Hostname: page-component-84b7d79bbc-fnpn6 Total loading time: 0 Render date: 2024-07-26T05:51:26.917Z Has data issue: false hasContentIssue false

Les prêteurs juifs de Venise au Moyen Age

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Reinhold C. Mueller*
Affiliation:
University of Arizona

Extract

Dans l'Europe du Moyen Age et au début des Temps Modernes, des guerres particulièrement dévastatrices instaurent la pénurie monétaire, en absorbant le capital liquide des classes riches par des emprunts forcés et des impôts, et en asséchant les caisses des États ; elles aggravent la pauvreté des artisans et des travailleurs et multiplient les « pauvres honteux » (poveri vergognosi).La pénurie de moyens monétaires fait alors monter le taux d'intérêt. Cette situation accable les riches qui ont besoin de crédit s'ils veulent honorer leurs dettes envers l'État, les marchands, qui souhaitent relancer leurs affaires interrompues par la guerre, et les pauvres qui manquent de crédit pour satisfaire aux besoins de la consommation courante.

Type
Pratiques Économiques et Groupes Sociaux
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1975

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

Notes

1. Roth, Cecil, The history of the jews of Italy, Philadelphia, 1946, p. 115 Google Scholar.

2. Les ouvrages consacrés aux juifs de Venise pendant le Moyen Age sont peu nombreux. Citons Abramo Lattes, « Cenni sulla communità israelitica in Venezia », Venezia e le sue lagune, I, Appendice, Venise, 1843, pp. 103-107 ; V. Ravà, « Ebrei in Venezia », L'educatore israelita, XIX, 1871, p. 46 ss. ; L. A. Schiavi, « Gli Ebrei in Venezia e nelle sue colonie », Nuova Antologia, 47, 1893, pp. 303-333 et 485-519 ; C. Roth, History of the Jews in Venice, Philadelphia, 1930 ; A. Bosisio, « La nazione ebraica tra Venezia e Mestre », Quaderno di studi e notizie, Centro di Studi storici di Mestre, V-VI, 1964-1965, pp. 9-13 ; L. Poliakov, Les banchieri juifs et le Saint-Siège du XIIIe au XVIIe siècle, Paris, 1965, pp. 271-281 ; B. Pullan, Rich and Poor in Renaissance Venice, Oxford, 1971, partie III ; et ma discussion de cet ouvrage : R. Mueller, « Charitable institutions, the Jewish community and venetian society », Studi veneziani, 14, 1972, pp. 37-82 ; M. Sandri et P. Alazraki, Arte e vita ebraica a Venezia, 1516-1797, Florence, 1971. Les ouvrages généraux d'histoire vénitienne offrent des références très incomplètes pour la période qui nous intéresse. Cf. P. Molmenti, La storia di Venezia nella vita privata, i, Bergame, 1927, p. 79 ; S. Romanin, Storia documentata di Venezia, 10 vol., n, Venise, 1835-1861, p. 379, qui ne fait que mentionner la présence de juifs en 1385 en commentant : « Per quali awenimenti poi si trasferissero nella città è ignoto… » ; V. Sandi, Principi di storia civile delta Repubblica di Venezia, 10 vol., Venise, 1755, est tout à fait exact ; cf. partie III, vol. I, pp. 434-469. Également important, G. Gallicciolli, « Memorie Annali degli Ebrei », Delle memorie venete antiche, 8 vol., II, Venise, 1795, pp. 278-326 ; G. Luzzatto, Storia economica di Venezia dal XI al XVIsecolo, Venise, 1961, pp. 13, 40, 60 ss. Voir enfin F. C. Lane, Venice, a maritime Republic, Baltimore, 1973, pp. 299-304.

3. Cf. A. Molho, Florentine public finances in the early Renaissance, 1400-1433, Cambridge, Mass., 1971, pp. 37-40, 150-152 ; cf. Roth, History of the jews in Italy, p. 134 ss. Pour Venise, cf. les raisonnements tenus sur les juifs par Sanuto et leur discussion dans Pullan, Rich and Poor, p. 495 ss. ; cf. aussi Poliakov, Les banchieri juifs, pp. 57 ss., 272 ss.

4. Galllicciolli, Memorie, II, pp. 278-279, a relevé ce chiffre dans une chronique non identifiée « à la Biblioteca Svajer ». La population totale est, dans le même recensement, de 160 208 personnes, chiffre qui ne sera atteint qu'au XVIe siècle ; cf. D. Beltrami, Storia délia popolazione di Venezia, Padoue, 1954, pp. 59, 79. Bien que Gallicciolli, p. 279, ait lui-même noté que ce chiffre était sans doute postérieur et que la date transcrite était probablement erronée, les historiens des juifs n'ont pas cessé de l'attribuer au XIIe siècle. Certains ont admis que le chiffre semblait exagéré, tout en y voyant un bon indice de l'importance commerciale des juifs dans la Venise du XIIe siècle ; cf. A. Milano, Storia degli Ebrei in Italia, Turin, 1963, p. 71 ; S. Baron, A social and religious history of the Jews, 14 vol., IV, New York, 1969, p. 25.

