Hostname: page-component-78c5997874-4rdpn Total loading time: 0 Render date: 2024-11-17T14:34:20.343Z Has data issue: false hasContentIssue false

Les médecins et la « nature féminine » au temps du Code civil*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Yvonne Knibiehler*
Affiliation:
Université de Provence

Extract

L'article qui suit tente d'analyser au seuil du XIXe siècle le stéréotype de la « féminité » qui va dominer la société française jusque bien au-delà de la Grande Guerre, et qui agonise lentement de nos jours, non sans soubresauts. Pour le saisir dans ses origines, il faudrait remonter aux Pères de l'Église et à Aristote. On se contentera ici de chercher quelle forme il a prise à un moment donné, et pourquoi il a réussi à s'imposer si fortement, non seulement aux hommes, mais aux femmes.

La Révolution et l'Empire marquent une régression relative de la condition féminine ; des droits nouveaux sont créés pour les hommes seuls, ce qui accroît l'inégalité traditionnelle entre les deux sexes : le droit de voter au niveau national, c'est-à-dire de participer à la vie politique, est accordé aux hommes, pas aux femmes ; l'Université et les lycées qui font de l'enseignement un service public sont ouverts aux hommes, pas aux femmes ; et on sait que le Code civil prive la femme mariée de droits considérés comme « naturels » peu de temps auparavant. Or les femmes semblent s'être vite résignées à ces exclusions.

Summary

Summary

At the time of the Enlightenment, the physicians taking their cue from the anthropologists, considered men—and women—as subjects for scientific study and no longer as creatures different from all others. One of them, Roussel (in 1775) tried to define the specificity of woman's “nature” : for him, the organic difference which distinguishes women from men, gives rise to all the physical and moral characteristics of woman's being. He established a stereotype which enclosed woman in her sexual body, in a biological destiny, but without depreciating it. Following him, the physicians who were the contemporaries of Napoleon I, proved the inferiority of woman as compared to man : her physical weakness, her excessive sensibility, her fragile and unstable intelligence, her constant predisposition to hysteria condamn her to a “sweet bondage” at the service of the male and the children. At the same time—women being excluded from the universities— obstetrics and gynecology became male sciences. Kept away from public life, women were also kept in ignorance of all that concerned their own bodies, again in the name of medical science.

Type
Anthropologie de la france
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1976

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

Footnotes

*

Nous n'avons pas pu, à notre grand regret, lire la thèse de Paul Hoffmann ; nous tenons à remercier Paul Hoffmann ainsi que J.-P. Peter qui ont bien voulu l'un et l'autre nous donner de précieux conseils.

References

Notes

1. Paule-Marie Duhet, Cf., Les femmes et la Révolution, 1789-1794, Paris, Julliard, Collection « Archives », 1971 Google Scholar, et Marie Cerati, Le club des citoyennes républicaines révolutionnaires, Paris, Éditions Sociales, 1966.

2. Adeline Daumard cite en exemple Les Français peints par eux-mêmes, cf. La Bourgeoisie parisienne de 1815 à 1848, S.E.V.P.E.N., Paris, 1963.

3. Cf. M. Thibert, Le féminisme dans le socialisme français de 1830 à 1850, Thèse, Paris, Giard, 1926.

4. Il y a eu des protestations de caractère littéraire : celle de Madame de Staël (Delphine, 1802 ; Corinne, 1807) ; celle de Constance de Theis (Êpitre aux Femmes, 1797) ; et quelques tentatives vite avortées dans le journalisme, cf. Evelyne Sullerot, Histoire de la presse féminine en France des origines à 1848, Paris, Armand Colin, 1966.

5. Michèle Duchet, Cf., Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Maspero, 1971.Google Scholar

6. Michel Foucault, Cf., Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical, Paris, PUF, Collection « Galien », 1963.Google Scholar

7. Diderot a édité en 1746-1748 un ouvrage en 6 volumes «traduit de l'anglais de M. James », le Dictionnaire Universel de médecine, de chirurgie, d'anatomie, de chimie, de pharmacie, de botanique, d'histoire naturelle, etc., précédé d'un discours sur l'origine et les progrès de la médecine. On peut citer encore Eloy, Dictionnaire historique de la médecine, Francfort et Paris, 1756 (2 vol.) et 1778 (4 vol.); le Dictionnaire portatif de santé (1768), un Nouveau Dictionnaire Universel de Médecine, de chirurgie, d'art vétérinaire, etc. (1772), un Dictionnaire raisonné universel de médecine (1774), plusieurs dictionnaires d'histoire naturelle, etc.

8. Liste des articles consultés dans les dictionnaires. Les mots en italiques ne se trouvent pas dans l'Encyclopédie ; ils marquent un progrès sémantique et conceptuel, ou une plus grande liberté d'expression. Accouchement, Adultère, Aliénation, Anatomie, Allaitement, Anthropologie, Avortement, Célibat, Cerveau, Chasteté, Coit, Conception, Congrès, Continence, Copulation, Défloration, Divorce, Enfant trouvé, Esprit, Fausse couche, Femme, Fille, Folie, Frigidité, Génération, Grossesse, Gynécologie, Homme, Hygiène, Hymen, Hystérie, Impuissance, Infanticide, Inceste, Manie, Maternité, Matrice, Masturbation, Menstrues, Névrose, Onanisme, Ovaire, Passions, Polymie, Procréation, Prostitution, Pudeur, Pudicité, Sensation, Sensibilité, Sexe, Sodomie, Squelette, Suppression de part, Vapeur, Vesanie, Vierge, Viol, Virginité.

