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Mentalité économique et grands travaux hydrauliques : le drainage du lac Fucin aux origines d'un modèle*

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Philippe Leveau*
Affiliation:
Université de Provence (Aix-Marseille)

Extract

La période romaine a vu la réalisation d'ouvrages hydrauliques qui assurèrent une alimentation en eau régulière des villes dans le cas des aqueducs, qui diminuèrent la dépendance alimentaire des populations par rapport aux aléas climatiques dans celui des grands travaux d'hydraulique agricole. Sous le règne de Trajan, Frontin s'en félicite en ces termes : « Aux masses si nombreuses et si nécessaires de tant d'aqueducs, allez donc comparer les pyramides qui ne servent évidemment à rien, ou encore les ouvrages des Grecs, inutiles mais célèbres partout ». Ces ouvrages furent parfois réalisés par une main-d'œuvre travaillant sous contrainte. Pour caractériser la « rapacité » de Rome, Tacite plaçait les paroles suivantes dans la bouche du chef calédonien Calgacus haranguant ses troupes avant la bataille du mons Graupius : « Biens et richesses pour le paiement de l'impôt, terres et récoltes de l'année en vue des réquisitions de blé, les corps eux-mêmes et les bras sous prétexte de gagner à la culture forêts et marais sous les coups et les opprobres, tout y passe… » ﹛Vie d'Agricola, XXXI).

Summary

Summary

Swamplands have long been regarded as undesirable ecological features and their drainage a wholly beneficial operation. In modem times, the disappearance of marshes has been advanced as a benefit brought by conquering European societies to colonial peoples. As in many other cases, the Roman precedent has been widely cited. Yet a close examination of the historical record indicates that the comparison of modem with Roman imperial ends and methods is not entirely accurate. This becomes especially apparent when we consider the draining of Lake Fucino, an enormous undertaking that serves as a point of reference for modem engineers. Still, with respect to the means at their disposal and their objectives, the Emperor Claudius and his successors did not fail ; rather, the results are not what we would expect when those expectations are based on the observation of modem drainage operations.

Type
Histoire et Environnement
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1993

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Footnotes

*

Cet article doit beaucoup aux discussions avec mes collègues géomorphologues de l'Igam (Aix-en-Provence), et en particulier à Mireille Provansal, qui, dans nos recherches sur les marais en Basse-Provence, m'a convaincu du caractère simpliste de l'image que j'avais des milieux humides.

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3. Le marais, la montagne et le désert sont des refuges de la barbarie et des civilisations indigènes. Ces milieux ont fait l'objet d'utilisations similaires. Pour l'époque romaine, on y a recherché une base archéologique à l'hypothèse d'un refoulement et d'un cantonnement des peuples indigènes dans les zones pauvres des hauteurs qu'ils auraient été conduits à surexploiter : Ph. Leveau, « Sociétés antiques et écologie des milieux montagnards et palustres. La construction des paysages méditerranéens », dans Ph. Leveau et M. Provansal (sous la dir. de), Archéologie et environnement, Aix-en-Provence, 1993, à paraître.

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14. Par exemple Tibère libère exceptionnellement des vétérans pour éviter de débourser la prime traditionnelle (Missiones veteranorum rarissimas fecit, ex senio mortem, ex morte compendium captans : Suétone, Vie de Tibère. 48, 4).

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17. Repromittere se rencontre trois fois chez Suétone (à cet endroit ; dans Vie de Tibère, 17, 4 ; dans Vie de Othon, 4, 2). D'après le Dictionnaire latin d'Oxford, le mot, comme d'ailleurs promittere, apparaît souvent dans le contexte juridique. Il évoque probablement un engagement contractuel proposé par les intéressés et liant les deux parties selon des conditions précises, hélas non précisées ici.

18. Opinion reprise par exemple par Bodei-Gigliani, G., Lavori pubblici e occupazione nell'antichità classica, Bologne, 1973, p. 162.Google Scholar

19. D'Amato, S., Il primo prosciugamento del Fucino, Avezzano, Centra Studi Marsicani, 1980, p. 202, Tabella 1.Google Scholar

20. Ibid., pp. 186-189.

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22. Ibid., pp. 67-68.

23. Mertens, J., Alba Fucens, Bruxelles, 1981, p. 20 et carte, fig. 13, p. 22.Google Scholar

24. L'intérêt porté à une telle étude est lié à la recherche de comparaisons susceptibles d'éclairer la compréhension historique des données recueillies depuis 1985 sur l'archéologie des paysages des rives de l'étang de Berre. Leveau, Cf. Ph. et Provansal, M. (SOUS la direction de), Archéologie et Environnement. Des Alpilles à la Montagne Sainte-Victoire, Publications de l'Université de Provence, Aix-en-Provence, 1993.Google Scholar

25. A. Musset, De l'eau vive à l'eau morte, op. cit., p. 236 : « Une fois les lacs drainés, la ville ne courait plus le risque de voir les Indiens manoeuvrer à leur profit les systèmes hydrauliques hérités de leurs ancêtres. Mieux encore, en vidant le bassin, les Espagnols prouvaient la supériorité de leur technologie sur celle des indigènes. Les ingénieurs qui ont travaillé à leur assèchement connaissaient en effet l'histoire du lac Fucin… ».

26. Sur les débats relatifs à cet édit, cf. G. Pereira Menaut, « El edicto de Domiciano sobre el vino y la economia politica romana en el Alto Imperio », dans El vi a l'antiguitatEconomia, produccio i comerç al Mediterrani occid., Actes del I colloqui d'archeologia romana (Badalona, 28-30 di novembre i 1 décembre di 1985), Badalona, 1987. L'auteur considère que cet édit est la preuve de ce que Rome avait une politique économique.

27. Pour P. Veyne, « on ne peut donc prêter à l'État aucun dessein précis en matière rurale » « La table des Ligures Baebiani et l'Institution alimentaire de Trajan », Mefrajo, 1958, p. 234. En fait, il convient d'insister sur « donc » ; P. Veyne critique la surinterprétation d'un fait et on aurait tort de vouloir étendre le propos à tous.

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30. Ibid., n. 202, p. 406.

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33. L'attention sur ces textes a été attirée par J. Peyras « Les campagnes de l'Afrique du Nord antique d'après les anciens gromatici », 110e Congrès national des sociétés savantes, 1985 ; m’ Colloque sur l'Histoire et l'Archéologie d'Afrique du Nord, pp. 257-272 (en particulier p. 268, traduction d'extraits du De controversiis agrorum d'Agenius Urbicus, textes II et III). Dans son ouvrage sur Le Tell nord-est dans l'Antiquité. Paris, 1991, le même auteur a été conduit à s'interroger sur la mise en culture des zones basses, hydromorphes de la vallée de l'oued Tine (en particulier p. 470 et ss.).

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37. Dans un article du Monde (16 janvier 1990), G. Sainteny, un chercheur de l'Université de Paris I, explique que, comme la friche, « Le marais, biotope très riche, à très forte production de biomasse et jouant un rôle considérable dans le système hydrologique et écologique, est pourtant un véritable mal aimé du système fiscal français » ; une taxation foncière sans rapport avec son revenu réel en favorise la transformation ou la destruction.

38. G. Traîna, Antico et moderno storia…, op. cit., pp. 431-436.