construction idéologique du monde carolingien. Se poser la question de la place du roi au sein de la Nature permet d’appréhender cette médiation si particulière, qui repose en grande partie sur le corps du roi et puise à différentes traditions, largement reformulées dans le cadre d’une pensée chrétienne. Depuis les influences insulaires, notamment irlandaises, jusqu’à la culture de cour de la fin du ixe siècle, on possède des indices montrant que le corps du roi carolingien – mais sans doute aussi celui de la reine – constitue un élément de stabilité au sein du cosmos dont il garantit l’équilibre à condition de rester dans la « voie droite ». Ces conceptions s’estompent largement après le xie siècle dans la mesure où le roi n’est plus reconnu comme médiateur privilégié entre le Nature et la surnature.

Type
Historiographie
Copyright
© Éditions de l’EHESS

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References

1 J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., chap. 5 à 7.

2 Régine Le Jan (dir.), La royauté et les élites dans l’Europe carolingienne (début ixsiècle aux environs de 920), Villeneuve d’Ascq, Centre d’histoire de l’Europe du Nord-Ouest, 1998 ; Mayke de Jong, The Penitential State: Authority and Atonement in the Age of Louis the Pious, 814-840, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; Rolf Grosse et Michel Sot (dir.), Charlemagne : les temps, les espaces, les hommes. Construction et déconstruction d’un règne, Turnhout, Brepols, 2018 ; Philippe Depreux et Stefan Esders (dir.), La productivité d’une crise. Le règne de Louis le Pieux (814-840) et la transformation de l’Empire carolingien, Ostfildern, Jan Thorbecke, 2018 ; Janet L. Nelson, King and Emperor: A New Life of Charlemagne, Oakland, University of California Press, 2019.

3 Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005. Voir aussi Florent Coste, « Philippe Descola en Brocéliande », in E. Brilli, P.-O. Dittmar et B. Dufal (dir.), n° spécial « Faire de l’anthropologie historique du Moyen Âge », Atelier du Centre de recherches historiques, 6, 2010, https://doi.org/10.4000/acrh.1969https://doi.org/10.4000/acrh.1969.

4 Sur la distinction entre fonctions royale et sacerdotale, voir Michel Lauwers, « Le glaive et la parole. Charlemagne, Alcuin et le modèle du rex praedicator : notes d’ecclésiologie carolingienne », n° spécial « Alcuin de Tours à York », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 111-3, 2004, p. 221-244.

5 Mary Garrisson, « Letters to a King and Biblical exempla: The Examples of Cathuulf and Clemens Peregrinus », Early Medieval Europe, 7-3, 1998, p. 305-328 ; Joanna Story, « Cathwulf, Kingship, and the Royal Abbey of Saint-Denis », Speculum, 74-1, 1999, p. 1-21 ; Christiane Veyrard-Cosme, « De Cathwulf à Charlemagne. Traduction d’une lettre d’admonition carolingienne », in J. Elfassi, C. Lanéry et A.-M. Turcan-Verkerk (éd.), Amicorum societas . Mélanges offerts à François Dolbeau pour son 65 e anniversaire, Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2013, p. 887-894.

6 Pseudo-Cyprien, De XII abusis saeculi, éd. par H. Löwe, Lepizig, J. C. Hinrichs, 1909. Voir aussi Rob Meens, « Politics, Mirrors of Princes and the Bible: Sins, Kings and the Well-Being of the Realm », Early Medieval Europe, 7-3, 1998, p. 345-357, p. 353-354 sur les manuscrits.

7 J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., p. 224-233.

8 Ibid., p. 226, citant William Cronon, Nature et récits. Essais d’histoire environnementale, trad. par M. Lefèvre, Bellevaux, Éd. Dehors, 2016, p. 106. Voir aussi David Graeber et Marshall Sahlins, On Kings, Chicago, Hau Books, 2017, p. 1-22.

9 Sur la place centrale du rex justus dans l’idéologie carolingienne, voir Geneviève Bührer-Thierry, « Reines adultères et empoisonneuses, reines injustement accusées : la confrontation de deux modèles aux viiie-xe siècles », in C. La Rocca (dir.), Agire da donna. Modelli e pratiche di rappresentazione (secoli vi-x), Turnhout, Brepols, 2007, p. 151-170, notamment p. 168-169.

10 Cette idéologie de la correctio a été largement mise en lumière par M. de Jong, The Penitential State, op. cit.

11 Stuart Airlie, « Private Bodies and the Body Politic in the Divorce Case Lothar II », Past & Present, 161, 1998, p. 3-38 ; Rob Meens, Penance in Medieval Europe, 600-1200, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p. 123-130.

12 Comme Théodulf d’Orléans le reconnaît lui-même dans son poème XXV : Théodulf, « Ad Carolum regem », in Monumenta Germaniæ Historica (ci-après MGH), t. 1, Poetae latini medii aevi, éd. par E. Dümmler, Berlin, Weidmann, 1881, p. 483-489, ici p. 483. Voir à ce sujet Peter Godman (éd.), Poetry of the Carolingian Renaissance, Londres, Duckworth, 1985, p. 12-13.

