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La maîtrise de l’eau dans les régions centrales du Proche-Orient

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Jean-Marie Durand*
Affiliation:
Collège de France

Résumé

L’étude porte avant tout sur la vallée du Moyen-Euphrate au début du IIe millénaire avant notre ère, et se fonde sur la vaste documentation épistolaire et administrative retrouvée dans le palais royal de l’antique Mari (Tell Hariri): environ 20 000 tablettes cunéiformes (dialecte sémitique dit «vieux-babylonien»). À cette date, par tout le Proche-Orient, vient de s’installer la dernière vague de ceux que l’on appelait alors les «Occidentaux», c’est-à-dire les «Amorrites», venus du Pays de la Mer (Amurrum, l’ouest de la Syrie). Il s’agit de gens qui cessent pour une part de nomadiser, pour une autre continuent à parcourir des routes qui traversent le Proche-Orient et sont présentées comme immémoriales. La région de Mari est steppique. Sans irrigation dérivée de l’Euphrate, une sédentarisation n’est guère possible. La documentation est là cependant pour montrer la précarité et les limitations du système mis en place. Il est sain de constater, dans ce Proche-Orient ressenti souvent de façon trop monolithique, la diversité des terroirs et des traditions: face aux grandes monarchies hydrauliques de l’Est (Sud-Irak), les nomades mettent localement et petit à petit en place des structures qui furent ensuite considérablement agrandies et systématisées quand ces régions furent englobées dans de grands ensembles territoriaux (néo-assyriens puis islamiques).

The study focuses chiefly on the Middle-Euphrates valley in the beginning of the Second Millennium B.C. and relies on the vast epistolary and administrative documentation found in the royal palace of ancient Mari (Tell Hariri), consisting in roughly 20,000 cuneiform tablets (in Semitic dialect known as “Old Babylonian”). This is the time that the last wave of the peoples then called the “Westerners”, i.e. the “Amorites” who came from the Country of the Sea (Amurrum, Western Syria), settled throughout the Near East. They were people who, on the one hand ceased nomadizing, and on the other continued to travel on the roads that are said to have crossed the Near East since time immemorial. The Mari region is a steppe. Without irrigation drawn form the Euphrates, sedentarization is hardly possible. Nevertheless, the documentation available reveals the precariousness and the limitations of the system they established. It is worth noting, in this Near East often perceived too monolithically, the diversity of soils and of traditions: next to the great hydraulic monarchies of the East (Southern Iraq), the nomads set up locally, little by little, structures that were afterwards considerably enlarged and systematized, when these regions were incorporated into large territorial ensembles (neo-Assyrian and then Islamic).

Type
Politique et contrôle de l’eau dans le Moyen-Orient ancien
Copyright
Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2002 

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References

1 - Les observations modernes dues au Commandant Müller, V., En Syrie avec les Bédouins, Paris, E. Leroux, 1931 Google Scholar, se recoupent totalement avec un document de Mari; cf. Durand, Jean-Marie, Documents épistolaires du palais de Mari, Paris, Le Cerf, «Littératures anciennes du Proche-Orient-17» [LAPO 17], pp. 590591 Google Scholar.

2 - C’est même à son propos qu’est employé pour la première fois dans nos sources le terme sémitique pour «désert», non pour une région steppique entre deux cours d’eau.

3 - Voir, en dernier lieu, à propos de la réalité représentée par la ville ronde («Kranzhü gel »), Lyonnet, Bertille, «Le peuplement de la Djéziré occidentale au début d 3e millénaire, villes circulaires et pastoralisme, questions et hypothèses», Subartu, IV/1 1998, pp. 179193 Google Scholar.

4 - Voir, pour ces questions, Durand, Jean-Marie, «Les mines de sel syriennes au IIe millénaire», MARI, Annales de recherches interdisciplinaires, 5, 1987, pp. 199205 Google Scholar.

5 - Le texte n’a généralement pas été compris: «I did away with the drawing of water in my land », comme le traduit encore Frayne, Douglas R., Old Babylonian Period (2003-1595 BC), Toronto, University of Toronto Press, «Royal Inscriptions of Mesopotamia Early Period-4 », 1990, p. 603 CrossRefGoogle Scholar. Le verbe a été mal identifié; il s’agit non pas du verbe «détruire » [hulluqum], mais du verbe «suspendre » [‘ulluqum]. Le roi énumère les deux sortes d’accès à l’eau rendus possibles par la situation de Mari: l’approvisionnement au fleuve et l’accès à la nappe phréatique. «Détruire les installations de puisage » serait revenir à ne plus faire de culture sur les hautes terrasses, et le recours au puisage est encore bien documenté par l’agriculture mariote.