5. Cf. les documents publiés par R. Cessi, Deliberazioni del Maggior Consiglio di Venezia, 3 vol., III, Bologne, 1931-1950, p. 283, 29 sept. 1290, et par H. Simonsfeld, Der Fondaco dei Tedeschi in Venedig, 2 vol., i, Stuttgart, 1887, p. 28, doc. 82. Mentionnons que des marchands juifs au Levant ont longtemps fait partie de la communauté marchande vénitienne. Ils étaient traités comme des sujets, voire comme des citoyens dotés du statut de résident légal en Crète, à Corfou et à Constantinople. Cf. la bibliographie dans Lane, Venice, a maritime Republic, p. 475. Cf. aussi D. Jacoby, « Les juifs vénitiens de Constantinople et leur communauté du XIIIe au milieu du XVe siècle », Revue des études juives, 131, 1972, pp. 397-410.

6. Cité par Pullan, Rich and Poor, p. 495.

7. A. Ciscato, Gli Ebrei in Padova (1300-1800), Padoue, 1901, pp. 16-18; G. Mantese, « Prestatori di danaro a Vicenza nel sec. XIII », Odeo Olimpico, IV, Vicenza, 1943-1963, pp. 49- 79. Cette étude m'a été aimablement signalée par C. Kolb Lewis. Pour une vue d'ensemble, cf. R. De Roover, Money, Banking and Credit in Mediaeval Bruges, Cambridge, Mass., 1948, spéc. partie II, « Lombards or Cahorsins », et p. 313.

8. On ne peut qu'avancer des hypothèses sur les moyens par lesquels les juifs étaient en mesure d'accroître l'offre de liquidités. Distinguons trois possibilités : a) en passant d'une ville à l'autre, des juifs pouvaient transférer des capitaux de la première à la seconde en emportant des espèces et des créances sur des banquiers d'autres places ; b) quand les juifs faisaient durablement partie de la population d'une ville, il se peut qu'ils aient davantage épargné, fait de plus hauts profits et réinvesti dans les affaires plus que la plupart des hommes de finances chrétiens puisqu'ils se voyaient généralement interdire de placer leur argent en biens-fonds ; c) ils ont peut-être utilisé des techniques commerciales rendant leurs capitaux particulièrement liquides. Mais le rôle et l'importance respective des divers aspects qu'a pris l'accumulation de réserves importantes de capital liquide ne pourront être réellement évalués tant qu'on ne disposera pas de livres de comptes ayant appartenu aux prêteurs eux-mêmes. Je remercie Frédéric C. Lane de ces remarques. Sur les pratiques commerciales et les profits autorisés par la loi mosaïque, cf. l'important traité sur l'usure du banquier florentin Yehiel Nissim da Pisa (mort en 1574), édité, traduit et introduit par G. S. Rosenthal, dans Banking and Finance among Jews in Renaissance Italy, New York, 1962.

9. CESSI, R., « Le condizioni degli ebrei banchieri in Padova nei secoli XIVe XVe », Bollettino del Museo civico di Padova, x, 1907, pp. 201214 et xi, 1908, pp. 8-22Google Scholar. Carpi, D., « Alcune notizie sugli ebrei a VicenzaArchivio Veneto, 68, 1961, pp. 1723 Google Scholar ; G. Castellani, «Gli Ebrei a Verona, » Studi Storici Veronesi, V-VI, 1955-1956, pp. 67-82.

10. Sur les communications entre banquiers juifs et sur le rôle des minorités religieuses, cf. G. Luzzatto, I banchieri ebrei in Urbino nell'età ducale, Padoue, 1902, p. 11 ; W. Sombart, The Jews and modern capitalism, trad. angl. M. Epstein, New York, 1913 . Rosenthal, Banking and Finance, p. 17 ss. Cf. aussi infra, section v.

11. Cf. le décret De usuris et executionibus ultimarum voluntatum et maie ablatis incertis approuvé par un concile provincial tenu à Padoue en 1350, dans J. D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, 31 vol., XXVI, Florence-Venise, 1759-1798, col. 229-230. Des causes concernant la restitution d'usure à Padoue en 1330 et 1343 figurent dans Archivio di Stato, Venise (désormais abr. en A.S.V. ; les sources manuscrites non spécifiées appartiennent toutes à A.S.V.), Procuratori di San Marco, ultra, B. 185, fasc. 5 (Commissaria Marco Forzatè). Sur les démêlés d'Oliviero Forzetta, fils d'usuriers, avec la cour épiscopale de Trévise, cf. G. Biscaro, L'ospedale [civile di Treviso] e i suoi benefattori, Trévise, 1903, chap. IV (je remercie S. C. Wallington pour cette référence).

