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Aux origines des politiques compassionnelles: Émergence de la sensibilité envers les victimes de catastrophes à la fin du Moyen Âge

Published online by Cambridge University Press:  07 April 2020

Thomas Labbé*
Affiliation:
Leibniz Institute for the History and Culture of Eastern Europe (Gwzo, Leipzig) Maison des sciences de l’homme de Dijon (Usr Cnrs-Ub 3516) thomas.labbe01@gmail.com

Résumés

À partir d’une approche socio-anthropologique qui considère la mise en discours et la réaction aux événements extrêmes comme des constructions sociales largement déterminées par les affects partagés et valorisés au sein des sociétés touchées, cet article s’intéresse aux émotions suscitées par les catastrophes naturelles entre le xiiie et le xvie siècle. Alors que l’historiographie a plutôt analysé les discours de raison émis à l’encontre des catastrophes en soulignant la rupture constituée autour du tremblement de terre de Lisbonne (1755) par la sécularisation des interprétations, l’approche par les affects permet de mettre en évidence un autre tournant majeur dans la sensibilité occidentale. Les textes étudiés témoignent en effet de l’émergence d’une sensibilité à l’aspect « humanitaire » des catastrophes à partir de la moitié du xve siècle et surtout pendant le xvie siècle. Dans le cadre interprétatif qui reste celui de la rétribution des péchés, cette émergence traduit néanmoins un net changement de regard face à la souffrance sociale. Il s’illustre, d’une part, à travers l’expression de nouvelles émotions pour représenter la catastrophe. Au couple peur/émerveillement qui constitue la structure de narration médiévale, se substitue au xvie siècle le couple terreur/pitié. Les « désastres », terme nouveau qui accompagne cette évolution, sont dorénavant ressentis comme des tragédies. D’autre part, la théorie politique et les dispositifs de gouvernement s’adaptent à cette nouvelle construction affective, en intégrant dans leurs champs la prise en charge d’urgence des victimes de catastrophe. À un niveau plus général, l’article montre la construction d’une économie morale qui tend à valoriser la figure de la victime dans la perception de la réalité aux xve et xvie siècles et propose de voir dans cette rupture une racine des politiques compassionnelles modernes.

Abstracts

Abstracts

Adopting a socio-anthropological perspective that considers accounts of and reactions to extreme events as social constructs largely determined by sentiments shared and valorized within a given society, this article focuses on the emotions produced by natural disasters between the thirteenth and the sixteenth century. When it comes to the study of catastrophes, historiography has generally privileged the analysis of rational discourse, identifying the secularization of interpretative patterns following the Lisbon earthquake of 1755 as a decisive historical rupture. The emotion-based approach, however, reveals another discontinuity in Western attitudes, which has attracted less attention. Fifteenth- and especially sixteenth-century sources emphasize a new kind of sensitivity toward the “humanitarian” aspect of disasters. Though the interpretive framework remains that of sin and retribution, this shift nevertheless demonstrates an important change in the perception of social distress. First, the language used to describe catastrophes follows a new emotional pattern: over the sixteenth century, notions of terror and pity replace the fear and wonder that characterized medieval narratives. Désastres, a term that also emerged at this time, progressively come to be perceived as tragedies. Second, this new emotional construction is reflected in political theory and practice, as local authorities integrate urgent care for disaster victims into their sphere of responsibility. On a more general level, the article demonstrates the construction of a moral economy that progressively valorized the figure of the victim in perceptions of reality over the fifteenth and sixteenth centuries, planting the seeds of modern compassionate policies.

Type
Sensibilités médiévales
Copyright
© Éditions de l'EHESS

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References

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2 Citons quelques chercheurs parmi les plus éminents : Pfister, Christian, Klimageschichte der Schweiz, 1525-1860. Das Klima der Schweiz von 1525-1860 und seine Bedeutung in der Geschichte von Bevölkerung und Landwirtschaft, Berne, Haupt, 2 vol., 1985Google Scholar ; Alexandre, Pierre, Le climat en Europe au Moyen Âge. Contribution à l’histoire des variations climatiques de 1000 à 1425, d’après les sources narratives de l’Europe occidentale, Paris, Éd. de l’Ehess, 1987Google Scholar ; Campbell, Bruce M. S., The Great Transition: Climate, Disease and Society in the Late-Medieval World, Cambridge, Cambridge University Press, 2016CrossRefGoogle Scholar.

