Hostname: page-component-7bb8b95d7b-dtkg6 Total loading time: 0 Render date: 2024-09-11T07:29:02.347Z Has data issue: false hasContentIssue false

Les transformations récentes de la centuriation Une autre lecture de l’arpentage romain

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Gérard Chouquer*
Affiliation:
CNRS

Résumé

La centuriation ne peut être étudiée qu’avec des archives écrites (les textes des Gromatici veteres; les plans cadastraux d’Orange) qui sont largement postérieures au principal moment de mise en place de ces grands quadrillages agraires. De même, alors que l’archéologue peine à retrouver la trace matérielle de ces trames, l’archéogéographe qui étudie la morphologie agraire travaille sur des formes qui sont, elles aussi, très largement postérieures aux faits qui leur ont donné naissance. Pour ces raisons, la centuriation change en ce moment et devient objet d’une archéogéographie, entendue comme une archéologie du document afin de savoir de quoi celui-ci est la source.

Abstract

Abstract

Centuration is a process that can be studied only by using written archives (Gromatici veteres, the land registry of Orange, France) that date from a much later time than the period when most of the land was divided into plots using the centuratio grid. Just as archeologists have difficulty finding material evidence of this grid, archeogeographers, who study the layout of the land, works on forms that, likewise, date from much later than the facts underlying them. For these reasons, centuration is becoming a subject of study for an archeogeography, i.e., the study of documents as ‘archeological strata’ with the intent of discovering the actual problems to which the document was trying to respond.

Type
L’arpentage romain
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2008

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

1- Voir la lettre de Barthold Georg Niebuhr à Goethe dans Hinrichs, Focke Tannen, Histoire des institutions gromatiques, trad. de D. Minary, Paris, Institut français d’archéologie du Proche-Orient, [1974] 1989, p. 12.Google Scholar

2- L’adjectif « gromatique » est couramment employé depuis que les éditeurs allemands du corpus ont véhiculé l’expression Gromatici veteres (anciens arpenteurs) ; gromaticus étant l’un des mots pour désigner l’arpenteur, et le mot venant de groma, l’instrument de visée en forme de croix : Blume, Friedrich, Lachmann, Karl et Rudorff, Andreas, Die Schriften der Römischer Feldmesser, Hildesheim, Georg Olms, [1848] 1967 Google Scholar (édition quasi intégrale des textes des Gromatici veteres). L’autre édition de référence est : Thulin, Carl, Corpus agrimensorum Romanorum, t. 1, Opuscula agrimensorum veterum, Leipzig, Teubner, 1913 Google Scholar. Mais elle ne concerne que la moitié environ des textes édités par Lachmann. Il est d’usage, dans la littérature spécialisée, de citer ces éditions en donnant la page et la ligne, suivi de La pour l’édition allemande de 1848, (parce que l’établissement du texte est dû à Lachmann) et de Th pour l’édition de Thulin.

