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Le goût et la nécessité : sur l'usage des graisses dans les cuisines d'Europe occidentale (XIVe-XVIIIe siècle)

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Jean-Louis Flandrin*
Affiliation:
Université de Paris VIII - EHESS

Extract

Nos goûts entretiennent des rapports évidents avec nos pratiques alimentaires. Nous disons « je mange ceci », « je cuisine comme cela », « parce que c'est bon », « parce que j'aime ça ». L'anthropologue ou l'historien, à l'inverse, a tendance à dire que le goût de chacun a été formé par l'éducation qu'il a reçue, et que la diversité des goûts nationaux ou régionaux reflète la diversité des pratiques alimentaires. Au reste, de quelque manière qu'il se représente ces relations, celui qui veut connaître les goûts d'une communauté humaine va généralement étudier ses pratiques alimentaires, phénomène objectif, relativement facile à observer.

Le malheur est que le goût n'est pas purement et simplement la face psychologique des comportements alimentaires. Nos aliments et notre cuisine ne sont pas forcément ceux que nous préférons.

Summary

Summary

To what extent do the culinary practices of a society and the changes in these practices depend on its tastes, and to what degree are they conditioned by constraints clearly perceived as such ? The shift from the spicy and acid seasonings used in the late Middle Ages to the fatty seasonings of classic European cuisine seems to have been caused by changing tastes, and not by a change in the availability of certain foodstuffs. But the shift from cooking with oil in the 14th and 15th centuries (a low-fat cuisine) to cooking with butter in the 17th to 20th centuries was connected with the lifting of certain religious restrictions that had been very unpopular in the non-Mediterranean regions of Europe and had failed to change the patterns of taste in those regions (in contrast, as we know, the dietary rules of other religions, such as those of Jewish and Moslem society, have had lasting effects on patterns of taste).

Type
Savoir-Faire, Savoir-Vivre
Copyright
Copyright © Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1983

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References

Notes

1. Les Catalans partagent avec les Français, les Italiens, les Anglais et les Allemands l'honneur d'avoir un livre de cuisine qui remonte au xive siècle. Mais leur cuisine Était particulièrement réputée. Ainsi Platina, dans son De honesta voluptateU 475) Écrivait que « Les Catalans sont des gens raffinés (…), habiles cuisiniers » ; et donnant la recette de leur « Mirause », il notait « Je ne me souviens pas d'avoir mangé un meilleur plat ». Sur cette cuisine catalane, voyez « Catalan Cuisine, in Historical Perspective » de Rudolf Grewe, dans National and Régional Styles ofCookery, Oxford Symposium, Proceedings, Prospect Books et Oxford University Press, 1981, pp. 170-178 ; et l'introduction que le même auteur a donné (en catalan) au Libre de Sent Sovi, Barcelone, Editorial Barcino, 1979, 250 p.

2. Pour ce travail sur les graisses, je n'ai dépouillé que les recueils et parties de recueils suivants : Françoise Loux et Philippe Richard, Sagesses du corps, Paris, Maisonneuve et Larose, 1978, proverbes n° 1094 à 2424, Louis Morin, Proverbes et dictons recueillis dans le département de l'Aube, lre série, Troyes, 1904, proverbes n° 1 à 1259 ; 2e série, Troyes, 1912, proverbes n° 1260 à 2323 ; 3e série, Troyes, 1932, proverbes n° 2324 à 4146. Illberg, Proverbes, dictons et poésies d'Alsace, Forcalquier, 1966, 367 p., bilingue. LE Roux DE Lincy, Le livre des proverbes français, 2e Édition, Paris, 1859, séries III et XIIL Voltoire, Anciens proverbes basques et gascons recueillis par Voltoire et remis à jour par G. Brunet, Bayonne, 1873. Arnauld Oihenart, Proverbes basques, recueillis et traduits par Oihenart au xviie siècle, 2e Édition, par G. Brunet, Bordeaux, 1847, bilingue. Cotgrave, A Dictionarie ofthe French and English Tongues, Londres, 1611, Reprint by University of South Carolina Press, Columbia, 1968. Gabriel Meurier, Thrésor des sentences dorées, Rouen, 1578 : proverbes commençant par la lettre A. Il est clair qu'à l'issue de cette recherche je n'ai trouvé qu'une partie des proverbes anciens ou modernes parlant des graisses de cuisine. C'est d'autant plus regrettable que toute réflexion historique sur les proverbes argumente — explicitement ou non — sur les silences, et que ce type d'argumentation exige un dépouillement exhaustif. Mais on ne peut en entreprendre un pour chacune des recherches où le témoignage des proverbes serait utile. A quand, donc, la mise en ordinateur de l'ensemble des proverbes collectés sur le territoire français du xne siècle à nos jours ?

3. Trouvés dans Sagesses du corps : 1841 : Le pain qui n'est pas accompagné de gras s'en va sans mesure (Provence). 2022 : Il faut qu'un fou mette de la graisse dans la soupe et qu'un sage y mette du sel (Franche-Comté). 2026 : Peu de graisse, peu de goût (Provence). 2027 : Plus c'est gras, mieux ça descend (Franche-Comté). 2028 : Sans graisse, pas de soupe, ni de beau coup sans effort, ni de conseil sans attention (Bretagne). 2029 : Pot graissé, la soupe s'en trouve bien, le bouillon plaît à l'estomac (Gascogne). Etdans Proverbes et dictons… de l'Aube : 590 : Ça ne sent ni sel ni graisse (c'est-à-dire que ça ne sent rien, ça ne dit rien, ça ne vaut rien). 2000 : Se plaindre du gras (ou « de la graisse ») : c'està- dire se plaindre d'une situation prospère.

4. «A grasse cuisine, povreté voisine » (Meurier, xvie s.) ; « Grasse cuisine meigrit testament » (Cotgrave, cité par LE Roux DE Lincy) ; « La cuisine grasse ameigrit le maître et fait dépérir la maison » (Oihenart, Proverbes basques, xviie s.).

5. Blant, Robert Le, « Marché de viandes et de poissons pour Catherine de Bourbon », Bull. Philol. et Hist., année 1968, vol. 1, Paris 1971, pp. 129142 Google Scholar; et Pierre Couperie, « Les marchés de pourvoirie : viandes et poissons chez les Grands au xviie siècle », Annales E.S.C., 1964, pp. 467-477 et Hémardinquer, J.-J., Pour une histoire de l'alimentation, Paris, Colin, A., 1970, pp. 241253.Google Scholar Dans le tableau 1 qui résume les données tirées de ces articles, j'ai rapproché la chandelle de la chair de mouton, pensant qu'elle Était faite de suif. Dans les documents, elle Était toujours mentionnée entre la graisse de porc et le beurre de cuisine.

