Hostname: page-component-84b7d79bbc-fnpn6 Total loading time: 0 Render date: 2024-08-03T05:32:18.948Z Has data issue: false hasContentIssue false

Mots, fluides et vertiges : les fêtes orales de la mystique chez Gautier de Coinci

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Marie-Christine Pouchelle*
Affiliation:
CNRS

Extract

C'est avec une tranquille condescendance que les historiens du siècle dernier commentèrent les Miracles de Notre-Dame. On reconnut à ce « monument » élevé au XIIIe siècle par « la piété enfantine du Moyen Age » quelque chose de touchant. Mais, décidément, la forme très élaborée sous laquelle se présentait le recueil gâchait la fraîcheur qu'on attendait d'un authentique primitif. Dans ces récits, alors qu'il eût fallu « être naïf et vrai », Gautier de Coinci s'était bizarrement plu à employer « un style très recherché, de continuels et fatigants jeux de mots, même des calembours ». Et ces extravagances étaient tout simplement « ridicules ».

Summary

Summary

Juggling words, Gautier de Coinci attempts to lead his 13th century contemporaries onto the shifting ground of miraculous proofs, into the realm in which one can be awake while sleeping, in which statues walk, and in which saying is doing.

This article explores the mental and emotional universe which makes miracles plausible in the work of this religious writer. It is a universe in which symbols act very concretely upon beings and things, one which is par excellence linked to the Incarnation of the Word. The flesh is patently present in the writing of this avid lover who savoured the Virgin every time he pronounced her name. The narrative style of his tales has many affinities with that of incantation. Neither naive nor cunning, his text is so “efficicacious” that word plays can be seen to be more than mere intellectual entertainment: they constitute a technique for achieving ecstasy.

Type
L'Imaginaire Médiéval
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1987

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

Notes

1. Paris, G., La littérature française au Moyen Age, Paris, 1890, p. 206 Google Scholar.

2. Histoire littéraire de la France,vol. XIX, Paris, 1838, p. 857 ; l'article est signé par A. Du VAL.

3. G. Paris, op. cit.,p. 207. On continue aujourd'hui de percevoir la démarche de Gautier comme contradictoire, mais cela fait partie désormais du « charme de l'écriture » de Gautier, cf. O. DE Rudder, « Gautier de Coinci ou l'écriture subreptice », Médiévales,Centre de Recherche de l'Université de Paris-VIII, n° 2, mai 1982, p. 104. (Le numéro est entièrement consacré à Gautier de Coinci, sous l'intitulé général : Gautier de Coinci : le texte du miracle.).

4. B. Cerquiolini, « Les énonciateurs Gautier », Médiévales,numéro cité, p. 73.

5. Cf. par exemple l'article, cité supra,d'O. DE RUDDER.

6. B. Cerquiglini, op. cit.,p. 73.

7. Cf. infra.

8. Les citations de Gautier renvoient toutes à l'édition de Koenig, V. Frédéric, Les Miracles de Nostre Dame, Genève, Droz, 1966-1970Google Scholar, 4 tomes. Ici t. III, p. 278, vers 359. Pour alléger les notes, je ne donnerai pas l'intitulé des différentes pièces auxquelles je me réfère. L'analyse porte sur l'ensemble des textes publiés par Koenig, soit sur les Miraclesproprement dits, mais aussi sur les chansons et le texte final De la misère d'homme et de femme…Certains extraits ont été traduits en français moderne pour plus de clarté.

9. « Car je ne suis pas trouvère / Hors ce qui concerne ma dame et mon amie / Non plus que ménestrel », II, p. 93, v. 2315-2317.

10. Là-dessus, cf. C. Casagrande et S. Vecchio, « Clercs et jongleurs dans la société médiévale (xne et xme siècles) », Annales ESC,sept.-oct. 1979, pp. 913-928.

11. La croisade contre les Albigeois commença en 1208.

12. Sur Gautier (1177/78-1236) et la rédaction des Miracles,cf. V. Frédéric Koenig, op. cit., t. I, Introduction. Gautier était prieur de Vie-sur-Aisne lorsqu'il entreprit son oeuvre.

