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Le réseau culinaire dans l'Encyclopédie

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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La fraise est un petit fruit rouge ou blanc ; il ressemble au bout des mamelles des nourrices (Encyclopédie article « Fraise ».) On reproche avec raison à la pomme de terre d'être venteuse ; mais qu'est-ce que des vents pour les organes vigoureux des paysans et des manoœuvres ? (Encyclopédie, article « Pomme de terre ».)

Apicius : Mais puisque la raison fait quelquefois des acquisitions nouvelles, pourquoi les sens n'en feront-ils pas aussi ? Il serait bien plus important qu'ils en fissent (Fontenelle, Dialogues des Morts, Dialogues des Morts anciens avec les modernes : Apicius, Galilée.)

Parmi la multiplicité des énoncés culinaires dispersés dans des textes de toute nature au XVIIIIe siècle, ceux de L'Encyclopédie occupent une place particulière.

Summary

Summary

Reading the Dictionnaire Encyclopédique according to its system of cross references, I see three configurations appear. The historical and moral sector presents a history of cooking and an evaluation of this art. It permits us to identify certain inconsistencies between actual alimentary practice and the way it is spoken about.

The second sector treats problems of nutrition with respect to the constitution of natural sciences. The Encyclopédie proposes a discourse on the body, on the relations between nutrition and sexuality, discourse characteristic of a knowledge which is both biological and dietetic.

The third sector is the most homogeneous: it develops the technical problems of food production. The culinary system in the Encyclopédie points up a particular mode of receptiveness to orality : a learned game which associates "connaissance" and "gourmandise" and which precedes the gastronomic era.

Type
Les Domaines De l'Histoire
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1976

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References

Notes

1. Diderot écrit à l'article « Encyclopédie » :« … l'ordre encyclopédique général sera comme une mappemonde où l'on ne rencontrera que les grandes régions ; les ordres particuliers, comme des cartes particulières de royaumes, de provinces, de contrées ; le dictionnaire, comme l'histoire géographique et détaillée de tous les lieux, la topographie générale et raisonnée de ce que nous connaissons dans le monde intelligible et dans le monde visible… »

2. Jacques Proust dans Diderot et l'Encyclopédie (pp. 133, 134), contestant le mythe d'une participation massive de Diderot à la rédaction, fait le point sur celle de Jaucourt qui a rédigé presque le tiers des articles et qui est le véritable rédacteur des quatre derniers volumes de L'Encyclopédie. Jacques Proust cite l'hommage rendu par Diderot à Jaucourt dans une lettre à Sophie : « Le Chevalier de Jaucourt, ne craignez pas qu'il s'ennuie de moudre des articles ; Dieu le fit pourcela » ; l'avertissement du tome VIII : « Jamais le sacrifice du repos, de l'intérêt et de la santé ne s'est fait plus entier et plus absolu : les recherches les plus pénibles et les plus ingrates ne l'ont point rebuté ; il s'en est occupé sans relâche, satisfait de lui-même s'il en pouvait épargner aux autres le dégoût. »

3. Michel Foucault écrit dans Les mots et les choses (p. 144): « l'observation, à partir du XVIIIe siècle, est une connaissance sensible assortie de conditions systématiquement négatives. Exclusion bien sûr, du ouï-dire ; mais exclusion aussi du goût et de la saveur, parce qu'avec leur incertitude, avec leur variabilité, ils ne permettent pas une analyse en éléments distincts qui soit universellement acceptable. »

Brillat-Savarin dans la Méditation II de La physiologie du goût définit très clairement le problème du classement des saveurs et espère que la chimie, qui étudie des combinaisons, permettra de le régler : « Les saveurs se modifient en outre par leur agrégation simple, double, multiple ; de sorte qu'il est impossible d'en faire le tableau depuis la plus attrayante jusqu'à la plus insupportable, depuis la fraise jusqu'à la coloquinte. Aussi tous ceux qui l'ont essayé ont-il à peu près échoué.