6. J.-J. HéMardinquer, « Les graisses de cuisine en France. Essais de carte », dans Pour une histoire de l'alimentation, pp. 254-27'1, p. 271.

7. Aldebrandin, , Le Régime du corps, Genève, Slatkine Reprints, 1978, p. 134;Google Scholar Bruyerin Champier, Jean, De re cibaria, Nuremberg, 1659, pp. 513514;Google Scholar Le Thrésor de santé, 1607, p. 159 ; Lemery, , Traité des alimens, 3 e Éd., 1755, t. II, p. 12;Google Scholar Nicolas Abraham, sire de LA FramboisiÈRE, Les œuvres, 1613, t. I, p. 56.

8. Le Régime tresutile et tresproufitable pour conserver et garder la santé du corps humain (xvc s.), Éd. critique de Patricia W. Cummins, Chapel Hill, North Carolina, 1976, 269 p., cf. p. 82 ; Le Thrésor de santé, p. 352 ; Nicolas Andry, Traité des alimens de Caresme, Paris, 1713,2 vol. in-12, II, 16.

9. Aldebrandin, op. cit., p. 182 : Il « valt moult à chax qui ont sech tous et froit » ; Le Thrésor de santé, p. 352 : « Il garentit du mauvais air en temps de contagion (…), il digère le flegme et adoucit la poitrine. En somme il humecte, eschauffe, adoucit la poictrine, etc. » ; Abraham, op. cit., p. 130 : « Il ne nourrit guère, mais il lasche, amollit et adoucit. Il est bon à la poictrine et aux poumons » ; Lemery, op. cit., 1702, p. 295 : « Les Hollandais et les peuples du Nord s'en servent encore plus fréquemment que nous ; et l'on prétend que c'est ce qui contribue à la fraîcheur de leur teint » ; Nicolas Andry, op. cit., t. II, p. 16 : « Il préserve même de la pierre par un suc doux et glissantC.) Si on le prend àjeun et qu'on y mêle un peu de sucre, il est excellent pour calmer la toux et pour aider à cracher. »

10. B. Platina, De honesta voluptate, Venise, 1475, reprint Mallinckrodt Chemical Works, 1967, p. 38 (traduction) : « L'huile a le pouvoir de tiédir le corps (…) Contre le froid l'huile est d'un merveilleux secours. Bue l'estomac à jeun, elle tue les vers ou les expulse du ventre. Or en outre elle passe pour un antidote contre les venins » ; Lemery, op. cit., 1755, t. I, p. 309 : « On dit même qu'elle résiste au poison… »

11. Pour le beurre, voyez Aldebrandin, op. cit., p. 182 ; Régime tresutile…, pp. 82-83 ; Platina, op. cit., p. 42 ; Le Thrésor de santé, p. 352 ; Abraham, op. cit., p. 130 ; Andry, op. cit., II, 12 et 16. Pour l'huile, voyez Aldebrandin, op. cit., p. 156 ; Le Thrésor de santé, p. 401 ; Abraham, op. cit., p. 150 ; Lemery, op. cit., I, 309 ; Andry, op. cit., II, 19-20.

12. Du beurre, Aldebrandin dit qu'il «donne abhomination », op. cit., p. 181 ; Le Régime tresutileip. 83) prévient qu'à” ceulx qui en usent en grande quantité il engendre abomination et fait la viande demourer en l'orifice de l'estomac et laiche le ventre (…), et fait pareillement vomir » de sorte qu'on n'en doit point user « comme viande », mais seulement « en préparant les aultre viandes » ; Platina, op. cit., p. 42, que « par son usage fréquent l'estomac est endommagé » et qu'il « prépare la fomentation d'un mal flegmatique » ; Bruyerin Champier, op. cit., p. 576, qu'il « est contraire à l'estomac et que, consommé largement dans la nourriture, il cause du dégoût et des nausées » ; Le Thrésor de santé(p. 352) que « si on n'y tient mesure, il foule et gaste l'estomac, engendre flegme ». Quant à l'huile, Nicolas Andry, op. cit., II, 20, Écrit qu'il « faut en user modérément, sans quoi elle pourrait produire un trop grand relâchement des organes ».

13. Due peut-être à Menon, dont le nom apparaît dans le privilège, La cuisinière bourgeoise est parue pour la première fois en 1746. Depuis cette date jusques après le milieu du xixe siècle, elle fut constamment réimprimée, et souvent modifiée. L'édition de 1777, que j'ai utilisée, comprend déjà plus de recettes que l'édition originale. On y trouvera ce qui concerne la poitrine de veau à la page 99.

14. Massialot, , Le cuisinier royal et bourgeois, Paris, 1691 Google Scholar, reprint René Dessagne, Limoges, pp. 386-387.

15. Le Ménagier de Paris, vers 1393, reprint Daniel Morcrette, Luzarches, p. 233.

16. Ibid., p. 237.

17 La cuisine de Madame Saint-Ange…, Grenoble, Éd. Chaix, 1977 et Paris, Larousse, 1982 ; pp. 130-131, « Pour dégraisser le bouillon ». Cet ouvrage de la fin du xixe siècle a Été constamment réédité depuis.

18. L'Art de bien traiter… par L.S.R., Paris, 1674, fac-similé par Daniel Morcrette, Luzarches, 1978.

19. Ibid., pp. 73-75.

20. La cuisine de Madame Saint-Ange, p. 21.

21. Ibid., p. 34.

22. Ibid., p. 44.

23. Lippomano Écrivait que les Français « mangent (…) beaucoup de viande. Ils en chargent la table de leurs banquets. Elle est d'ordinaire bien rôtie ». Puis il s'étonne de ce qu'en France un chapon, une perdrix, un lièvre coûtent moins cher « tout prêts, lardés et rôtis » que lorsqu'on les achète tous vifs au marché, Relation des ambassadeurs vénitiens… réunies par Tommaseo, Paris, 1838, p. 569 ; cité par Philippe Gillet, Le goût et les habitudes alimentaires d'après les récits de voyage, XVIe- XVIIIe siècles, mémoire de maîtrise dactylographié, Université de Paris VIII-Vincennes, 1980,210 p. Quant à Belon, ne coupons pas trop court son témoignage : « Nous voyons mesmement que onne fait rostir aucun oiseau en nostre France qui ne soit premièrement broché de lardons ou bardé tout à l'entour, ou entouré de feuilles d'herbes, comme aussi sembleroit trouver chose de trop mauvais goust si nous avions failli à les avoir apprestés et mangés sans sauce », Histoire de la nature des oiseaux, Paris, 155, p. 53 ; texte communiqué par Philip Hyman. Comme L.S.R. à propos de son bouillon nourricier, c'est donc le goût du lard que Belon mettait en avant, et non les vertus de sa graisse pour le parfait rissolage de la viande.