3 La base de données bibliographiques mise en place par le site internet Climate History Network (Georgetown University et Ohio State University) contient, par exemple, 4 032 références au total : www.climatehistory.net/bibliography/.

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5 Pour la France, par exemple, voir la base de données SisFrance (www.sisfrance.net/). Pour l’aire méditerranéenne, voir Guidoboni, Emanuela, Comastri, Alberto et Traina, Giusto, Catalogue of Ancient Earthquakes in the Mediterranean Area up to the 10th Century, Rome, Istituto nazionale di geofisica, 1994Google Scholar ; Guidoboni, Emanuela et Comastri, Alberto, Catalogue of Earthquakes and Tsunamis in the Mediterranean Area from the 11th to the 15th Century, Rome, Istituto nazionale di geofisica e vulcanologia, 2005Google Scholar.

6 Bruno Figliuolo, Il terremoto del 1456, Altavilla Silentina, Studi storici meridionali, 2 vol., 1988-1989 ; Quenet, Grégory, Les tremblements de terre aux xviie et xviiie siècles. La naissance d’un risque, Seyssel, Champ Vallon, 2005Google Scholar.

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8 Selon l’expression de Le Roy Ladurie dans son texte de présentation du dossier « Histoire et environnement », Annales ESC, 29-3, 1974, p. 537.

9 Expression promue par Delort, Robert, Les animaux ont une histoire, Paris, Éd. du Seuil, 1984Google Scholar ; Id., « L’histoire entre le Cosmos et le hasard. Entrevue avec Robert Delort », Médiévales, 9, 1985, p. 7-18. Le projet d’une écohistoire, essentiellement vue comme « la science de l’espace dans le temps » et comme « la science de la variation des phénomènes naturels » (Ibid., p. 8-9), a fait l’objet d’un programme de recherche du Cnrs entre 1986 et 1991, et d’une publication collective : Delort, Robert et Beck, Corinne (dir.), Pour une histoire de l’environnement, Paris, Cnrs Éditions, 1993Google Scholar.

10 Sur ce concept phare de l’histoire environnementale, voir le dossier « Anthropocène », Annales HSS, 72-2, 2017, p. 267-378.

11 Berlioz, Jacques, « L’effondrement du mont Granier en Savoie (fin 1248). Production, transmission et réception des récits historiques et légendaires (xiiie-xviie siècle) », Le monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, 15-1/2, 1987, p. 7-68CrossRefGoogle Scholar ; Id., Catastrophes naturelles et calamités au Moyen Âge, Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 1998.

12 Borst, Arno, « Das Erdbeben von 1348. Ein historischer Beitrag zur Katastrophenforschung », Historischer Zeitschrift, 233-3, 1981, p. 529-569Google Scholar.

13 Citons les principaux jalons : Bennassar, Bartolomé (dir.), Les catastrophes naturelles dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1996CrossRefGoogle Scholar ; Martin Körner (dir.), Stadtzerstörung und Wiederaufbau / Destruction and Reconstruction of Towns / Destruction et reconstruction des villes, vol. 1, Zerstörung durch Erdbebens, Feuer und Wasser / Destruction by Earthquakes, Fire and Water / Destruction par les tremblements de terre, le feu et l’eau, Berne, Haupt, 1999 ; Hanska, Jussi, Strategies of Sanity and Survival: Religious Responses to Natural Disasters in the Middle Ages, Helsinki, Finnish Literature Society, 2000Google Scholar ; Pfister, Christian (dir.), Le jour d’après. Surmonter les catastrophes naturelles : le cas de la Suisse entre 1500 et 2000, Berne, Haupt, 2002Google Scholar ; Groh, Dieter, Kempe, Michael et Mauelshagen, Franz (dir.), Naturkatastrophen. Beiträge zu ihrer Deutung, Wahrnehmung und Darstellung in Text und Bild von der Antike bis 20. Jahrhundert, Tübingen, Gunter Narr, 2003Google Scholar ; Favier, René et Granet-Abisset, Anne-Marie (dir.), Récits et représentations des catastrophes depuis l’Antiquité, Grenoble, Publications de la Msh-Alpes, 2005Google Scholar ; Jouanna, Jacques, Leclant, Jean et Zink, Michel (dir.), L’homme face aux calamités naturelles dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Paris, Académie des inscriptions et belles-lettres, 2006Google Scholar ; Rohr, Christian, Extreme Naturereignisse im Ostalpenraum. Naturerfahrung im Spätmittelalter und am Beginn der Neuzeit, Cologne, Böhlau, 2007Google Scholar ; Walter, François, Catastrophes. Une histoire culturelle, xvie-xxie siècle, Paris, Éd. du Seuil, 2008Google Scholar ; Janku, Andrea, Schenk, Gerrit J. et Mauelshagen, Franz (dir.), Historical Disasters in Context: Science, Religion, and Politics, Londres, Routledge, 2012Google Scholar ; Schenk, Gerrit Jasper (dir.), Historical Disasters Experiences: Towards a Comparative and Transcultural History of Disasters Across Asia and Europe, Berlin, Springer, 2017CrossRefGoogle Scholar.

