Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Les «castes” et communautés marchandes de l'Inde sont encore relativement peu étudiées. Leur existence est pourtant attestée depuis la civilisation de l'Inde classique. Plusieurs des grands groupes marchands et industriels de l'Inde contemporaine en sont issus. Nous examinerons ici comment est organisée, socialement et économiquement, une caste marchande indienne, celle des Kutchi Lohana, principalement spécialisés dans le commerce de sacs de jute usagés. Nos observations sur cette caste ont été faites en 1985-1986 au Maharashtra, dans les agglomérations de Puna, Mulund et Bombay . Étant donné le relatif archaïsme des comportements et des représentations, nos observations sur le présent ont pu être recoupées et complétées par les résultats des études socio-historiques de C. A. Bayly sur la plaine indo-gangétique à partir, entre autres, de documents comptables du XVIIIe-XIXe siècle.
At the turn of Independence, many Kutchi Lohana merchants have settled in the actual Indian State of Maharashtra (in Bombay, Mulund, Nasik and particularly in Puna), where they hâve woven networks of “firms or compagnies ”, most of them dealing in gunny bags. While competing with each other in business, Kutchi Lohana recognize themselves as members of an exclusive endogamous kin group (a “jati ”), subdivided in exogamous lineages issued from common divine ancestors. Field surveys results hâve been cross-checked with data obtained from the analysis of the Kutchi Lohana advertising and from their own “jati ” members census. This allowed to apprehend how segmentable “Lineage Firms ” operate, and how a capitalistic sector of activities could develop until recently within the Indian caste society without subverting it.
1. Pierre Lachaier, Réseaux marchands et industriels au Maharashtra (Inde); castes, soustraitance et clientélisme, thèse de doctorat de l'EHESS, 1989. Voir la deuxième partie. Voir également dans la revue Purushartha n° 14, «Travailler en Inde» du CEIAS (EHESS), 1992: « Employeurs-employés et employés-employeurs dans les Firmes Lignagères Industrielles du secteur de la mécanique de Puna», pp. 31-56..
2. Bayly, C. A., Rulers, Townsmen and Bazaars, North Indian Society in the Age of British Expansion, 1770-1870, Cambridge, Cambridge University Press, 1983.Google Scholar Voir en particulier les chapitres 10 et 11.
3. Je pense en particulier à Braudel, Fernand, La dynamique du capitalisme, Paris, Flammarion, 1985 Google Scholar, qui dit pourtant, p. 67 : « Privilège du petit nombre, le capitalisme est impensable sans la complicité active de la société. Il y est forcément une réalité de l'ordre social, même une réalité de l'ordre politique, même une réalité de civilisation. Car il faut que, d'une certaine manière, la société tout entière en accepte plus ou moins les valeurs. Mais ce n'est pas toujours le cas ».
4. « Business community », « business class » sont très courants à partir de Gadqil, P. G., Origins of the Modem Indian Business Class, New York, Institute of Pacific Relations, mars 1951.Google Scholar Le recours au concept de « ressource group » a été entre autres, le fait de Thomas Timberg, à qui l'on doit les premiers travaux d'importance sur les castes marchandes indiennes : The Marwaris, from Traders to Industrialists, Bombay, Vikas Pub. House, 1978, où il apparaît que plusieurs grands groupes d'affaires contemporains sont issus de la communauté marchande marwari, et des articles sur les firmes comme « A Study of a Great Marwari Firm : 1860-1914 », dans Indian Economy and Social History Review, vol. VIII, n° 3, 1971,pp. 264-283, et «Three Types of the Marwari Firm», dans Indian Economy and Social History Review, vol. X, n° 1, 1973, pp. 1-36.
5. Dumont, Louis, Homo Hierarchicus. Essai sur le système des castes, Paris, Gallimard, 1966, 445 p.Google Scholar
6. Les mots sanskrits artha (économie), et rin (dette) n'ont pas non plus d'équivalent en français, anglais ou allemand.
7. Lardinois, Roland, « L'ordre et l'institution familiale en Inde », dans Histoire de la famille, Burguière, A., Klapisch-zuber, C., Segalen, M., Zonabend, F., Paris, Armand Colin, 1986, pp. 519–628.Google Scholar
8. Voir en particulier la revue Purushartha, n° 4: «La dette», 1980, les contributions de Ch. Malamoud, L. Dumont, J.-C. Gale Y, etc.
9. Purushartha, nc 4, C. Malamoud, ibid., p. 55.
10. Purushartha, n° 4, L. Dumont, ibid., « La dette vis-à-vis des créanciers et la catégorie de sapinda, pp. 15-38.
11. stevenson, Margaret Sinclair, Les rites des deux-fois-nés, Paris, Le Soleil noir, 1982, 403 p.Google Scholar Voir p. 163 ss le rite de Shradda, et pp. 303-307 la description de la Lakshmi-puja.
