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Le son et ses sens

L'Ordo ad consecrandum et coronandum regem (v. 1250)

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Eduardo Henrik Aubert*
Affiliation:
Universidade de São Paulo

Résumé

Cet article examine le fameux ordo du sacre royal réalisé vers 1250 en France, au temps de Louis IX (Paris, BNF, ms Latin 1246), un document complexe où plusieurs langages (texte, images, chants notés) sont mis en rapport, en se posant la question de savoir quelle est la place du son dans la cérémonie du sacre royal telle qu’elle est présentée dans ce manuscrit. Moyennant une comparaison avec ses sources textuelles directes, on insiste sur le fait que ce document donne un très grand poids à tout ce qui relève du registre sonore dans le sacre qu’il décrit et que cette attention n’est pas arbitraire, mais correspond à l’utilisation du son comme un des principaux véhicules du sens de la cérémonie. Il se dégage de l’analyse que l’on a affaire à un vrai « système sonore », dans la mesure où les références au son constituent un ensemble structuré et cohérent, très articulé à l’organisation du temps de la cérémonie, et au moyen duquel la place de chaque événement dans l’ensemble de la cérémonie pourrait être très concrètement perçue par l’oreille.

Abstract

Abstract

This article examines the ordo of royal consecration written ca. 1250 in France, during the reign of Louis IX (Paris, BNF ms. Latin 1246), a complex document in which different languages (text, images, notated chant) are interrelated. The purpose of the investigation is to determine the role of sound in the ceremony of royal consecration described in this manuscript. By means of a comparison with its direct textual sources, it is argued that this document attributes great importance to the sound aspect of the ceremony and that this can be ascribed to the fact that sound is one of the main carriers of meaning in the consecration. The analysis shows that the ordo presents what could be termed a “sound system”, in the sense that references to sound build up a structured and coherent whole, deeply related to the organization of the time of the ceremony and through which the role of each action in the consecration could be distinctly perceived by the ear.

Type
Figures du rituel (XIIe-XIIIe s.)
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2007

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References

1 - Séville, Isidore De, Etimologias, III, 15, 2Google Scholar, édité par Wallace M. Lindsay et traduit par José Oroz Reta et Manuel A. Marcos Casquero, Madrid, Biblioteca de Autores Cristianos, 1983, vol. 1, p. 442.

2 - C’est le cas d’un livre récent : Colette, Marie-Noël, Popin, Marielle et Vendrix, Philippe, Histoire de la notation musicale : du Moyen  ge à la Renaissance, Paris, Minerve, 2003, p. 16 Google Scholar : « Lorsque Isidore de Séville (570-636) insiste sur la nécessité de conserver les mélodies par la mémoire […], il atteste la rareté des notations musicales, sinon leur inexistence. »

3 - Voir sur ce point, et pour le cas spécifique du Moyen  ge, la discussion menée par Harnoncourt, Nikolaus, « L’image sonore de la musique médiévale », in ID., Le dialogue musical : Monteverdi, Bach et Mozart, Paris, Gallimard, 1985, pp. 1330 Google Scholar. Des ouvrages récents portent sur le son de la musique médiévale : Mcgee, Timothy, The sound of Medieval song: Ornamentation and vocal style according to the treatises, Oxford, Oxford University Press, 1998 Google Scholar ; Dyer, Joseph, « The voice in the Middle Ages », in Potter, J. (éd.), The Cambridge companion to singing, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, pp. 165177 CrossRefGoogle Scholar ; Hughes, Andrew, « Charlemagne's chant or the great vocal shift », Speculum, 77, 4, 2002, pp. 10691106 CrossRefGoogle Scholar.

4 - D’après Zumthor, Paul, La lettre et la voix : de la « littérature » médiévale, Paris, Le Seuil, 1987, p. 22 Google Scholar, « l’ensemble des textes à nous légués par les Xe, XIe et XIIe siècles, et dans une mesure peut-être moindre XIIIe et XIVe siècles, a transité par la voix non pas de façon aléatoire, mais en vertu d’une situation historique faisant de ce transit vocal le seul mode possible de réalisation – de socialisation – de ces textes ».