14 Revet, Sandrine, « Penser et affronter les désastres : un panorama des recherches en sciences sociales et des politiques internationales », Critique internationale, 52-3, 2011, p. 157-173CrossRefGoogle Scholar.

15 Ibid., p. 172.

16 Fassin, Didier et Rechtman, Richard, L’empire du traumatisme. Enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion, [2007] 2011, p. 17Google Scholar.

17 Fassin, Didier, « De l’invention du traumatisme à la reconnaissance des victimes. Genèse et transformations d’une condition morale », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 123-3, 2014, p. 161-171CrossRefGoogle Scholar, ici p. 163.

18 Le poids du « tragique » dans l’interprétation de l’histoire et dans les processus de mémoire est un trait caractéristique de la contemporanéité, également analysé par Rousso, Henry, La dernière catastrophe. L’histoire, le présent, le contemporain, Paris, Gallimard, 2012CrossRefGoogle Scholar.

19 Sarthou-Lajus, Nathalie et Rechtman, Richard, « Enquête sur la condition de victime », Études, 414-2, 2011, p. 175-186Google Scholar, ici p. 176.

20 Fassin, Didier, La raison humanitaire. Une histoire morale du temps présent, Paris, Gallimard/Éd. du Seuil, 2010Google Scholar.

21 Ibid., p. 315-319.

22 M. Körner (dir.), Stadtzerstörung und Wiederaufbau…, vol. 1, op. cit. ; C. Pfister (dir.), Le jour d’après…, op. cit. ; A. Janku, G. J. Schenk et F. Mauelshagen (dir.), Historical Disasters in Context…, op. cit.

23 Pfister, Christian, « Afterword », in Mauch, C. et Pfister, C. (dir.), Natural Disasters, Cultural Responses: Case Studies Toward a Global Environmental History, Lanham, Lexington Books, 2009, p. 355-359Google Scholar.

24 Gaëlle Clavandier, « Un retour sur la catastrophe. Nouveau regard, nouvel objet pour l’anthropologue », Le portique, 22, 2009, journals.openedition.org/leportique/2073.

25 Id., La mort collective. Pour une sociologie des catastrophes, Paris, Cnrs Éditions, 2004.

26 Ibid., p. 233.

27 Mercier-Faivre, Anne-Marie et Thomas, Chantal (dir.), L’invention de la catastrophe au xviiie siècle. Du châtiment divin au désastre naturel, Genève, Droz, 2008Google Scholar.

28 Revet, Sandrine et Langumier, Julien (dir.), Le gouvernement des catastrophes, Paris, Karthala, 2013, p. 13CrossRefGoogle Scholar.

29 C’est la thèse défendue dans Labbé, Thomas, Les catastrophes naturelles au Moyen Âge, xiie-xve siècle, Paris, Cnrs Éditions, 2017Google Scholar, auquel cet article apporte des éléments nouveaux d’approfondissement.

30 Zink, Michel, « Les calamités et la conscience du poète au Moyen Âge », in Jouanna, J., Leclant, J. et Zink, M. (dir.), L’homme face aux calamités naturelles…, op. cit., p. 265-277Google Scholar, ici p. 272.

31 Cela se retrouve même dans les traités médicaux consacrés à l’événement au cours des années 1348-1350 : Jacquart, Danielle, « La perception par les contemporains de la peste de 1348 », in Jouanna, J., Leclant, J. et Zink, M. (dir.), L’homme face aux calamités naturelles…, op. cit., p. 237-247Google Scholar, ici p. 241.