12. Luzzatto, G., « Tasso d'intéressé e usura a Venezia nei sec. XIII-XIV », Miscellanea in onore di Roberto Cessi, I, Rome, 1958, pp. 191202 Google Scholar; Lane, F. C., « Investment and usury in médieval Venice », réimpr. in Venice and History, Baltimore, 1966, pp. 5668 Google Scholar ; R. Mueller, « The Procuratori di San Marco and the Venetian credit market : A study of the development of credit and banking in the Trecento », Thèse Ph. D. non publiée, John Hopkins University, 1969, partie III.

13. A. Marchesan, Treviso medievale, 2 vol., I, Trévise, 1923, p. 237 ss.

14. Interdiction était faite aux Vénitiens civis vel habitator d'aller à Mestre emprunter à usure, et à tout prêteur à usure étranger de Mestre de venir à Venise ; R.Cessi éd., Deliberazioni, H, p. 224 et M. Roberti, Le magistrature giudiziarie veneziane, 3 vol., n, Venise, 1909, art. 17-18, pp. 268-270 et I, p. 205, n. 1.

15. Comme les décisions des juges ne sont connues que par des recours en appel, il est difficile de voir comment la loi a été appliquée. Cf. E. Favaro éd., Cassiere délia bolla ducale ; Grazie-Novus Liber (1299-1305), Venise, 1962, doc. 206, 1301 ; 401, 1303 ; 525, 1305 ; cf. aussi Grazie, reg. 11, f ° 28, 1346 ; 67, 1346 ; reg. 15, f ° 53, 1362 ; sur les six usuriers accusés, trois sont « Tuschi », deux citoyens de Trévise et un de Bologne ; aucun n'est juif.

16. Le dernier appel concernant un popolano vénitien mis à l'amende pour avoir été emprunter à Mestre date de 1345; cf. Maggior Consiglio, Capricornus, f °

25 v°, 31 oct. 1306, et Clericus civicus, f° 82, 25 fév. 1316/1317 ; Grazie, reg. 7, f° 4, 21 nov. 1335 et f° 7, 4 janv. 1335/1336 ; reg. 9, f°25v°, 11 nov. 1341 et f°81 v°, 14mars 1343; reg. 11, f°21, 12juin 1345. Cf. aussi Procuratori di S. Marco, Misti, B. 106, commissaria Daniele Emo, 2 e livre de comptes, f° 16 v° : ce patricien, lui-même prêteur sur nantissement, inscrit depuis 1362 dans son livre une dette auprès d'un prêteur « toscan » de Mestre, au nom d'un artisan vénitien.

17. La loi est publiée dans son entier par R. Cessi, Note per la storia délie società di commercio nel Medio Evo in Italia, Rome, 1917, p. 43.

18. Marchesan, Treviso Médiévale, i, pp. 237-239, suppose sans en apporter de preuves que les juifs se sont substitués aux « Tuschi » en 1340, quand Venise expulsa les Florentins, alliés de Vérone. Poliakov, Banchieri juifs, p. 271, affirme, sans citer de sources, que les prêteurs juifs ont été autorisés à vivre à Mestre après 1336. Nous avons montré supra que des Toscans prêtaient encore à Mestre à une date bien postérieure.

19. Luzzatto, G., Il debito pubblico délia Repubblica di Venezia, Milan, 1963, p. 125 Google Scholar.

20. Chaque prêteur aurait dû déposer un nantissement de 5 000 lires auprès des Consoli dei Mercanti, comme les autres banquiers vénitiens (banchieri a scripta) étaient obligés de le faire depuis 1318. Les immeubles ne pouvaient servir de garantie. Les Consoli devaient vendre à Venise les gages ; mais la prison pour les dettes de cette nature était interdite. Les biens volés devaient retourner à leur légitime propriétaire, mais le gage devait être remplacé ou le prêt remboursé. La licence de prêter devait durer cinq ans ; R. Cessi éd., Problemi monetari veneziani, Padoue, 1939, doc. 122.

21. Ibid., doc. 123.

22. Ibid., doc. 124.

23. Ibid., doc. 127. Les contractants dans une colleganza locale devaient être poursuivis « comme les usuriers manifestes ».

24. Senato, Misti, reg. 28, f° 15 v° ; discours très rhétorique de Nicolò Orio, non publié par Cessi.

25. Cessi, Problemi monetari, doc. 131. Des considérations religieuses ont peut-être influé sur les discussions. Les statuts civils établissant un taux maximum d'intérêt avaient été condamnés par le Concile de Vienne (1311-1312), puisqu'ils permettaient de lever une usure à un certain taux ; cf. McLaughlin, T., « The teachings of the canonists on usury », Mediaeval studies, ii, 1940, p. 10 Google Scholar.

