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La maison japonaise : Standardisation de l'espace habité et harmonie sociale

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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Nous avons tous, Occidentaux, une image globale de la maison tissée de souvenirs et d'appréciations diverses (dimensionnelle, architecturale, du confort) mais toujours fortement personnalisée : portion de l'espace aménagée au goût de chacun et où il se soustrait aux contraintes du groupe, cadre élu de ce que l'Occident considère comme l'aspect le plus remarquable de son héritage : l'individualisme. Illusion sans doute mais tenace et, comme telle, guide de comportements. Au cas de la société japonaise, où l'individu ne se définit qu'en fonction des coordonnées d'une topologie sociale aux directions impératives, intégré qu'il est depuis toujours à la collectivité nationale par les « propriétés » mêmes de celle-ci (dont les codifications d'origine politique ne sont que les manifestations), la maison individuelle ne saurait échapper, pas plus que toute autre portion de l'espace informé, à l'intégration parallèle des aires d'existence qui, hiérarchisées et compréhensives, encadrent l'homme géographiquement.

Summary

Summary

The traditional Japanese house is a completely standardized wood structure: height and spaces, divisions and floor mats. This situation dates back to the very origins of this type of habitation which is, in part, of Chinese origin; but it was also perpetuated and propagated by the feudal authorities, independently of whether or not it offered economic or ecological advantages, because it constituted a simple and efficient means of harmonizing a certain type of existence from one end of the archipelago to the other. The noticeable absence of urbanism in Japanese cities, the lack of concern with the “exterior” is but the other side of this (more or less conscious) policy which—from the end of the Middle Ages up until the last century—concentrated the entire effort of spacial structuring on the “living space” of each family. In this way, in traditional Japanese society, the house constituted the only truly structuring space and was a permanent reminder for each, of the religious, esthetic, moral and technical values which were the condition of the harmonious functioning of the body social.

Type
Pratiques et Cultures
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1977

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References

Notes

1. Décrites dans diverses études auxquelles nous nous permettons de renvoyer : J. Pezeumassabuau, «La maison traditionnelle au Japon», Cahiers d'outre-mer, t. XIX, 1966; La Maison japonaise et la neige, P.U.F., 1966 ; La Maison japonaise (thèse de doctorat à paraître aux Publications orientalistes de France en 1978). Le meilleur ouvrage en anglais est : Engel, The Japanese house, Tokyo, Tuttle, 1964. L'énorme bibliographie japonaise sur ce sujet se trouve reprise dans la synthèse la plus récente : S. Sugimoto, Nihon minka no kenkyù (Étude de la maison japonaise traditionnelle), Kyoto, Minerva Shobô, 1969.

2. L'ouvrage classique est ici : M. Fujita, Nihon minka shi (Histoire de la maison japonaise), Tokyo, Tôkô Shoin, 1943. Citons encore les passionnantes études de W. Kon, par ex. Minzoku to kenchiku (Éthologie et architecture), Tokyo, Isobe Kyôdô, 1927, et « Jûkyo no hensen » (Les variations de l'habitation), dans Nihon Minzokugaku Taikei (Encyclopédie ethnographique japonaise), Tokyo, 1958. Cf. aussi T. Itô, Chùsei jùkyo shi (Histoire de l'habitation médiévale), Tokyo, 1958. Cet ouvrage a été une de nos références de base et fait état lui-même d'une bibliographie considérable. En anglais : Paine, R. et Soper, A., The Art and architecture of Japan, Londres, Penguin Books, 1955 Google Scholar ; Taut, B., Houses and people of Japan, Tokyo, Sanseidô, 1937 Google Scholar ; K. Tange et N. Kawazoe, Ise, prototype of Japanese architecture, Tokyo, 1964.

3. En outre, même en ce cas, si leur longueur et leur largeur ne sont pas exactement dans le rapport 1 : 2, ils ne peuvent être disposés que selon la trame rectangulaire la plus simple (fig. 2B) et à cette condition seulement seront réellement interchangeables avec n'importe quel autre tatami de la même maison, de la même ville, de la même province, quel que soit l'emplacement de celuici dans la maison.

4. G. Shinkai, Toshi kiso jùtaku no chihosei ni kansuru kenkyù (Étude des caractères régionaux des habitations urbaines en bois), Tokyo, 1957. La grande dimension du tatami « kyôma » lui confère, pour des pièces d'appellation identique, un gain de place appréciable, allant jusqu'à 17,5 % pour celles de 4,5 tatami.