3- On ne peut pas recenser ici la totalité des traductions, trop nombreuses et souvent très partielles ou même introuvables. Parmi les plus marquantes, on dispose d’une édition et d’une traduction intégrale du corpus en anglais : Campbell, Brian, The writings of the Roman land surveyors: Introduction, text, translation and commentary, Londres, Society for the Promotion of Roman Studies, 2000 Google Scholar ; en castillan : Hyginus et Siculus Flaccus, Opuscula Agrimensorum Veterum, éd. et trad. par M. J. Castillo Pascual, Logroño, Universidad de La Rioja, 1998. Stefano Del Lungo a traduit tous les textes tardifs en italien : La pratica agrimensura nella Tarda Antichita et nell medioevo, Spolète, Fondazione Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 2004. En français, les principales traductions sont : Flaccus, Siculus, Les conditions des terres, trad. et com. par M. Clavel-Lévêque et al., Naples, Jovene Ed., 1993 Google Scholar ; Balbus, , Présentation systématique de toutes les figures ; Podismus et textes connexes, trad. par J.-Y. Guillaumin, Naples, Jovene Ed., 1996 Google Scholar ; Id., Les arpenteurs romains, t. I, Hygyn Le Gromatique, Frontin, éd. et trad. par J.-Y. Guillaumin, Paris, Les Belles Lettres, 2005 ; Favory, François, Gonzales, Antonio et Robin, Philippe, « Témoignages antiques sur le bornage dans le monde romain », Revue archéologique du Centre de la France, 33, 1994, p. 214238 Google Scholar ; 34, 1995, p. 261-281 ; 35, 1996, p. 203-216 ; 36, 1997, p. 203-209 ; Peyras, Jean, « Écrits d’arpentage et hauts fonctionnaires géomètres de l’Antiquité tardive », Dialogues d’Histoire Ancienne, 21-2, 1995, p. 149204 CrossRefGoogle Scholar ; 25-1, 1999, p. 192-211 ; 28-1, 2002, p. 138-151 ; 29-1, 2003, p. 160-176 ; 30-1, 2004, p. 166-182 ; 31-1, 2005, p. 150-171 ; 32-1, 2006, p. 143-154. Enfin, Marius Alexianu, de l’université de Iasi, entreprend une traduction roumaine du corpus.

4- Les travaux philologiques de Jean-Yves Guillaumin sont précieux : il a consacré nombre d’articles à l’explication de termes techniques jusqu’ici mal compris. Voir en dernier lieu : Guillaumin, Jean-Yves, Sur quelques notices des arpenteurs romains, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007 CrossRefGoogle Scholar. Voir aussi Anne Roth-Congès, « Modalités pratiques d’implantation des cadastres romains : quelques aspects (Quintarios Claudere. Perpendere. Cultellare. Varare : la construction des cadastres sur une diagonale et ses traces dans le Corpus agrimensorum) », Mélanges de l’École française de Rome, Antiquité, 108-1, 1996, p. 299-422 ; de même ceux de François Favory et ceux de Jean Peyras, cités à la note précédente, sur le vocabulaire des textes de date tardive.

5- Chevallier, Raymond, « Essai de chronologie des centuriations romaines de Tunisie », Mélanges de l’École française de Rome, 70, 1958, p. 61128.Google Scholar

6- On aura une vue des opinions traditionnelles sur les textes et la centuriation à travers l’ouvrage de O. Dilke, excellent connaisseur de l’arpentage antique : Dilke, Oswald A. W., Les arpenteurs de la Rome antique, Sophia-Antipolis, Éd. APDCA, [1971] 1995 Google Scholar. Son livre est aujourd’hui dépassé sur certains points, parce qu’il véhicule beaucoup de poncifs : la piètre qualité des textes, leur qualification comme manuels scolaires, la place donnée à la centuriation, etc.

7- Enrique Gil, Ariño, Gurt Esparraguera, Josep M. et Palet Martinez, Josep M., El pasado presente. Arqueología de los paisajes en la Hispania romana, Salamanque, Ed. Universidad de Salamanca, 2004 Google Scholar. Les centuriations concerneraient une quarantaine de feuilles de la carte de l’Espagne, qui en compte 1 130, sans d’ailleurs couvrir la totalité des feuilles en question.

8- Moatti, Claudia, La raison de Rome. Naissance de l’esprit critique a la fin de la République (IIe-Ier siecle avant J.-C.), Paris, Éd. du Seuil, 1997, notamment p. 245250 Google Scholar consacrées aux centuriations, ces « réseaux qui structurent le visible ». La centuriation « gommait toutes les données antérieures, transformait le paysage naturel, créant un ordre artificiel et homogène, un ordre romain, par la forme » (p. 246).

9- Le mot francisé « limitation » (latin limitatio) est le nom générique de toutes les trames qui procèdent d’un arpentage fixant sur le sol des limites (de limes, chemin). Il en existe plusieurs formes, la plus connue et de très loin la plus utilisée étant la centuriation : c’est une trame d’axes quadrillés dessinant des unités intermédiaires dites centuries. Les centuries peuvent avoir des mesures différentes, mais la plus répandue est la centurie carrée de 200 jugères (environ 50 ha), de plus ou moins 710 m de côté.

