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Le pantouflage en France (vers 1880-vers 1980)

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Christophe Charle*
Affiliation:
CNRS, IHMC

Extract

Les travaux sur les hommes d'affaires et sur les hauts fonctionnaires se sont multipliés au cours des dix dernières années. Ils ont permis d'enrichir et de nuancer les images monolithiques ou impressionnistes que l'on pouvait avoir sur les milieux dirigeants de la société française. Tous les auteurs ont rencontré au cours de leurs recherches un phénomène original, caractéristique des cent dernières années, donnée structurelle de la circulation des élites en France : le pantouflage. Le cadre monographique des études et leur inégal avancement selon les époques ou les groupes ont toutefois empêché d'en prendre une vue d'ensemble ou d'en proposer une interprétation qui ne caricature pas la réalité pour retomber dans les thèmes polémiques ou journalistiques habituels sur la « classe dirigeante ».

Summary

Summary

The movement of upper-level bureaucrats into the private Sector (le pantouflage) has been developing in France for about a century. This article attempts to synthesize the monographs on the subject, clarifying it in the light of new research and opening up new avenues of interpretation suggesting further studies. This phenomenon first appeared in the stratum of bureaucrats with technical capabilities (e.g. state engineers and finance inspectors), then in the main body of bureaucrats—due to political purges—and finally, in the twentieth century, amongst high-level army officers. The reasons vary with the particular stratum in question, economic and administrative conjonctures, the age of resigning bureaucrats and their social extraction. At a deeper level this phenomenon is a sign of the disfunctioning of the French administration, especially during the Third Republic but also of the lack, up until the years between the two World Wars, of channels designed to providespecial training to upper-level officials in economic Sectors who were partly siphoned off from the public sector. This “brain drain”, whose importance should not be over-stated, was not entirely negative in its effects, it led in the long run to a reform of the administration's all too obvious shortcomings, and contributed to the indirect democratization of recruitment in business circles. It contributes to economic power's domination over the field of administrative power, even when social differentiation of recruitment of these two types of elites is accentuated.

Type
Organiser le Travail, XIXe-XXe Siècles
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1987

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References

Notes

* Je remercie vivement Marc Ferro dont la lecture attentive et les remarques critiques m'ont permis d'améliorer certaines formulations ou hypothèses de cet article qui demandera, j ‘ en ai bien conscience, d'autres recherches et prolongements, notamment pour la deuxième moitié du xxe siècle, traitée surtout par les sociologues.

1. Parmi les travaux qui nous ont le plus servi, citons : Lalumière, P., L'inspection des finances, Paris, PUF, 1959 Google Scholar ; G. Langlet, Les ingénieurs des ponts et chaussées, 1880-1930, Mémoire de maîtrise dactyl., Paris-X, 1973 ; F. Gautier, Les ingénieurs du génie maritime, Mémoire de maîtrise dactyl., Paris-X, 1973 ; Kessler, M. C., Le Conseil d'État, Paris, Colin, A., 1968 Google Scholar; M. LÉVY-Leboyer, « Le patronat français a-t-il été malthusien ? », Le Mouvement social, 88, juil.-sept. 1974, pp. 3-49, et « Le patronat français, 1912-1913 », dans M. LÉVY-Leboyer éd., Le patronat de la seconde industrialisation,Cahier du Mouvement social, n° 4, Paris, Éditions Ouvrières, 1979, pp. 137-188 ; E. Chadeau, « Les inspecteurs des finances et les entreprises, 1869- 1968 », ibid.,pp. 247-262, et Les inspecteurs des finances, 1871-1919,Mémoire dactyl., Paris-X, 1976 ; C. Charle, « Naissance d'un grand corps, l'Inspection des finances à la fin du xixe siècle », Actes de la Recherche en Sciences sociales,42, avril 1982, pp. 3-18, et le chapitre 3 de notre thèse d'État, Intellectuels et élites en France (1880-1900),Université de Paris-I, 2 vols dactyl. On trouve quelques indications éparses mais non systématiques dans A. Brunot et R. Coquand, Le corps des ponts et chaussées,Paris, Éditions du Cnrs, 1982. Pour une vue d'ensemble voir aussi C. Charle, Les hauts fonctionnaires en France au XIXe siècle,Paris, Gallimard- Julliard, Coll. Archives, 1980.