26. Les prêteurs à venir ne pourraient demander que le capital et l'intérêt simple si un gage n'avait pas été dégagé ; l'usure ne serait calculée que jusqu'au jour où le gage était repris, et non pas sur la totalité du mois au cours duquel le rachat avait eu lieu ; la durée d'une licence ne dépasserait pas cinq ans et seulement deux ou trois prêteurs en bénéficieraient, en plaçant chacun un capital de 50 000 lires dans sa banque. Le podestat percevrait une part des amendes perçues et les capitula seraient proclamés périodiquement, les jours de marché, de manière à sauvegarder les droits des pauvres. Maggior Consiglio, Novella, f° 102 v°, 28 juin 1366, et aussi Senato, Misti, reg. 33, f° 51 v°, 10 avril 1370. Roth, History of the Jews ofltaly, chap. XVI, « The loan banks », définit clairement le terme de condotta (ou capitoli) comme une convention négociée entre le gouvernement et la communauté juive.

27. Roth, History of the Jews in Venice, p. 17 ss. Non seulement cet auteur donne comme date de la première invitation l'année 1366, mais il date aussi incorrectement le renouvellement de l'accord, ainsi que Schiavi, Molmenti, etc. Roth semble aussi avoir pris le taux d'intérêt de 4 denari par lire par mois comme 4 % par an, erreur répétée derrière lui par nombre d'auteurs.

28. Grazie, reg. 15, f° 53, 1362 ; cf. aussi le document concernant Johannes Roliger, ancien gouverneur des Chevaliers Teutoniques de Venise, accusé d'avoir volé et mis en gage à Mestre et Ravenne des objets cultuels, dans Simonsfeld, Der Fondaco, II, p. 304 ss., doc. 304, 1365. Cf. n. 15 supra.

29. Cessi, « Le condizioni degli ebrei banchieri », pp. 5-7 du tiré à part.

30. Luzzatto, Il debito pubblico, pp. 142, 158, 162 ; idem, Storia economica di Venezia, p. 141.

31. Cf. différentes rubriques d'un fragment de livre de comptes de Mafeo Bertuci ; Procura - tori di S. Marco, Misti, B. 104, commissaria Giacomello Contarini, 30 oct. 1378 ; 10 juin 1379.

32. R. Cessi a traité de ces problèmes financiers de façon approfondie, quoique sans notes, dans « La finanza veneziana al tempo della guerra di Chioggia », Politica ed economia di Venezia nel Trecento, Rome, 1952, pp. 179-248 et spéc. pp. 192-195. Cf. aussi son « Prestiti pubblici e imposta diretta nell'antica Repubblica Veneta », réimpr. dans Politica ed economia…, pp. 173-178. Sur le destin de certains patrimoines, cf. S. Chojnacki, « In search of the Venetian patriciate : Families and factions in the fourteenth century », Renaissance Venice, éd. J. R. Hale, Londres, 1973, p. 82, n. 35 et p. 89, n. 117.

33. Le document précise que les prêteurs peuvent être des personnes tam terrigena quam forensis et tam habitatrix Venetiarum quam non habitatrix. Les juges du Piovego auraient dirigé la vente aux enchères des gages non retirés après 6 mois. Senato, Misti, reg. 36, f° 114v°, 21 mars 1381 ; mentionné dans Luzzatto, « Tasso d'intéressé e usura », p. 199 ss. et dans Il debito pubblico, p. 174.

34. Le chroniqueur Daniele di Chinazzo ne fait allusion nulle part à des prêteurs ni à des juifs, mais il rapporte qu'en juillet 1378, 16 000 soldats mirent le siège devant Mestre et qu'en octobre 1380 de nombreuses familles de Trévise, chassées par la famine, se réfugièrent à Mestre et Venise ; Cronica de la guerra da Veneciani a Zenovesi, éd. V. Lazzarini, Venise, 1958, pp. 33-35, 153.

35. Cessi, « La finanza veneziana », pp. 204-214.

36. Maggior Consiglio, Novella, f° 171 r°-v°, 20 fév. 1381/1382.

37. La loi est mentionnée par Luzzatto, dans Il debito pubblico, p. 174, mais pas dans son « Tasso d'intéressé e usura ». Cessi, « La finanza veneziana », p. 215, y fait peut-être une allusion indirecte lorsqu'il parle de mesures facilitant le retour d'ouvriers ou de patriciens endettés. Ni l'un ni l'autre de ces auteurs, pourtant, n'a compris que cette loi lançait en réalité une invitation aux prêteurs juifs.