24. Montaigne, , Journal de voyage en Italie, Paris, Livre de poche, 1974, p. 188:Google Scholar « Il n'y a point moindre foison de viande qu'en France quoiqu'on ait accoutumé de le dire ; et ce qu'ils ne lardent point leur rôti ne lui ôte guère de saveur » (cité par Philippe Gillet).

25. « Les perdrix rouges s'y trouvent en quantité, fort grosses, elles sont un peu sèches et à cette sécheresse naturelle l'on y ajoute une autre qui est bien pire, je veux dire que pour les rôtir on les réduit en charbon », dans comtesse d'AuusoY, Relation du voyage d'Espagne, Paris, 1691, t. I, p. 196 ; texte cité par Ph. Gillet.

26. L'Art de bien traiter, p. 55.

27. Voyez dans L'Art de bien traiter la « Carpe au bleu » (pp. 248-249), ou l'Anguille au courtbouillon (pp. 260-261) ; et dans La cuisinière bourgeoise le turbot et la barbue (pp. 203-204), le saumon (p. 206), l'alose (p. 208), la limande, la sole, le carlet et la plie (p. 216), lebar(p. 221), la carpe (pp. 227-228), le brochet servi pour rôt (p. 225), ou la truite saumonée (p. 229).

28. La moutarde d'autrefois, en outre, comprenait toujours du jus de raisin — vert ou mûr, d'où le « moût » de « moutarde » — alors qu'aujourd'hui les moutardes sont généralement au vinaigre et qu'on appelle « graine de moutarde » la graine de sénevé.

29. L'ancienne aillée, faite de noix — ou d'amandes — broyées au mortier avec quelques gousses d'ail et des tranches de pain trempées dans du bouillon, semble être l'ancêtre de l'aïoli provençal où l'huile d'olive a remplacé les noix et le bouillon. La sauce verte, aujourd'hui, est devenue une mayonnaise — donc une sauce très riche en huile — colorée d'une purée d'herbes aromatiques (cf. La cuisine de Madame Saint-Ange, p. 121) ou d'un simple jus d'épinard. Autrefois les formules en Étaient variables, mais on y trouvait toujours du vinaigre et du persil, généralement plusieurs autres herbes, souvent du gingembre, de la cannelle, voire d'autres Épices, mais jamais d'huile ni aucune matière grasse. L'ensemble pouvait être liquide comme l'actuelle sauce à la menthe des Anglais, ou lié au pain.

30. Les recettes de cameline Étaient aussi nombreuses que celles de sauce verte. On y trouve toujours du gingembre et de la cannelle, voire toutes sortes d'autres Épices pulvérisées et dissoutes en vinaigre ou vin rouge ; et l'ensemble — qui subissait parfois une cuisson — Était lié au pain, grillé ou non. Voyez par exemple Taillevent, pp. 32, 109, 175 ; Le Ménagier de Paris, p. 230 ; Platina, De honesta voluptate, p. 131 ; The Forme ofCury, p. 26, n° 144 ; Two Fifteenth Century Cookery-Books, p. 77 et p. 109 ; etc.

31. Chacun de mes lecteurs est Évidemment libre d'aimer les quelques sauces anciennes que j'ai décrites. Mais si elles correspondaient encore à notre goût, pourquoi la plupart d'entre elles se seraient-elles modifiées ou auraient-elles disparu ?

32. La graine de Paradis, aujourd'hui plus connue sous le nom de « maniguette », est une plante de la famille des zingiberacées, qui pousse en Afrique occidentale, particulièrement sur les côtes et les îles du golfe de Guinée. Elle est très différente de la cardamome avec quoi plusieurs historiens la confondent. Aux xive et xvc siècles la plupart des livres français utilisaient très peu de poivre mais beaucoup de graine de Paradis (qui est piquante, comme lui), alors que les livres anglais mentionnaient souvent le poivre et jamais la graine de Paradis. Ce n'est qu'aux xviie et xvine siècles que cette Épice disparaît des livres français et que le poivre y devient la plus fréquemment employée.

33. Cf. Sagesses du corps, proverbes n° 1169, 1785, 1814, 1945, 2024, 2043. Il faut y ajouter deux proverbes corses (trouvés et traduits par François Piovanacci) : « Il a consommé plus de vin que d'huile », Savarelli, La vie en Corse à travers les proverbes et dictons, 1977 ;et” La fève demande un bon condiment d'huile », Guguelmi, 1852. Dans les provinces septentrionales, je n'ai trouvé que quatre proverbes mentionnant l'huile : deux en disent du mal (Sagesses du corps, n° 1225 en Anjou ; et Morin, n° 919. Aube) ; un autre parle de la salade, qui constitue un cas spécial, nous le verrons (ibid., n° 600) ; et le dernier parle de l'huile comme combustible, non comme aliment (Illberg, Alsace).

34. Cf. Sagesses du corps, n° 1132,1843, 1935, Anjou et Bretagne ; et Morin n° 2946 et 3594, Aube..

35. Voltoire, op. cit., donnait cependant ce proverbe sur le beurre dont la présence en Languedoc s'explique peut-être par l'existence de la faculté de Médecine de Montpellier : « Beurre au matin est or, à dîner argent et au soir plomb ». LE Roux DE Lincy, d'autre part, dont les Proverbes français viennent généralement de la France septentrionale, donne au moins deux proverbes relatifs à l'huile: « Vous pouvez manger votre potage à l'huile, il n'y a point de chair pour vous » (Oudin, xviie s.) ; et « Salade bien lavée et salée, peu de vinaigre et bien huilée ». Comme nous l'avons déjà remarqué à propos des proverbes contemporains, l'un est péjoratif et l'autre relatif à la salade.

36. « L'utilisation préférentielle de telle graisse pour la cuisine courante ou pour la cuisine exceptionnelle semble bien présenter une fixité remarquable. Elle a la solidité, un peu partout, des habitudes qui ne sont plus mises en question » (Intervention au premier congrès international de Folklore, en 1938, citée par J.-J. HéMardinquer, Pour une histoire de l'alimentation, p. 254). Il est vrai que Lucien Febvre envisageait la possibilité de transformations, et concluait : « L'histoire de la substitution de graisse à graisse serait passionnante ».