Ce résultat ne doit pas étonner : car étant donné qu'il existe des séries indéfinies de saveurs simples qui peuvent se modifier par leur adjonction réciproque en tout nombre et en toute quantité, il faudrait une langue nouvelle pour exprimer tous ces effets, des montagnes d'in-folios pour les définir, et des caractères numériques inconnus pour les étiqueter.

Or comme jusqu'ici ne s'est encore présentée aucune circonstance où quelque saveur ait dû être appréciée avec une exactitude rigoureuse, on a été forcé de s'en tenir à un petit nombre d'expressions générales, telle que doux, sucré, acide, acerbe, et autres pareilles, qui s'expriment, en dernière analyse, par les deux suivantes : agréable ou désagréable au goût, et suffisent pour se faire entendre et pour indiquer à peu près la propriété gustuelle du corps sapide dont on s'occupe.

Ceux qui viendront après nous en sauront davantage ; et il n'est déjà plus permis de douter que la chimie ne leur révèle les causes ou les éléments primitifs des saveurs. »

Grimod a, quant à lui, réglé le problème par la littérature et fondé ainsi la gastronomie. Le seul classement possible des saveurs en effet joue de la transposition métaphorique et de la connotation.

4. Thomassin écrit : « J'ai voulu faire admirer la charité ingénieuse et la fermeté invincible de l'église à maintenir l'ancienne rigueur des jeûnes contre les relâchements qui s'y glissaient ; à en augmenter le nombre quand la sévérité s'en diminuait ; et à compenser par de nouveaux exercices de piété les adoucissements qu'elle ne pouvait éviter. »

Brillat-Savarin, constatant qu'il a vu naître « le relâchement venu par nuances insensibles », se plaît à rappeler ces temps révolus car il y avait une sensualité du jeûne : « Cette pratique du jeûne, je suis forcé de le dire, est singulièrement tombée en désuétude et, soit pour l'édification des mécréants, soit pour leur conversion, je me plais à raconter comme nous faisions vers le milieu du XVIIIe siècle… L'observance exacte du carême donnait lieu à un plaisir qui en déjeunant nous est inconnu, celui de se décarêmer le jour de Pâques. »

5. Ernest Labrousse écrit dans l'Histoire économique et sociale de la France (p. 695) : « En fin de compte, l'immémoriale tragédie de la famine et de la mort « cyclique » massive, a fait place à d'autres temps. Les années terribles disparaissent. Par quelles voies ? Peut-être par la grâce du ciel, par une météorologie plus clémente qui atténue l'inégalité des récoltes, par ces changements climatiques qu'Emmanuel Le Roy Ladurie a fait entrer dans l'histoire de l'humanité. Peut-être aussi, à côté de ce don gratuit, par la peine des hommes, par une agriculture améliorée. Plus probablement encore par des relations commerciales améliorées elles aussi… »

6. Jean-Paul Aron écrit dans Le Mangeur du XIXe siècle (p. 229) : « Dans les maisons privées, la salle à manger, pièce vaste et austère, est une création de la bourgeoisie post-révolutionnaire : vous ne trouverez guère chez les antiquaires avant la fin de l'époque Louis XVI d'authentique mobilier de bouche… ».

7. Apportons ici notre contribution à la très sérieuse histoire de la pomme de terre au XVIIIe siècle. Dans le chapitre CCCXXV du tableau de Paris intitulé « Pain de pomme de terre », L. S. Mercier écrit : « Attentif à l'aliment des pauvres dont le nombre doit effrayer, je ne passerai pas sous silence la méthode d'un ami de l'humanité, qui, tandis que tant d'autres artisans du luxe travaillent pour la table des riches, a songé à celle des indigens. » La « panification » de la pomme de terre produirait un pain « moins chèrement acheté, moins à la disposition des grands propriétaires, de ces tyrans de la société, lesquels protègent toujours les avides calculateurs parce qu'ils partagent avec eux ». La pomme de terre, chez Mercier, a un poids idéologique, parce qu'elle définit l'alimentation des pauvres, et symbolique parce qu'elle est l'équivalent du pain évangélique, à ceci près qu'elle est donnée aux malheureux par un « grand homme », ami de l'humanité. A partir de la pomme de terre, Mercier construit une utopie alimentaire et rêve d'un aliment absolu, manne offerte par la « chymie ». Ici les préoccupations agronomiques se mêlent à un rêve de Cocagne de caractère alchimique : « Je ne sais si je me trompe dans mes vœux ardens ; mais je pense que la chymie pourra tirer un jour de tous les corps un principe nourrissant, et qu'il sera alors aussi facile à l'homme de pourvoir à sa subsistance, que de puiser l'eau dans les lacs et les fontaines. » Grimod pour sa part, qui accepte la pomme de terre à toutes les tables, reconnaît les bienfaits de « l'illustre et respectable Parmentier » qui a « mis pour jamais le pauvre à l'abri de la disette » et qui a procuré aux riches de nouveaux « plaisirs », mais il ne s'attarde pas à des considérations humanitaires qui lui sont totalement étrangères.

