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L'art de guérir. Médecine savante et médecine populaire dans la France de 1790

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Jean-Pierre Goubert*
Affiliation:
Centre de recherches historiques, E.H.E.S.S.

Extract

A la fin du XVIIIe siècle, l'efficacité de la médecine — préventive ou bien thérapeutique — n'est pas, autant qu'aujourd'hui, une réalité positive ; elle constitue un souhait, même si elle commence à s'inscrire dans les faits. Le recours au médecin, au chirurgien — ce « médecin du peuple » — ou bien à la sage-femme, reste alors l'apanage d'une minorité qui s'affirme éclairée ; et cela en dépit des efforts conjoints de l'élite médicale et du pouvoir royal pour former des sages-femmes ou bien pour soigner les pauvres lors des « maladies épidémiques ». Quant à la majeure partie de la population française, elle pratique l'automédication, bien entendu ; elle consulte aussi le meige, le rebouteux, la matrone ; elle écoute le charlatan de passage ; elle suit la cure ordonnée par le sorcierguérisseur du village.

Summary

Summary

On the basis of answers given in two administrative surveys, one conducted by the Contrôle général in 1786, the other, under the auspices of the Comité de salubrité, an analysis is performed of the language used by the "enlightened" medical corps of this period in speaking of so-called popular medicine. The homogeneity of this language is striking and independent of geographic origin or social position of the speaker. The aggressive and vengeful qualities of this "language" tend to obscur the originality of a popular "wisdom" concerning the body; a wisdom which scorns the rational principles dear to the hearts of the Enlightenment society. This defiance only confirms the superiority of professional competence and a learned culture.

Finally, the silences and contradictions peculiar to doctors and surgeons are brought out : the passive, perhaps even resigned, attitude of the majority contrasts with the repressive attitude of a small minority, preoccupied with monopolizing the huge field of health by dint of rules and regulations.

Type
Les Médecins et les Soignants
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1977

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References

Notes

1. Selon Monthyon, le problème reste alors posé «[…] de savoir si la médecine détruit plus d'hommes qu'elle n'en sauve »; d'après Pierre Goubert, dans Histoire économique et sociale de la France, Paris, t. II, 1970, p. 65.

2. A. D. Aisne, C 19; Soissons, 1er octobre 1786, rapport de l'intendant au contrôleur général sur les médecins et sur les chirurgiens de sa généralité.

3. Foucault, Michel, Naissance de la clinique, Paris, 1963, p. 44 Google Scholar; cf. les articles de J.-P. Peter parus dans les Annales E.S.C., 1967 et dans la Revue historique, 1971.

4. Sur l'enquête de 1786, cf. J.-P. Goubert et F. Lebrun, « Médecins et chirurgiens dans la société française du XVIIIe, siècle », Annales cisalpines d'histoire sociale, n° 4, 1973, pp. 119-136. Pour une approche à l'échelle régionale, Lebrun, cf. F., Les Hommes et la mort en Anjou […], Paris-La Haye, Mouton, 1971, pp. 199 ss.Google Scholar; cf. aussi Goubert, J.-P., Malades et médecins en Bretagne […], Paris, 1974, pp. 78 ss.Google Scholar Une autre série de documents sur les « remèdes secrets » (le fonds de la Société royale de médecine) a été analysée par J.-P. Peter et M. Ramsey (à paraître).

5. Il s'agit de l'enquête lancée par le comité de Salubrité; enquête à base déclarative adressée, sous la forme d'une circulaire datée du 24 novembre 1790, aux lieutenants du Premier chirurgien du roi; cette circulaire comporte 14 questions relatives à « l'exercice de la chirurgie dans le royaume »; deux questions concernent directement les représentants de la médecine « populaire » : cf. le texte significatif de ces deux questions dans le document annexe. Sur cette enquête du comité de Salubrité, cf. H. Ingrand, Le Comité de Salubrité de l'assemblée nationale constituante (1790-1791), thèse de médecine, Paris, 1934; cf. aussi M.-J. Imbault-Huart, « Sources de l'histoire de la médecine aux Archives nationales de 1750 à 1822 », dans Revue d'histoire des sciences, t. XXV, n° 1, janvier-mars 1972, pp. 51-52. J'utilise ici, outre les cartons F'5 226 à 228 (2) (étudiés par Henri Ingrand) et le carton F17 2276 des Archives nationales. D'autres réponses à cette même enquête (non analysées dans cet article) figurent dans la série L des Archives départementales.