32 Borsò, Vittoria, « Boccacios Dekameron, der affektive Leib und der Materialität der Emotionen », in Kann, C. (dir.), Emotionen in Mittelalter und Renaissance, Düsseldorf, Düsseldorf University Press, 2014, p. 295-324Google Scholar.

33 Carpentier, Élisabeth, Une ville devant la peste. Orvieto et la peste noire de 1348, Bruxelles, De Boeck, 1993, p. 14Google Scholar. Il faut noter que dans la première version de ce travail (Paris, Sevpen, 1962), l’auteure explique la rareté des témoignages sur la peste par le fait que la grande préoccupation des contemporains de 1348 aurait plutôt été la guerre : Id., « Autour de la peste noire. Famines et épidémies dans l’histoire du xive siècle », Annales ESC, 17-6, 1962, p. 1062-1092, ici p. 1074.

34 A. Borst, « Das Erdbeben von 1348… », art. cit.

35 Boschi, Enzo et Guidobini, Emanuela, I terremoti a Bologna e nel suo territorio dal xii al xx secolo, Bologne, Compositori, 2003Google Scholar.

36 Berlioz, Jacques, « Comment la nouvelle de l’effondrement du mont Granier se diffusa-t-elle au xiiie siècle ? », in L’éboulement du Granier et le sanctuaire de Myans, Chambéry, Académie de Savoie, 1999, p. 129-140Google Scholar, ici p. 136-137.

37 Clermont-Ferrand, Archives départementales du Puy-de-Dôme, 3E 113 DEP, fonds I, BB 9, f. 15-22v, délibérations des 3, 6 et 15 mars 1490.

38 T. Labbé, Les catastrophes naturelles au Moyen Âge…, op. cit., p. 244-245.

39 B. Figliuolo, Il terremoto del 1456, op. cit., vol. 2, p. 144-145.

40 L’anecdote est rapportée par Giovanni Pontano (1428-1503), humaniste au service du roi, lequel émit cette critique vis-à-vis de son souverain dans son De liberalitate (chap. 18), un texte repris dans Giovanni Pontano, Libri delle virtù sociali, éd. par F. Tateo, Rome, Bulzoni, 1999, p. 85.

41 G. Quenet, Les tremblements de terre aux xvii eet xviii e siècles…, op. cit., p. 450 ; Favier, René, « Sociétés urbaines et culture du risque. Les inondations dans la France d’Ancien Régime », in Delvaux, P., Fantini, B. et Walter, F. (dir.), Les cultures du risque (xvie-xxie siècles), Genève, Presses d’histoire suisse, 2006, p. 49-86Google Scholar.

42 G. Clavandier, La mort collective…, op. cit.

43 Les crises sismiques de 1373 et de 1427-1428 ont fait l’objet de programmes de recherches soutenus depuis les années 1980. L’ouvrage de Carme Oliveraet al., Els terratrèmols dels segles xiv i xv a Catalunya, Barcelone, Institut cartogràfic de Catalunya, 2006, donne en annexe (p. 241-343) l’édition d’un grand nombre de sources utilisées dans l’étude. Les auteurs ont effectué une recherche approfondie dans les archives communales des localités touchées, dans les archives de la Couronne d’Aragon (registre des audiences de la chancellerie royale et de la Généralité), ainsi que dans les archives ecclésiastiques et notariales susceptibles de contenir des informations sur ces séismes. Sauf note contraire, les renseignements fournis dans les lignes qui suivent sont extraits de ce travail.

44 Riera I Melis, Antoni, « La societat catalana baixmedieval davant els sismes. I. Els terratrèmols de 1373 », Anuario de estudios medievales, 16, 1986, p. 251-306Google Scholar, ici p. 291.

45 Id., « Catàstrofe i societat a la Catalunya medieval : els terratrèmols de 1427-1428 », Acta historica et archaeologica mediaevalia, 20-21, 1999, p. 699-735.

46 D. Fassin, La raison humanitaire…, op. cit.

47 Dans ce traité, Innocent III définit une compassion à deux degrés, c’est-à-dire une compassion pour soi et une compassion pour les autres : Bultot, Robert, « Mépris du monde, misère et dignité de l’homme, dans la pensée d’Innocent III », Cahiers de civilisation médiévale, 4-16, 1961, p. 441-456CrossRefGoogle Scholar, ici p. 446. Sur la définition savante de la compassion chez d’autres auteurs, voir Delaurenti, Béatrice, « Jalons pour une histoire de la compassio. Controverses philosophiques et médicales sur la contagion du bâillement au xive siècle », Recherches de théologie et philosophie médiévales, 79-1, 2012, p. 149-194Google Scholar.