10- Sur les arpenteurs, on dispose de l’excellent livre de Maganzani, Lauretta, Gli agrimensori nel processo privato romano, Rome/Milan, Pontifica Università Lateranense/ Mursia, 1997 Google Scholar, dans lequel la première et la deuxième parties sont consacrées à la nature et à la typologie des activités des arpenteurs.

11- La question de l’archivage et des documents cadastraux a été magistralement traitée dans Moatti, Claudia, Archives et partage de la terre dans le monde romain (IIe s. avant- Ier siecle apres J.-C.), Rome, École française de Rome, 1993.Google Scholar

12- F. T. Hinrichs, Histoire des institutions gromatiques, op. cit., notamment chap. 7. Voir ensuite Cranach, Philipp von, Die Opuscula agrimensorum veterum und die Entstehung der kaiserzeitlichen Limitationstheorie, Bâle, Friedrich Reinhardt Verlag, 1996 Google Scholar ; Pascual, Maria José Castillo, « El nacimiento de una nueva familia de textos técnicos: la literatura gromática », Gérion, 14, 1996, p. 233250 Google Scholar. Présentation de l’évolution des idées sur le corpus dans Chouquer, Gérard, « Une nouvelle interprétation du corpus des Gromatici veteres », Agri Centuriati. An International Journal of Landscape Archaeology, 1, 2004, p. 4356.Google Scholar

13- L’ensemble du dossier est réuni dans Chouquer, Gérard et Favory, François, L’arpentage romain. Histoire des textes, droit, techniques, Paris, Éd. Errance, 2001.Google Scholar

14- De la tradition historiographique, on récupère une pesanteur qu’un siècle de travaux philologiques érudits n’a pas encore réussi à inverser. Je veux parler des effets de la différence existant entre l’édition de K. Lachmann en 1848 et celle de C. Thulin en 1913. K. Lachmann avait cru pouvoir distinguer : un livre I de Frontin sur les qualités des terres ; le commentaire de la première partie de ce texte par Agennius Urbicus ; le commentaire de la seconde partie par un commentateur chrétien tardif ; un livre II de Frontin ; enfin un opuscule attribué à Agenus Urbicus (sic) sur les controverses agraires. À propos des textes attribués à Frontin, C. Thulin a montré qu’il fallait distinguer quatre personnages : Frontin, un anonyme que nous nommons le Pseudo-Agennius, Agennius Urbicus et un commentateur anonyme d’époque tardive. Le résultat de cette réorganisation est de proposer un auteur anonyme (que nous nommons depuis le Pseudo-Agennius) d’époque flavienne, qui nous est connu par le commentaire qu’en fait Agennius bien plus tard. Les chercheurs acceptent généralement l’édition de Thulin, mais ont du mal à faire exister cet anonyme, préférant souvent continuer à le confondre avec Frontin. Admettons qu’on ne suive pas C. Thulin au pied de la lettre (ce que font cependant la quasi-totalité des auteurs modernes dans leurs éditions), et qu’on laisse ouvert le débat, puisque la situation philologique est en effet compliquée, rien ne viendrait récuser l’idée que le corpus est une initiative flavienne. Car il faut distinguer deux problèmes. Le premier problème philologique est de savoir s’il est légitime de distinguer, dans le texte dit d’Agennius Urbicus, ce qui appartient à la source flavienne et ce qui est du domaine de la glose tardive d’Agennius Urbicus. Cette dissociation vient de B. G. Niebuhr. Elle a été adoptée par K. Lachmann et reprise par C. Thulin. T. Mommsen avait émis des doutes. C. Thulin, Corpus agrimensorum Romanorum…, op. cit., et Grelle, Francesco, Stipendium vel tributum: l’imposizione fondiaria nelle dottrine giuridiche del secondo e terzo sec., Naples, Jovene Ed., 1963 Google Scholar, ont été d’accord pour admettre qu’Agennius Urbicus copie et commente un anonyme de l’époque de Domitien. Le spécialiste des manuscrits du corpus qu’est Toneatto, Lucio, « Tradition manuscrite et éditions modernes du Corpus Agrimensorum Romanorum » , in Clavel-Lévêque, M. (dir.), Cadastres et espace rural. Approche et réalité antique, Paris, Éd. du CNRS, 1983, p. 2150 Google Scholar et Id., Codices artis mensoriae: i manoscritti degli antichi opuscoli latini d’agrimensura, 5.-19. sec., Spolète, Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 1994, admet cette idée tout en restant prudent. Dans un article très intéressant que je regrette de n’avoir pas connu au moment de la rédaction de notre ouvrage de 2001, M. J. Castillo Pascual adopte un curieux compromis, en ne faisant pas la distinction entre les deux auteurs, mais en plaçant Agennius Urbicus sous les Flaviens : María José Pascual, Castillo, «Agennius Urbicus ¿agrimensor o jurista? », Iberia, 1, 1998, p. 95107 Google Scholar. Le bilan serait donc plutôt en faveur de l’existence d’un auteur flavien que recopie et commente Agennius Urbicus. Le second problème est alors de savoir si cet auteur est ou non Frontin. C. Thulin et F. Grelle refusent l’idée d’un livre II de Frontin et penchent donc pour un personnage autonome. Del Lungo, S., La pratica agrimensura…, op. cit., p. 185 Google Scholar et note 12, pense de même. Mais, qui que ce soit, on est bien renvoyé à l’initiative flavienne, et c’est cela qui importe ! Il y a donc pesanteur, alors que tout pousse à situer sous les Flaviens la source du texte d’Agennius Urbicus (que cette source soit un anonyme ou que ce soit Frontin), à ne pas le reconnaître et à ne pas en tirer toutes les conséquences quant à la genèse du corpus gromatique.