6 - Le terme est sawûm, qui a été traduit «Unland » par le dictionnaire de W. Von Soden (Akkadisches Handwörterbuch [AHW]) et «Wasteland » par celui de Chicago (The Assyrian Dictionary [CAD]). En fait, le mot doit être mis en rapport avec des termes hébreu et arabe qui dénotent simplement l’absence de relief, non comme l’avait fait le premier éditeur au terme qui signifie «brûler», ce qui donne une étymologie inexacte. Cette précision est importante car la structure de canal caractéristique de l’alvéole de Mari est celle du râkibum, au propre le «chevaucheur », c’est-à-dire le «canal en surplomb » qui alimente les terres en contrebas par gravitation. Il faudrait donc supposer que tels étaient les travaux d’irrigation accomplis au IIIe millénaire et que rien n’avait été alors fait sur la rive droite de l’Euphrate entre Dêr ez-Zor et Terqa.

7 - La traduction n’est pas sûre. Le terme employé est un hapax. On pourrait simplement traduire: «où le besoin s’en faisait sentir ».

8 - Littéralement: «Je l’ai appelée Forteresse de Yahdun-Lîm ».

9 - Disque de Yahdun-Lîm. Ce texte a été plusieurs fois traduit, chaque travail reprenant le précédant sans essayer réellement de résoudre ses très nombreuses difficultés textuelles. La principale traduction est celle de Kupper, Jean-Robert, Inscriptions royales sumériennes et akkadiennes, Paris, Le Cerf, LAPO 2, 1971, pp. 244245 Google Scholar.

10 - Dans la Genèse, seul cet aspect de creusement est documenté pour l’époque des Patriarches qui se vantent d’être des spécialistes plus habiles que les citadins pour forer des puits.

11 - Là encore, le modèle pourrait être babylonien, la technique de doter les villes de murailles et de fossés étant particulièrement bien attestée là où Yahdun-Lîm est allé emprunter sa réforme culturelle.

12 - Le terme géographique signifie le «Côté du Difficile », le «Difficile » étant manifestement la dénomination du Taurus qui surplombe la Djéziré de façon abrupte et massive, restant longtemps encore enneigé alors que le printemps est déjà fini dans la plaine.

13 - On remarque cependant que le terme de la pénétration, soit la ville de Hurrâ, à la limite du Taurus, est bien précisé au roi de Mari.

14 - D’hont, Olivier, Vie quotidienne des ‘Age¯da¯t, Damas, Institut français de Damas, 1994, p. 83 Google Scholar.

15 - Cf. P. Jaussen, Antonin Joseph, Coutumes des Arabes au pays de Moab, Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient/Adrien Maisonneuve, [1908] 1948, p. 69 Google Scholar, ainsi que pp. 117-119, pour les pâtures.

15 - On verra dans l’ouvrage déjà cité de A. J. Jaussen ses considérations sur le pacte bédouin dit ben ‘ameh (cf. Index, p. 440, s. v.).

17 - Tyan, Émile, Le califat, Paris, Recueil Sirey, 1954, p. 40 Google Scholar.

18 - On se trouve là devant une situation typique de l’époque amorrite (XVIIIe siècle avant J.-C.). Le terme culturel auquel il est fait recourt par les textes pour décrire leur société et ses actions est la plupart du temps un terme neuf qui détonne dans un texte écrit en akkadien classique; il a assez souvent un écho direct, par le biais de l’étymologie, en hébreu (réalité linguistique du IVe siècle avant J.-C.) sans que, la plupart du temps, aucune pratique analogue n’y soit attachée, alors que la comparaison est immédiate avec des coutumes préislamiques (des VIe-VIIe siècles après J.-C.) qui sont néanmoins désignées par des outils lexicaux tout autres.

19 - Les efforts ont ainsi porté sur le terme purussatum, alors hapax, où S.R. Driver retrouvait l’équivalent du mipras hébraïque et traduisait par «crique » ou «baie », tandis que W. von Soden y voyait des burussum, «Wasserdurchlass-Verslüsse », pour l’alimentation en eau des ovins. Le terme est maintenant devenu un «enclos ».

20 - Apparemment du désert de Palmyre et non de l’Euphrate, comme semblerait l’indiquer le verbe «traverser ».

21 - Voir, pour la Palestine, A. J. Jaussen, Coutumes des Arabes..., op. cit.

22 - CAD M/2, p. 157: «Barrage, weir ».

23 - AHW, p. 665: «ein Zubringerkanal ».

24 - L’akkadien recourt très volontiers à ces systèmes de dénomination de réalités concrètes par le moyen d’un vocabulaire métonymique très imagé. Les parties du char étaient ainsi désignées à partir de l’assimilation de ce dernier à un animal fougueux, etc.

25 - Bertille Lyonnet m’a ainsi décrit des modèles modernes analogues sur la Kokcha, affluent de l’Amou-Darya, en Bactriane.

26 - C’est la traduction standard de l’équipe de Mari qui a édité les premiers textes où se trouvait le terme.

27 - AHW, p. 1036, l’a fort malencontreusement rendu par «Schleussen- u. Dammauer»; le CAD, p. 214a, n’est pas plus heureux en comprenant «Canal worker, dikeworker ». En dernier lieu, le Concise Dictionary of Akkadian (CDA), 1999, p. 320, maintient un «canal-worker in charge of maintenance of dykes, dams, etc. ».

28 - Reculeau, Herve, Paysages agricoles du Moyen-Euphrate, thèse en coursGoogle Scholar.