48 Zombory-Nagy, Piroskaet al., « Pour une histoire de la souffrance : expressions, représentations, usages », Médiévales, 27, 1994, p. 5-14CrossRefGoogle Scholar ; Rosenwein, Barbara H., « Worrying about Emotions in History », The American Historical Review, 107-3, 2002, p. 821-845CrossRefGoogle Scholar. Voir aussi Boquet, Damien et Nagy, Piroska, « Pour une histoire des émotions : l’historien face aux questions contemporaines », in Nagy, P. et Boquet, D. (dir.), Le sujet des émotions au Moyen Âge, Paris, Beauchesne, 2009, p. 1-24Google Scholar, qui proposent une mise au point sur les fondements scientifiques de cette plasticité.

49 Schenk, Gerrit Jasper, « ‘Prima ci fu la cagione de la mala Providenzia de’ Fiorentini…’ Disasters and ‘Life World’: Reactions in the Commune of Florence to the Flood of November 1333 », The Medieval History Journal, 10, 2007, p. 355-386CrossRefGoogle Scholar ; Id., « L’alluvione dell 1333. Discorsi sopra un disastro naturale nella Firenze medievale », Medioevo e Rinascimento. Annuario del dipartimento du Studi sul Medioevo e il Rinascimento dell’università di Firenze, 21, 2007, p. 27-54. Dans la recherche française, Mouliner, voir Florence et Redon, Odile, « L’inondation de 1333 à Florence. Récit et hypothèses de Giovanni Villani », Médiévales, 36, 1999, p. 91-104CrossRefGoogle Scholar.

50 Le rapport sur la crue occupe une quarantaine de pages dans l’édition moderne de cette chronique : Giovanni Villani, Nuova cronica, vol. 3, éd. par G. Porta, Parme, Ugo Guanda editore, 1991, p. 1-42.

51 Ibid., p. 27 : « con amaritudine di tutto il cuore e con piena compassione d’animo ».

52 Ibid., p. 40.

53 Erner, Guillaume, La société des victimes, Paris, La Découverte, 2006, p. 25-30Google Scholar.

54 De façon révélatrice, le président vénézuélien Hugo Chávez proposa un nouveau terme pour dénommer les victimes des catastrophes de 1999, en remplaçant le terme traditionnel damnificados par celui de dignificados : D. Fassin, La raison humanitaire…, op. cit., p. 247.

55 G. Villani, Nuova cronica, vol. 3, op. cit., p. 27 : « Non si conviene a nnoi, il quale per la reale condizione la veritade hae a conservare, d’essere amico lusinghiere, né di riprendere la iustizia di Dío, dicendo che voi siate innocenti. »

56 André Vernet, « Le ‘Tragicum argumentum de miserabili statu regni Francie’ de François de Monte-Belluna (1357) », Annuaire-bulletin de la Société de l’histoire de France, 1962-1963, p. 101-163.

57 Guenée, Bernard, « Tragédie et histoire chez le religieux de Saint-Denis », Bibliothèque de l’École des chartes, 150-2, 1992, p. 223-244CrossRefGoogle Scholar.

58 Pintoin, Michel, Chronique du religieux de Saint-Denys, contenant le règne de Charles VI, de 1380 à 1422, vol. 2, éd. et trad. par M. L. Bellaguet, Paris, Éd. du Cths, 1994, p. 278Google Scholar.

59 Ibid., p. 280 : Clamores pereuncium dolorisi barbarorum et infidelium eciam corda ad condolendum induxisset.

60 Kelly, Henry Ansgar, Ideas and Forms of Tragedy from Aristotle to the Middle Ages, Cambridge, Cambridge University Press, 1993CrossRefGoogle Scholar.

61 Vital, Orderic, Historiae ecclesiasticae, vol. 5, éd. par A. Le Prevost, Paris, J. Renouard, 1855, p. 37Google Scholar : Terribilia et insolita videntes, terrore pallentes contremuerunt.

62 Annales Erphordenses fratrum praedicatorum, in Monumenta Erphesfurtensia saeculi xii. xiii. xiv, éd. par O. Holder-Egger, Monumenta Germaniae historica, Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum, 42, 1899, p. 72-116, ici p. 106 : Per tales eventus terrorem hominibis incutere solet.

