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Paul Vo-Ha, Rendre les armes. Le sort des vaincus xvie-xviie siècles, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2017, 440 p.

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Paul Vo-Ha, Rendre les armes. Le sort des vaincus xvie-xviie siècles, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2017, 440 p.

Published online by Cambridge University Press:  26 April 2023

Pierre-Jean Souriac*
Affiliation:
pierre-jean.souriac@univ-lyon3.fr
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Abstract

Type
Guerre et violences politiques (de l’Antiquité à l’âge des Révolutions) (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Le livre de Paul Vo-Ha, sorti en 2017 aux éditions Champ Vallon, est l’édition d’une thèse de doctorat soutenue en 2015 sous la codirection d’Hervé Drévillon et Nicolas Le Roux. Cette analyse vient jalonner une historiographie du fait militaire qui ne cesse de s’étoffer depuis la fin du xxe siècle et s’inscrit plus spécifiquement dans une approche anthropologique de l’affrontement armé. La guerre y est analysée comme une transaction entre deux belligérants ; à un moment de l’affrontement, ici le siège d’une place forte, l’un prend temporairement ou définitivement le rôle de vainqueur, l’autre de vaincu. La reddition devient l’objet principal de l’échange qui naît alors et l’auteur postule que l’intérêt des uns et des autres dicte les modalités de cette reddition (capitulation honorable, carnages, etc.). C’est dans ce dialogue que s’élabore une transaction autour d’intérêts au départ contradictoires mais finalement complémentaires pour arriver au dépôt des armes. La reddition impose qu’une telle dialectique puisse se nouer entre les belligérants et, selon la thèse de P. Vo-Ha, celle-ci obéit à une logique récurrente d’un cas à l’autre : celle de « l’économie des moyens ». L’auteur postule ainsi l’importance prise par les enjeux matériels qui dicteraient les modalités de l’accord, en intégrant la durée de l’opération militaire, les moyens mobilisés, le rapport de force et l’enjeu symbolique d’une défaite ou d’une victoire. L’économie de moyens est présentée ici comme une nécessité qui s’impose aux chefs de guerre et interfère avec le seul rapport de force militaire observable sur le champ de bataille. Ce livre nous propose alors une modélisation du moment de la reddition, analysé dans ses éléments structurants – les rites, les lieux, les signes, etc. – et conçu comme un moyen de réduire l’incidence du conflit.

L’auteur a pour ambition d’emmener son lecteur sur les principaux théâtres d’opérations militaires européens des xvie et xviie siècles. Après les guerres d’Italie, il passe de la France des guerres de Religion aux interventions militaires des Flandres ou du Saint Empire, en cumulant les exemples de sièges et à grand renfort de cas précis. Le livre ne cesse de sauter d’un lieu à l’autre, de guerre en guerre, invitant le lecteur à de nombreux grands écarts chronologiques et territoriaux. Notons la part plus importante occupée par le xviie siècle, particulièrement les temps louisquatorziens, même si l’ouvrage cherche à couvrir une période plus large. Si P. Vo-Ha cumule les exemples, il ne propose pas d’études de cas très développées. Les événements militaires choisis sont exploités dans le sens de la problématique, sans que l’événement soit fouillé pour lui-même. La démonstration se fait le plus souvent impressionniste, refusant l’angle monographique d’une étude de cas trop détaillée. Le livre, qui se construit selon une histoire discontinue ordonnée autour d’un questionnement thématique et non d’une trame narrative, se veut résolument dans l’élaboration d’un modèle, démarche totalement assumée par l’auteur.