13 Claire Tignolet, « Jeux poétiques à la cour de Charlemagne : compétition et intégration », in F. Bougard, R. Le Jan et T. Lienhard (dir.), Agôn. La compétition, ve- xiisiècles, Turnhout, Brepols, 2012, p. 221-234.

14 Théodulf, « Ad Carolum regem », op. cit., vers 18, p. 484 : Aureolasque manus, pauperiem quae abolent. Sur ce poème, voir aussi Geneviève Bührer-Thierry, « La beauté, le vêtement, l’apparence : des armes genrées dans la compétition ? », in S. Joye et R. Le Jan (dir.), Genre et compétition dans les sociétés occidentales du haut Moyen Âge ( ive- xisiècle), Turnhout, Brepols, 2018, p. 117-133.

15 Théodulf, « Ad Carolum regem », op. cit., respectivement vers 13, p. 483 (O facies, facies ter cocto clarior auro) et vers 20, p. 484 (Omnia pulchra vigent, cuncta decora nitent).

16 Voir Constance B. Bouchard, « The Divine King behind the Funny Stories of Notker the Stammerer », in M. C. Miller et E. Wheatley (dir.), Emotions, Communities, and Difference in Medieval Europe: Essays in Honor of Barbara H. Rosenwein, Londres, Routledge, 2017, p. 160-171.

17 Notker Balbulus, Gesta Karoli Magni, I, 19, in MGH Scriptores rerum Germanicarum, Nova ser ies, t. 12, éd. par H. F. Haefele, Berlin, Weidmannsche Buchhandlung, 1959, p. 25 ; ibid., II, 17, p. 81-88, ici p. 87. Voir aussi Theodor Siegrist, Herrscherbild und Weltsicht bei Notker Balbulus. Untersuchungen zu den Gesta Karoli, Zurich, Fretz und Wasmuth, 1963, p. 101-102 ; Geneviève Bührer-Thierry, « Unter dem Blick des Herrschers. Blick, Augen und Sicht im Frühmittelalter », in G. Krieger (dir.), Verwandtschaft, Freundschaft, Bruderschaft. Soziale Lebens- und Kommunikationsformen im Mittelalter, Berlin, Akademie Verlag, 2009, p. 221-228.

18 Notker Balbulus, Gesta Karoli Magni, op. cit., II, 11, p. 69-70 : Ita omni iocunditate ac dulcedine plenus semper exstitit, ut, si quis ad eum trisitis adveniret, ex sola visione vel quantulacumque eius allocutione laetificatus abscederet. Quodsi quid forte sinistrum vel ineptum in eius conspectu subito fieret vel eum aliunde comperisse contigeret, sola oculorum animadversione sic omnia correxit, ut, quod de aeterno internoque iudice scriptum est : « Rex, qui sedet in solio regni sui, intuitu vultus sui dissipat omne malum », supra fas mortalibus concessum in illo non ambigeretur inceptum. On peut noter ici que Notker modifie la citation exacte de la Vulgate : Rex qui sedet in solio iudicii dissipat omne malum intuitu suo. Sur ce point, voir G. Bührer-Thierry, « Unter dem Blick des Herrschers », art. cit.

19 Notker transforme, ici encore, la citation des Proverbes : rex qui sedet in solio iudicii devient sous sa plume in solio regni sui.

20 Alcuin, « Epistola 171 », MGH Epistolae Karolini aevi, vol. 4, t. 2, éd. par E. Dümmler, Berlin, Weidmann, 1895, p. 281-283, ici p. 281 : Felix populus, qui tali principe gaudet ; in cuius prosperitate salus cunctorum constitit, in cuius hilaritate omnium animus gaudebit, ut dictum est : « in hilaritate regis, vita » ; cuius solium dissipat iniquitatem, cuius vultus reverentia conservat usque ad aequitatem. Alcuin reprend ici deux passages des Proverbes : in hilaritate vultus regis vita et clementia eius quasi imber serotinus (Pr XVI, 15) ; rex qui sedet in solio iudicii dissipat omne malum intuitu suo (Pr XX, 8).

21 Geneviève Bührer-Thierry, « Lumière et pouvoir dans le haut Moyen Âge occidental : célébration du pouvoir et métaphores lumineuses », Mélanges de l’École française de Rome, Moyen Âge, 116-2, 2004, p. 521-556 ; ead., « L’œil efficace », in É. Palazzo (dir.), Les cinq sens au Moyen Âge, Paris, Éd. du Cerf, 2016, p. 465-483.

22 Jean-Pierre Devroey mentionne un texte de 1690 où le seul regard du « roi-jardinier » suffit à faire fructifier les jardins : J.-P. Devroey, La Nature et le roi, op. cit., n. 62, p. 479. L’auteur cité semble s’être inspiré de Pline.

23 Geneviève Bührer-Thierry, « La reine adultère », Cahiers de civilisation médiévale, 35-140, 1992, p. 299-312.

24 Marita Blattmann, « ‘Ein Unglück für sein Volk’. Der Zusammenhang zwischen Fehlverhalten des Königs und Volkswohl in Quellen des 7.-12. Jahrhunderts », Frühmittelalterliche Studien, 30, 1996, p. 80-102.