63 Annales S. Disibodi, éd. par G. Waitz, Monumenta Germaniae historica, Scriptores (ci-après MGH, SS), 17, 1861, p. 6-30, ici p. 22 : His tam mirandis tamque tremendis signis.

64 Thalamus parvus. Le petit thalamus de Montpellier publié pour la première fois d’après les manuscrits originaux, éd. par E. Pegat, C. Thomas et C. Desmazes, Montpellier, J. Martel aîné, [1836] 1840, p. 388-389.

65 Nangis, Guillaume de, Chronique latine de Guillaume de Nangis de 1113 à 1300, avec les continuations de cette chronique de 1300 à 1368, vol. 2, éd. par H. Géraud, Paris, J. Renouard, 1843, p. 153-154Google Scholar : Hoc anno quarta die augusti, circa Parisius et in confiniis ejus, tam horribilis ac valida tempestas exorta est, ut pavilliones ac tentoria quæ cum maxima ambitione et apparatu, ut dicebatur, ordinabantur in domo regia nemoris Vicenarum propter purificationem reginae, ac etiam arbores magnae magnitudinis et grossitudinis everteret, aliquosque occideret, et plures laederet, non sine metu et admiratione multorum.

66 Daston, Lorraine et Park, Katherine, Wonders and the Order of Nature, 1150-1750, New York, Zone Book, 2001, p. 177-190Google Scholar.

67 Ibid., p. 181.

68 Aristote, Poétique, éd. et trad. par M. Magnien, Paris, Librairie générale française, [1990] 2009, introduction, p. 45-46.

69 Doudet, Estelle, « La catastrophe dans le théâtre politique français (1460-1550) : moteur du spectaculaire, frontière de l’indicible », European Medieval Drama, 14, 2010, p. 47-71CrossRefGoogle Scholar.

70 T. Labbé, Les catastrophes naturelles au Moyen Âge…, op. cit., p. 274-277.

71 Pour les textes allemands, nous avons travaillé à partir de l’inventaire presque exhaustif (138 récits de 1555 à 1600) établi au début du siècle dernier par le climatologue Gustav Hellmann, Die Meteorologie in den deutschen Flugschriften und Flugblättern des XVI. Jahrhunderts. Ein Beitrag zur Geschichte der Meteorologie, Berlin, Verlag der Akademie der Wissenschaften, 1921. Pour les textes en français, a servi de référence le corpus (29 récits de 1530 à 1610) établi par Seguin, Jean-Pierre (éd.), L’information en France avant le périodique. 517 canards imprimés entre 1529 et 1631, Paris, G.-P. Maisonneuve et Larose, 1964Google Scholar.

72 Liaroutzos, Chantal, « Le canard, ou la tragédie naturelle », in Lavocat, F. (dir.), Pestes, incendies, naufrages. Écritures du désastre au dix-septième siècle, Turnhout, Brepols, 2011, p. 459-539CrossRefGoogle Scholar, ici p. 501.

73 Discours véritable et très-piteux, de l’inondation et debordement de Mer, survenu en six diverses provinces d’Angleterre, sur la fin de Janvier passé, 1607. Où plusieurs villes, hommes, femmes et enfans sont peris, avec degast et dommage irreparables de tout le pays. Pris sur la copie imprimée à Londres, et mis en François par A. F. Lyonnois, Paris, F. Bourriquant, 1607, p. 4 (cité dans J.-P. Seguin (éd.), L’information en France…, op. cit., no 148).

74 Nous reprenons ici la thèse selon laquelle le numberlessness (l’absence de mesure) et l’exaggeration (le gonflement de la mesure) sont spécifiques de la mentalité arithmétique médiévale : Murray, Alexander, Reason and Society in the Middle Ages, Oxford, Clarendon Press, [1978] 1986, p. 141-210Google Scholar. Un dominicain de Colmar (Annales Colmarienses, MGH, SS, 17, 1861, p. 217) mentionne par exemple dans sa chronique la mort de 60 000 personnes causée par un orage de grêle dans les environs de Lausanne : In Burgundia prope Losanam cecidit grando magna, cuius lapides duorum vel trium panum magnitudinem superabat. Laesit novem ecclesiam parrochiales, et sexaginta milia hominum computabantur periisse (« Un grand orage de grêle tomba près de Lausanne, en Bourgogne, avec des grêlons dépassant la grosseur de deux ou trois pains. La grêle endommagea neuf églises paroissiales et on compta que soixante mille personnes avaient péri »).