37. J.-J. HéMardinquer, op. cit., pp. 254-271, « Les graisses de cuisine en France. Essais de cartes ».

38. Louis Stouff, Ravitaillement et alimentation aux XIVe et XVe siècles, Paris et La Haye, Mouton, 1970, p. 261, « Les spécialistes ont tendance à faire de l'huile d'olive l'originalité de la cuisine provençale. René Jouveau, dans La cuisine provençale de tradition populairet.) commence son ouvrage par un véritable hymne à l'olive. Ce qui est vrai du xxe ou du xixc siècle ne l'est pas forcément du Bas Moyen Age. En ce temps l'huile n'est, semble-t-il, utilisée que pour les œufs et le poisson, la friture de fèves. En dehors de ces quelques plats, c'est la viande de porc salé qui est la graisse par excellence des potages. Le potage de pois, de fèves ou de choux, avec du lard, est l'aliment fondamental des paysans, des artisans, des gens simples de la Provence. Elle est aussi celle de la masse des hommes dans l'Europe du Bas Moyen Age ».

39. « La cuisine régionale est forcément d'origine populaire. Certes les grands et les riches ont pu y collaborer. Mais ils avaient, eux, trop de moyens, trop de tentation de dépasser le cadre régional (…). A l'opposé de l'échelle sociale, les paysans sont restés longtemps trop pauvres pour inventer des raffinements. Leur unique menu Était la soupe où cuisait les légumes du potager, avec un morceau de porc salé, si on en avait (…). Pour qu'apparaissent, dans ce cadre modeste, des intentions plus gourmandes, des elaborations plus recherchées, il a fallu que certains parviennent à surmonter la misère, à trouver les moyens et le désir de se mieux nourrir, à faire amitié sincère et profonde avec le terroir et ses produits ; bref, à cuisiner les aliments au lieu de les cuire. Cela n'a pu se produire qu'au cours d'une phase de prospérité assez longue, sans doute au xviiie siècle, au moment où se fixe ce qu'on a depuis appelé le folklore », Yvonne Knibiehler, « Essai sur l'histoire de la cuisine provençale», dans National & Régional Styles ofCookery, op. cit., pp. 167-168.

40. Il est très difficile d'établir le statut social de la cuisine présenté dans les anciens livres de cuisine : certaines recettes sont Évidemment aristocratiques ; d'autres, dans les mêmes livres, pourraient être des recettes paysannes. Voyez, par exemple, les « Potages communs sans espices et non lians » du Ménagier de Paris ; ou le Libro délia cucina del secolo XIV, recueil toscan Édité par F. Zambrini (réimpression, Bologne, 1968) ; ou ce titre de la fin du xviie siècle : Le cuisinier royal et bourgeois. J'ai l'impression que jusqu'au XVIIIe siècle au moins les livres de cuisine ont présenté systématiquement des recettes plus ou moins aristocratiques à un public plus ou moins bourgeois ; et que, conscients du niveau social mêlé de leur public, les auteurs présentaient presque toujours quelques recettes moins dispendieuses, voire carrément populaires.

41. D'une maîtrise d'espagnol faite par Bénédicte Torres sous la direction de Mme Monique Joly, à l'université de Lille III, sur l'alimentation dans les Refranes y Frases proverbiales de G. Correas (1627), il ressort que dans ces quelque vingt mille proverbes du siècle d'Or, 30 parlaient de l'huile (azeite), 9 du lard (tozino) et 8 du saindoux et autres graisses fondues (manteka). Mais sans doute faudrait-il reprendre ces comptages, car d'une Étude sur l'alimentation carnée dans ce recueil de proverbes faite par Jeanne Allard et Pedro Cantero à l'Université de Paris VHI-Vincennes, il ressort qu'il y a au moins 20 proverbes relatifs au lard, plus quatre qui parlent de lardons (torreznos). Du beurre, il semble n'être pas question.

42. Les anciens proverbes français publiés par Meurier, Oihenart, Voltoire et Le Roux de Lincy m'ont, à l'issue d'une recherche incomplète, donné 11 proverbes relatifs au lard, 4 parlant du gras, 9 du beurre, et seulement 2 de l'huile. Les anciens proverbes anglais sont beaucoup plus faciles à inventorier grâce à l'Oxford Dictionary of English Proverbs, 3e Édition, 1970 ; au recueil de B. J. Whiting, Proverbs, Sentences and Proverbial Phrases from English Writings Mainly Before 1500, Cambridge, Mass., Belknap Press, 1968 ; et à celui de M. P. Tilley, A Dictionary ofthe Proverbs in England in the Sixteenth and Seventeenth Centuries…, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1950. Si l'on trouve un grand nombre de proverbes anglais relatifs à l'huile, surtout au Moyen Age, aucun d'eux ne parle explicitement de l'huile comme aliment ou graisse de cuisson, tandis que beaucoup en parlent en tant que combustible utilisé dans les lampes.

43. Comtesse d'Au Lnoy, Relation du voyage d'Espagne, Paris, 1691, 2 vols : « Encore que le mouton y soit fort tendre, leur manière de le frire avec de l'huile bouillante n'accommode pas tout le monde ; c'est que le beurre y est très rare » (t. I, p. 169) ; et « Il n'y a point de beurre icl Celui que l'on y trouve vient de plus de trente lieues, enveloppé comme de petites saucisses dans des vessies de cochon. Il est plein de vers et plus cher que du beurre de Vanvre. L'on peut se retrancher sur l'huile, car elle est excellente, mais tout le monde ne l'aime pas et moi, par exemple, je n'en mange point sans m'en trouver fort mal » (II, 296). Témoignage analogue du Père J.-B. Labat (S. j.), Voyage du Père Labat en Espagne et en Italie (entre 1706 et 1716), Paris, 1730, t. II, p. 196. Témoignages cités par Philippe Gillet.

44. Ils ne remarquaient qu'une chose, à ce propos : c'est que les Espagnols usaient de graisses animales pendant les temps d'abstinence. Voyez le Père Labat : « on ne se sert point de beurre dans ce pays-là, on emploie l'huile d'olive, et quand elle manque on a recours à la mantègue — c'est ainsi que l'on appelle le saindoux—et cela sans scrupule à cause de la Bulle de la croisade ». Et il ajoutait : « J'ai remarqué que la pâtisserie et les légumes accommodés au désir de la Bulle Étaient meilleurs qu'avec du beurre », op. cit., t. I, p. 316.