38. Brèves références aux deux dernières poursuites contre des chrétiens accusés d'usure dans les appels interjetés plus tard avec succès en 1382 et 1383 ; Avogaria di comun, Raspe, reg. 4, fos 41 et 64.

39. Maggior Consiglio, Novella, f 171.

40. Ces actes figurent dans les rares protocoli notariaux sur parchemin qui subsistent pour la période 1382-1387. Cf. l'appendice.

41. Luzzatto, I banchieri ebrei in Urbino, p. 37. L'auteur qui a publié des exemples de cette pratique au XVe siècle, tirés de comptes juifs à Fano, précise que les taux d'intérêt atteignaient à Urbino et Fano 30 à 40 % mais qu'ils s'abaissaient dans les grandes villes dotées de plus de capital liquide et affectées d'un moindre déséquilibre entre l'offre et la demande ; ibid., p. 34 ss. Cf. aussi Cessi, « La condizione degli Ebrei banchieri a Padova », p. 7.

42. Les titres étaient cotés à 34 en octobre 1385. Cf. Luzzatto, Il debito pubblico, pp. 266 et 271. «Super facto stricture denariorum », cf. Problemi monetari doc. 173, 9 mai 1385 ; Lane, Venice, a maritime Republic, pp. 196-201.

43. Senato, Misti, reg. 39, f° 120. La contre-proposition qui l'emporta préconisait une politique d'observation et d'attente, sous prétexte que la première condotta devait encore durer un an et demi et que « le temps nous instruirait ».

44. Ibid., f°139v°, Ier sept. 1385 ; f° 142 v°, 12 sept.; la commission fut autorisée le 24 septembre à poursuivre la négociation en octobre ; ibid., reg. 40, f° 3.

45. La loi, enregistrée à l'origine dans un volume disparu de Senato, Sécréta, est conservée dans Sopraconsoli, B. 1, Capitolare, f° 66 v° ss. Sandi, Storia civile, partie III, vol. I, 2, p. 437 ss., en rapporte le contenu.

46. Il est très possible que le Piovego ait créé trop de difficultés aux juifs en raison de sa fonction traditionnelle de protection des Vénitiens contre les usuriers manifestes.

47. Le personnel des Sopraconsoli retenait une commission d'un denier par lire ( = 0,8 %) de la vente aux enchères des gages au lieu d'1/2 denier précédemment ; si le prix de vente ne couvrait pas le prêt, le prêteur pouvait recourir contre l'emprunteur devant la cour des Sopraconsoli.

48. En conséquence de quoi, ils reçurent un terrain sur le Lido en 1386, pour en faire un cimetière ; cf. F. Corner, Ecclesiae venetae… illustratae, 14 vol., IX, Venise, 1799, pp. 118-120.

49. Cf. Pullan, Rien and Poor. pp. 567 et 573.

50. Cette option est la seule que je connaisse pour les condotte du Moyen Age. Elle est peutêtre due à l'incapacité des juifs de prévoir un an et demi à l'avance le montant total futur de leurs crédits. Le volume total de capitaux engagés aurait dû se monter à 200 000 ducats pour qu'une différence entre taux d'intérêt de 2 % produise 4 000 ducats ; par suite, le volume réel dont disposaient les prêteurs en 1387 devait être inférieur à cette somme, puisqu'ils ont préféré ne pas payer la taxe. Je remercie Richard Rapp pour ses remarques sur ce point.

51. Cf. les trois dernières rubriques de l'Appendice.

52. Senato, Sécréta, liber « E », copia, f° 97 v°-98 v°, et Sopraconsoli, B. I, capitolare, f° 64 v°, 24 sept. 1388. On décida le même jour que les juifs ne devraient pas accepter en gage d'objets du culte ; cf. infra, et n. 81.

53. Copie d'une délibération du Sénat du 24 octobre 1388 dans Sopraconsoli, B.I, capitolare, f° 64.

54. Senato, Misti, reg. 40, f° 143 v°, 31 déc. 1388. Le Sénat nomma comme enquêteurs deux banquiers patriciens afin de savoir si les juifs détenaient suffisamment de liquides pour prêter aux galères de Flandre. Cf. B. Cecchetti, « Appunti sulle flnanze antiche délia Repubblica Veneta », Archivio veneto, 35, 1888, p. 40. On verra plus bas que les prêteurs finirent par s'exécuter.

55. Senato, Misti, reg. 41, f° 15, 22 juin 1389.

56. Sur la situation de ces banques, cf. Maggior Consiglio, Leona, f° 37, 27 janv. 1389/1390 ; Simonsfeld, Der Fondaco dei Tedeschi, I, pp. 122-124, doc. 263 et 264, 1390 et 1391. Le juif Ansel détenait un instrument de crédit de 100 ducats sur Pietro Contarini, probablement un parent et associé d'Antonio et lui aussi insolvable à cette époque. Cf. Collegio, Notatorio, reg. I, f°97, 19fév. 1389/1390.