75 Roberti de Monte chronica, Patrologia Latina (ci-après PL), 160, 1880, col. 435 ; Leonis Marsiani et Petri Diaconi Chronica monasterii Casinensis, PL, 173, 1854, col. 884 ; Romoaldi II archiepiscopi Salernitani Annales, MGH, SS, 19, 1866, p. 415 ; Annales S. Disibodi, MGH, SS, 17, 1861, p. 22 ; Annales Zwifaltenses, MGH, SS, 10, 1852, p. 55 ; Cosmas de Prague, Chronica Bohemorum, PL, 166, 1894, col. 228.

76 Wilhelm Wackernagel (éd.), « Das Erdbeben von 1356 in den Narichten der Zeit und der Folgezeit bis auf Christian Wurstisen », in Basel im vierzehnten Jahrhundert. Geschichtliche Darstellungen zur fünften Säcularfeier des Erdbebens am S. Lucastage 1356, Bâle, H. Georg’s Verlag, 1856, p. 211-250, ici p. 226.

77 Pétrarque, Le repos religieux, 1346-1357, éd. et trad. par C. Carraud, Grenoble, J. Millon, 2000, p. 150-153 ; Id., Les remèdes aux deux fortunes, 1354-1366, vol. 2, éd. et trad. par C. Carraud, Grenoble, J. Millon, 2002, p. 944-945 ; Id., « Ad Guidonem septem archiepyscopum Ianuensem (De mutatione temporum) », Lettera ai posteri, éd. par G. Villani, Rome, Salerno, 1990, p. 131-135.

78 La destruction des châteaux constitue le thème narratif le plus traditionnellement associé à la dévastation bâloise dans les chroniques de la fin du Moyen Âge : Schwarz-Zanetti, Gabriela, Gisler, Monika et Fäh, Domat, « Interdisziplinäre Rekonstruktion des Basler Erdbebens von 1356 an der Eth Zürich : ein Werkstattbericht », Mittelalter : Zeitschrift des Schweizerischen Burgenvereins, 11, 2006, p. 140-144Google Scholar.

79 Fouquet, Gerhard, « Für eine Kulturgeschichte der Naturkatastrophen. Erdbeben in Basel 1356 und Großfeuer in Frankenberg 1476 », in Ranft, A. et Selzer, S. (dir.), Städte aus Trümmern. Katastrophenbewältigung zwischen Antike und Moderne, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2004, p. 101-131Google Scholar.

80 Ces bilans se retrouvent dans la chronique de Wernher Schodoler (1525 ; 1 000 morts), la Chronik der Römischen Kaiser (1542 ; 200 morts), la Cosmographia de Sebastian Munster (1544 ; 100 morts), la chronique de Johannes Stumpff (1548 ; 100 morts), la Schweizer chronica (1554 ; 100 morts), le Chronicon Helveticum de Gilg Tschudi (1570 ; 100 morts) et la Basler Chronik de Christian Wurstisen (1580 ; 300 morts) : W. Wackernagel (éd.), « Das Erdbeben von 1356… », art. cit., p. 239-250.

81 Guy Beaujouan, « Nombres », in J. Le Goff et J.-C. Schmitt (dir.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, op. cit., p. 840-843 ; Agostino Paravicini Bagliani, « Introduction », no spécial « La misura/Measuring », Micrologus, 19, 2011, p. xiv.

82 Ehrle, Franz (éd.), « Die Chronik des Garoscus de Ulmoisca Veteri und Bertrand Boysset », Archiv für Literatur und Kirche Geschichte des Mittelalters, 7, 1900, p. 311-420Google Scholar, ici p. 353 : « Sal Dieus, qye estimar pogues lo dan que cascun fait. »

83 Plus généralement, sur la faible fonctionnalité pratique de la mesure dans la culture médiévale, voir Alain Guerreau, « Mensura et Metrici dans la Vulgate », no spécial « La misura/Measuring », Micrologus, 19, 2011, p. 3-20.