8. Tissot, dans la même perspective, explique que la « fumigation » trouble la digestion tout autant que l'onanisme car elle fait saliver. En effet salive, chyle, sperme sont analysés comme des substances analogues : « J'ai fait assez sentir les dangers d'une mauvaise digestion, pour qu'il ne soit pas besoin d'insister plus longtemps sur ceux d'une évacuation qui la rend telle ; c'est par cette raison que M. Lewis défend absolument à ses malades de fumer, la fumigation, entr'autres inconveniens, disposant à une salivation abondante, par l'irritation qu'elle produit sur les glandes qui fournissent à cette sécrétion » (L'onanisme, éd. de 1775, p. 144).

9. Comme le constate François JACOB, le modèle physico-chimique de la machine à vapeur a permis de transformer radicalement la représentation des êtres vivants que se fait la fin du XVIII e siècle : « C'est avec Lavoisier que se retourne l'importance relative attribuée aux organes et à leur fonctionnement, que s'impose l'idée de grandes fonctions satisfaisant aux besoins de l'organisme, que se manifeste la nécessité de leur coordination » (La logique du vivant, p. 96).

10. On peut lire au livre XI des Confessions (éd. de la Pléiade, p. 550) : « Mad. de Montmorenci avoit dans Bordeu une foi dont son fils finit par être la victime. Que ce pauvre enfant étoit aise quand il pouvoit obtenir la permission de venir à Montlouis avec Mad. de Boufflers demander à goûter à Thérèse, et mettre quelque aliment dans son estomac affamé !… Enfin, j'eus beau dire et beau faire le Médecin triompha et l'enfant mourut de faim. »

11. François Jacob écrit dans La logique du vivant (p. 103): « A l'âge classique, tant qu'il s'agissait d'abord de démontrer l'unité de l'univers, les êtres devaient être soumis aux lois de la mécanique qui régissent les choses. Pour caractériser les forces qui animent les corps organisés, on parlait du mouvement qui s'y produit continuellement dans les solides et les fluides. L'inexistence de l'idée de vie apparaît dans la définition que donne L'Encyclopédie, presque une lapalissade, puisque la vie « c'est l'opposé de la mort ».

12. « C'est seulement vers la fin du XVIIe siècle que sont définitivement rejetés toutes les analogies douteuses, tous les liens invisibles, toutes les similitudes obscures qui ne sont pas de la plus grande évidence pour tous les yeux, dit Linné, et ne se sont introduites qu'à la honte de l'art. » Alors peut se développer l'histoire naturelle, qui a pour objet la structure visible des êtres vivants et pour but leur classification (La logique du vivant, p. 54).

13. « L'histoire d'un être vivant, c'était cet être même, à l'intérieur de tout le réseau sémantique qui le reliait au monde… Toute la sémantique animale est tombée, comme une partie morte et inutile. Les mots qui étaient entrelacés à la bête ont été dénoués et soustraits : et l'être vif, en son anatomie, en sa forme, en ses mœurs, en sa naissance et en sa mort, apparaît comme à nu ». L'histoire naturelle trouve son lieu dans cette distance maintenue ouverte entre les choses et les mots, distance silencieuse., pure de toute sédimentation verbale et pourtant articulée selon les éléments de la représentation, ceux-là même qui pourront de plein droit être nommés (Les mots et les choses, pp. 141 et 142).