13. III, pp. 60-73. Le protagoniste en est saint Bonet (que Gautier appelle Boens) qui figure dans les Acta sanctorumà la date du 15 janvier.

14. H. Corbin, « Mundus imaginalisou l'imaginaire et l'imaginai », Cahiers internationaux du Symbolisme,n° 6, 1964.

15. II, p. 259, v. 117-124 ; III, p. 203, v. 306-312 ; IV, p. 104, 105, v. 242-245 (ici c'est le siècle qui endort les gens).

16. Ainsi III, p. 457, v. 3922-3928.

17. IV, p. 10, v. 249-251.

18. Ibid.,p. 13, v. 330, 331. Ce sont des « visions » : ibid.,v. 331, 344, 382, 526. Sur leur opposition aux hallucinations, cf. III, p. 393, v. 2276-2282.

19. II, p. 274, v. 31-36 ; p. 275, v. 48.

20. De ce point de vue la narration du miracle de Théophile est tout à fait révélatrice. Cf. I, pp. 50-176. Il faudrait, pour saisir toutes les dimensions de cette ambiguïté veille/sommeil, se souvenir du rythme particulier de la vie monastique, des levers et des recouchers qui encadrent les offices nocturnes. Ainsi la religieuse dont il a été question plus haut venait-elle de se recoucher après matines lorsque le phénomène a eu lieu. La vision intervient donc lorsque les protagonistes se trouvent dans un état intermédiaire qui, d'après ceux qui aujourd'hui sont l'objet de perceptions de ce genre, lui est particulièrement propice.

21. Parmi les multiples exemples recueillis, cf. II, p. 30, v. 645, 646 ; p. 127, v. 147, 148 . p. 243, v. 171, 172 ; p. 252, v. 175-177 . III, p. 18, v. 181, 182 ; p. 202, v. 283, 284 ; IV, p. 259, v. 373, 374 . etc.

22. Entre autres IV, p. 12, v. 302, 303.

23. II, p. 16, v. 212-310 et en particulier v. 280-287 ; cf. aussi IV, p. 416, v. 106-115.

24. III, p. 130, v. 241,242.

25. IV, p. 178, v. 63, 64 et p. 179, v. 99-112. Voir également dans un autre miracle, IV, p. 326, v. 142-144.

26. III, p. 141, v. 180-189.

27. II, p. 238, v. 26-31. Dans les Miracles,il ne va cependant pas jusqu'à se déguiser en Vierge Marie, comme cela arrive dans un récit d'Etienne de Bourbon ( De La Marche, A. Lecoy, Anecdotes historiques, légendes et apologues tirés du recueil inédit d'Etienne de Bourbon, dominicain du XIIIe siècle, Paris, 1877, p. 199 Google Scholar).

28. III, p. 115, v. 228,229.

29. II, p. 9, v. 109, 110 et p. 194, v. 343-344 ; III, p. 434, v. 3333-3334 ; sur la fonction explicite du signe de croix, voir III, p. 180, v. 376-384.

30. La question a été abordée par Kunstman, P., Vierge et merveille, Paris, 10/18, 1981, pp. 1820 Google Scholar, et aussi par B. Cerquiglini, op. cit.,p. 69.

31. III, p. 67, v. 189 et 193.

32. III, p. 66, v. 172-174. De même voir IV, p. 414, v. 60-62.

33. IV, p. 296, v. 22-25 et 37-56.

34. Harf-Lancner, L., Les fées au Moyen Age, Paris, Honoré Champion, 1984, pp. 67 Google Scholar, 203 ss.

35. II, p. 114-121.

36. III, p. 183, v. 480.

37. Cf. parallèlement, dans le domaine profane, ses allusions à La chanson de Roland(III, p. 124, v. 91 et p. 336, v. 831), à Tristan et Iseult(III, p. 314, v. 300 et 303) et surtout au Roman de Renard(II, p. 58, 59, v. 1377, 1392, 1404 ; III, p. 30, v. 168-172 et p. 265, v. 48, 49 ; IV, p. 314, v. 505-508).