45. C'est par exemple le cas du Suisse Félix Platter, qui après plusieurs années de séjour à Montpellier Écrivait : « La cuisine se fait du reste toute à l'huile, et je ne l'ai jamais mangée au beurre pendant tout mon séjour », dans Thomas et Félix Platter à Montpellier, 1552-1559 et 1595-1599, trad. frse, Paris, 1892, p. 39 ; cité par Ph. Gillet.

46. Voir en particulier Louis Stouff, op. cit., et les passages qui en ont Été cités aux notes 40 et 41.

47. Je pense aux Platter, zurichois qui Étaient Évidemment des mangeurs de beurre.

48. Bruyerin Champier nous fournit un témoignage riche et précis sur les pratiques alimentaires du xvie siècle. « Dioscoride a témoigné que du beurre frais ajouté à la nourriture remplace Éventuellement l'huile, et qu'il tient lieu de graisse dans les friandises. Ce que nous faisons encore en notre siècle, particulièrement en France, presque partout où il n'y a pas d'olives. A la vérité, la Gaule Narbonnaise ignore presque le beurre dans les mets, tant l'huile y est abondante », De re cibaria, Éd. 1659, p. 576. Et plus loin : « Le vulgaire, chez nous, le prise beaucoup au premier service, surtout au mois de mai : n'a-t-on pas coutume d'en manger avec de l'ail seul ou mêlé à d'autres herbes déjeune, contre le soupçon d'enchantement et les bêtes du ventre ? », ibid. Ou encore : « On le conserve en le salant, et l'on peut en user des années durant. Celui qui est nouveau est mangé sur du pain grillé pendant la plupart des jeûnes. Les boulangers, les confiseurs et les mères de famille fabriquent des milliers de gâteaux qui sont abondamment assaisonnés d'un beurre gras », ibid., p. 577.

49. Sur les Pays-Bas, le même auteur Écrivait : « Chez les Flamands, en vérité, il constitue la base de la nourriture. Là, en effet, il n'est aucun jour où l'on n'en use, et on en sert à tous les repas. Bien plus : ils en mettent aussi — les dieux leur pardonnent ! — dans leurs boissons. Rien n'y peut être plus commun : ils en servent midi et soir et les jours de fête [aussi bien que les jours d'abstinence]. Ce dont les Français se gaussent, les appelant “ mangeurs de beurre “ et disant à qui part pour la Flandre, qu'il doit emporter un couteau s'il ne veut être frustré des mottes de beurre délicates », op. cit., p. 576. Ce témoignage est confirmé par celui du Thrésor de santé, particulièrement pour ce qui concerne la Hollande : « On y sert le beurre à l'entrée, au milieu et à l'issue du repas, et ne mange-t-on gueres souvent les œufs à la coque que le pain ne soit couvert de beurre frais », p. 352.

50. Les Anglais, comme les Flamands, usaient du beurre de manière parfois surprenante. Témoin, Jouvin DE Rochefort, à la fin du xviie siècle : « C'est une coutume d'Angleterre de ne point souper. Ils prennent le soir seulement un certain breuvage qu'ils appellent “ botterdel “ (buttered aie), qui est fait de sucre, de cannelle et de beurre dans la bière sans houblon qu'ils mettent dans un pot devant le feu pour le faire chauffer et le boire chaud », Le voyageur d'Europe où sont les voyages de France, de Malte, d'Espagne, de Pologne, des Pays-Bas, d'Allemagne et de Portugal, d'Angleterre, de Danemark et de Suède, Paris, 1672, 5 vols, t. 2, p. 451 ; cité par Ph. Gillet. Boisson, comme le croit Jouvin et peut-être Bruyerin Champier parlant des Flamands ? ou potage à la bière ? Quoi qu'il en soit cette bière beurrée devait être d'ancienne tradition puisqu'en 1532 déjà Thomas More citait le proverbe : « To choque with the bones of buttered béer », cf. B. J. Whiting, op. cit., B 446.

Au reste, l'analyse des livres de cuisine confirme qu'aux xvie et xviie siècles le beurre Était de loinla graisse la plus employée en Angleterre, ce que les proverbes de cette Époque nous avaient d'ailleurs fait pressentir.

51. Bruyerin Champier a noté les exportations de beurre breton et bas-normand, De re cibaria, pp. 575-576. Quant au Thrésor de santé, il Évoquait un commerce non seulement national mais international : « Le meilleur beurre que nous ayons est celuy de Hollande, il est jaune et fort gras (…). On en fait aussi de trés-bon en la basse Normandie, qui sent la violette de Mars. Pareillement celuy du Mont Jura, et de la Basse Bretagne est très-bon. On en fait aussi qui est fort gras en l'Isle d'Island—car le terroir y est plantureux — qu'on resserre en des vaisseaux de bois de trente ou quarante pieds de long », p. 352.

52. Voyez en effet quels Étaient les beurres les plus réputés au temps de Bruyerin Champier : « Le meilleur est fait dans les campagnes parisiennes. Mais au-dessus de tout est vanté celui de Vanves et les cantons voisins, et pas tout à fait à tort, car il charme la gourmandise par son odeur et son goût. Les habitants de Blois font aussi du leur les plus grandes louanges, ainsi que de la crème du lait de Saint- Gervais (-la-Forêt). On ne doit pas non plus négliger celui qui est fabriqué dans les montagnes du Lyonnais, car il est très suave et toujours joliment coloré » (pp. 576-577). Comme aujourd'hui on Était en effet attentif à la couleur du beurre « celui qui tire sur le roux est le plus estimé tandis que la blancheur est réprouvée ». Au banc d'infamie, Champier mettait le beurre d'Auvergne qu'il prétend fait d'un lait aigri ou même du petit lait. « On l'emploie au second service, avec le fromage. Ceux qui sont accoutumés à sa puanteur, loin d'en avoir horreur, le mettent audessus de tout », p. 577.

53. Au témoignage de Bruyerin Champier, on peut ajouter sur ce point celui de la comtesse d'Aulnoy (ci-dessus, note 43) et celui des marchés de pourvoirie (tableau 1).

54. Dans le texte cité ci-dessous note 82, le Vénitien Lippomano explique le goût des Parisiens pour la cuisine au beurre par le fait que l'huile en vente à Paris — généralement importée de Provence — avait « une saveur acre ». De même, Bruyerin Champier soulignait qu'en France on utilisait du beurre « presque partout où il n'y a pas d'olive » ; et que, réciproquement « la Gaule Narbonnaise » autrement dit le Languedoc et la Provence, « ignore presque le beurre dans les mets tant l'huile y est abondante » (cf. ci-dessus, note 49). Quant au Thrésor de santé, c'est du point de vue des mangeurs de beurre qu'il remarquait, « L'huile d'olive sert autant en Espagne, Provence, Languedoc, que le beurre nous sert qui y est fort rare », pp. 401-402.