5. Id. G. Shinkai a repris ces cartes dans le no jumyô (La durée de la maison), Tokyo, Shôkokusha, 1958.

6. Cf. T. Itô, ouvr. cité note 2 et Engel, ouvr. cité note 1.

7. Bien que ce terme n'apparaisse qu'en 1608, il exista toujours un tel système au Japon, fondé successivement sur le côté du pilier, puis, à partir du XVIe siècle, sur l'intervalle des piliers, lui-même calculé en fonction de leur côté ; enfin cet intervalle seul, fixé désormais à 6,5 shaku et appelé « ken », devint la base de la construction bourgeoise lorsque celle-ci adopta les procédés de la construction aristocratique. C'en était là toutefois une altération car la résidence noble et les temples continuèrent d'utiliser un intervalle qui, fondé sur le côté du pilier, pouvait varier avec celui-ci.

8. Cf. Engel, ouvr. cité et I. Isogai, « Les charpentiers » dans Nihon Minzokugaku Taikei cité note 2, t. V.

9. Sur ceux-ci, cf. F. Guillain, « Châteaux forts japonais », Bulletin de la maison francojaponaise, XIII-1, 1942.

10. Cf. T. Itô, ouvr. cité et Isogai, art. cité note 8.

11. Cf. Guillain, ouvr. cité et Tanabe, Y., Nihon kenchiku no seikaku (Les caractères de l'architecture japonaise), Tokyo, Sagami Shobô, 1960 Google Scholar.

12. Cf. Harazawa, T., Nihon kenchiku keizai shi (Histoire économique de l'architecture japonaise), Tokyo, Tomiyama, 1942 Google Scholar.

13. De nombreuses et brillantes études ont été effectuées par les Japonais sur leurs villes féodales (« jôkamachi » : ville sous le château) ; citons parmi d'autres : Harada, T., Nihon hoken toshi kenkyù (Étude des villes féodales japonaises), Tokyo, Gaigaku Shuppankai, 1957 Google Scholar ; Fujioka, K., Toshi to kôtsûro no rekishi chirigakuteki kenkyù (Étude géographique de l'histoire des villes et des voies de communication), Tokyo, Daimeidô, 1960 Google Scholar ; Itô, T., Shiro to sono machi (Les châteaux forts et leurs villes), Tokyo, Tankô Shinsha, 1963 Google Scholar ; Fujioka, M., Shiro to jôkamachi (Châteaux forts et villes féodales), Tokyo, Sôgensha, 1952 Google Scholar ; T. Toyada, Nippon no hoken toshi (Les villes féodales du Japon), Tokyo, 1959.

14. Pour tout ce qui concerne les lois somptuaires de l'époque féodale japonaise, la référence de base en anglais est l'article de Shively, D. H., « Sumptuary régulations and statuts in early Tokugawa Japan », Harvard Journal of Âsiatic Studies, vol. 25, 1964-1965Google Scholar. En japonais: K. Higo, « Kinsei no kenyakurei to sono shisô » (Les réglementations somptuaires des Temps modernes et leur esprit), dans Kinsei shisô shi kenkyù (Études historiques sur la pensée aux Temps modernes), Tokyo, 1943 ; I. Ishida, « Chônin no jinseikan » (Attitudes des artisans et commerçants devant la vie), dans Risô (l'Idéal), 336, 1961. Sur ces lois proprement dites: « Tokugawa kinreikô » (Les interdits de l'époque Tokugawa), R. Ishh édit., 11 vol., 1959.

15. Chastel, A., Art et humanisme à Florence, Paris, P.U.F., 1959.Google Scholar

16. Shively, art. cité note 14.

17. On pourra consulter Chu Tung-Tsu, Law and society in traditional China, Paris, 1961 (cité par Shively).

18. P. Demiéville, compte rendu du « Ying Tsao Fa Che », Bull. éc. fse Extr-Or., 1925.

19. Chu Tung-Tsu, ouvr. cité.

20. Gernet, J., La Vie quotidienne en Chine à la veille de l'invasion mongole, Paris, Hachette, 1959 Google Scholar.

21. Pour saisir l'évolution générale des esprits et avoir une vue synthétique des théories socioéconomiques suscitées par le régime féodal des Tokugawa, cf. surtout: Tsunoda, R., De Barry, Th. et Keene, D., Sources of Japanese tradition, New York, Columbia University Press, 1958 Google Scholar.

22. Ces règlements intéressèrent d'abord uniquement le château lui-même et les résidences guerrières qui l'entouraient ; autour de la zone à protéger, on créa des aires pare-feu annulaires en détruisant les habitations et, en 1704, des corps de sapeurs-pompiers furent établis en dix endroits différents à l'entour. Ultérieurement, d'autres furent affectés à la protection des habitants (47 en tout).