5 - Bien que l’étude des sons ne soit pas un des axes majeurs de la recherche en sciences humaines, et que, par conséquent, le désintérêt que lui a porté l’histoire médiévale doive être compris dans un contexte plus large, elle se développe aujourd’hui dans au moins quatre domaines principaux. D’abord, les études en communication non verbale, qui s’intéressent aux aspects vocaliques non verbaux de la communication. C’est le cas aussi pour une partie de l’ethnomusicologie, consacrée non seulement à l’observation des structures formelles abstraites, mais aussi à des situations de « performance » où la sonorisation de la musique joue un rôle fondamental. Un troisième courant est issu de l’anthropologie sensorielle, qui s’intéresse à des sons divers, comme ceux produits par les cloches, les bruits technologiques, etc., insérés dans un environnement culturel donné et qui assument un rôle dans le fonctionnement de la société. Dernièrement, même, quelques historiens, partant de la notion de paysage sonore proposée par le musicologue canadien Raymond Schaffer, ont envisagé les sons dans des découpages temporels différents ( Schaffer, Raymond M., Le paysage sonore, Paris, J.-C. Lattès, 1991 Google Scholar). Sans vouloir développer ici une évaluation critique de ces études, au demeurant très hétérogènes, il faut signaler qu’elles ont lemérite de désigner les champs d’investigation possibles offerts par les sons quand ils sont considérés dans leur rapport avec un système culturel donné à l’intérieur d’une société particulière.

6 - Ce document, nommé « Ordo de 1250 » par son éditeur actuel ( Jackson, Richard A., Ordines coronationis Franciae: Texts and ordines for the coronation of Frankish and French kings and queens in the Middle Ages, Philadelphie, Pennsylvania University Press, 2000, vol. 2, pp. 341366 CrossRefGoogle Scholar), a fait récemment l’objet d’une remarquable publication en France : la reproduction de l’édition de R. Jackson, une traduction en français de Monique Goullet ainsi que la reproduction des enluminures du manuscrit en couleurs et taille originelles ( Le Goff, Jacques et al., Le sacre royal à l’époque de Saint Louis d’après le manuscrit Latin 1246 de la BNF, Paris, Gallimard, 2001 Google Scholar). Nous suivrons ici l’édition de R. Jackson, dont les numéros de page seront cités directement dans le corps du texte.

7 - Précision donnée par Éric Palazzo, « La liturgie du sacre », in J. Le Goff et al., Le sacre royal…, op. cit., pp. 37-89, ici pp. 74-79.

8 - La question de la datation n’est pas définitive. Voir Jackson, R. A., Ordines coronationis…, op. cit., p. 341 Google Scholar ; JACQUES LE GOFF, « La structure et le contenu idéologique de la cérémonie du sacre », pp. 34-35, et Bonne, Jean-Claude, « Images du sacre », in Goff, J. Le et al., Le sacre royal…, op. cit., pp. 91226, ici p. 144Google Scholar.

9 - Jackson, R. A., Ordines coronationis…, op. cit., p. 341 Google Scholar.

10 - Goullet, Monique, Lobrichon, Guy et Palazzo, Éric (éd.), Le pontifical de la curie romaine au XIIIe siècle, Paris, Le Cerf, 2004, p. 26 Google Scholar.

11 - Cette plus grande fixité des formules liturgiques (postulée, d’une certaine manière, par R. Jackson qui, à partir de l’existence de formules originales pour le serment du roi et la litanie, a supposé l’existence d’un manuscrit perdu qui aurait servi de source pour l’ordo du sacre) ne doit cependant pas être prise comme une norme. Un examen du texte de la préface de l’ordo, confronté aux sources textuelles indiquées, montre qu’il y a des altérations légères mais substantielles aux moments où il s’agit de l’image de la royauté. L’oraison récitée pendant l’onction de la reine est, par exemple, presque coupée intégralement de l’ordo du sacre, si on le compare à l’ordo de 1200, sa source textuelle la plus probable sur ce point. En outre, sélectionner des formules dans une tradition textuelle diverse présuppose une relation active envers ces formules plutôt qu’une transmission passive fondée sur la copie.

12 - Jackson, R. A., Ordines coronationis…, op. cit., v. 1, pp. 252 et 262Google Scholar. Il s’agit de deux moments spécifiques, la litanie et la fin de la remise des insignes royaux avant la messe.

13 - C’est tout le problème des verba cantandi, que nous traduisons aujourd’hui par « chanter » tandis que le vocabulaire médiéval était bien plus spécifique et introduisait beaucoup plus de nuances. Voir, entre autres, LARS ELFVING, Étude lexicographique sur les séquences limousines, Stockolm, Almqvist&Wiksell, 1962, et Iversen, Gunilla, Chanter avec les anges, poésie dans la messe médiévale, interprétations et commentaires, Paris, Le Cerf, 2001 Google Scholar.