9. Cf. Jacques Proust, Diderot et l'Encyclopédie, Thèse Paris, Armand Colin, 1962. On trouve une utile bibliographie des dictionnaires de médecine dans Dechambre, Dictionnaire Encyclopédique des Sciences médicales, t. I, Introduction, Paris, 1864.

10. On peut consulter aussi Vigarous, Cours élémentaire de maladies des femmes, 1801, 2 vol. ; il est plus proche d'Astruc que de Capuron.

11. Un éloge funèbre de Roussel prononcé par le docteur Alibert (et joint à l'édition de 1809 du Système…) nous apprend les faits essentiels de sa vie. Né dans le Comté de Foix, élève de Bordeu à l'École de médecine de Montpellier, puis à Paris, il est résolument « vitaliste ». Amoureux très jeune, il a dès lors observé les femmes avec passion mais ne s'est jamais marié. Il a pratiqué la médecine avec talent, paraît-il, mais avec nonchalance, car il avait une santé délicate, un caractère rêveur et distrait, une totale absence d'ambition, une prédilection marquée pour la lecture et la conversation…

12. Voir les articles nécrologiques dans la Gazette Médicale de Paris (1846, 3e série, I, pp. 219-220, pp. 847-851) et les Archives générales de Médecine (1846, II, pp. 116-119). Virey est né en 1775 près de Langres ; affecté dans les armées du Directoire au Service de Santé, comme aide-pharmacien, il achève ensuite ses études et devient pharmacien en chef du Val-de-Grâce, et professeur d'histoire naturelle dans l'École militaire de cet établissement ; il ne sera médecin qu'après 1814 et membre de l'Académie de Médecine en 1825. Après 1830, il a été député de la Haute-Marne. Il s'est marié assez tard, avec une veuve dont il a élevé les enfants.

13. Les deux catégories peuvent coexister dans le même texte : voir par exemple, dans le Dictionnaire de Panckoucke, la dernière partie de l'article Femme (maladies) par le docteur Fournier.

14. Marabout Université vient de rééditer (1973) les Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1803) de Xavier Bichat.

15. Helvétius, De l'homme (1773), Condorcet, Lettre d'un bourgeois de New Haven à un citoyen de Virginie (2e lettre, 1787), et Sur l'admission des femmes au droit de cité Ci juillet 1790).

16. Pendant tout le xixe siècle, de nombreux médecins français continueront à laisser au second plan la dimension scientifique de leur discipline, pour afficher des goûts littéraires et artistiques. Cf. Théodore Zeldin, France 1848-1945, vol. I, Ambition, Love and Politics, Oxford, 1973.

17. L'article Squelette de l'Encyclopédie présente une curieuse structure : la première moitié est essentiellement consacrée aux moyens d'obtenir et de conserver un squelette humain ; la seconde moitité est toute consacrée au squelette féminin dont on énumère les caractères spécifiques.

18. L'article Cerveau du Dictionnaire des Sciences médicales est l'oeuvre de Gall, le phrénologue alors à la mode.

19. La forme du bassin et celle des organes féminins imposent, selon Moreau et Virey, des conclusions relatives aux postures d'accouplement : pour Moreau une seule est convenable pour des êtres humains ; il la décrit : c'est celle que l'Église a de tous temps recommandée. Mais Virey, qui est très voltairien, éprouve le besoin de citer Lucrèce pour rappeler que les Anciens jugeaient plus féconde l'union more ferarum.

20. Ici s'intercale, chez Moreau, un développement sur les « Variétés de la femme » (il existe aussi, assez semblable, dans l'article Femme du Dictionnaire des Sciences médicales, par Virey). C'est un voyage autour du monde parmi les différents peuples avec des paragraphes stéréotypés sur la laideur des Hottentotes, la beauté des Circassiennes, etc.

21. Cf. La prévention des naissances, Cahier de l'I.N.E.D., n° 35, sous la direction d'Hélène Bergues, 1960.

22. Cette révérence à l'égard de la matrice explique peut-être en partie les réticences qui ont accueilli les tentatives de Récamier, lorsqu'il voulut pratiquer, vers 1830, des curetages et l'hystérectomie. Sur Récamier, cf. Docteur Paul Triaire, Récamier et ses contemporains (1774-1852), Paris, Baillière, 1899.

23. Théodore Zeldin, op. cit., t. I, pp. 295-296, indique les nombreuses rééditions qui furent faites au xixe siècle de l'ouvrage de Nicolas Venette, écrit au xviie, Tableau de l'amour conjugal ; ce livre a peut-être servi de guide aux jeunes couples.

24. Veith, Cf. Ilza, Histoire de l'hystérie, Paris, Seghers, 1973.Google Scholar

25. Le seul qui garde des doutes c'est Capuron, médecin plein de prudence.

26. Désigné par l'empereur pour accoucher l'impératrice Marie-Louise, Baudelocque est mort peu avant la naissance du Roi de Rome.

27. C'est ce qu'établit Adeline Daumard, op. cit., pour les classes moyennes.

28. Cf. La médecine populaire d'hier et d'aujourd'hui, 1966.