15- Ce mot technique désigne les terres qui n’entrent pas dans le quadrillage régulier, pour diverses raisons : ce sont des terres qui restent à la collectivité et qui font l’objet de contrats de location.

16- Siculus Flaccus, Les conditions des terres, éd. et trad. par M. Alexianu, à paraître.

17- Piganiol, André, Les documents cadastraux de la colonie romaine d’Orange, 16e suppl. à Gallia, Paris, Éd. du CNRS, 1962 Google Scholar. À noter l’intéressant travail de relecture de ces marbres par Michel Christol, dans Christol, Michel, Leyraud, Jean-Claude et Joël- Claude Meffre, « Le cadastre C d’Orange, révisions épigraphiques et nouvelles don- nées d’onomastique », Gallia, 55, 1998, p. 327342.CrossRefGoogle Scholar

18- Dans Chouquer, G. et Favory, F., L’arpentage romain…, op. cit., p. 58 Google Scholar, j’ai écrit que les mutations devaient être enregistrées dans des documents annexes au plan cadastral. Commentant cette idée, Maganzani, Lauretta, « Arpenter la terre pour le procès : la consultation technique en droit romain », Revue Internationale des Droits de l’Antiquité, LIII, 2006, p. 283298 Google Scholar, ici p. 294, observe que le fait que les arpenteurs soient invités à prendre conscience du décalage que peut présenter la forma par rapport au terrain indique que ce n’était pas le cas.

19- Les arpenteurs nomment « arcifinales » (ager arcifinalis) des terres publiques qui n’ont aucune mesure, qui ne sont pas enregistrées dans un plan cadastral et où les confins sont donnés par des éléments naturels ou institués pour servir de bornes : des cours d’eau, des lignes de crête, des arbres remarquables, des monuments divers, des tas de pierre, des fossés, etc. La contenance des domaines est connue par la déclaration du possesseur ; l’arpenteur peut, au besoin, la contrôler par une mesure selon le périmètre.

20- 77, 22 - 78, 6 Th = 284, 1-7 La.