14 - Jackson, R. A., Ordines coronationis…, op. cit., 1, pp. 299 et 302Google Scholar.

15 - Ibid., p. 298. Dans ce même extrait, il est possible que d’autres indications aient un contenu sonore implicite, comme « après complies » (” post completiorum completum »), par analogie avec les heures canoniques référées en conjonction par les verbes pulsare et decantare, et aussi « pour prier » (” orationem facturus ») et « veiller dans la prière » (” in oratione […] vigilaturus »), termes qui, dans l’ordo du sacre, évoquent, comme nous chercherons à le démontrer, une image sonore très spécifique.

16 - « Hiis expletis, missa tunc demum a cantore et succentore chorum servantibus inchoatur et sollemniter decantatur […] », Ibid., p. 303.

17 - Ibid., respectivement pp. 297 et 302.

18 - Jackson, R. A., Ordines coronationis…, op. cit., 1, p. 178 Google Scholar.

19 - Ibid., p. 182.

20 - Nous rejoignons ici J. LE GOFF et al., Le sacre royal…, op. cit., p. 24, selon qui le populus serait « les laïcs nobles, peut-être quelques bourgeois », sans retenir l’hypothèse du « peuple » hiérarchiquement inférieur présent sur le parvis et autour de la cathédrale. Cette hypothèse ne s’accorde pas avec un texte qui ne décrit pas un rituel royal, mais soit prescrit un rituel à venir, soit – plus probablement – construit une image idéale de la royauté pour elle-même. Il nous semble, au contraire, que le populus désigne clairement les grands pairs laïques du royaume, dans une des formules du manuscrit. Dans la Professio regis ante solium coram Deo, clero et populo, après avoir fait référence à Dieu et au clergé séculier et régulier, le roi s’engage à « témoigner aux comtes et à nos vassaux l’honneur qui leur est dû, conformément à l’avis de nos fidèles » (comitibus et vassis dominicis nostris congruum honorem secundum consilium fidelium nostrorum prestare, p. 361).

21 - Voir aussi Schmitt, Jean-Claude, « Rites », in Goff, J. Le et Schmitt, J.-C. (éd.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris, Fayard, 1999, pp. 970972 Google Scholar.

22 - Bonne, J.-C., « Images du sacre », art. cit., p. 193 Google Scholar.

23 - Ibid., pp. 193-194.

24 - Voir sur ce point Bigand, Emmanuel, « Contributions de la musique aux recherches sur la cognition auditive humaine », in Mcadams, S. et Bigand, E. (éd.), Penser les sons : psychologie cognitive de l’audition, Paris, PUF, 1994, pp. 249298, ici pp. 294-297Google Scholar.

25 - Dans son analyse des rubriques des drames liturgiques allemands, Mehler, Ulrich, Dicere und cantare: Zur musikalischen Terminologie und Aufführungpraxis des mittelalterlichen geistlichen Dramas, Regensburg, Gustav Bosse, 1981 Google Scholar, s’est concentré sur les verbes dicere et cantare et a conclu qu’ils étaient grosso modo interchangeables. Cependant, il faut distinguer drame liturgique allemand, but spécifique de l’étude de U. Mehler, et ordo, genre pour lequel il apparaît nécessaire de maintenir la distinction entre ces termes, à la fois au titre de précaution méthodologique et pour respecter la terminologie du manuscrit. Même s’il y a pour les deux termes une préoccupation de signifier l’écho sonore, comme l’indique P. Zumthor (La lettre et la voix…, op. cit., p. 42), cela ne permettrait pas de les confondre obligatoirement. Il ne suffit pas d’essayer de dévoiler l’écho sonore des termes employés. Nous devrons aussi comprendre ce qu’ils signifiaient pour les hommes qui les ont utilisés dans toutes leurs nuances, différentes de celles communément admises aujourd’hui.

26 - Voir J. LE GOFF, « La structure… », art. cit.

27 - Le renvoi à des images sonores au moyen de ces termes est assez évident, tant par le qualificatif alte, qui accompagne le verbe inquirere, que par la symétrie de celui-ci avec le verbe interrogare.