23. Sur ce problème, cf. notre étude : « La maison japonaise et la neige », Bull, mon fco-jap., Paris, P.U.F., 1966. Nous y avons exploité les travaux de divers spécialistes dont G. Shinkai.

24. Itô, T., Minka wa ikite iru (La maison traditionnelle vit encore), Tokyo, Bijutsu Shuppansha, 1963 Google Scholar.

25. Pour cela, il fallait limiter au maximum les relations des ruraux avec le monde des villes. Certaines lois interdisaient aux marchands de pénétrer dans les villages et précisaient la liste des objets qu'ils ne pouvaient y vendre ; les livres y tenaient une place notable. Pour éviter par ailleurs que les ruraux ne se livrassent à des dépenses excessives, diverses réglementations leur spécifièrent ces interdictions d'achats : tissus de coton blanchi (domaine de Sendai en 1684), ciseaux et couteaux, instruments de musique, arcs et flèches ainsi que tous les ustensiles laqués.

26. Alors que la longueur des poutres ne doit nulle part excéder 2 ken (environ 3,60 m), les bushi dont le revenu excède 10 000 « koku » de riz peuvent en utiliser de 3 ken pour leur salle de réception.

27. M. Fujita, ouvr. cité ; Shively, art. cité. Ce passage put se faire en partie par l'intermédiaire des marchands accrédités auprès du daimyô qui jouissaient dans la ville féodale de bien des privilèges des guerriers, au point que leurs résidences se trouvaient parfois dans l'enceinte réservée à ces derniers.

28. Le romancier Ihara Saikaku (1642-1693) a immortalisé cette existence de la bourgeoisie urbaine d'Osaka dans plusieurs romans ; par exemple, Nihon Eitaigura (Le magasin éternel du Japon), 1688, où il montre la grandeur et la décadence, également soudaines, de ces marchands.

29. On en prend sans doute une vue assez exacte en visitant de nos jours, dans l'ancien quartier de plaisir de Shimabara à Kyôto, la maison de rendez-vous « Sumiya ». M. Fujioka dans Sumiya (Tokyo, Sôkokusha, 1957) l'a étudiée en détail.

30. Voici en quels termes, Ihara Saikaku décrit certaines épouses de marchands enrichis : « De nos jours, ces dames sont devenues extravagantes. Bien que largement pourvues de vêtements, elles gaspillent cependant leur précieux argent à des choses qui demeurent cachées… Elles portent une ceinture de brocart, un tissu d'or fort rare et importé de lointaines régions. Elle mesure douze “shaku” (3,70 m) de sorte qu'elles portent, pour ainsi dire, deux pièces d'argent sur le ventre, tandis qu'elles portent sur la tête l'équivalent de deux ou trois bonnes balles de riz… Ce sont là des somptuosités inconnues même des épouses des seigneurs féodaux » (dans Seken mune san yo, 1692).

31. Voir plus haut, note 13.

32. Voir plus haut, note 27.

33. Il existe une immense bibliographie en japonais et quelques bonnes monographies en anglais sur la structure sociale traditionnelle des campagnes de l'archipel. Parmi les secondes, citons : Beardsley, , Hall, et Ward, , Village Japan, Chicago-Londres, The Univ. of Chicago Press, 1959 Google Scholar ; Cornell, J.-B. et Smith, R. J., Two Japanese villages, Univ. of Michigan Press, 1955 Google Scholar. La première étude — demeurée classique — sur ce thème en langue occidentale étant : Embree, J. F., Suye Mura, a Japanese village, The Univ. of Chicago Press, 1939 Google Scholar. Un bon exposé d'ensemble en français est : Ushiomi, T., « La communauté rurale au Japon », Bull, mon fco-jap., VII, 2-3, P.U.F., 1962 Google Scholar.

34. Cf. T. Itô, ouvr. cité note 24.

35. Le rôle des interdits de direction est ici apparent ; sur ce sujet, cf. par exemple : Toda, K., Kasô shinhô (Nouvelle méthode d'orientation de la maison), Tokyo, Taibunkan, 1933 Google Scholar.