21- Maganzani, Lauretta, « Gli incrementi fluviali in Fiorentino VI INST. (D. 41. 1. 16) », Studia et Documenta Historiae et Iuris, LIX, 1993, p. 207258 Google Scholar ; Id., « I fenomeni fluviali e la situazione giuridica del suolo rivierasco: tracce di un dibattito giurisprudenziale », Jus. Rivista di scienze giuridiche, XLIV-3, 1997, p. 376-390.

22- Dig., 41, 1, 16.

23- J’observe, cependant, qu’il existe aussi des signes de raidissement des opinions devant ces évolutions, avec un goût assez marqué pour le retour aux idées du XIXe siècle telles que : la centuriation serait d’origine ; la scamnation et la strigation ne relèveraient que de la possession alors que la centuriation relèverait de l’assignation ; la scamnation serait un rituel de destruction de la centuriation ; il y aurait une correspondance étroite entre les formes et les statuts civiques et juridiques des cités ; le religieux serait l’explication principale de la morphologie agraire, etc.

24- Une des difficultés qu’expliquent les juristes est de qualifier la nature de cette possession dans les terres provinciales. On connaît bien le dominium (ou « propriété » civile ou quiritaire) ainsi que la possession bonitaire dite aussi prétorienne, mais ces deux formes sont réservées aux seuls citoyens romains. Comment les pérégrins possèdent-ils leurs terres ? C’est une forme sans nom qui relève du ius gentium et non du droit civil, et, parce que la terre provinciale est déclarée publique, le jurisconsulte Gaius l’appelle possession ou encore usufruit. Mais c’est une forme de possession qui ne conduit pas au dominium. Voir Robaye, René, Le droit romain, Louvain-la-Neuve/Bruxelles, Academia/ Bruylant, 1995, p. 101125 Google Scholar ; Voci, Pasquale, Istituzioni di diritto romano, Milan, A. Giuffrè, [1948] 1996, p. 229346.Google Scholar

25- Les idées sur le pagus et le mons comme unités fiscales sont en pleine mutation : Tarpin, Michel, Vici et pagi dans l’Occident romain, Rome, École française de Rome, 2002 Google Scholar ; Colognesi, Luigi Capogrossi, Persistenza e innovazione nelle strutture territoriali dell’Italia romana: l’ambiguitá di una interpretazione storiografica e dei suoi modelli, Naples, Jovene Ed., 2002 Google Scholar. Ces deux livres vont tous deux dans le sens d’une révision (à la baisse) de la place de la centuriation dans le processus administratif et fiscal. Sur les « tables alimentaires », l’étude de base est celle de Veyne, Paul, « La table des Ligures Baebiani et l’institution alimentaire de Trajan », Mélanges d’Archéologie et d’Histoire, LXIX, 1957, p. 81135 et LXX, 1958, p. 177-241.CrossRefGoogle Scholar

26- Ces termes désignent une espèce de limitation qui a été utilisée à deux reprises et dans des situations très différentes : au début de la colonisation romaine en Italie (IVe et IIIe siècles av. J.-C.), pour diviser la terre à assigner ; bien plus tard, dans les provinces, pour arpenter la terre publique vectigalienne. La difficulté est de reconnaître la forme en question : on peut penser que les deux formes de scamnation et de strigation ne sont pas identiques. Castagnoli, Ferdinando, « I piu antichi esempi conservati di divisioni agrarie romane », Bollettino della Commissione Archeologica Comunale di Roma, LXXV, 1953-1955, p. 39, ici p. 4-5Google Scholar ; Chouquer, Gérard et al., Structures agraires en Italie centro-méridionale. Cadastres et paysages ruraux, Rome, École française de Rome, 1987.Google Scholar

27- Bertrand, Jean-Marie, « Territoire donné, territoire attribué : note sur la pratique de l’attribution dans le monde impérial de Rome », Cahiers du Centre Glotz, II, 1991, p. 125164.CrossRefGoogle Scholar