55. Au fil des siècles, il semble que la graisse de bœuf ait Été de plus en plus utilisée par les cuisiniers anglais. Presque pas mentionnée par The Forme ofCury ( 1390), elle l'est dans 3,3 % des recettes des Two Fifteenth Century Books ( 1420 et 1450), 6,8 % de The GoodHuswifesJeweKl 596) et 8,2 % du New Book ofCookerîe(\ 615). Ou peut-être les auteurs de livres de cuisine ont-ils seulement Été de plus en plus précis sur la nature de la graisse animale à employer puisque The Forme ofCury utilisait une graisse indéterminée dans 9,7 % de ses recettes, les Two Fifteenth Century Books dans 21,5 %, The Good Huswifes Jewel dans 5,5 % seulement, et le New Book ofCookerie dans 4,9 %. En France et en Italie, la graisse de bœuf est presque absente des livres des xive et xve siècles, mais apparaît dans 4 % des recettes du Livre fort excellent, au xvie siècle.

56. On lit par exemple, dans le Platine en François (livre I, ch. xxm) : « Au regard du sein ou de Tauve, il est de la graisse du porceau, des oyes ou des gelines, en ceste manière. Il faut premièrement choisir ladicte graisse, & nettoyer et lever toutes les pellicules qui sont en icelle, & la decoupper bien menu avec un couteau, & la mettre dedans un chaudron sur les charbons vifs à petit feu, afin qu'il ne sente la fumée s'elle estoit sur la flambe, & y mettras du sel ainsi que tu verras bon estre : & quand ladicte graisse sera bien fondue, tu la couleras dedans un pot premier qu'elle soit refroidie, & iceluy sein ou auve garderas en quelque lieu froid, & en ce faisant, tu la garderas pour en user en tous temps que tu voudras (…). Et si tu veux aromatiser ledict sein et qu'il sente bon, faictz le boulir encore une fois avec du vin, & y metz des rameaux du myrte, du serpolet, du cyprès, & autres herbes ou arbres odorantz comme laurier. (…) Il y a audict porceau plusieurs et divers sortes et façons de graisse, lesquelles diversement les cuysiniers en usent et gardent pour mettre en viandes et potages, comme la graisse prés des entrailles & des reins dudict porceau, & celle qui est prés des tétines de la truye… ». Au début du XVIIIe siècle, le Dictionnaire de Trévoux ( 1704) disait à l'article « Sain : Espèce de graisse molle qui se tire particulièrement du porc, & surtout celle qui se fond dans la poêle. Porcinus adeps. Le sain vient des animaux qui sont tout à fait terrestres, mais la graisse s'engendre en ceux qui sont mois et humides. Plusieurs Médecins confondent ces noms. On fricasse des beignets avec du sain doux. Le sain se trouve particulièrement au mésentère, & vaut mieux pour la santé que la graisse ».

57. Cf. Cotgrave, A Dictionarie ofthe French and English Tongues, 1611.” Lard : m. Lard, fat Bakon, the fat of Bakon, or of Porke… »

Sain : m. Seame ; the tallow, fat, or grease of a Hog. or of a ravenous wild beast.

Graisse : f. Fat, seame, grease… ».

58. Des dictionnaires actuels donnent « Manteca, f. Beurre ; Saindoux… ». Mais les voyageurs disent clairement que ce mot désignait autrefois le saindoux et autres graisses fondues et purifiées plutôt que le beurre. Voyez le témoignage du Père Labat, ci-dessus, note 44.

59. Voir ci-dessus, note 43.

60. Voir ci-dessus, note 44.

61. Bruyerin Champier, De re cibaria, p. 576.

62. Relation des ambassadeurs vénitiens, p. 575 (cité par Ph. Gillet).

63. Evelyn, John, Acetaria. A Discourse of Sallels, Londres, 1699, reprint 1937, p. 63, ILCrossRefGoogle Scholar

64. « Les Flamands, au lieu d'huile, font des salades avec du beurre fondu en sauce blanche », Écrit Lemery dans son Traité des aliments, Éd. 1755, t. I, p. 149 ; Jouvin DE Rochefort, de son côté, note qu'à Condé, dans les Pays-Bas espagnols, « ils me donnèrent aussi une salade accomodée à la manière des places fortes, car ils la retournèrent dans une poêle avec du beurre fondu qu'ils arrosèrent d'un peu de vinaigre, et après l'avoir mise dans un plat en place de sel, ils la couvrirent de deux ou trois poignées de sucre. Voilà un bon ragoût des Flandres… », op. cit., t. 2, p. 612 ; cité par Ph. Gillet. Quant à l'Irlande, le même auteur nous dit : « Il me souvient d'y avoir mangé d'une salade faite à la mode du pays. Composée de je ne sais quelles herbes—je crois qu'il y avait de la poirée hachée et de l'oseille ensemble — qui représentaient la forme d'un poisson, le tout sans huile et sel, seulement un peu de vinaigre de bière et dessus de la salade couverte d'une quantité de sucre semblable au mont Etna couvert de neige, en sorte qu'il est impossible à celui qui n'a jamais goûté de cela d'en manger. Je fis bien rire mon hôte (…) lorsque je demandai de l'huile pour assaisonner la salade à la française, et qu'après l'avoir ainsi apprêtée je lui en fis goûter… », ibid., t. 3, p. 486 ; cité par Ph. Gillet.

65. Odile Redon en a trouvé dans près de 8 % des recettes de Martino, et cela vaut aussi vraisemblablement pour le De honesta voluptate de Platina qui les a reprises sans presque les modifier.

66. Cf. note 43.

67. Cf. Le Thrésor de santé, p. 352 ; et Olivier DE Serre, Théâtre d'agriculture, t. I, p. 529 de l'édition de 1804. Mais où faisait-on et où mangeait-on les beurres de chèvre ou de brebis qu'évoquent ces ouvrages ? Ils ne le précisent pas.