2. Cf. Hamon, A., Les maîtres de la France, Paris, ESI, 1936-1938, 3 volsGoogle Scholar ; F. Delaisi, La Banque de France aux mains des Deux cents familles,Paris, CVIA, 1936. Pour un commentaire critique de cette littérature, voir Jeanneney, J. N., L'argent caché, milieux d'affaires et pouvoir politique dans la France du XIXe siècle, Paris, Fayard, 1981 Google Scholar, nlle éd. revue et complétée, Paris, Éditions du Seuil, 1984, pp. 17 ss.

3. Terry Shinn, « La profession d'ingénieur, 1750-1920 », Revue française de Sociologie, XIX, 1, janv.-mars 1978, p. 42.

4. M. LÉVY-Leboyer, « Le patronat français… », art. cit., p. 27.

5. Tudesq, A. J., Les grands notables en France, 1840-1849, Paris, PUF, 1964, t. I, p. 377 Google Scholar.

6. P. LalumiÈRE, op. cit.,p. 72.

7. Calculs faits d'après le Livre d'or de l'Inspection des financesdéposé aux Archives de l'Inspection, aimablement communiqué par M. Poirier, chef du bureau du personnel. Pour plus de détail, voir C. Charle, art. cit., p. 4, et E. Chadeau, art. cit., p. 249-250 qui analyse les « flux » annuels.

8. M. C. Kessler, op. cit.,p. 253.

9. V. Wright, « L'épuration du Conseil d'État en juillet 1879 », Revue d'Histoire moderne et contemporaine,oct.-déc. 1972, pp. 619-653.

10. Leclère, B. et Wright, V., Les préfets du Second Empire, Paris, Colin, A., 1973, p. 297 Google Scholar.

11. Siwek-Pouydesseau, J., Le corps préfectoral sous la Troisième et la Quatrième République, Paris, Colin, A., 1969, p. 75 Google Scholar.

12. Rongère, P., La Cour des comptes, Paris, Thèse dactyl., Fnsp, 1963, pp. 115119 Google Scholar. L'ouvrage collectif sur La Cour des comptes,Paris, Éditions du CNRS, 1984, ne donne pas d'indications supplémentaires, en dehors de quelques bibliographies.

13. Sur la différence de recrutement entre la Cour et l'Inspection, voir C. Charle, « Le recrutement des hauts fonctionnaires en 1901 », Annales ESC,n° 2, mars-avril 1980, p. 383, et notre thèse déjà citée, chap. 2 et 3. Les membres de la Cour des comptes viennent de familles socialement plus choisies, plus aisées financièrement, plus parisiennes mais aussi plus traditionalistes, donc réservées à l'égard du capitalisme anonyme et mobilier. L'Inspection, d'abord assez proche, tend à devenir un corps de promotion sociale à l'intérieur de l'administration et de la classe dominante et recrute dans les fractions bourgeoises plus ouvertes sur le monde moderne. Voir C. Charle, art. cit., et N. CarrÉ DE Malberg, « Le recrutement des inspecteurs des finances de 1892 à 1946 », Vingtième siècle, revue d'histoire,oct.-déc. 1985, pp. 67-91.

14. C. Charle, thèse citée, chap. 3, et « Les milieux d'affaires dans la structure de la classe dominante », Actes de la Recherche en Sciences sociales,20-21, mars-avril 1978, pp. 83-96 ; Birnbaum, P. et al., La classe dirigeante française, Paris, PUF, 1978, p. 65 Google Scholar.

15. Ibid.,p. 66.

16. J. Isnard, « La seconde carrière des officiers généraux », Le Monde,11 janvier 1977, p. 12.

17. P. Birnbaum, op. cit.,p. 70. Sur le corps diplomatique de l'entre-deux-guerres on ne dispose que de notations éparses dans J. Baillou éd., Les affaires étrangères et le corps diplomatique, Paris, Éditions du CNRS, t. II, 1984, et Duroselle, J. B., La décadence, 1932-1939, Paris, Imprimerie nationale, 1979, pp. 269289 Google Scholar.

18. P. Birnbaum, Ibid.,p. 64.

19. E. N. Suleiman, Les élites en France, grands corps et grandes écoles,Paris, Éditions du Seuil, 1979, p. 204, d'après L'Expansionde juin 1967.