6. A. N., F7 2276, pièce 334b. Le ressort du lieutenant du Premier chirurgien du roi établi à Saint-Sever correspondait, comme c'était alors la règle, au bailliage royal du même nom; cela avant la « départementalisation » du royaume.

7. A. N., F17 2276, pièce 336, Luxeuil, 15 janvier 1791.

8. A. N., F17 2276, pièce 269b, Josselin, 22 janvier 1791.

9. Cf., par contraste, la thèse sur la nature de la médecine «populaire», défendue par Boltanski, L., dans La Découverte de la maladie, t. I, Paris, 1968, pp. 23 ss.Google Scholar

10. Peter, Cf. J.-P., « Les mots et les objets de la maladie […] », dans Revue historique, n° 499, juil.-sept. 1971, p. 38 Google Scholar.

11. Souria, Cf. J.-Ch., Mythologie de la médecine moderne, Paris, 1969, p. VII Google Scholar, « Autant que les paysans, les ingénieurs en électronique et les polytechniciens fréquentent charlatans et rebouteux, penduleurs, scrutateurs d'iris, peseurs de cheveux… »

12. Sur la densité médicale dans la France de 1780-1790, Lebrun, cf. F., Les Hommes et la mort en Anjou […], Paris-La Haye, Mouton, 1971, pp. 199 ss.Google Scholar; cf. J.-P. Goubert, Malades et médecins en Bretagne […], pp. 78-119; cf. aussi J.-P. Goubert et F. Lebrun, «Médecins et chirurgiens dans la société française du xvme siècle », art. cité. Pour le XIXe siècle, il convient de se reporter aux Médecins de l'ouest […] de Jacques Léonard (cité n. 42) et à l'article de Jean Waquet sur la loi de ventôse an XI (à paraître). Pour la période 1780-1790, cf. J.-P. Goubert, « The extent of médical practice in France about 1780 », article à paraître dans un numéro spécial du Journal of social history, consacré à l'histoire sociale de la médecine.

13. A. N., D XXXVIII, séance du conseil de Santé du 15 ventôse an III. Cf. dans le même sens, la Déclaration royale du 25 avril 1777 qui créé à Paris le Collège royal de pharmacie.

14. A. N., F17 2276, pièce 288, Lyons-la-Forêt, s.d., décembre 1790.

15. A. N., F17 2276, pièce 349, Tonnerre, 23 janvier 1791. Sur les mireurs d'urine, cf. C. Guyotjeannin, Contribution à l'histoire de l'analyse des urines, thèse de pharmacie (Strasbourg), Créteil, 1951.

16. A. N., F17 2276, pièce 307, Domfront, 5 janvier 1791. « Juger l'eau à la vue » : le consulteur mire les urines; il élève de sa main le récipient contenant l'urine jusqu'à la hauteur de son regard. « Donner des remèdes à l'arrière des malades » : je propose de prendre l'expression dans son sens concret! Il s'agirait donc d'un traitement à l'aide, par exemple, de lavements.

17. A. D. Indre-et-Loire, C 354, Le Mans, 1786.

18. Ibid., id.

19. Ibid., C 354, subdélégation de Beaumont-la-Vicomté, 1786.

20. A. N., F15 2282, pièce 3, Montdidier, 30 novembre 1790.

21. Ibid., id., pièce 7, Bray-sur-Seine, 2 décembre 1790.

22. A. N., F17 2276, pièce 347a, Nevers, 11 février 1791, rapport du chirurgien des épidémies Bonnet.

23. A. N., F'7 2276, pièce 342, Tartas, 20 janvier 1791. Même opinion, même «discours », même confusion entre charlatans, empiriques et gens à secret dans le Dictionnaire de Trévoux : article «empirique», t. II, colonne 1693, Paris, 1743 et ibid. article «charlatan », t. I, colonne 1995; cf. également, dans le même sens, l'article «charlatan » (rédigé par le Chevalier de Jaucourt) dans Y Encyclopédie, t. III, pp. 208-210, Paris, 1753.

24. A. N., F17 2276, pièce 342, Tartas.

25. Cf. infra le texte de cette 14e question dans le document annexe.

26. Boutellxer, M., Médecine populaire d'hier et d'aujourd'hui, Paris, 1966, p. 47 Google Scholar.

27. Cf., à ce sujet, E. Olivier (Dr), Médecine et santé dans le pays de Vaud au XVIIIe siècle 1675-1798, Lausanne, 1.1, 1962, pp. 422 ss.

