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Jean-Clément Martin, Les échos de la Terreur. Vérités d’un mensonge d’État, 1794-2001, Paris, Perrin, 2018, 320 p.

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Jean-Clément Martin, Les échos de la Terreur. Vérités d’un mensonge d’État, 1794-2001, Paris, Perrin, 2018, 320 p.

Published online by Cambridge University Press:  26 April 2023

Howard G. Brown*
Affiliation:
hgbrown@binghamton.edu
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Guerre et violences politiques (de l’Antiquité à l’âge des Révolutions) (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Historien prolifique de la Révolution française, en particulier de la violence qu’elle a suscitée, Jean-Clément Martin a débuté sa carrière en étudiant l’histoire et la mémoire de la guerre civile de Vendée : il fallait en effet expliquer la violence contre-révolutionnaire qui y éclata au début de 1793 et y perdura de façon intermittente jusqu’à 1800, de même que la réaction féroce des révolutionnaires à son encontre. La répression exercée, les noyades dans la Loire, les fusillades à Angers et à Nantes, les colonnes infernales du général Turreau comptent parmi les tristement célèbres atrocités de la période révolutionnaire et en sont venues à définir « la Terreur » en tant que phase de la Révolution française. Depuis un certain temps cependant, J.-C. Martin estime impropre ce concept de Terreur, qu’il qualifie de noms divers, « fiction », « mythe », « fable » ou « légende ». Dans son ouvrage antérieur La Terreur. Vérités et légendes Footnote 1, il remettait en cause les postulats relatifs aux origines et aux contours de « la Terreur ». Il y soulignait que cette notion avait été inventée pour justifier l’élimination de Maximilien Robespierre le 9 thermidor ; qu’un mois plus tard, l’un de ses anciens rivaux, Jean-Lambert Tallien, avait inventé l’expression « système de terreur » comme arme politique ; et qu’en dépit de ses contradictions et incohérences, ce stratagème s’était révélé extrêmement utile à la consolidation du pouvoir des thermidoriens. En outre, son ouvrage étudiait des éléments essentiels de la gouvernance révolutionnaire des années 1793-1794 – la mise hors de la loi des rebelles et des traîtres, l’autorisation d’emprisonnement des « suspects », la suppression de la plupart des procédures du tribunal révolutionnaire –, tout cela dans le but d’invalider l’idée même de « Terreur » sous la Révolution. Dans la parfaite continuité de ce livre, ces thèses sous-tendent Les échos de la Terreur. L’auteur y insiste sur le fait qu’« il faut résister à penser que la Terreur a bien eu une réalité politique, qu’elle fut un régime, un moment précis ou une doctrine, quand elle ne fut que cette invention audacieuse et scandaleuse de Tallien, qu’il faut continuer de détricoter » (p. 101). Là réside le « mensonge d’État » évoqué dans le titre de l’ouvrage.

J.-C. Martin estime qu’il aura réussi dans son entreprise si les lecteurs développent après l’avoir lu une réaction négative à des expressions du type « surtout en pleine Terreur », « au cœur de la Terreur » ou « la Terreur proprement dite », qu’il propose de remplacer par « la périphrase ‘la période qualifiée de Terreur’ » (p. 266-267). Toutefois, son ouvrage repose sur l’idée selon laquelle, malgré les nombreux cas ultérieurs de violence extrême, surtout au cours du long xxe siècle, l’association systématique de « la Terreur » à la Révolution française n’a cessé qu’à la suite des attentats islamistes radicaux du 11 septembre 2001. Dès lors, les mots « terreur » et « terroriste » se sont vus associés à une nouvelle forme de violence politique indépendante d’un pouvoir d’État.