57. Cf. G. Luzzatto, « Il costo della vita a Venezia nel Trecento », réimpr. dans ses Studi di storia economica veneziana, Padoue, 1954, pp. 285-297 ; G. Cherubini, « Pisani ricchi e Pisani poveri nel terzo decennio dei Quattrocento », Rivista di storia dell’ agricoltura, 8, 1968, pp. 261- 285. Les banchi dei poveri juifs, qui tiendront lieu de Monts-de-Piété dans la Venise du XVIe siècle, offriront aux pauvres des sommes de 2 ou 3 ducats, mais à une époque où le pouvoir d'achat du ducat a beaucoup diminué ; cf. Pullan, Rich and poor, p. 539.

58. Senato, Misti, reg. 41, f° 19v°-20; B. Cecchetti, « Un ‘ bancho Levi ‘ a Venezia nel 1389», Archivio Veneto, 32, 1886, p. 386 ss.

59. Senato, Misti, reg. 41, f° 25, 29 juillet, et Sopraconsoli, B. 1, capitolare, f° 65 r°-v°. Cf. aussi le document concernant « Josep de Vult et eius gener Judei » (sans doute Joseph et Ansel de Nuremberg) daté du 3 sept. 1389 dans Collegio, Notatorio, reg. 2, f° 147.

60. E. De Marco, « Crepuscolo degli Scaligeri (La signoria di Antonio della Scala, 1381- 1387)», Archivio Veneto, ser. 5, XXII, 1938, pp. 107-206 et XXIV, 1939, pp. 1-120.

61. Cf. les annotations de C. Cipolla à son édition de Marzagaia, De modernis gestis, dans Antiche cronache veronesi, ser. III, vol. II des Monumenti storici, Venise, 1890, pp. 144, 225 ss., surtout 255, 288.

62. Collegio, Notatorio, reg. 2, f° 96 ss. Ce document a été publié par C. Cipolla, dans « I gioielli dell'ultimo principe scaligero », Nozze Kayser-Gasperini, Vérone, 1880. Cf. aussi Collegio, Notatorio, reg. 2, f° 81, 19 avril 1387. Afin d'équilibrer les comptes tels que le document nous les a rapportés, on peut supposer que la moyenne fut faite entre les deux estimations (6 300 et 6 500 ducats) auxquelles on était arrivé pour les joyaux du second dépôt.

63. Venise lui accorda une pension, ibid., f° 106, et Cipolla, « I gioielli », n. 29 et 31. Il put retirer un dépôt de 3 000 ducats qu'il avait fait à l'Office des grains ; Senato, Secreta, liber «E », copia, f° 42, 29 avril 1388, et Cipolla éd., De modernis gestis, p. 113, n.

64. « Pro expediendo jocalia quondam Domini Antonij délia Scala que restant et quorum usura pur crescit. » Senato, Secreta, liber « E », copia, f° 104 v°, 11 oct. 1388.

65. Notons pour comparaison que le patrimoine total d'Andrea Barbarigo est évalué en 1449 à près de 15 000 ducats ; F. C. Lane, Andrea Barbarigo, merchant of Venice, 1418-1449, Baltimore, 1944, p. 32 ss.

66. Ansel réclamait son prêt de 100 ducats sans garantie « et prode ipsorum secundum usum aliarum cartarum Judeorum » ; Sopraconsoli, B. Iá, capitolare, f° 87 v°-88, 12fév. 1389/1390.

67. Collegio, Notatorio, reg. I, f° 98, 12 mars 1390 et reg. 2, f° 159 v° ; document publié par Simonsfeld, Der Fondaco dei Tedeschi, II, p. 315, doc. 45. Le règlement de cette plainte constitua un précédent, puisque les Sopraconsoli furent autorisés par le Collegio à vendre non seulement les biens mobiliers d'un débiteur, mais même ses « possessiones » ou biens fonciers pro solutione fienda Judeis prestantibus ad usuram.

68. Sopraconsoli, B. I, capitolare, f° 66-67 v°.

69. Senato, Misti, reg. 41, f° 109, 4 nov. 1390.

70. Un juif non nommé avait prêté de l'argent à la Commune sur un bijou gagé par le patricien Gasparino Morosini, l'un des « sapientes pro Judeis » en 1385 ; son remboursement devait aussi être assuré par l'office des comptes; Collegio, Notatorio, reg. I, f° 103, 22juin 1392 et reg. 2, f° 193, daté de 1391.