14. Les Espagnols préoccupés seulement d'une richesse illusoire, ont totalement méconnu les produits véritablement précieux du nouveau monde. Jouisseurs indolents, ils sont peu curieux de connaissances nouvelles et de techniques utiles. On peut lire à l'article « Vanille » : « … d'un autre côté, les Espagnols contens des richesses qu'ils leur (aux indigènes) ont enlevées, de plus accoutumés à une vie paresseuse, et à une double ignorance, méprisent les curiosités de l'histoire naturelle et ceux qui les étudient ; en un mot, si l'on excepte les seuls Hernandes et le père Ignatio, espagnols, c'est aux curieux des autres nations, aux voyageurs, aux négocians, et aux consuls établis à Cadix, que nous sommes redevables du petit nombre de particularités que nous avons sur cette drogue précieuse, et qui formeront cet article. »

15. On « enyvre » le chapon avec du pain trempé dans du vin, on le plume sous le ventre et on le frotte avec des orties : « Les poulets en lui passant sous le ventre adoucissent la cuisson de ses piqûres… il les aime, il les appelle. » Diderot s'amuse à rapporter ce savoir-faire sans doute ancien. Cette méthode pour augmenter la productivité de la basse-cour a un caractère très nettement pré-industriel !

16. Le nom gastronomique a toujours un rapport d'extériorité avec l'aliment : poulet à la Villeroy, soufflet Montgolfier. Grimod décrit dans L'almanach des gourmands (1803, p. 191) une réunion du jury dégustateur qui donne à un gâteau « catéchumène, aimable anonyme » le nom d'une actrice de vaudeville : « Fins, mignons, sveltes, respirant le bon goût et l'esprit par tous les pores, ces gâteaux ont obtenu l'assentiment général ; et comme il s'agissait de les baptiser, on a cherché dans l'assistance l'assimilation de leur qualité avec celles d'une des aimables Candidates de cette séance, le nom qu'il fallait leur donner ; en sorte que d'une voix unanime le jury dégustateur les a proclamés Gâteaux à la Minette. »

17. Jacques Proust dans Diderot et L'Encyclopédie (p. 136) en arrive à la conclusion suivante : « … les articles marqués de l'astérisque constituent en tout état de cause le fonds minimum certain sur lequel il est possible de travailler. Toutefois les articles marqués de l'astérisque ne doivent pas être utilisés sans précautions. Car si l'astérisque indique à coup sûr que Diderot a rédigé le texte, sa signification est ambiguë quant à la part exacte qu'il a prise dans son élaboration. Nous avons vu qu'au moins dès le tome III l'astérisque marquait indistinctement des textes dont Diderot était l'auteur et des textes dont il était l'éditeur. »

18. « Les bouchers sont des hommes dont la figure porte une empreinte féroce et sanguinaire, les bras nus, le col gonflé, l'œil rouge, les jambes sales, le tablier ensanglanté ; un bâton noueux et massif arme leurs mains pesantes et toujours prêtes à des rixes dont elles sont avides. On les punit plus sévèrement que dans d'autres professions, pour réprimer leur férocité ; et l'expérience prouve qu'on a raison.

Le sang qu'ils répandent, semble allumer leurs visages, et leur tempéramens. Une luxure grossière et furieuse les distingue, et il y a des rues près des boucheries, d'où s'exhale une odeur cadavéreuse, où de viles prostituées, assises sur des bornes en plein midi, affichent publiquement leur débauche. Elle n'est pas attrayante : ces femelles mouchetées, fardées, objets monstrueux et dégoutans, toujours massives et épaisses, ont le regard plus dur que celui des taureaux ; et ce sont des beautés agréables à ces hommes de sang qui vont chercher la volupté dans les bras de ces Pasiphaés » (L. S. Mercier, Le Tableau de Paris », tome I, chap. XLII).