28. M. Boutellxer, op. cit., p. 26. Cf., dans le même sens, le § 8 de la Déclaration royale du 25 avril 1777.

29. A. N., F17 2276, pièce 266, Angoulême, concurrence des apothicaires et des médecins; ibid., id., pièce 331, Bergerac, concurrence des médecins. Il convient de préciser que les médecins sont autorisés à exercer la propharmacie dans les secteurs où aucun apothicaire n'est établi.

30. Ibid., id., pièce 294, Nuits, 29 décembre 1790. Cf. infra, note 65.

31. Cf., dans le même sens, le Discours prononcé — pour l'inauguration du Collège royal de pharmacie — le lundi 30 juin 1777 par l'un de ses prévôts, le maître-apothicaire Trevez; archives de l'École de pharmacie, registre A 39, pp. 8 ss.

32. Ibid., id.

33. A. N. F17 2276, pièce 304, Parthenay.

34. L'expression « Ancien Régime » apparaît dans les réponses adressées par les chirurgiens de Beaugency et de Morlaix. Elle est fréquente (aussi) dans les Cahiers de doléances rédigés par les apothicaires, par les chirurgiens et par les médecins; cf. Lorillot, D., Essai sur les Cahiers de doléances des médecins, chirurgiens et apothicaires en 1789, mémoire de maîtrise, Université de Paris-I, 1975 Google Scholar (sondage portant sur huit villes de province).

35. A. N., F17 2276, pièce 303, Morlaix, 17 janvier 1791.

36. Ibid., id., pièce 342, Tartas.

37. Ibid., id., pièce 354, Ustaritz.

38. Ibid., F15 2282, Montereau. Observations similaires dans les cas d'ussel (ibid., F17 2276, pièce 300) et de Poitiers (ibid., id., pièce 293).

39. Ibid., F15 2822, pièce 10, Meaux, 3 décembre 1790.

40. Ibid., F17 2276, pièce 281, Vitry-le-François, 28 décembre 1790.

41. Ibid., F15 2271, Beaugency, 1er décembre 1790.

42. M. Foucault, op. cit., p. 64. Cf., à ce propos, J. Léonard, « L'exemple d'une catégorie socio-professionnelle au xixe siècle : les médecins français », dans Ordres et classes. Colloque d'histoire sociale, Saint-Cloud, 24-25 mai 1967, Paris-La Haye, 1973, pp. 221 ss., et id., Les Médecins de l'ouest au XIXe siècle, thèse de doctorat d'État (exemplaire dactylographié), Paris-I, 1976. Cf., en outre, l'ensemble de textes réunis par Louis Bergeron sur le médecin notable au xixe siècle (ici même).

43. M. Foucault, op. cit., p. 45.

44. A. N., F17 2276, pièce 359.

45. Ibid., id., pièces 278 et 337.

46. Ibid., id., pièce 357.

47. Cf. l'enquête collective du Centre de recherches historiques, dirigée par F. Furet, et J. Ozouf; se reporter aussi à M. De Certeau, D. Julia, J. Revel, Une politique de la langue. La Révolution française et les patois, Paris, 1975, pp. 137 ss.

48. A. N., F17 2276, pièce 351.

49. Ibid., id., pièce 330.

50. Ibid., id., pièce 339.

51. Ibid., id., pièce 278, Cognac.

52. M. Crubellier, Histoire culturelle de la France, Paris, 1974, p. 89.

53. A. N., F17 2276, pièce 281.

54. Ibid., id., pièce 294. Le lieutenant du Premier chirurgien du roi établi à Nuits fait allusion à l'arrêt du Conseil du roi du 17 mars 1731.

55. Le Paulmier, Cf., L'orviétan, Paris, 1892, pp. 95107 Google Scholar.

56. D'après Joël Fouilleron, « Fabre d'Églantine et les chemins du théâtre », dans Revue d'histoire moderne et contemporaine, t. XXI, juil-sept. 1974, p. 503.

57. Cf. J.-P. Peter, «Le Grand Rêve de l'ordre médical, en 1770 et aujourd'hui», dans Autrement, n° 4, 1975/1976, pp. 183-192.

58. A. N., F17 2276, pièce 330, Tours.

59. Ibid., id., pièce 316, Auch.

60. Ibid., id., pièce 334, Saint-Sever.

61. Ibid., id., pièce 357, rapport signé par « Le prévôt de la Communauté des maîtres en chirurgie de Mont-de-Marsan (Landes), faisant pour la Communauté ».