71. Ciscato, Gli Ebrei in Padova, pp. 19-20.

72. Luzzato, I banchieri ebrei in Urbino, pp. 30-39 et doc. II et III.

73. Cf. A. Teja, Aspetti della vita economica di Zara dal 1289 al 1409, partie I, La pratica bancaria, Zara, 1936, pp. 94-95 et 121-122. Les magistrats de Zara ne purent trancher une cause parce que les contrats d'association des juifs concernés étaient rédigés en hébreu ; ils renvoyèrent donc l'affaire devant le rabbin à Mestre. Cf. aussi A. Molho, « A note on Jewish moneylenders in Tuscany in the late Trecento and early Quattrocento », Renaissance Essays in honor of Hans Baron, éd. A. Molho et J. Tedeschi, Florence, 1971.

74. Lattes, M., « Gli Ebrei di Norimberga e la Repubblica di Venezia », Archivio Veneto, IV, 1872, pp. 149154 Google Scholar ; et Roth, History ofthe Jews in Venice, p. 25. Cf. un arbitrage rendu à Breslau en 1396 sur ce qui semble un transfert de fonds (723 ducats) sur une banque juive de Venise ; KISCH, G., The Jews in medieval Germany ; a study of their legal and social status, Chicago, 1949, pp. 256, 495 ss., n. 59Google Scholar.

75. Teja, Aspetti délia vita economica di Zara, Appendice, doc. XIII et XV.

76. Ibid., doc. VIII. Sur ces instrumenta ex causa cambii, cf. R. de Roover, L'évolution de la lettre de change, Paris, 1953.

77. Teja, Aspetti, doc. XIX et XVIII. Dans ce dernier cas, le juif Caser recevait assez curieusement, en garantie pour son prêt de 1015 ducats « nomine cambij » à Antonio di Luca da Panzano de Florence, un coffret scellé contenant des perles et évalué à 2 000 ducats. Le change sur nantissement comme le change sec furent déclarés ne pas être rectum cambium, mais signum et vitium peccati usurarij par le Sénat de Venise en 1411 ; Senato, Misti, reg. 49, f° 56, 26 sept. ; cette décision figure aussi dans les capitolari des Consoli dei Mercanti et du Piovego.

78. Il semble que Jacob quitta Venise en emportant de nombreux gages et les livres de comptes et fut déclaté fugitivus par les Sopraconsoli. Les tribunaux vénitiens poursuivirent les trois juifs « dans le désir d'aider les nécessiteux qui se lamentaient de la perte de leurs gages ». M. Lattes, « Gli Ebrei di Norimberga », pp. 50-54.

79. Le marché des titres approchait de son apogée d'après-guerre : les titres étaient cotés à 56-58 en 1394 ; 61 en 1397. Il semble qu'aucun emprunt forcé n'ait pris place entre 1390 et 1403. Cf. Luzzatto, Il debito pubblico, pp. 266 et 271.

80. Cinq juifs furent dévalisés et jetés à la mer, attachés à l'ancre, par les trois marins d'un bateau vénitien qui les ramenait de Portogruaro. Quarantia, Deliberazioni, reg. 17 (antico 3), f°28, 8 juillet 1384.

81. Senato, Secreta, liber « E », copia, f° 98 v°-99, 24 sept. 1388. Des Vénitiens se rendaient coupables de la même action qui leur fut interdite en 1412 ; cf. Collegio, Notatorio, reg. 4, f° 127, nov. 1412, et Volumen statutorum, legum ac iurium dominii Venetorum…, Venise, 1564, f° 159 v°, consulta n° 27.

82. En 1388 (cf. n. 48 et 52 supra), le Sénat reconnaisait que ipsi Judei non possunt stare peius sicut stant ad presens et qu'il fallait pro honore terre nostre… provedere super hoc ita quod ipsi Judei stant insimul per se et separati ab alijs… La communauté dut demander au Piovego le droit de construire une enceinte de bois autour du cimetière du Lido, dont les tombes étaient profanées par des Vénitiens.

83. Cf. supra, n. 78. Roth, History of the Jews in Venice, p. 19.

84. Senato, Misti, reg. 43, f° 24, 27 août 1394. Le problème se posa en 1395 de savoir si on ferait exception pour les médecins juifs « comme Magister Salomon » patentés à la Giustizia Vetera ; le Grand Conseil trancha par la négative, mais des grazie furent attribuées par la suite ; Maggior Consiglio, Leona, f° 78 v° ; Molmenti, Storia di Venezia, I, p. 79, n. 6. Une tentative d'étendre l'ordre d'expulsion à Mestre, Trévise et Ceneda échoua ; cf. Senato, Misti, reg. 43, f° 30, 28 sept. 1394.

85. Maggior Consiglio, Leona, f° 182 v°. Cf. aussi M. Sanuto, I diarii, 58 vol., I, Venise, 18 79-1903, p. 81, 26 mars 1496.