12. Pierre Lachaier, ibid., 1989, pp. 652-655. Ces Lakshmi-puja n'ont pas été observées chez des Kutchi, mais à Sangli, le 12-11-85, chez divers industriels et marchands.
13. C. A. Bayly, ibid., 1983, pp. 377-380.
14. C. A. Bayly, ibid., 1983, p. 375.
15. En Inde, toute occupation tendait à être conçue comme une participation à une oeuvre sacrificielle ; la communauté villageoise multi-caste a été conçue comme un système de prestations sacrificielles, ou système jajmani, jajman signifiant le sacrifiant et aussi celui qui détient des droits fonciers supérieurs. Alors que celui-ci faisait fructifier la terre, le marchand aurait eu pour fonction particulière la gestion et la fructification des « dettes » et des dépôts.
16. Pierre Lachaier, ibid., 1989, p. 594, note 5. Pour C. A. Bayly, « Thus the name of firms often joined together grandfather and grandsons in a three-generation span, and the évidence suggests that such relationship of crédit and debt did persist over very long periods as late as the eigthteen century. Liability for debts was thus conceived to be coterminus with the ritual unit which was directly involved in the oblation rit of pitaprajana, or shradda », p. 379. Voir ci-dessous la note 19 sur les Tanna de Guir.
17. Ce passage est repris de «Organisation de l'espace et Firme Lignagère Marchande des Kutchi Lohana au Maharashtra», 1990, exposé pour le groupe Indra, 10 p. Voir aussi ibid., 1989, pp. 284-308, 359-366.
18. Annuaires des Kutchi Lohana : Shri Kutchi Lohana Mahajan, édition de Mulund, 1970, 78 p., de Puna, 1984, 170 p., en langue gujarati.
19. Dans le placard publicitaire du même genre des Tanna de Guir, une des firmes de bas de page a été mise au nom d'un enfant masculin en bas âge, petit-fils du chef de firme en en-tête de page.
20. Il ne faut pas confondre ces Mahajan, associations dejati, avec les Mahajan d'Ahmedabad qui étaient des associations de plusieurs jati.
21. C'est-à-dire le bureau directorial du karta.
22. Pour un Kutchi de Puna, l'« outcasting » équivaut à une déchéance sociale conduisant à la ruine économique.
23. Voir illustration n° xxxrv, dans P. Lachaier, 1989, p. 588. Il s'agit d'une photographie de la maquette de la ville «Auroville», siège de l'ashram d'Aurobindo, conçue sur le modèle d'un vortex dont le foyer est occupé par un lieu de méditation : le « Matrimandir, the Soûl of Auroville ».
24. Shri kanaksen est certainement le marchand kharagsen dont Banarasidas, un commerçant jaïn du xvne siècle, raconte la vie dans son « Ardha Kathanak ». Voir Sharma, Ramesh Chandra, « The Ardha Kathanak a Neglected Source of Mughal History », dans Indica, vol. 6, 1969, pp. 49–73 Google Scholar et vol. 7, 1970, pp. 105-120.
25. Voir Louis Dumont, ibid., 1966. La théorie des Varna, et aussi la notice de Malamoud, Ch. sur l'hindouisme dans L'État des religions, Paris, La Découverte-Le Cerf, 1987, pp. 168–174.Google Scholar
26. Ce phénomène a été appelé « sanskritisation » par Shrinivas. On a pu aussi parler de « kshatryaisation » lorsque c'est le modèle rajput qui fait référence, et l'on pourrait parler de « vaishyaisation » au Gujarate dans la mesure où le marchand banya y aurait eu parfois plus de prestige social que le Brahmane ou le Rajput.
27. Voir Renou, Louis et Filiozat, Jean, L'Inde classique. Manuel des études indiennes, Paris, Maisonneuve, 1985.Google Scholar
28. Louis Dumont, ibid., 1966.
29. C. A. Bayly, ibid., 1983, p. 374.
30. C. A. Bayly, ibid., 1983, p. 377.
31. Je ne suis pas sûr Renaut, qu'Alain, L'ère de l'individu, Paris, Gallimard, 1989 Google Scholar, ait bien saisi la perspective anthropologique qui permet à Louis Dumont d'affirmer que dans une société holiste comme l'Inde, les relations entre hommes sont plus valorisées que celles des hommes aux choses, p. 78, n. 1.
32. Marcel Mauss, définit ainsi les faits sociaux totaux : «… ils mettent en branle dans certains cas la totalité de la société et de ses institutions. Tous ces phénomènes sont à la fois juridiques, économiques, religieux et même esthétiques, morphologiques», «Essai sur le don», dans Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 1980, p. 274.
33. Voir P. Lachaier, 1989, Le groupe Bafna entre le commerce de l'industrie, p. 380 ss.