28 - Il est difficile de reconstituer l’image sonore évoquée par ces termes, mais nous pouvons provisoirement suivre Marie-Noël Colette quant au psallere, qu’elle interprète comme une forme intermédiaire entre le dicere et le cantare (pp. 229-231). Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une forme qui, mise après le dicere central, lui-même précédé d’un cantare, se rapproche vraisemblablement davantage de celui-ci, comme pour se distinguer du dicere.

29 - On pourrait donc argumenter que cette phase débute par un dicere. Mais il est fondamental de rappeler qu’il ne s’agit pas ici d’une cérémonie, mais plutôt d’un récit. Qu’il y ait deux descriptions consécutives d’un même événement nous mène nécessairement à considérer les deux descriptions comme des moments textuels distincts, et non pas comme des récits différents d’un même événement. L’« événement », ici, est le manuscrit, et non pas le rituel. C’est la représentation du rituel, et non sa réalisation. Nous traitons là d’un texte qui a probablement servi à donner de la royauté une image d’elle-même, non à conduire un rituel concret. La phase 6 commence donc par une longue absence de son, et non avec un dicere en concomitance avec les actions mentionnées auparavant.

30 - La seule description qui apparaît, de fait, est celle de la messe (phase 7), où les modalités sonores ne sont pas indiquées par des rubriques mais par le nom des pièces de la messe, ce qui empêche d’examiner la rythmicité du son comme nous l’avons fait jusqu’ici. La bénédiction de la reine (ointe et couronnée le même jour) est associée à l’insertion de ce personnage dans diverses phases du rituel, dans une description elle aussi indépendante. Quant à la phase 8, elle est presque absente du texte du manuscrit.

31 - Jackson, R. A., Ordines coronationis…, op. cit., v. 2, p. 298 Google Scholar.

32 - « Per dominum nostrum Iesum Christum filium tuum. Qui unctus est oleo leticie pre consortibus suis » (p. 354).

33 - « Hiis itaque promissis a rege et juramento super sacrosancta evangelia firmatis, cantatur ab omnibus “Te Deum laudamus”. »

34 - « Deinde alloquantur duo episcopi populum in ecclesia, inquirentes eorum voluntatem, et si concordes fuerint, agant Deo gratias omnipotenti decantantes » (ou, dans d’autres manuscrits, dicentes «Te Deum laudamus »), notamment le manuscrit G, que R. Jackson indique comme étant la source textuelle du manuscrit Latin 1246.

35 - « Postea inquirant alte duo episcopi assensum populi, quo habito, cantent Te Deum. »

36 - Voir aussi, pour la référence au clergé tout entier, la quatrième enluminure du cycle, où figure la litanie.

37 - Les phases 2 (procession de la sainte Ampoule) et 4 (adoubement), où, respectivement, le clergé régulier de l’abbaye de Saint-Denis et les grands laïcs du royaume sont au centre de l’action, sont marquées par le silence.

38 - Goff, J. Le, « La structure… », art. cit., p. 34 Google Scholar.

39 - Bonne, J.-C., « Images du sacre », art. cit., pp. 190192 Google Scholar.

40 - Voir Hughes, Andrew, « Antiphons and acclamations. The politics of music in the coronation service of Edward II, 1308 », Journal of musicology, 6, 2, 1988, pp. 150168 CrossRefGoogle Scholar, et Bukofzer, Manfred, « La musique des laudes », in Kantorowicz, E. H., Laudes regiae : une étude des acclamations liturgiques et du culte du souverain au Moyen  ge, Paris, Fayard, [1946] 2004, annexe, pp. 297339 Google Scholar.

41 - Voir Schrade, Leo, « Political compositions in French music of the 12th and 13th centuries: The coronation of French kings », Annales musicologiques, I, 1953, pp. 963 Google Scholar.

42 - « Tunc det illis oscula pacis; cunctus autem cetus clericorum tali rectore gratulans, sonantibus campanis, alta voce concinat TeDeum laudamus. Cantante populoKyrieleyson. »

43 - Bonne, J.-C., « Images du sacre », art. cit., p. 183 sqq Google Scholar.

44 - Voir, sur le silence monastique, Wathen, Ambrose G., Silence: The meaning of silence in the rule of St. Benedict, Washington, Cistercian Publications, 1973 Google Scholar.