68. Lemery, op. cit., t. I, p. 150.

69. LE Grand D'Aussy, Histoire de la vie privée des Français, Éd. de 1815, II, p. 214.

70. Le Thrésor de santé, p. 401.

71. HéMardinquer, Pour une histoire de l'alimentation, pp. 268-269.

72. Louis Stouff, op. cit., p. 261 et note 3.

73. Montaigne, Journal…, op. cit., p. 508 ; cité par Ph. Gillet.

74. LE Grand D'Aussy, op. cit., t. II, pp. 213-214.

75. Aldebrandin, en son chapitre des noix, Écrivait : « Et li oiles qu'on en fait est moult caus, et ne le fait pas boin user si com celi d'olive », Régime du corps, p. 153. Lemery, au xviiie siècle, n'a pas mentionné l'huile de noix dans son Traité des alimens, mais il y dit beaucoup de mal des noix ellesmêmes. Quant à Nicolas Andry, il notait : « L'huile de noix s'emploie aussi pour les assaisonnemens ; elle Échauffe beaucoup plus que l'huile d'olive et ne convient nullement aux tempéramens bilieux », Traité des alimens de Caresme, II, 21.

76. Sur le sire de Gouberville, voyez son journal à la date du 11 novembre 1555 :” Pour ung pot de huylle d'ollif prins chez Lamache, 12 s. » (Renseignement communiqué par Philip Hyman). Si comme je le suppose le pot contient deux pintes de Paris, soit environ deux litres, cela mettrait l'huile d'olive à environ 6 sous le litre. Or, on sait par ailleurs que Gouberville a payé 36 sous « une potée de beurre pesant 35 livres » ce qui montre que le beurre coûtait environ 2 sous le kilog. C'est-à-dire que dans la Normandie de cette Époque l'huile d'olive valait environ trois fois plus cher que le beurre. Voyez d'autre part le poème de Ronsard sur la salade cité dans ﹛'Anthologie de la gastronomie française de Curnonski et Gaston Derys, Paris, 1936, pp. 24-25. (Renseignement communiqué par Ph. Hyman.)

77. Montaigne, Journal de voyage, p. 513 (Cité par Ph. Gillet).

78. En France, Le Grand cuisinier, au xvie siècle, mentionne neuf fois l'huile d'olive et 30 fois une huile indéterminée (Renseignement communiqué par Mary Hyman). En Angleterre je n'ai trouvé qu'une mention d'huile d'olive contre 46 d'une huile indéterminée dans les Two Fifteenth Century Cookery Books, p. 30, recette cxxxv, et point dans les autres livres des xive, xve et xvie siècles. Mais au xvnc, c'est de l'huile d'olive que John Evelyn exige dans son Discourse ofSallets, p. 63, IL

79. « La première huile qui coule s'appelle huile vierge. Elle a la couleur du miel et est douce ;on s'en sert dans les ménages en guise de beurre. La seconde est vendue et expédiée au loin dans des peaux de chèvres (…). L'huile est l'objet du principal commerce du Languedoc et de la Provence », Thomas et Félix Platter à Montpellier, p. 202, cité par Ph. Gillet.

80. « L'huile a une saveur acre ; c'est pourquoi on apprête avec le beurre presque toutes les sortes de mets excepté la salade. La plus grande quantité d'huile vient de Provence, et ce sont les Épiciers qui la vendent », Relations des ambassadeurs vénitiens, p. 575, cité par Ph. Gillet.

81. B. J. Whiting, op. cit., 021.

82. Cf. Thrésor de santé, 401 ; et Abraham, op. cit., I, 150.

83. « On se sert de l'huile d'olive pour les salades, pour en faire des rôties, pour frire, mais dans ce dernier emploi il est assez inutile d'user de la meilleure. (…) Celle qu'on emploie pour les rôties ne peut être trop bonne, parce que la chaleur du pain la rancit aisément. On les saupoudre d'un peu de sel, ou de sucre », Lemery, op. cit., Éd. 1755, I, 309.

84. Marie-Claire Amouretti et Georges Comet, L'olivier en Provence, Aix-en-Provence, Edisud, 1979, pp. 82-84.

85. Labat (le Père J.-B.), op. cit., t. 5, p. 154, cité par Ph. Gillet.

86. John Evelyn, Acetaria, p. 63.

87. Lemery, op. cit., Éd. 1755, I, 309.

88. M. Achard, Géographie de la Provence, Aix, 1787, p. 17, cité par Amouretti et Comet, op. cit., pp. 64-65.

89. Comtesse d'Aulnoy, op. cit., II, p. 277, cité par Ph. Gillet.

90. Ibid, I, p. 196, cité par Ph. Gillet.

91. Labat, op. cit., t. II, p. 196, cité par Ph. Gillet.

92. Ibid., t. IV, pp. 380-381, cité par Ph. Gillet.

93. Par exemple Aldebrandin, op. cit., pp. 15-16 : « … car longue usance, quele k'ele soit, ou boine ou maie, tourne à nature, et por ce, vous disons que se maintes gens ont accoustumé malvaises viandes manger, ele lor sont plus propres et miels lor valent que les boines… »

94. Les manuscrits de ces deux ouvrages latins du xive siècle semblent avoir appartenu aux Angevins de Naples. Le Tractatus, qui utilise du beurre dans plus de 12 % de ses recettes, me paraît plus angevin que napolitain. Au contraire le Liber de coquina se rapproche du livre toscan par sa structure aussi bien que par son goût pour l'huile d'olive. Voyez sur ce point l'article d'Odile Redon et J.-L. Flandrin, « Les livres de cuisine des xive et xve siècles », Archeologia médiévale, VIII/1981, pp. 395-396.

95. André, Jacques, L'alimentation et la cuisine à Rome, Paris, Belles Lettres, 1981, pp. 184185.Google Scholar

96. Le Libre de Sent Sovi (xive siècle), réédité avec une introduction très riche de Rudolf Grewe. Et Roberto DE Nola, Libre del Coch ( 1520). Tous deux sont des livres catalans. Mais le second a eu des Éditions en castillan à partir de 1525.

97. Les manuscrits de la Bibliothèque Nationale et de la Mazarine du Viandier de Taillevent ne mentionnent explicitement que l'huile pour la friture des poissons et autres aliments maigres. On peut donc supposer que c'est encore d'huile qu'il s'agit implicitement quand ils ne précisent pas dans quelle graisse ces aliments doivent être frits.

98. Voyez B. J. Whiting, op. cit., M21 : « Maidenhood without the love of God is like a lamp without oil » ( 1340, 1400, etc). .

. 025. « To hold (bear) up oil » (a 1387, c 1390, a 1393, c 1405, etc.)

. 024. « To cast oile in fire » (c 1390, etc.)

. 026. « While there is oil the lamp is lightly set afire » (a 1393)

. 023. « As nesh (smooth) as oil » (a 1400)

. 021. « As brown as oil » (a 1425)

. 022. « As fat as oil » (a 1472).