20. Ibid.,p. 216 d'après D. Desjeux et E. Friedberg, « Fonctions de l'État et rôle des grands corps : le cas du corps des Mines », Annuaire international de la fonction publique,1972- 1973, p. 569.

21. E. N. Suleiman, ibid.,p. 119.

22. Delefortrie-Soubeyroux, N., Les dirigeants de l'industrie française, Paris, Colin, A., 1961, p. 58 et p. 60.Google Scholar

23. P. Bourdieu et M. DE Saint Martin, « Le patronat », Actes de la Recherches en Sciences sociales,20-21, mars-avril 1978, p. 3-82 ; certaines données non publiées m'ont été aimablement communiquées par Monique de Saint Martin que je remercie ici vivement. M. LÉVyleboyer, « Le patronat… », art. cit., note, p. 173, l'extension de l'accès au patronat au cours du xxe siècle par la filière de la fonction publique parallèlement à la filière de la promotion interne à l'entreprise.

24. P. LalumiÈRE, op. cit.,p. 73.

25. F. Gautier, mémoire cité, p. 66.

26. G. Langlet, mémoire cité, p. 83.

27. M. C. Kessler, op. cit.,p. 254 ; Chardon, H., L'administration de la France, Paris, Perrin, 1908, p. 404 Google Scholar ; C. Charle, thèse citée, chap. 3, p. 182, et chap. 4, p. 275.

28. Même source qu'à la note 23.

29. Cf. E. Chadeau, art. cit., p. 257 ; C. Charle, thèse citée, p. 200 ss.

30. Archives nationales, F 14 11416 (dossier Noblemaire).

31. A. THÉPot, « Les ingénieurs des mines, le patronat et la seconde industrialisation », dans M. LÉVY-Leboyer éd., op. cit.,p. 245, et T. Shinn, art. cit.

32. Qui êtes-vous ?,Paris, Delagrave, 1908 et 1924 ; Annuaire Chaix,Paris, Chaix, 1924, et C. Charle, thèse citée, p. 198.

33. A. THÉPot, art. cit., p. 240 ; G. Langlet, mémoire cité.

34. P. LalumiÈRE, op. citj

35. C. Kessler, op. cit.,p. 257.

36. J. Isnard, loc. cit.

37. A. THÉPot, art. cit., pp. 241-242 ; de même la dominante financière des inspecteurs des finances est complétée par une présence variable selon la conjoncture dans les autres secteurs (E. Chadeau, art. cit., p. 252).

38. Comme le montre Elie Cohen, les nouvelles nominations de PDG des entreprises publiques obéissent, même après 1981, à la loi des chasses gardées de corps (” L'État socialiste en industrie », dans Birnbaum, P. éd., Les élites socialistes au pouvoir, 1981-1985, Paris, PUF, 1985, pp. 256257 Google Scholar). La situation des ingénieurs des ponts et chaussées en 1901 est tirée de VAnnuaire du ministère des Travaux publics.

39. Cf. par exemple l'interview d'Alain Gomez, alors PDG de Saint Gobain-emballages, dans A. Harris et De Sedouy, A., Les patrons, Paris, Éditions du Seuil, 1977 Google Scholar, ou, pour la fin du siècle dernier, les souvenirs d'E. Trolard, Mémoires d'un inspecteur des finances,Paris, Charles, 1892.

41. P. LalumiÈRE, op. cit.,pp. 79-81 ; sur la dégradation de la situation des ingénieurs des ponts et chaussées, voir A. Brunot et R. Coquand, op. cit.,p. 554 ss.

42. D'après Le Monde (L'Année économique et sociale,1977, p. 119), en 1976 les hauts fonctionnaires hors échelle touchaient un traitement annuel moyen de 184 210 francs (hors primes) ; à la même date le salaire moyen des cadres supérieurs était de 159 000 francs. L'avantage apparent des hauts fonctionnaires est fallacieux puisqu'il s'agit de fin de carrière d'un côté et de l'autre d'un groupe beaucoup plus large. Si l'on met en parallèle les salaires des PDG en 1973 des entreprises dont le chiffre d'affaires était supérieur à 100 millions de francs (210 000 à 340 000 francs), la balance penche nettement de l'autre côté même sans correction de l'inflation (Le Mondedu 25 septembre 1973).

