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Penser la monnaie autrement

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Jean-Yves Grenier*
Affiliation:
EHESS-CRH

Extract

« Tout cela pour souligner que si la monnaie, comme il apparaît, est née non point comme l'instrument de mesure arithmétique de la valeur des biens échangés dans le commerce, mais d'abord comme un élément de rapports sociaux où le quantitatif n'était au fond qu'un aspect matériel de rapports irrationnels de puissance, puis comme un instrument, parmi d'autres, de codification de ces rapports, elle n'a pas pu ne point conserver à travers toute son histoire, un reflet de cette irrationalité des structures sociologiques primitives ». Cette citation d'Edouard Will, placée en exergue à la contribution d'André Orléan, résume assez bien les intentions du collectif qui a signé cet ouvrage. Leur objectif est en effet de montrer que la monnaie n'est pas le produit de processus exclusivement liés à l'échange marchand et à la mesure des valeurs, comme le prétend la pensée économique orthodoxe. De son aveu même, cette dernière ne comprend pas grand-chose au fait monétaire et, du coup, elle a tendance à n'accorder qu'un rôle mineur — ou pour mieux dire transparent — à la monnaie. Les auteurs de La monnaie souveraine entendent au contraire montrer que la monnaie est au sens fort une institution humaine, ce qui signifie à la fois qu'elle est toujours le reflet d'une certaine totalité sociale et qu'elle intègre des composantes que les auteurs qualifient d'irrationnelles. De ce fait, une analyse pertinente de la monnaie, actuelle ou ancienne, ne peut pas être qu'économique. Bien plus, même pour un économiste, un point de vue sur la monnaie suppose que le chercheur se situe d'abord à l'extérieur de sa discipline, exigence fortement rappelée dès l'introduction : « La monnaie n'est pas une entité économique, y compris dans nos sociétés, car elle est ce par quoi l'économique est pensable, ce qui ne peut se faire que d'un ailleurs non économique » (p. 20).

Type
La Monnaie Des Sciences Sociales (note critique)
Copyright
École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 2000

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References

1. Will, Édouard, « Réflexions et hypothèses sur les origines du monnayage », Revue numismatique, 17, 1955, pp. 523 Google Scholar (cité p. 359).

2. François Simiand, « La monnaie réalité sociale », Annales sociologiques, 1934, série D, fasc. 1, p. 80.

3. L'ouvrage édité par Jonathan Parry et Maurice Bloch, Money and the Morality of Exchange, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, propose une série d'études anthropologiques qui ont un objectif de même nature : « Our essays reveal a unity which underlies ail of the apparently diverse examples they consider. This is to be found neither in the meanings altributed to money nor in the moral évaluation of particular types of exchange, but rather in the way the totality of transactions form a gênerai pattern which is part of the reproduction of social and ideological Systems concerned with a time-scale farlonger than the individual human life » (p. 1).

4. Voir par exemple Reddy, William, Money and Liberty in Modem Europe. A Critique of Historical Understanding, Cambridge, Cambridge University Press, 1987.CrossRefGoogle Scholar

5. Une distinction, à peine esquissée par les auteurs, peut donc être faite entre ce qu'ils appellent la « représentation moderne » du fait économique et monétaire, très individualiste et de ce fait individualisante, et l'affirmation d'une totalité sociale ou d'un principe d'autorité que l'on peut déduire de l'existence même de la société et de sa reproduction qui, sinon, seraient impossibles. Les tentatives faites par la science économique afin de prouver la possibilité d'une harmonie sans autorité (depuis l'équilibre walrasien jusqu'au théorème d'Arrow-Debreu) apparaissent d'autant plus inappropriées qu'elles aboutissent à l'exclusion du concept central pour penser économiquement le lien social : la monnaie. Dans la perspective intellectuelle défendue par les auteurs, cet écart expliquerait le caractère illusoire de la théorie économique qui formalise en fait de fausses (ou très partielles) représentations que se font les individus du lien social. Ce même écart légitime le travail de dévoilement opéré par ce livre, dévoilement dont l'argument est autant logique qu'historique.

6. Arrow, Kenneth, The Limits of Organization, New York, Norton, 1974 Google Scholar (trad. fr. Les limites de l'organisation, Paris, PUF, 1976).

7. Marcel Mauss fait lui-même observer dans la discussion qui suit le texte de François Simiand, « La monnaie réalité sociale… », art. cité, pp. 60-61, que ce dernier en est arrivé tout comme lui à mettre en évidence la notion de « fait total ». Il est intéressant de souligner que, dans le même passage, Mauss insiste sur la notion d'attente et d'escompte de l'avenir, utilisée par Simiand pour caractériser la monnaie, car elle « est précisément l'une des formes de la pensée collective ». « Nous sommes entre nous en société pour nous attendre entre nous à tel et tel résultat ; c'est cela la forme essentielle de la communauté. Les expressions : contrainte, force, autorité, nous avons pu les utiliser autrefois, et elles ont leur valeur ; mais cette notion de l'attente collective est à mon avis l'une des notions fondamentales sur lesquelles nous devons travailler. Je ne connais pas d'autre notion génératrice de droit et d'économie : “Je m'attends”, c'est la définition même de tout acte de nature collective », p. 61.

8. Marcel MAUSS, « Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques », repris dans Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1960, pp. 178-179, note 1.