28- Le renseignement vient d’Hygin Gromatique (164, 8-12 Th = 201, 9-13 La) : les terres qu’on prenait aux populations voisines ou étrangères formaient ce que les techniciens de l’arpentage appellent une praefectura. Le dossier de Mérida est présenté par Enrique Gil, Ariño, Gurt, Josep Maria et Martin-Bueno, Manuel A., « Les cadastres romains d’Hispanie : état actuel de la recherche », in Doukellis, P. N. et Mendoni, L. G. (dir.), Structures rurales et sociétés antiques, Paris, Annales littéraires de l’université de Besançon, 1994, p. 311313 Google Scholar. Les textes sont réunis et commentés dans Chouquer, G. et Favory, F., L’arpentage romain…, op. cit., p. 213216.Google Scholar

29- Chouquer, G. et Favory, F., L’arpentage romain…, op. cit., p. 217235.Google Scholar

30- Mes localisations ont été récemment rejetées par deux auteurs, mais les arguments avancés ne me troublent pas outre mesure. La proposition d’une grille de centuriation exige un travail de projection qui passe à la fois par de la topographie historique (identifier les éléments mentionnés sur les marbres antiques) et de la morphologie (retrouver une orientation dominante du parcellaire et les vestiges du quadrillage permettant de poser l’hypothèse de la grille centuriée). J’attends une contreproposition qui passe par le même seuil d’exigence que celui que je me suis imposé : un assemblage des cartes au 1/25 000 de l’IGN, une projection globale de la grille à cette échelle et une impression, carte par carte, de cette grille afin de pouvoir vérifier la nature des traces relevées par chacun. J’ai réalisé ce travail avec François Favory au département projection de l’IGN, de façon à bénéficier des moyens techniques dont dispose cet institut. C’est cette impression qui circule depuis plus de vingt ans et est utilisée par les archéologues lors des travaux de terrain. Elle a conduit, en fouille, à des identifications précises qui étayent les propositions planimétriques : Jean-François Berger et Cécile Jung, « Fonctions, évolution et ‘taphonomie’ des parcellaires en moyenne vallée du Rhône.Un exemple d’approche intégrée en archéomorphologie et en géoarchéologie », in Chouquer, G. (dir.), Les formes du paysage, Paris, Éd. Errance, 1996, t. 2, p. 95112 Google Scholar ; Boissinot, Philippe et Roger, Karine, « L’ensemble viticole des Girardes (Lapalud, Vaucluse) », in Favory, F. et Vignot, A. (dir.), Actualité de la recherche en histoire et archéologie agraires, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2003, p. 225238 Google Scholar. Christol, Michel, « Intervention agraires et territoire colonial : remarques sur le cadastre B d’Orange », in Gonzales, A. et Guillaumin, J.-Y. (dir.), Autour des Libri coloniarum. Colonisation et colonies dans le monde romain, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2006, p. 8392 Google Scholar, propose de laisser de côté la localisation du plan A et, pour le plan C, réaffirme une localisation dont j’avais déjà dit qu’elle était impossible ( Chouquer, G. et Favory, F., L’arpentage romain…, op. cit., p. 227 Google Scholar) puisqu’elle fait franchir au Rhône une falaise pour le faire remonter sur un plateau surplombant de 10 à 15 m sa vallée. Dans le même ouvrage, Lionel Decramer et al., « La grande carte de la colonie romaine d’Orange », p. 93-114, proposent une autre localisation du plan C sur le territoire de Carpentras et d’Avignon et du plan A sur celui de Nîmes, mais sans analyse morphologique ni proposition convaincante de topographie historique : leur seul but est d’imposer l’idée abstraite que les trois plans forment l’ossature d’une triangulation et qu’elles sont gouvernées par des rapports géométriques. En filigrane de leur spéculation, l’idée qu’il faudrait revenir à plus d’unité de conception et de réalisation dans l’ensemble des centuriations de Narbonnaise. Je ne partage aucun de ces points de vue, car ils travestissent le travail des arpenteurs romains, confondant la modernité actuelle des outils de recherche et le niveau technique et géographique de l’époque. La mise en oeuvre, à cette époque, d’une triangulation de 1er ordre aboutissant à une articulation géométrique parfaite des trames n’est, malgré leur affirmation, pas démontrée. En outre, deux localisations fantaisistes du plan C dans le même ouvrage, cela fait beaucoup.