38. IV, p. 307, v. 330, 331, et III, p. 393, v. 2281.

39. III, p. 43 ; IV, p. 110 ; III, p. 191 ; II, p. 197 ; II, p. 101 ; IV, p. 378 ; III, p. 23, v. 58-

63. Autre cas d'animation — mais incertaine — d'une statue de la Vierge : II, p. 95.

40. IV, p. 399, 400, v. 574-603, et pp. 401-404, v. 625-716.

41. Cf. Paul, J., « L'éloge des personnes et l'idéal humain au xme siècle, d'après la chronique de fra Salimbene », Moyen Age, 1967 (3-4), p. 420 Google Scholar. On notera que la croyancen'exclut pas l'esprit critique, comme on peut le voir, un siècle plus tôt, chez Guibert de Nogent.

42. IV, pp. 326-327, v. 121-150. Voir également, sur l'Incarnation, IV, p. 415, 416, v. 94-121.

43. IV, p. 378, v. 9.

44. IV, p. 401, v. 610-624.

45. IV, p. 402, 403, v. 640-665 (Philippe-Auguste règne de 1180 à 1223).

46. IV, p. 402, v. 654, 655. Cf. aussi, IV, p. 178, v. 84.

47. IV, p. 402, v. 642.

48. III, p. 268, v. 83, 84.

49. II, p. 13, v. 213-215 ; III, p. 391, v. 2224-2230.

50. III, p. 268, v. 77.

51. IV, p. 152, v. 455, 456 (voir l'ensemble du miracle, pp. 134-153 ; cf. également, sur les hommes de loi, II, pp. 48-50). III, p. 268, v. 93.

52. II, p. 267, v. 44-70.

53. IV, p. 193, v. 65-77.

54. IV, p. 211, v. 248-268.

55. II, p. 276, v. 77-90.

56. IV, p. 161, v. 187-190. Sur la dévotion du coeur, cf. aussi IV, pp. 183-189, v. 201-358.

57. II, p. 277, 278, v. 97-107.

58. II, pp. 278-280.

59. II, p. 13, 14, v. 216-226.

60. IV, p. 406, v. 754-765. I, pp. 9-11, v. 149-180. IV, pp. 539-539, v. 2510-2546.

61. IV, pp. 408-409, v. 808-824.

62. Ibid.,pp. 409-411, v. 837-886.

63. IV, pp. 454-457, 471, 473, 474.

64. II, p. 66, v. 1606. Cf. aussi II, p. 65, v. 1580-1588.

65. Voir par exemple IV, p. 516, v. 1963-1970. Et, dans la même pièce, les vers 358, 471, 562, 563, 567, 636, 680, 681, 775, 776…

66. Entre bien d'autres allusions à cette récitation orale, cf. III, p. 23, v. 1,2; III, p. 11, v. 1, 2 ; p. 23, v. 1, 2 ; p. 35, v. 1 ; p. 51, v. 1, 2 ; p. 107, v. 16, etc. Pour une vue d'ensemble sur la poétique orale, cf. les travaux de Zumthor, Paul, en particulier son Introduction à la poésie orale, Paris, Éditions du Seuil, 1983 Google Scholar.

67. I, p. 21, v. 33. Plus généralement, I, pp. 20-23, et II, pp. 33-40. A ce propos, voir la thèse de Chaiixey, Jacques, Les chansons de Gautier de Coinci, Paris, 1952 Google Scholar.

68. IV, p. 44, v. 50-67, p. 46, v. 101-108, etc.

69. IV, p. 180, 181, v. 138-148.

70. Là-dessus, voir les travaux et l'enseignement de Marie-Louise AUCHER, créatrice de la psychophonie, et en particulier son ouvrage intitulé Les plans d'expression,Paris, Éditions de l'Epi, 1977.

71. IV, p. 441, v. 59,60.

72. IV, p. 354, v. 382, 383 ; p. 351, v. 307, 308 ; pp. 358-359, v. 485-507 : pp. 354-358, v. 365-471 ; p. 366, v. 678 ; p. 368, v. 738.