45 - « La puissance sonore des trompettes est en quelque sorte le son du pouvoir qui résonne de toute part, conquérant et dominant un territoire urbain et ses habitants, le temps d’une entrée. Les trompettes sont la voix du prince, l’image sonore de sa personne idéalisée et théâtralisée. » ( Clouzot, Martine, « Le prince, le fou et l’ange », Moyen Âge entre ordre et désordre, Musée de la musique, 26 mars-27 juin, Paris, Cité de la musique/ Réunion des musées nationaux, 2004, pp. 5259, ici p. 53Google Scholar).

46 - Voir, par exemple, la formule déjà citée « Sta et retine […] » (p. 360), où est établie une analogie fonctionnelle entre le roi et le clergé séculier.

47 - Jackson, R. A., Ordines coronationis…, op. cit., v. 1, p. 178 Google Scholar.

48 - Voir à ce propos, les remarques de G. Iversen, Chanter avec les anges…, op. cit., pp. 291-292.

49 - Mcadams, Stephen, « La reconnaissance de sources et d’événements sonores », in Mcadams, S. et Bigand, E. (éd.), Penser les sons…, op. cit., p. 164 Google Scholar.

50 - Ici, au moment de l’onction, le Dominus vobiscum et la préface ne sont pas indiqués directement comme des modalités du dicere ; ils sont seulement transcrits à l’intérieur d’une rubrique, le premier dans celle de l’Alia oratio, et le deuxième dans celle du Praefatio. Il conviendrait de présenter ici la caractérisation donnée pour les didascalies du pontifical de la curie romaine au XIIIe siècle : « Les didascalies sont de deux ordres : les unes sont composées d’un simple titre – Oraison ; Bénédiction ; Répons… – annonçant un texte à lire à voix haute par un ou plusieurs membres de l’assemblée ; les autres enseignent la conduite à tenir durant les différentes cérémonies ou la façon dont doivent être dits les textes » (M. Goullet, G. Lobrichon et É. Palazzo (éd.), Le pontifical…, op. cit., p. 26). Dans l’ordo dont nous traitons ici, quelques oraisons et bénédictions sont indiquées par le moyen d’indications du premier ordre, sans l’emploi des verbes de sonorisation correspondants. Dans le cas du Dominus vobiscum et du Praefatio, cependant, le contexte lève les doutes quant à la classification : la parole antérieure est référée comme dicere, et l’identité est présupposée aussi bien par l’adjectif alia, attribué à l’ensemble où apparaît le Dominus vobiscum (Alia oratio), que par l’absence d’indications visant à réorienter la sonorisation, ce qui aurait probablement été le cas si l’intention avait été d’indiquer le changement de modalité sonore. Sur le Dominus vobiscum et le Praefatio, voir Robert, Dom Michel, « Les chants du célébrant », Revue grégorienne, 41, 6, 1963, pp. 113126 Google Scholar. Nous remercions Olivier Cullin d’avoir attiré notre attention sur ce texte.

51 - Celle-ci, comme diverses autres mélodies (y compris le Te Deum), n’apparaît pas usuellement notée dans les sources, ce qui est dû au fait qu’elle était très connue et très uniformément transmise. Notre manuscrit ne constitue pas une exception en ne la notant pas.

52 - Stäblein, Bruno, « Präfation », in Finscher, L., Die Musik in Geschichte und Gegenwart, Sachteil, Kassel, Sachteil, 1994-1999, v. 10, col. 1535-1537 (dorénavant MGG)Google Scholar. La formule du Dominus vobiscum se trouve dans la col. 1537. Bien qu’il y ait des formes simples et des formes plus élaborées pour le Dominus vobiscum et pour le Praefatio, nous prenons ici comme modèle le plus simple, puisque la hauteur est la même et que les inflexions plus prononcées des formes plus complexes (tonus solemnis et tonus solemnior) sont quand même moins élaborées que dans la sphère du cantare.

53 - Mckinnon, James W., The Advent project: The later-seventh-century creation of the Roman mass proper, Berkeley, University of California Press, 2000, p. 382 CrossRefGoogle Scholar.

54 - Pour l’histoire de la transmission, voir Schlager, Karl-Heinz, « Te Deum », MGG, v. 3, col. 164-168Google Scholar.

55 - L’attribution modale de cette pièce est difficile parce qu’elle antidate par trop l’octoechos. Cette attribution usuelle est pourtant au mode mi-plagal. Voir Steiner, Ruth, « Te Deum », in Sadie, S. (éd.) The New Grove dictionary of music and musicians, Londres, MacMillan, 1980, v. 18, pp. 641644 Google Scholar, qui discute les ambiguïtés modales de la pièce.