D’une part, J.-C. Martin nie que le terme « Terreur » puisse être appliqué à la Révolution française ; d’autre part, et paradoxalement, il affirme que cette association automatique a duré plus de deux siècles : ces deux volets forment la structure fondamentale des Échos de la Terreur. La première partie (chap. 1-3) développe les analyses exposées dans son ouvrage antérieur en étudiant de manière plus approfondie le contexte thermidorien dans lequel Tallien invente l’idée de « système de terreur », donc les révélations (et exagérations) relatives aux multiples exemples de répression extrême de l’an II, mais aussi les raisons du succès immédiat rencontré par cette idée. Elle a peut-être essentiellement contribué à l’avènement d’une forme de modernité politique, modernité qui demeure la nôtre, fondée sur la limitation de la souveraineté, le bicamérisme, l’équilibre des pouvoirs, la liberté individuelle, la séparation de l’Église et de l’État et la liberté de religion. Selon J.-C. Martin, les événements antérieurs au 9 thermidor ne relèvent pas de « la Terreur » ; il s’agit « simplement [de] l’enchaînement continu d’affrontements entre types de gouvernement et recours à la violence, débuté dès 1788-1789 et dont le point culminant se situe en 1793 » (p. 58). Dans l’ultime phase de ce processus, la Convention, dominée par les Montagnards et cédant aux demandes populistes, adopte une politique de terreur, mais seulement le temps d’affirmer son autorité et de combler le « vide d’État » qui a facilité le développement de diverses formes d’extrême violence. Selon cette version sujette à controverse, Robespierre s’oppose à l’emploi de la terreur (même si, dans son célèbre discours, il la présente comme le parfait complément de la vertu civique) et défend la loi particulièrement meurtrière du 22 prairial dans le seul but d’éliminer des rivaux qui soutiennent la terreur. Que cette loi entraîne un nombre stupéfiant d’exécutions à Paris (plus de 1 200 en six semaines) s’explique, selon l’auteur, du moins en partie, par l’attitude des opposants de Robespierre qui augmentent le lot de victimes afin d’en imputer la seule responsabilité à celui-ci. Après sa défaite, l’association de la violence populaire et de la trajectoire générale de la Révolution se voit subsumée sous le concept de « Terreur ». Selon l’auteur, cette fusion des exemples antérieurs de violence populaire et de la violence de 1793-1794 devient une sorte de fardeau historique que les Jacobins de l’an II, de Robespierre à Jean-Baptiste Carrier, n’ont pas réussi à faire porter à une autre faction ; c’est pourquoi ils en ont, depuis lors, payé le prix.

La seconde partie (chap. 4-7) se demande pourquoi « la Terreur », malgré son absence supposée d’ancrage empirique, a occupé une place aussi importante dans l’historiographie, la littérature, la philosophie, la science politique et la culture de masse au cours des xixe et xxe siècles. J.-C. Martin, qui a passé plus de quarante ans à étudier la violence sous la Révolution française, a constitué un répertoire considérable de références qu’il utilise pour discuter d’un nombre impressionnant d’écrivains et de penseurs – les plus éminents allant de Joseph de Maistre à Jacques Derrida –, mais aussi de dramaturges du xviiie siècle, de romanciers du xixe siècle et de cinéastes du xxe siècle. La fine observation se mêle ici à la critique acerbe. Le morbide, le macabre, le monstrueux, le mélodramatique ont pu gagner du terrain grâce au concept de « Terreur » et aux distorsions qu’il a engendrées. L’esthétique émotionnelle du sublime théorisée par Edmund Burke, contestée par Immanuel Kant, qui répond de façon rationnelle et volontariste à la violence révolutionnaire, finit par refaire surface chez Jean-François Lyotard dans sa vision de l’étude de l’histoire. Après avoir analysé les réflexions de Friedrich Hegel sur la relation entre les ambiguïtés de « la Terreur » et la liberté humaine, J.-C. Martin fait une remarque dont la causticité reflète son approche inhabituelle : « Peut-être faudra-t-il féliciter Tallien pour avoir inventé un monstre tellement indéfinissable qu’il a pu devenir cet outil universel et polyvalent permettant la compréhension du devenir humain ! » (p. 191). Il se montre particulièrement féroce à l’égard des auteurs du xixe siècle qui mêlaient activités politiques et historiographiques (de libéraux tels qu’Adolphe Thiers à des socialistes comme Auguste Blanqui), à qui il reproche d’avoir propagé des mythes sur les individus et les événements, mythes qui ont peuplé les récits depuis lors. Les généalogies selon lesquelles le rationalisme des Lumières conduit à « la Terreur », ou « la Terreur » au totalitarisme du xxe siècle ne sont pas simplement fausses : la première n’a pas la moindre valeur heuristique tandis que la seconde sape tout effort de modernisation, dont relève le modèle républicain. Jean Paulhan compte parmi les rares à recevoir l’approbation de l’auteur pour avoir vu que « les Terreurs », dont celle de 1793-1794, sont des moments où les États s’appuient non pas sur la répétition d’une rhétorique convenue, mais sur la pureté de cœur et la fraîcheur de l’innocence. Dans cette seconde moitié du livre, J.-C. Martin convoque un nombre étourdissant de commentateurs au sujet de la violence de la Révolution française, dont seule une poignée se voit consacrer un paragraphe entier ou davantage. Tous ces exemples cumulés prouvent que l’héritage intellectuel et culturel de « la Terreur », telle qu’elle fut formulée en août 1794, est demeuré pendant deux siècles un objet confus autant qu’une source de confusion. Trois dictionnaires historiques publiés en 1989, au moment du bicentenaire de la Révolution, en donnaient ainsi trois explications divergentes. Néanmoins, observe J.-C. Martin, tous trois assimilaient violence populaire et violence d’État, amalgamaient les massacres et l’idéologie et confondaient la vengeance avec un système de terreur. En outre, les biais interprétatifs antérieurs s’y substituaient à l’enquête historique proprement dite. Finalement, avant que celle-ci ait pu être menée à bien, les événements du 11 Septembre eurent raison de « la Terreur » avec majuscule et imposèrent sa forme asymétrique, la « terreur » en tant qu’objet d’analyse critique chez Noam Chomsky et consorts. Ainsi pourrait-on avancer qu’au xxie siècle, ce sont des acteurs non étatiques qui ont pu, à maintes reprises, mettre la terreur « à l’ordre du jour ».