73. IV, pp. 533-534, v. 2392-2407.

74. IV, pp. 491-492, v. 1330-1334.

75. II, p. 127, v. 140-146 ; III, pp. 138-139, v. 124-129.

76. I, p. 174, v. 2058-2061 ; ibid.,p. 173, v. 2056, 2057 ; IV, p. 555, v. 223, 224.

77. III, p. 232, v. 468 ; II, p. 27, v. 571.

78. III, p. 275, v. 265.

79. II, p. 275, v. 55, 56 ; II, p. 93, v. 2326 et IV, p. 498, v. 1492 ; II, p. 87, v. 2147, 2148 ; III, pp. 12-13, v. 29-60.

80. II, pp. 28-30, v. 610-649 ; p. 89, v. 2194-2197.

81. Elles furent données à Saint-Médard de Soissons par Louis le Pieux. Ce n'est qu'à la fin du xvie siècle qu'elles furent ramenées à Tolède. Cf. Larmat, Jean, « La religion populaire chez Gautier de Coinci », Marche Romane, Cahiers de l'Arulg (Liège), XXX, 1980, n° 3-4, pp. 169175 Google Scholar.

82. II, p. 22, v. 460,461.

83. Ibid.,pp. 88-89, v. 2187-2204.

84. Ibid.,pp. 27-28, v. 589-604, et p. 89, v. 2194-2197. Sur Ildefonse, cf. Recio, J. Franscico Rivera, San Ildefonso de Toledo, Madrid, Biblioteca de autores cristianos, La Editorial catôlica, 1985, 291 Google Scholar p. On trouvera pp. 233-235 le rapprochement avec l'histoire de l'évêque de Clermont.

85. III, pp. 219-221, v. 127-194.

86. Conserver vivante la mémoire de la Vierge, telle est l'intention que Gautier met en avant dès le début de son recueil (I, p. 1, v. 2). Le thème revient par la suite à diverses reprises, tel un leitmotiv. (Cf. I, p. 123, v. 1214.)

87. IV, pp. 329-330, v. 222-242.

88. IV, p. 437, v. 169-190. IV, pp. 439-543 : De la misère de l'homme et de la femme, et de la crainte qu'on doit avoir de mourir.

89. Par exemple, III, p. 280, v. 397-410 ; IV, p. 71, v. 736-740.

90. IV, pp. 498-499, v. 1505-1514.

91. II, p. 203, v. 158-162 : « Si en la puante puanteur / De la puante tu t'empuantis / Dans les chemins puants de l'enfer / Tu seras puant empuanti / Par tes puantes puanteurs .»

92. I, p. 24, v. 7-12 : « Chantez à son propos, vous tous les chanteurs / Vous enchanterez l'enchanteur / Qui souvent nous enchante. / Si vous chantez la mère de Dieu, / Tout enchanteur sera enchanté. / Béni soit celui qui chante. »

93. III, p. 271, v. 170.

94. Parmi les autres lectures possibles, et en dehors des travaux déjà cités, cf. Anne Garnier, Le chevalier et l'économie temporelle du salut dans les Miracles de Notre Dame de Gautier de Coinci,thèse de 3e cycle (inédite), Paris-III, décembre 1984.

95. II, pp. 138-139, v. 216-251.

96. L.Palauqui et H. Bouffard, La « Merveilleuse histoire » de Notre-Dame des pleurs, Bordeaux, s.d. (année 1920), p. 9. De Nogent, Guibert, De vita sua, Paris, Les Belles Lettres, 1981, p. 183 Google Scholar.

97. Saintyves, P., « Les images qui ouvrent et ferment les yeux », Revue de Psychothérapie et de Psychologie appliquée, Paris, avril 1911 Google Scholar.

98. IV, p. 235, v. 490, 491. Parmi les nombreux passages où l'on pleure, cf. II, p . 216, v. 281- 283, ou p. 8 et 10, v. 83 et 131 . IV, p. 234, v. 470 ; pp. 285-286, v. 523-543. Et enfin, IV, p. 13,

14. 16, v. 332, 345, 381, 388-390.

99. II, p. 192, v. 296, 297 ; p. 167, v. 246.

100. IV, p. 409, v. 840, 841 ; IV, p. 410, v. 870-872 ; IV, p. 413, v. 25 et 31. Ce sont les larmes de Théophile qui se répandent ainsi sur le sol : I, p. 127, v. 1272, 1273.

101. IV, p. 511, v. 1831-1842 ; IV, pp. 410-411, v. 871, 886.