31- 126, 19-25 Th = 162, 3-8 La.

32- 129, 25-130, 4 Th = 165, 10-17 La.

33- 142, 8-14 Th = 177, 13-178, 4 La.

34- A. Roth-Congès, « Modalités pratiques… », art. cit. Elle a dû débrouiller un nombre considérable de points techniques, liés à la géométrie. Iunius Nypsus veut donner aux arpenteurs qu’on envoie sur le terrain, un commentaire approprié des situations qu’ils vont rencontrer dans leur travail de révision des archives cadastrales, des bornages en place, et dans leur travail d’expertise pour les conflits de propriété ou de possession intervenant dans des zones plusieurs fois centuriées. Comme on construisait les trames les unes par rapport aux autres, c’est, dit-il, par la bonne connaissance de la géométrie qu’on pourra faire une bonne expertise.

35- Descola, Philippe, Par-dela nature et culture, Paris, Gallimard, 2005, notamment p. 287.Google Scholar

36- Nicolet, Claude, L’inventaire du monde, Paris, Fayard, 1986, p. 201202 Google Scholar, écrit : « Que le gouvernement des hommes, l’administration des choses et l’organisation territoriale coïncident et se déroulent en quelque sorte dans le même espace est une réalité moderne qui nous paraît aller de soi. Il n’en était pas de même dans l’Antiquité gréco-romaine. Citésouroyaumespeuventsansdouteavoirdes‘territoires’précisémentdélimités, pardes zones ou même des lignes frontières. Mais le concept de territoire ne suffit jamais pour définir entièrement et exhaustivement leur organisation et leur fonctionnement réels. »

37- Peretto, Raffaele et Zerbinati, Enrico, « Strutture territoriali in età romana nell’area deltizia veneta », Quaderni di Archeologia del Veneto, I, 1985, p. 2327 Google Scholar ; Radcliffe, Francesca Franchin (dir.), Paesaggi sepolti in Daunia: John Bradford e la ricerca archeologica dal cielo 1945-1957, Foggia, C. Grenzi, 2006 Google Scholar : voir notamment Volpe, Giuliano, « Aerial archaeology, landscape archaeology and ‘total’ archaeology in Daunia », Ibid., p. 2752.Google Scholar

38- Sur cette question délicate, plusieurs niveaux d’exigence sont requis. On doit être prudent envers toutes les propositions qui ne sont pas assises sur une étude de la morphologie agraire, celles qui ne prennent pas la peine de proposer un carroyage de limites, de publier des cartes à échelle suffisamment agrandie, etc. Une limitation, ce n’est pas une spéculation cosmologique ni une virtualité, mais une trame de colonisation ou de fiscalisation qui devient, avec le temps, une trame agraire. Ensuite, c’est une grille qui repose sur la définition de formes intermédiaires, les centuries, qu’il faut tenter de proposer, si possible : sans ces unités, on ne se trouve qu’en présence d’un parcellaire isocline, ce qui est insuffisant. Enfin, pour les propositions qui franchissent ce seuil d’exigence, on peut engager une discussion critique à un autre niveau. Il est, par exemple, utile de réfléchir à la confiance très grande qu’on a pu accorder, dans les années passées, aux lectures morpho-historiques. Mais l’exercice critique doit être tout aussi exigeant que la proposition qu’il entend critiquer, et les conditions de recevabilité d’une critique sont, de ce fait, rarement remplies. Aujourd’hui on doit faire face à deux excès. Le premier est l’attitude des chercheurs qui ont quadrillé l’espace d’innombrables centuriations surfaites. Favory, François, « Retour critique sur les centuriations du Languedoc oriental, leur existence et leur datation », in Chouquer, G. (dir.), Les formes du paysage, t. 3, L’analyse des systemes spatiaux, Paris, Éd. Errance, 1997, p. 96126 Google Scholar, a proposé des critères pour une évaluation. Le second est l’attitude de chercheurs qui, découvrant aujourd’hui le problème, reviennent à la stricte orthodoxie : une cité coloniale, une seule centuriation !