43. G. Langlet, mémoire cité, pp. 84-85.

44. A. THÉPot, art. cit., pp. 244-245.

45. P. Bourdieu, M. DE Saint-Martin, art. cit., p. 63.

46. C. Charle, thèse citée, p. 192.

47. Sur « l'eunuque », voir le pittoresque passage cité par A. Brunot et R. Coquand, op. cit.,p. 545 tiré des souvenirs d'un ingénieur démissionnaire.

48. Cf. E. Trolard, op. cit.,p. 281 et N. CarrÉ DE Malberg, « Image de soi et légitimité chez les inspecteurs des finances de la première guerre mondiale à nos jours », Revue historique, t. CCLXV/2, 1981, pp. 389-403.

49. Chardon, H., L'administration de la France, Paris, Perin, 1912, p. 146 Google Scholar ss.

50. Parmi d'autres, citons Charles de Montferrand de Faubournet, chef de cabinet du ministre de l'Intérieur en mai 1877, en disponibilité en 1880 devenu directeur d'une compagnie d'assurances ; J. Buffet, fils du président du conseil de l'Ordre moral, démissionnaire en 1899 (en fait révoqué) à cause des activités politiques de son frère, membre du bureau politique du duc d'Orléans et impliqué dans la tentative de coup d'Etat de Déroulede (Livre d'or de l'Inspection des finances, op. cit.,et Dictionnaire de biographie française).

51. H. Chardon, L'administration de la France, op. cit.,pp. 405-406, et C. Charle, thèse citée, pp. 275-279.

52. Barbier, , L'Inspection des finances, Paris, Imprimerie nationale, 1931 Google Scholar, et dossier Lhomme aux Archives de l'Inspection générale des finances.

53. Article de Maurice Reclus, cité dans G. Thuillier, « Les projets d'école d'administration en 1936-1939 », Revue administrative, 1911,p . 237, repris dans Bureaucratie et bureaucrates en France au XIXe siècle,Genève, Droz, 1980, p. 502, note 15.

54. Richard, Cf. Kuisel, F., Le capitalisme et l'État en France, modernisation et dirigisme au XXe siècle, trad. frse, Paris, Gallimard, 1984 Google Scholar, notamment p. 190. En fait le clivage libéralisme/ dirigisme passait à l'intérieur des différentes élites, mais d'après les individus cités dans le livre on constate que les hommes en situation de mobilité entre les deux mondes ont sans doute été plus vite ralliés au nouveau modèle « technocratique ». Citons par exemple A. Detoeuf, E. Mercier, F. Bloch-Lainé, J. Monnet.

55. P. Bourdieu et M. DE Saint Martin, art. cit., p. 14.

56. G. Thuillier, art. cit. à la note 53, pp. 499-535. Voir aussi L'Ena avant l'Ena,Paris, PUF, 1981.

57. P. LalumiÈRE, op. cit.,p. 141.

58. G. Langlet, mémoire cité, p. 80.

59. P. Birnbaum, Les sommets de l'État,Paris, Éditions du Seuil, 1977, et P. Birnbaum et al., La classe dirigeante française, op. cit.,ainsi que E. N. Suleiman , Les élites en France, op. cit.

60. E. N. Suleiman, op. cit.,pp. 240-242. L'auteur ne commente pas le fait dans le tableau 8-3 les hauts fonctionnaires du secteur public sont tout de même plus nombreux à trouver « assez » ou « tout à fait » souhaitable la séparation public/privé : 48,3 % contre 67,3 %de leurs collègues passés dans les affaires qui estiment cette séparation « pas du tout » ou « peu » souhaitable, ce qui prouve que le point de vue varie toujours selon la position occupée en dépit de l'origine commune des deux populations, ce qui atténue singulièrement les thèses générales de l'auteur sur ce point.

61. J. L. Bodiguel et M. C. Kessler montrent par exemple la prégnance de l'idéologie du service public et de l'intérêt général chez les directeurs de ministère en poste après 1981 (” Les directeurs d'administration centrale », dans P. Birnbaum, Les élites socialistes, op. cit.,pp. 195- 218).

62. Cf. A. Thépot, art. cit., pp. 242-243, C. Charle, thèse citée, t. II, p. 683 ss.

63. Ibid.,chap. 8 et conclusion de la première partie, pp. 327-330.