86. On connaît le diplôme pontifical de « Docteur en médecine » décerné à Venise en 1401 à Abramo, fils de Niccolò, « già ebreo ». Simonsfeld, Der Fondaco dei Tedeschi, II, p. 319, doc. 54, a publié un procès de 1421 où deux juifs furent poursuivis pour offense à Magister Andrea phisico, eo quia se fecerat Christianum.

87. Senato, Misti, reg. 48, f° 39 v°-40, 20 cet. 1408.

88. Milano, Storia degli Ebrei in Italia, p. 138. L'auteur fait cependant une erreur manifeste en affirmant (p. 137) que la condotta de 1366 resta en vigueur à Venise tout au long de quatre siècles.

89. Cancelleria inferiore, B. 96, notaio Pietro de Gualfrini, 12 sept., 27 nov. 1393 ; 29 avril 1394.

90. Ibid., folio détaché. Ce document m'a été aimablement signalé par Susan C. Wallington. Comme la première page manque, on n'en connaît pas la date qui doit se situer entre 1393 et 1395.

91. La commune de Mestre promettait in casu necessitatis prestare dicto M. auxilium consilium et favorem pro conservacione et defensione personarum et bonorum suorum (cf. des clauses analogues de sécurité dans les condotte de Fano, dans Luzzatto, I banchieri ebrei in Urbino, p. 19 ss. et doc. XVI, cap, 17). En cas de guerre, Moses n'aurait que deux à trois jours à Venise pour rendre leurs gages à ceux qui les réclameraient. Les clauses générales l'assuraient qu'il ne serait contraint à aucun acte allant contre la loi mosaïque, qu'il pourrait acheter de la terre pour un cimetière, manger de la viande fraîche préparée à la manière des juifs, acheter et gérer une boutique d'orfèvre pour décorer la synagogue « pro colaudando deo suo modo ».

92. Senato, Misti, reg. 46, f° 134, 3 juin 1404 et Sopraconsoli, B. I, capitolare, f° 68, 14 août 1404.

93. Sanuto, Diarii, I. p. 89.

94. Cf. Mueller, « Charitable institutions », pp. 66-70.

95. Marchesan, Treviso medievale, I, p. 139 ss. E. Morpurgo, « Monografie storiche sugli Ebrei del Veneto », Il corriere israelitico, série commençant a. 48, 1909, p. 141. Les taux d'intérêt variaient dans ces divers centres entre 15 et 24 % ; Morpurgo, a. 48, n. 10, 1910, p. 188. De telles différences dans des villes voisines ne pouvaient se maintenir que pour des raisons juridiques (l'obligation de fournir une somme donnée d'argent dans une localité précise) et en raison des différences entre types de crédit. Cf. aussi Senato, Misti, reg. 45, f° 13, 14 mai 1400 ; Milano, Storia degli Ebrei in Italia, pp. 132 ss., 139 ss. ; et Senato, Terra, reg. 9, f° 19, 7 août 1483.

96. Le problème des juifs dans la Venise du XVe siècle sort des limites de cette étude. Cf. l'intervention de D. Jacoby, au Colloque « Venezia e l'Oriente », en 1973. Milano, Storia degli Ebrei, p. 139 affirme à tort que les juifs continuèrent à être impliqués dans toutes les activités commerciales du Rialto, y compris le prêt d'argent, et l'acquisition de biens fonciers dans Venise; cette affirmation s'appuie sur une interprétation erronée d'une loi de 1423 (dans A. A. Viola, Compilazione délie… leggi… in materia d'offici e dei Banchi del Ghetto, v, partie II, Venise, 1786, p. 182) se référant non pas aux juifs de Venise régis par la loi de 1394, mais aux juifs in terris et locis nostris tam a parte terre quam a parte maris s'occupant de biens fonciers et de prêt. Cf. le ducale du 30 sept, dans Castellani, « Gli Ebrei a Verona », Appendice, p. 80 ss.

97. Les prêts, dont le taux d'intérêt fluctuait selon les conditions du marché, reçurent un premier coup avec la crise bancaire de 1375 et ne reprirent pas après le départ des juifs. Cf. R. Mueller, « The procurators of San Marco in the thirteenth and fourteenth centuries », Studi Veneziani, XIII, 1971, p.l64ss.

98. A propos des banchi dei poveri, il écrit : « Questo commodo è spetiale alla città di Venetia ; … benché il felicissimo Regimento della Repubblica è talmente stabilito, che non deve dubitare d'alcuna alteratione, … non ha voluto permettere giamai, che la fontione di soccorrere con danari alla Povertà sia praticata se non da Natione affatto rimessa e soggetta, remota assolutamente da qualunque pensiero seditioso et ambitioso. » Discorso circa il stato de gl'hebrei … nell'inclita città di Venezia, Venise, 1638, pp. 32-33 v°.