36. Sur cette situation des « nago » et des « kadoya », cf. T. Itô, ouvr. Cité note 24.

37. Sur les réglementations plus spécialement destinées aux ruraux, Shively cite comme référence K. Kodama, Kinsei nómin no seikatsu shi (Histoire de la vie quotidienne des ruraux aux Temps modernes), Tokyo, 1951. Le Tokugawa Kinreikô (cité note 14) en contient plusieurs. Rappelons que le riz ne pouvait être consommé de façon courante par les ruraux et, en bien des districts avant Meiji, ne l'était guère que lors des grandes fêtes. Le châtiment variait selon l'importance attribuée au manquement : pour user d'un peigne en écaille de tortue, il était de trente jours de détention ; pour le port de vêtements teints au « kamigata » (pochoir), de cinquante jours ; les amendes étaient nombreuses malgré la pauvreté des paysans (Shively, art. cité). Nous n'avons pas retrouvé d'exemple précis des châtiments applicables aux dépassements des normes architecturales ; outre la détention et les amendes, il semble (ITÔ, ouvr. cité) qu'ait figuré parmi eux l'obligation de détruire l'élément jugé contraire aux normes prévues.

38. Cf. Itô, ouvr. cité note 24.

39. Cf. note 37.

40. Tel celui qui entraîna en 1705 la confiscation de tous les biens de la famille Yodoya d'Osaka, cité dans Shively, art. cité.

41. Étaient chargés de les faire respecter : dans les villes, les fonctionnaires de la police ; dans les territoires relevant directement du shôgun, les fonctionnaires locaux (« daikan ») ; dans les provinces, les représentants du daimô. Les inspecteurs itinérants passaient fréquemment dans les villages. Les temples des diverses religions étaient tenus de les observer sur leurs domaines. L'élévation de richesse de la bourgeoisie et du niveau de vie général rendit les infractions de plus en plus nombreuses tout au long de l'époque Tokugawa.

42. G. Shinkai dans le no jumyo (cf. note 5) a tenté l'évaluation précise de la vitesse de vieillissement de la maison japonaise en bois. Nous avons repris et amplifié ses considérations dans notre thèse sur La Maison japonaise (cf. note 1). La fragilité de cette construction paraît surprenante pour un Occidental étant donné son haut degré d'élaboration : vingt ans après leur édification, le tiers des habitations requiert des réparations à la toiture et près de la moitié à la sablière inférieure ; au-delà de cinquante ans, le prix global des réparations effectuées jusque-là égale le prix à la construction. En réalité, la standardisation des matériaux de construction permet ce renouvellement de la maison et, ipso facto, celui du cadre de vie raffiné qu'elle constitue à — relativement — peu de frais. Ce n'est que l'aspect le plus remarquable et l'exemple le plus net de la pratique assidue du passé et de son intégration permanente au présent qui caractérise la civilisation japonaise.

43. Sur ces régions, cf. notre étude : « Les régions du Japon. Aspects géographiques et historiques », Comité des travaux histor. et scient., Biblioth. nat., 1967 et, en anglais, les manuels classiques (Trewartha, Dempster) de géographie du Japon.

44. La seule exception notable est l'élevage des vers à soie qui, de Meiji au début de Shôwa, a radicalement modifié les formes de la maison rurale ; phénomène limité dans le temps (1870-1930 environ) et dans l'espace (préfectures de Gunma, Yamanashi et Nagano surtout). Cf. notre thèse (note 1) et les études de W. Kon, citées note 2.

45. Sur ces violences et leur impact sur la maison, cf. notre thèse et, sur le cas précis de l'enneigement, notre étude sur «La maison japonaise et la neige » (citées note 1).

46. Codifiée depuis toujours en raison de l'inhérence à la société japonaise du modèle « vertical » des relations individuelles, la stratification socio-professionnelle a connu l'apogée de sa rigueur sous les Tokugawa. Elle s'inscrivait elle-même dans une hiérarchisation complète de la réalité nationale : espace rural et urbain, formes de l'habitation, vêtement, nourriture, profession, législation, etc. Chaque minute et chaque centimètre carré de l'existence quotidienne de la totalité des individus se trouvaient inscrits dans un réseau d'obligations rigoureuses faisant de chacun, à la limite, le produit abstrait d'une équation spatio-temporelle.

47. C'est sans doute par la fonction de réception des hôtes que la maison japonaise transmet son message de la façon la plus pressante. Nous la décrivons longuement dans notre thèse.

48. Que L. Mumford caractérise précisément par la construction en bois. La beauté formelle de la maison japonaise traditionnelle et sa rigueur apparente en ont fait un objet d'étude pour les théoriciens du Bauhaus, et les grands architectes du premier demi-siècle (Mies van der Rohe, Gropius, Le Corbusier,…) en ont transmis l'enseignement à leurs élèves japonais (Sakakura, Yoshizaka, Tange notamment) qui ont appliqué, depuis 1930 environ, ses canons à maints édifices publics de leur pays ; seuls les matériaux ont changé.