62. Ibid., id., pièce 266 — Cf., sur le même point, Saint-Léger, M.-A., « Conflit entre le corps des chirurgiens et le bourreau de Lille en 1768 », dans Revue du Nord, t. II, 1911, p. 49 CrossRefGoogle Scholar.

63. Ibid., id., pièce 274.

64. Ibid., F15 2281, Le Quesnoy (Nord).

65. Ibid., F15 2282, pièce 7, 2 décembre 1790.

66. Ibid., F17 2276, pièce 312. Autres exemples de telles castrations dans deux réponses de subdélégués à l'enquête de 1786 et dans A. D., Eure, 5 M 1, pièce 1, 19 brumaire an V.

67. Ibid., id., pièce 353, s. d. Pour une comparaison avec aujourd'hui André Burguière, cf., Bretons de Plozévet, Paris, 1975 Google Scholar et Jakez Hélias, Pierre, Le Cheval d'orgueil, Paris, 1975 Google Scholar.

68; Ibid., F15 227, Beaugency, 1er décembre 1790, réponse du lieutenant du Premier chirurgien du roi, J.-N. Pellieux.

69. Sebillot, Cf. P.-Y., Le Folklore de la Bretagne, Paris, 1968, t. II, p. 151 Google Scholar; Bouteiller, cf. M., Sorciers et jeteurs de sorts, Paris, 1957 Google Scholar, et id., Médecine populaire d'hier et d'aujourd'hui, Paris, 1966; cf. J. Favret, « Le malheur biologique et sa répétition », dans Annales E.S.C., mai-août 1971, pp. 873-888; cf. aussi M. Foucault, «Les déviations religieuses et le savoir médical», dans Hérésies et sociétés, Paris-La Haye, 1968, pp. 19-29.

70. A.N., F17 2276, pièce 333b, Hyères, 20 février 1791.

71. Ibid., id., pièce 354, 24 janvier 1791. Mandrou, Cf. R., Magistrats et sorciers en France au XVIIIe siècle, Paris, 1968, p. 456 Google Scholar.

72. A. N., F17 2276, pièce 334a, Saint-Sever, 20 janvier 1791. Sur la «rencontre» entre remède universel et remèdes spécifiques, cf. le remarquable mémoire de maîtrise de Pascale Muller : «Les eaux minérales en France à la fin du xvme siècle», Paris-I, 1975.

73. C'est le cas au Quesnoy (Nord); source A. N., F15 2281.

74. A. N., F17 2276, pièce 305, Carcassonne (Aude).

75. Ibid., id., pièce 319, Seurre-sur-Saône (Bellegarde), Côte-d'or.

76. Ibid., id., pièce 316, Auch.

77. Dans le même sens, je relève le mépris et même la haine dont beaucoup de chirurgiens poursuivent les matrones; je note cependant l'interférence entre l'accouchement pratiqué par les hommes (mode « lancée » par Louis XIV) et par les femmes. Je remarque enfin, dans le discours des médecins éclairés qui ont marqué le premier Empire, la création et la justification du « stéréotype de la féminité », analysé par Yvonne Knibiehler : « Les médecins et la nature féminine du temps du Code civil », Annales E.S.C., juillet-août 1976.

78. A. N., F17 2276, pièce 294, Nuits, 29 décembre 1790. A la différence des hommes présentés comme sorciers par nos chirurgiens, aucune femme n'est dite « sorcière ».

79. A. D. Gironde, C 3304, lettre du 12 décembre 1786, signée des curés de Castelnau et d'avensac (Médoc).

80. R. Mandrou, Magistrats et sorciers […], pp. 426 ss.

81. Cf. pour leurs confrères pharmaciens-apothicaires, Bénédicte Dehillerin, Le Collège royal de pharmacie de Paris, 1777-1795, mémoire de maîtrise (exemplaire dactylographié), Paris- I, 1976.

82. Bernard, J., Grandeur et tentation de la médecine, Paris, 1973, p. 171 Google Scholar.

83. Moscovici, S., Essai sur l'histoire humaine de la nature, Paris, 1968, p. 513 Google Scholar; se référer aussi à la conclusion, particulièrement éclairante. Cf. aussi, dans un autre langage, H. M. Koelbing, « Un point de vue négligé par les médecins historiens : la médecine de tous les jours», dans Médecine et hygiène, n° 1 118, 9-10, 1974, pp. 1-3.