Cet ouvrage n’est pas une monographie historique mais un essai ; c’est pourquoi son auteur peut y multiplier les phrases exclamatives, les opinions personnelles tranchées, les remarques incidentes et même y exposer sa philosophie d’historien (« Je sais que l’histoire n’apprend rien, mais il faut l’écrire encore et toujours », p. 266). Toutefois, ce travail repose aussi sur deux idées fondamentales relatives à 1793-1794 que la plupart des historiens ne qualifieraient pas de « vérités » : les Français de l’époque comprenaient que le mot « terroristes » désignait des hommes « qui n’avaient jamais eu l’intention de terroriser le pays, mais bien de punir et d’éliminer leurs adversaires » (p. 9) ; « la réalité indéniable des violences liées à la Révolution ne gagne rien à être désignée par un terme aussi vague, ‘la Terreur’ » (p. 16). Il est vrai que les thermidoriens ont exagéré le caractère systématique du régime de l’an II, sa diffusion à travers le territoire français, de même que l’ampleur et le nombre des atrocités commises au nom de la République. Ils ont utilisé, à des fins polémiques, des révélations spectaculaires obtenues durant des procès ou des Mémoires de prison à sensation pour construire a posteriori un traumatisme nationalFootnote 2. Néanmoins, le nombre considérable de dévoiements de la justice et d’abus de pouvoir arbitraires, les dizaines de milliers d’exécutions sommaires, les fréquentes invocations de la nécessité de la « terreur », que ce soit chez Robespierre lui-même, chez les agents du gouvernement central ou chez les relais des Jacobins dans les petites villes, sont des éléments suffisants pour considérer que la période allant de juillet 1793 à juillet 1794 constitue une phase distincte de la Révolution. Certes, sa désignation sous le nom de « Terreur » a donné lieu, depuis le mois d’août 1794, à toutes sortes de mésusages anachroniques, de méprises, de méfaits politiques ; mais, pour les historiens, elle a aussi démontré son utilité heuristique. Au xxie siècle, l’utilisation du mot « terreur » n’évoquera que rarement le souvenir de la Révolution française ; lorsque ce sera le cas, l’ouvrage de J.-C. Martin permettra de limiter les erreurs historiques et d’accroître la clarté conceptuelle.

References

1 Jean-Clément Martin, La Terreur. Vérités et légendes, Paris, Perrin, 2017.

2 Howard G. Brown, « The Thermidorians’ Terror », in Mass Violence and the Self: From the French Wars of Religion to the Paris Commune, Ithaca, Cornell University Press, 2019, p. 113-160.