En termes de sources, l’important inventaire des pièces mobilisées montre l’étendue de la documentation qui a présidé à la rédaction de l’ouvrage. Il s’appuie notamment sur les sources de l’administration militaire française, conservées aussi bien à Vincennes qu’à la Bibliothèque nationale de France (correspondance et états militaires du xvie siècle). Le tropisme français est ici très net. Ce travail s’appuie également sur un très grand nombre de sources imprimées, qu’il s’agisse d’ouvrages juridiques – Vitoria, Grotius –, de textes législatifs, de mémoires de soldats, des occasionnels et des gazettes rapportant des événements militaires. Ce passage de l’imprimé au manuscrit, du récit au document administratif permet à P. Vo-Ha de multiplier les points de vue et d’étayer son propos au fil des cas. C’est l’une des grandes forces de ce travail, c’est aussi l’une de ses limites, ce qui est inhérent à son parti pris méthodologique. L’historien de la monographie regrettera que les exemples, saisis au travers d’une seule source, ne soient que rarement considérés dans leur complexité. Ainsi, si la ville de Castres, dans le sud-ouest de la France, est citée à plusieurs reprises car impliquée dans les conflits religieux, seul son mémorialiste, Jacques Gaches, est utilisé, offrant le point de vue d’un notable protestant à l’affût des exactions catholiques, y compris lors des redditions. Le choix de comparer les cas pour en dégager des tendances impose un tel traitement des événements. Il rappelle, s’il le faut, le grand écart qu’est conduit à faire l’historien entre analyse structurelle et approche monographique, grand écart particulièrement important en histoire militaire, où le poids de l’érudition est peut-être plus prégnant qu’ailleurs.

Cette approche se heurte aussi à l’un des enjeux de l’histoire militaire, soit celui d’une histoire quantifiée des faits de guerre. Tout historien des conflits armés se trouve ainsi submergé par la quantité d’événements qui jalonnent l’histoire d’un affrontement, et le risque le plus important est de céder à une narration érudite qui ferait perdre de vue une analyse plus globale du fait étudié. P. Vo-Ha fait tout pour éviter ce travers, ce qui justifie cette circulation permanente d’un théâtre à un autre ; ce qui justifie aussi quelques essais de quantification. On ne peut compter tous les sièges qui ont eu lieu en Europe de l’Ouest sur deux siècles, mais l’on peut partir de ceux que les historiens du temps ont retenus dans leurs ouvrages, ici Agrippa d’Aubigné et Jacques-Auguste de Thou. Ces deux historiens répertorient 399 sièges entre 1546 et 1621. Si un tel dénombrement n’est certainement pas exhaustif, il reste suffisamment significatif pour la construction du modèle. L’accumulation des cas et la comparaison de pratiques adoptées d’un lieu à l’autre, même si la démarche ne peut être que lacunaire et même si l’ensemble des points de vue ne sont pas convoqués autour d’un événement, permettent de dégager des traits communs ou singuliers, de repérer la récurrence des comportements, justifiant dès lors l’ébauche d’un modèle interprétatif.

Le livre se décompose en trois parties et huit chapitres autour d’une progression thématique centrée sur la logique transactionnelle de la reddition. La première partie cerne les éléments visibles de cette transaction : ses codes. P. Vo-Ha part des codes théoriques, hérités et inventés à l’époque, pour développer une véritable sémiologie de la reddition. La chamade, le drapeau blanc, la remise des clefs, le choix des otages, le rôle des tambours, le lieu de la négociation, la remise des armes, la mise en scène de la sortie, etc. : autant d’outils communicationnels qui inscrivent la reddition dans un dialogue maîtrisé où chacun doit trouver sa place. La deuxième partie inscrit ensuite la reddition dans un calcul militaire lié au coût de la guerre : est-il plus rentable d’organiser une reddition ou de continuer les opérations militaires ? Trois chapitres explorent cette question. Le premier étudie cette rentabilité sous l’angle de l’honneur – celui du gouverneur, celui des assaillants. Le deuxième, sous l’angle du coût financier. Le troisième sous celui de la captivité, des rançons et des gains espérés. La troisième partie achève ce tableau de la reddition honorable aux xvie et xviie siècles en présentant ses limites. Les codes de la reddition, l’intérêt réciproque des parties dans cette transaction n’empêchent pas l’échec du processus, le risque d’un refus de cette humanisation de la guerre. Les gouverneurs de place qui se sont rendus à l’adversaire peuvent subir les foudres de leur prince qui contestent la pertinence de leur choix. Par la disgrâce, la perte de réputation ou la mise en place d’une justice d’exception, la sanction peut être sévère. En outre, si la reddition honorable doit protéger les parties, sa transgression par les soldats a très souvent débouché sur des massacres ou des exactions. Dans le dernier chapitre, P. Vo-Ha examine également la figure des ennemis, parmi lesquelles l’autre en religion, le voisin ou l’infidèle, pour qui l’acceptation d’une reddition honorable se montre particulièrement variable.

