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Essai de définition du maoïsme

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Lucien Bianco*
Affiliation:
École des hautes études en sciences sociales

Extract

Voici un texte écrit sur commande, mais peu longtemps fidèle aux termes de la commande qui m'avait été passée. Celle-ci consistait en un rapport sur le « maoïsme, ou le rendez-vous avec le Tiers Monde », à l'occasion d'un colloque tenu en octobre 1977 à la Maison des sciences de l'homme (Paris) sur le thème général : « Le léninisme : 1917-1977 »

Dans ce rapport, j'essayais de défendre une thèse perçue alors comme paradoxale, mais que deux ans de démaoïsation ont, je l'espère, rendue banale, à savoir que le maoïsme ne s'identifiait pas à la révolution chinoise et qu ‘il avait, en dépit des apparences, différé et même compromis le rendez-vous entre léninisme et Tiers Monde.

Summary

Summary

As analysed in this article, “Maoism” refers to the last two décades (circa 1957-1976) of Mao Tse-tung's life, that is to say to the period during which “Maoism” became as popular a term as “Leninism” or “Stalinism”. White Mao's earlier activity—e.g. in the 1920's, at a time when he made no daim to be regarded as a thinker—embodied a kind of revolutionary model (a peasant and military strategy) for the Third World, his late intellectually more ambitious and original constructions missed the historical rendez-vous between Leninism and the Third World. Indeed, Mao's originality, instead of arising from a Third World environment (where one would have expected it to lie), did rather belong to the more abstract realm of revolution : it could be called an attempt at (or rather : the temptation to) permanent revolution. Such a temptation has been costly for the Chinese revolution, and did not create any practical outlet from the blind-alleys of Leninism.

Type
La Chine Contemporaine
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1979

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References

Notes

1 Cet article est une version remaniée de ma contribution au colloque. Je remercie les participants, ainsi que Claude Aubert, Marie-Claire Bergère, Claude Cadart, Yingxiang Cheng et François Godement : leurs questions et leurs critiques m'ont incité à être plus explicite.

2 Schram, Stuart R., Mao Tse-tung, Paris, Colin, 2e éd., 1972, p. 162, n. 1.Google Scholar

3 En Chine même, la vogue du terme (de préférence sous la forme de « pensée de Mao Tsetung ») a été un peu antérieure ; en Occident il a vraiment fallu attendre la dernière décennie (1966- 1976) d'une longue existence (Mao est né en 1893) pour que «maoïsme» devienne un nom commun aussi courant que léninisme ou stalinisme.

4 Vingt-deux ans en 1979.

5 Je préfère recourir à l'affreux « tiers mondique » pour caractériser une situation objective et réserver l'emploi de « tiers mondiste » aux idéologies et aux sentiments (« tiers mondistes », par exemple, les thèses de Frantz Fanon).

6 Schram, Stuart R., « The marxist », dans Wilson, Dick éd., Mao Tse-tung in the scales of history, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 1977, p. 66. Cf. compte rendu de cet ouvrage dans ce même numéro des Annales, p. 1 129.Google Scholar

7 Johnson, Chalmers A., Peasant nationalism and communism power, the émergence of revolutionary China, 1937-1945, Stanford, Stanford Univ. Press, 1962.Google Scholar

8 Agé de quatre-vingt dix ans, Yugong (dont le nom signifie « le sot vieillard ») entreprit de déménager deux grandes montagnes qui barraient la route devant sa maison. Il y parvint grâce à l'aide des dieux. Le dieu sur lequel comptait Mao, c'était le peuple chinois, qui saurait bien aider le parti communiste à abattre les deux montagnes nommées Impérialisme et Féodalisme.

9 Au point que deux compagnons de route ont tout naturellement intitulé Comment Yugong déplaça les montagnes leur série de films à la gloire du maoïsme. J'ai rendu compte des quatre longs (trop longs) métrages de Joris Ivens et Marceline Loridan dans Esprit (juin 1976) sous le titre : « La Chine en quatre chromos ».

10 Indirectement mise en cause par la déstalinisation et la critique du culte de la personnalité (1956), l'autorité de Mao a commencé d'être ébranlée de son fait par la bévue des Cent Fleurs (1957), puis s'est effritée de façon plus décisive à partir de 1959 en raison de l'échec du Grand Bond et de l'impatience manifestée par Mao face à ses critiques.

11 Nous ne sommes pas, bien sûr, tenus de prendre au pied de la lettre une expression que Mao a pu employer pour éviter des termes et une analyse évocateurs de Djilas et de la « nouvelle classe ». Sous la plume de Mao, les mises en garde contre le danger de restauration capitaliste ne visent, le plus souvent, rien d'autre que la différenciation sociale et la consolidation du pouvoir et des avantages d'une classe privilégiée. Il n'importe : l'essentiel est qu'à ses yeux seule la relance révolutionnaire (au moyen de campagnes de mobilisation) permet de prévenir ou de combattre de tels phénomènes de « dégénérescence ».

12 Encore une fois, l'analyse, en tentant de dégager la logique du maoïsme, atténue les incohérences de l'individu et de son action.

13 Ces catégories se recoupent partiellement ; mais Mao a sans doute cherché la redondance à des fins didactiques et pour mieux souligner l'opposition ville-campagne. En revanche, il est évident qu'on aurait pu pousser plus loin l'analyse des inégalités sociales en Chine populaire.

14 Il va sans dire que Mao n'est ni le seul ni le principal responsable d'une inégalité en tout état de cause difficile à combattre et dont ses adversaires s'accommodaient mieux que lui. Mais ce qui met en cause la responsabilité personnelle de Mao, c'est le contraste entre le caractère étroitement réformiste des mesures qu'il a préconisées et les méthodes (mobilisation, orchestration, bouleversement de la routine des travaux et des jours) auxquelles il a eu recours pour les faire appliquer. Plus que par l'opposition à laquelle Mao s'est heurtée, ce contraste s'explique par la contradiction inhérente au projet maoïste que nous avons décrite plus haut : les rebondissements de la révolution qu'il déclenche n'aboutissent qu'à (et en fin de compte ne visent que) des objectifs limités parce que Mao ne peut aller jusqu'au bout de la logique de la relance (c'est peut-être cela, la tentation de la révolution permanente). En définitive, il se garde, tout comme les autres dirigeants, de remettre en cause l'essentiel… et se cantonne, dès lors, le plus souvent, dans la recherche d'aménagements périphériques.

15 J'exclus ici la crise de Tian'anmen (les manifestations et émeutes d'avril 1976), survenue quelques mois avant la mort de Mao. Elle confirme à mes yeux l'échec ultime de ce dernier : à la fin de la période maoïste, dix ans après la révolution culturelle, lorsque le peuple fait entendre sa voix, c'est pour intervenir contre la ligne inspirée par Mao (ou ceux qui parlent en son nom).

16 Et non, comme chez Staline, le despotisme pur et simple, lequel était évidemment plus conforme à la prédiction de Rosa Luxemburg relative à l'évolution du bolchevisme.

17 On objectera que ce fut un retour à Yanan plus qu'au Jiangxi. J'en conviens, mais le mécanisme de la régression psychologique demeure. Au surplus, si le Jiangxi fonda le prestige, Yanan assura le pouvoir de Mao.

18 Furet, François, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978, p. 206.Google Scholar