99. Ibid., S33. « Foui sait is good enough for foui butter » (c 1450).

100. Ibid., B446. « To choke with the bones of buttered béer » (1532)

. S302. « To know on which side one's bread is buttered » (1546)

. B619. « It is not ail butter that the cow shits » ( 1546)

. B618. « As sure as if it were sealed with butter » (1546)

. B620. « No butter will cleave to his bread » (1546)

. B621. « To look as if butter would not melt in one's mouth » ( 1546 selon Whiting mais 1530 selon Tilley, op. cit., B774).

Voir aussi Tilley, op. cit., B767, B768, B769, B770, B771, B772, B773, B774, B775, B776, B777, B778, B779, B780, B781 ; et B53, D54, K155, M84, P519, R172, S904, W74, W536 ; et le verbe « beurrer » dans B623, S425, et W791. Quant à \'OxfordDictionary ofEnglish Proverbs, il avance la date du B780 de Tilley à 1562 au lieu de 1592.

101. VoirJ.-L. Flandrin,” La diversité des goûts et des pratiques alimentaires en Europe du xvie au xviie siècle », à paraître dans un prochain numéro de la Revue d'Histoire moderne et contemporaine ; et « Différence et différenciation des goûts : réflexion sur quelques exemples européens entre le xive et le xvmc siècle », dans National & Régional Styles of Cookery, op. cit., pp. 191-207.

102. Philippe Gillet, auteur d'un mémoire de maîtrise que j'ai abondamment utilisé dans cet article, a récemment entrepris une recherche sur la réglementation religieuse de l'alimentation dans les diverses régions d'Europe, ses effets et son Évolution. Une autre recherche entreprise par Evelyn Birge Vitz, de New York University, sur l'histoire de la nourriture dans la tradition chrétienne devrait bientôt paraître.

103. Voyez par exemple, dans le volume intitulé Two Fifteenth-Century Cookery-Books, Oxford University Press, 1964, les recettes n° 2, 30, 39, 49, 80, 95, 99, 100, 132, 133, 135b, 143, 148, 195, 200, 201, 207, 208, 211, 212a, 212b, 213, 214, 222, et 229 du Harleian Ms. 279 ; les recettes n° 99, 109, 118, 129, 132, 133, 134, 139, 144, 147, 148, 161b, 163b, et 169 du Harleian Ms.4016 ; enfin les recettes n° 8, 10, 11, 12, 16, 17 du Laud Ms. 553. Dans le Good Huswifes Jewell, première partie (1596), voyez les n° 106 et 121 ; et dans le New BookqfCookerie de 1615, voyez lesn0 55, 59 et 133. A cette Époque où l'abstinence de chair n'était plus obligatoire, l'usage de l'huile subsistait encore dans quelques plats traditionnels de Carême, que l'on continuait à préparer par habitude ou nostalgie. On pourrait faire des constatations analogues dans The Forme of Cury, et dans les livres français et italiens des xive et xve siècles. Dans l'Italie du xive siècle, la fréquence avec laquelle le livre toscan utilise de l'huile est à mettre en rapport avec celle des plats de légumes ou de poisson.

104. Ainsi dans Y Harleian Ms. 279, voyez les recettes n° 196, 197, 202 ; et dans \'Harleian Ms.4016, les recettes n° 81 et 84. Dans The Forme ofCury, voyez les recettes n° 81 et 91 (œufs), et les recettes n° 92, 160b, 165, 172 (pâtes et pâtisseries).

105. Il faut toutefois noter que l'église antique avait à plusieurs reprises condamné le végétarisme. Voyez par exemple le canon 14 du Concile d'Ancyre (314), ou le canon 2 du Concile de Gangres (340). Ces condamnations n'ont pas Été réitérées au Moyen Age, Époque à laquelle on s'est plutôt plaint de ce que les moines ne respectaient pas leurs vœux d'abstinence. Cependant l'église a longtemps maintenu l'obligation de manger de la viande à Pâques et à Noël, en Occident comme en Orient, cf. le Père Thomassin, Louis, Traité des jeûnes de l'église, Paris, 1700, pp. 446447.Google Scholar

106. L. Stouff, op. cit., pp. 52-53,.96-97, 143-150.

107. Brantôme, « Vie de François Boufdeille », dans Œuvres, Éd. Lalanne, t. X, p. 43 : Le pape lui ayant dit «” Que voulez-vous de moy ? vous l'aurez “(…) il ne luy demanda autre chose sinon une licence et dispense de manger en Caresmfc du beurre, d'autant qu'il ne pouvoit manger d'huile d'olive ny de noix ; ce que le Pape luy octroya aisément, et luy en fit depescher une bulle pour luy et les siens, qu'on a veu au thresor de nostre maison longtemps ».

108. L'histoire de la tour du beurre de Rouen, financée avec l'argent de ceux qui achetaient l'autorisation de manger du beurre en Carême, est considérée comme vraie par des auteurs contemporains, (cf. Bridget Ann Henisch, Fast and Feast, Food in Médiéval Society, Pennsylvania State University Press, 1978, p. 47) et comme plutôt légendaire par d'autres auteurs, principalement français. Mais il semble bien que la duchesse Anne de Bretagne ait obtenu ce privilège à perpétuité pour elle et les gens de sa maison en 1491, puis, peu après, pour tous les Bretons (cf. LE Grandd'Aussy, op. cit., t. II, p. 44 et 211). Enfin le Père Thomassin rapporte, dans son Traité des jeûnes de l'église (p. 297) : « En l'an 1475 le Légat du Pape accorda une de ces dispenses pour cinq ans à l'Allemagne, à la Hongrie et à la Bohème. Ces dispenses passèrent plus tard en France ».

109. « A Rome, ils se rient du jeûne pendant qu'ils nous forcent à manger d'une huile dont ils ne voudraient pas même pour graisser leurs souliers. Puis ils nous vendent le droit de manger gras et de nous nourrir de toutes espèces d'aliments, bien que le saint apôtre nous dise que l'évangile nous en donne à tous la liberté (I, Cor., X, 25 et suiv.). Mais cette liberté, ils nous l'ont volée par leur droit ecclésiastique, afin que nous fussions obligés de la racheter à beaux deniers comptants. Ils ont aussi rendu nos consciences si craintives, si anxieuses, qu'on n'ose plus, parmi nous, prêcher la liberté Évangélique ; car le peuple s'en scandalise, et il estime que manger du beurre est un plus grand péché que de mentir, de blasphémer ou de se livrer à l'impureté. Ce n'est pourtant qu'une loi humaine, une œuvre d'homme… », Luther, , A la noblesse chrétienne de la nation allemande, Paris, 1879, pp. 109 111.Google Scholar