Sur le plan conceptuel, P. Vo-Ha part des travaux de Franco Cardini, notamment de son livre La culture de la guerre Footnote 1, pour formuler son souhait de mettre à distance la violence et l’accidentel afin de mieux comprendre les pratiques des soldats. La guerre est un métier dont la mort est une issue possible sans être une fatalité. Elle présuppose une culture de la guerre qui n’est pas celle de l’affrontement, mais un système cohérent dans lequel se développe une société militaire. Sous l’angle de la reddition honorable, cette culture de la guerre invite à comprendre la pratique de la défaite. P. Vo-Ha insiste sur ce point : la défaite, la reddition de la place, ne doit pas être comprise comme une stratégie de paix, mais comme la résolution d’une opération militaire en cours dotée de ses propres impératifs. L’idée est pertinente et tranche avec une historiographie récente centrée sur les processus de pacification et de reconstruction du politique. Ici, menée par des soldats, la reddition honorable est un temps de la guerre, la défaite est une catégorie militaire ; c’est bien sous l’angle d’une transaction entre soldats qu’elle prend une partie de son sens. P. Vo-Ha récuse alors l’idée d’une « guerre en dentelle », d’une guerre courtoise où l’honneur serait prévalant et la violence mise à distance dans un processus de disciplinarisation des mœurs caractéristique du xviie siècle. La guerre est d’abord l’affaire des combattants et du dialogue qui se noue entre eux par le prisme du combat. La défaite est une tactique qui n’appartient pas exclusivement au champ de bataille, bien d’autres aspects extérieurs interférant avec le sort des armes, et elle se doit d’être étudiée comme telle.

L’auteur emprunte alors aux travaux d’Erving Goffman, Les rites d’interaction, l’idée de la « préservation de la face »Footnote 2 et du respect de l'honneur de l'autre entre les protagonistes, accord sans lequel l’interaction n’est pas possible. Il s’appuie aussi sur la réflexion anthropologique de Marcel Mauss du don et du contre-don. Il mobilise enfin aussi bien Arnold Van Gennep que Pierre Bourdieu sur la sociologie du rite. Ce faisant, P. Vo-Ha place ainsi la reddition honorable dans la mise en œuvre d’un dialogue doté de ses codes et de ses finalités, la plaçant résolument sous le signe de la transaction interindividuelle.

Ce livre s’inscrit pleinement dans l’historiographie actuelle de la guerre et des armées. Il décevra ceux qui cherchent les aspects techniques des conflits, aussi bien sur l’art de mener un siège que sur son financement ou sa dimension logistique. Il frustrera encore les amateurs d’érudition, qui pourront toujours trouver à redire sur le traitement de tel ou tel exemple. Ni histoire sur l’art d’assiéger une place, ni histoire d’un conflit spécifique, cet ouvrage est celle d’un événement récurrent dans l’art de la guerre de cette époque : la reddition honorable. L’angle d’approche choisi par P. Vo-Ha réjouira ceux qui cherchent dans la guerre l’expression de rapports sociaux et des marqueurs anthropologiques des sociétés anciennes. Ce livre répond ainsi à son objectif, celui de fixer un modèle de la reddition honorable conçue comme un dialogue entre adversaires. Loin de tout hasard ou accident, ce dialogue s’opère selon une logique rationnelle que l’auteur place sous les auspices de l’économie de moyens. La reddition fait partie d’une stratégie globale de guerre et doit être considérée comme une étape dans un projet global. Comme tout modèle, il est à la fois représentatif de son objet et inapplicable aux situations particulières, mais P. Vo-Ha a la prudence de montrer comment celui-ci peut se déployer de manière singulière selon les cas. À la lecture de ce livre, nous savons comment la reddition est ritualisée, combien elle engage l’honneur et l’avenir d’un conflit et combien tout cela est vain et contingent si les acteurs décident de transgresser ces règles.

References

1 Franco Cardini, La culture de la guerre ( xᵉ- xviiiᵉ siècle), trad. par A. Lévi, Paris, Gallimard, [1982] 1992.

2 Erving Goffman, Les rites d’interaction, trad. par A. Kihm, Paris, Éd. de Minuit, 1974.