84 C. Liaroutzos, « Le canard, ou la tragédie naturelle », art. cit., p. 491.

85 Marcus Wagner, Warhafftige Geschicht eines grausamen Wetters / geschehen zu Burgkthonniain Thüringen / den Dinstag nach Vocem Jocunditatis anno Domini mdlviii, Erfurt, Merten von Dolgen, 1558.

86 Philipp Wagner, Wahrafftige Beschreybung des grossen erschröcklichn Gewesser so nit einem Regen / sondern einer zimlichen Sundflut ehnlich gewesen / sich auff Sannenberge und in andern umbliegende Stetten und Dörffen mit mercklichen schaden hat zugetragen, im Jar 1565, den 21 Julii, Nüremberg, Nicolaum Knoum, 1567.

87 Sclafert, Marie-Thérèse, Le Haut-Dauphiné au Moyen Âge, Paris, Société anonyme du Recueil Sirey, 1926, p. 163-193Google Scholar ; Fabrice Mouthon, Champoléon 1448. Le Moyen Âge au risque de la montagne. Pour une micro-histoire environnementale, autoédition, 2013.

88 F. Mouthon, Champoléon 1448…, op. cit. p. 81-96, édite le texte de la révision de feux en question.

89 Giannozzo Manetti, De terraemotu. Libri tres, éd. et trad. par D. Molin et C. Scopelliti, Rome, Enea, 1983.

90 G. Quenet, Les tremblements de terre aux xvii eet xviii e siècles…, op. cit., p. 450. L’ouvrage montre aussi que ces politiques compassionnelles émergent au plus haut niveau des États un peu avant le tremblement de terre de Lisbonne, dans les années 1740.

91 A.-M. Mercier-Faivre et C. Thomas (dir.), L’invention de la catastrophe…, op. cit.

92 Lavocat, Françoise, « Narratives of Catastrophe in the Early Modern Period: Awareness of Historicity and Emergence of Interpretative Viewpoints », Poetics Today: International Journal for Theory and Analysis of Literature and Communication, 33, 2012, p. 254-299CrossRefGoogle Scholar.

93 Discours sur l’espouvantable et merveilleux desbordement du Rosne dans et à l’entour la ville de Lyon, et sur les misères et calamités qui y sont advenues, Lyon, Benoît Rigaud, 1570.

94 Tours, Archives municipales, CC reg. 42, f. 43.

95 T. Labbé, Les catastrophes naturelles au Moyen Âge…, op. cit., p. 244-250.

96 Gutton, Jean-Pierre, La société et les pauvres. L’exemple de la généralité de Lyon, 1534-1789, Paris, Les Belles Lettres, 1971, p. 215-287Google Scholar ; Bronislaw Geremek, La potence ou la pitié. L’Europe et les pauvres, du Moyen Âge à nos jours, trad. par J. Arnold-Moricet, Paris, Gallimard, [1988] 1987.

97 Paul Spicker (dir.), The Origins of Modern Welfare: Juan Luis Vives, De subventione pauperum and City of Ypres, Forma subventionis pauperum, Berne, Peter Lang, 2010.

98 Juan Luis Vives, De subventione pauperum [1526], II, 7, in A. Saitta (éd.), Biblioteca di Studi Superiori, vol. 29, Florence, La Nuova Italia, 1973 (agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/vives_de_sub_paup/lecture/de).

99 Giovanni Botero, Della ragione di stati libri dieci, con tre libri delle cause della grandezza delle città, Venise, I. Gioliti, 1598, p. 42.

100 Ibid., p. 42-43 : « E in vero i publichi disastri sono la propria materia, e la miglior occasione, che si possa appresentare ad un Prencipe di guadagnarsi gli animi, & i cuori de’ suoi. »

101 Nous pensons, par exemple, aux réflexions sur l’influence de la pensée de Rousseau et de Robespierre dans ce domaine formulées par Hannah Arendt, De la révolution, in L’humaine condition, éd. par P. Raynaud, trad. par M. Berrane, Paris, Gallimard, [1963] 2012, p. 119-137.

102 Ibid., p. 118.

103 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. 2, Paris, Gallimard, 1961, p. 229-235.

104 H. Arendt, De la révolution…, op. cit., p. 132.

105 El Kenz, David (dir.), Le massacre, objet d’histoire, Paris, Gallimard, 2005, p. 7-8Google Scholar.

106 Revault d’Allonnes, Myriam, L’homme compassionnel, Paris, Éd. du Seuil, 2008Google Scholar.