39- Berger, Jean-François et Jung, Cécile, « Fonction, évolution et ‘taphonomie’ des parcellaires en moyenne vallée du Rhône. Un exemple d’approche intégrée en archéomorphologie et en géoarchéologie », in G. Chouquer (dir.), Les formes du paysage, op. cit., t. 2, p. 95112.Google Scholar

40- Chouquer, Gérard, « Les centuriations : topographie et morphologie, reconstitution et mémoire des formes », Archeologia Aerea. Studi di aerotopografia archeologica, II, 2007, p. 6582 Google Scholar. La carte en question est page 74.

41- Chouquer, Gérard, « Le parcellaire dans le temps et dans l’espace. Bref essai d’épistémologie », Études Rurales, 153-154, 2000, p. 3958.Google Scholar

42- En raison de la situation du lieu dans une confluence de paléovallées. Dans l’Antiquité, l’alignement pouvait cependant être repéré par des jalons, des pieux ou des bornes, éventuellement par des saignées dans le paysage (passage à travers un bois, une clôture, etc.), bref par des éléments qui ne laissent pas de traces pérennes. Cet alignement, qui procède du tracé d’un rigor (alignement d’une visée), est un impératif de la construction d’une trame orthogonale.

43- Ce point, absolument majeur, a fait l’objet des travaux de plusieurs chercheurs archéogéographes. Claire Marchand a consacré une thèse à formuler la question de l’auto-organisation des formes planimétriques : « Recherches sur les réseaux de formes. Processus dynamiques des paysages du Sénonais occidental », thèse de l’université de Tours, 2000. Sur la transmission, Robert, Sandrine, « Comment les formes du passé se transmettent-elles ? », Études Rurales, 167-168, 2003, p. 115132 Google Scholar, et Claire Marchand, « Des centuriations plus belles que jamais ? Proposition d’un modèle dynamique d’organisation des formes », ibid., p. 93-114.

44- Au moment de mettre un point final à cet article, Robin Brigand, que je remercie, me signale un très intéressant ouvrage qui vient de paraître et qui pose directement la question dont je débats : comment expliquer la régularité du quadrillage de la centuriation à Lugo, en Romagne, alors que la puissance sédimentaire se situe entre 3 et 5 m selon les endroits. Si le sol romain est si profondément enfoui, comment expliquer la forme en surface ? L’explication « tout court » (l’expression est en français dans leur texte) par une fossilisation ou un maintien ne convient plus. Les auteurs disent qu’il faut envisager une « lecture diachronique » de la centuriation, notamment des interventions médiévales : Franceschelli, Carlotta et Marabini, Stefano, Lettura di un territorio sepolto. La pianura lughese in eta romana, Bologne, Ante Quem Ed., 2007, notamment p. 7678 et 143-145Google Scholar.

45- Voir note 42. Claire Marchand, « Que faire de l’héritage ? » : http://www.archeogeographie.org/index.php?rub=bibli/colloques/pre-actes/marchand.

46- J’ai théorisé ces aspects dans Chouquer, Gérard, Quels scénarios pour l’histoire du paysage ? Orientations de recherche pour l’archéogéographie, Coimbra/Porto, Éd. Centre d’études archéologiques des universités de Coimbra et Porto, 2007.Google Scholar

47- Brigand, Robin, «Nature, forme et dynamique des parcellaires historiques. Quelques exemples de la plaine centrale de Venise », Agri Centuriati, 3, 2006, p. 933 Google Scholar ; Id., «Les paysages agraires de la plaine vénitienne. Hydraulique et planification entre Antiquité et Renaissance » : http://www.archeogeographie.org/bibli/colloques/pre-actes/brigand/brigand.pdf.