56 - Le texte du manuscrit introduit cette pièce de la manière suivante : « Introeuntes autem ecclesiam cantent hanc antiphonam: Domine, salvum fac regem et exaudi nos in die qua invocaverimus te, usque in introitum chori. Psalmus: Exaudiat te Dominus in die tribulationis; protegat te nomen Dei Iacob. Gloria Patri. Sicut erat. » Il s’agit ici d’une vraie énigme, un chant qui n’a pas même été localisé par MARIE-NOË L COLETTE, «Le chant dans l’ordo du sacre », in Goff, J. Le et al., Le sacre royal…, op. cit., pp. 242245 Google Scholar, et pas davantage, dans son étude sur la musique et la liturgie d’Aachen, à propos des rituels de couronnement, par Rice, Eric North, « Music and ritual in the Collegiate Church of Saint Mary in Aachen, 1300-1600 », Ph.D., School of Arts and Sciences, New York, Columbia University, 2002, 2 v., notamment le chapitre 4, « Music in the Aquensian coronation rite », pp. 303349 Google Scholar.

57 - « La lecture divine n’est pas chantée, comme le psaume ou l’hymne, mais seulement lue. Dans ceux-ci, on cherche la modulation (modulatio), dans celle-là, la prononciation (pronuntiatio) » : « Lectio divina, quia non cantatur, ut psalmus vel hymnus, sed legitur tantum. Illic enim modulatio, hic sola pronuntiatio quaeritur » (PL, 105, col. 1118).

58 - Voir, pour toutes ces références, Wagner, Peter, Einführung in der gregorianischen Melodien, Leipzig, Breitkopf und Härtel, 1921, v. 3, p. 4 Google Scholar.

59 - Comme Andrew Hughes l’a récemment soutenu dans un article fondamental, les XIIe et XIIIe siècles ont été des périodes de transformations profondes du cantus, avec le passage d’un style de chant à un autre tout différent, ce qu’il a nommé le « great vocal shift », c’est-à-dire le passage d’un style de chant fleuri (avec des hauteurs liées et imprécises, et riche en ornements et en notes aiguës) à un autre, plus discret (avec des hauteurs séparées et diatoniquement précises, présentant peu d’ornements et chanté dans une tessiture plutôt grave) :voir Hughes, Andrew, « Charlemagne's chant or the great vocal shift », Speculum, 77, 4, 2002, pp. 10691106 CrossRefGoogle Scholar. Si la notation doit être envisagée, selon cet auteur, comme l’une des principales sources de compréhension de ce processus, concernant notamment le développement de la notation carrée, associée au style discret, notre manuscrit semble déjà indiquer un passage vers ce style car ce type de notation y est utilisé. Au même moment, semble-t-il, le dicere pourrait être resté plus proche de l’idéal isidorien d’une voix alta (aiguë, dans ce cas), suavis et clara ( Séville, Isidore De, Etimologias, op. cit., III, 20, 14, v. 1, p. 448 Google Scholar), où les principaux desiderata étaient, selon J. Dyer, « une tessiture aiguë, un pouvoir de transmission et une intelligibilité du texte » (J. DYER, « The voice in the Middle Ages », art. cit., p. 171). On touche ici à une question passionnante, mais sur laquelle les études commencent à peine à s’esquisser.

60 - Goullet, M., Lobrichon, G. et É. Palazzo (éd.), Le pontifical…, op. cit., pp. 2930 Google Scholar.

61 - Kantorowicz, E. H., Laudes regiae…, op. cit., p. 136 Google Scholar.

62 - Nous nous rapprochons de J. Le Goff, qui s’est posé une question similaire à propos des textes normatifs pendant le règne de Saint Louis. Il conclut que « Saint Louis, d’abord par la volonté de ceux qui l’ont formé quand il n’était qu’un roi enfant, succédant à son père à l’âge de douze ans, et ensuite par sa propre volonté, a été, si j’ose dire, “programmé” pour être l’incarnation du roi chrétien idéal. Décrire celui-ci à partir de textes normatifs (miroir du prince, hagiographies, etc.), c’est décrire Saint Louis luimême. L’individualité du roi et le modèle royal décrit dans les documents ne font qu’un. » ( Goff, Jacques Le, « Comment écrire une biographie historique aujourd’hui ? », Le Débat, 54, 1989, p. 52 Google Scholar). Voilà la force transformatrice que des représentations de la société, incorporées dans des individus, peuvent acquérir.