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L'institutionnalisation de l'attribution des pouvoirs politico-économiques : Normalité et exception

Published online by Cambridge University Press:  18 July 2014

Emmanuel Picavet
Affiliation:
Université Panthéon-Sorbonne(Paris-1), 17 rue de la Sorbonne, F-75231 Paris Cedex 05, emmanuel.picavet@univ-paris1.fr

Abstract

This article puts forward an analytical canvas for studying the effects of a divide between normality and exception in the institutionalization of power-attributing rules. The question is raised through the study of the coordination of institutional agents around issues pertaining to the specification of exceptions. The initial canvas is enriched by the re-examination of examples taken in the field of the legitimate intervention of the State against the backdrop of uncertainties about the meaning of European rules which are central to the policy of competition.

Résumé

Cet article propose une grille d'analyse pour l'étude des effets du partage entre normalité et exception dans l'institutionnalisation des règles d'attribution des pouvoirs. La question est abordée en considérant la coordination des agents institutionnels autour de la spécification d'exceptions. La grille d'analyse initiale est enrichie par le réexamen d'exemples liés à l'intervention légitime de l'Etat en matière économique, dans un contexte d'incertitude sur le sens des règles européennes fondant la politique de la concurrence.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Canadian Law and Society Association 2006

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References

1 Sur cette thématique, voir notamment Sweet, A. Stone, Fligstein, N. et Sandholtz, W. «Institutionalizing European Space» dans Sweet, A. Stone, Sandholtz, W. et Fligstein, N., dir., The Institutionalization of Europe, Oxford, Oxford University Press, 2001, aux pp. 137–54CrossRefGoogle Scholar.

2 Dans la suite, je les étudierai en songeant prioritairement à des situations dans lesquelles il y a une certaine dissymétrie interprétative (ou une dissymétrie dans les acceptations de significations) entre les agents à propos des principes de référence mobilisables dans l'interaction.

3 Observons à ce propos que les théories du compromis politique (distingué du consensus) insistent souvent sur les mérites spécifiques de configurations sociales et politiques dans lesquelles les individus affichent des orientations et des prétentions qui ne sont pas appelées à disparaître dans des accords de circonstance, et qui sont autant de repères constitutifs de l'interaction sociale et de la recherche de terrains d'entente.

4 Matland, Voir R.E., «Synthesizing the Implementation Literature : The Ambiguity-Conflict Model of Policy Implementation» (1995) 5:2Journal of Public Administration Research and Theory, 145–75Google Scholar; Reynaud, B., Operating Rules in Organizations. Macroeconomic and Microeconomic Analyses, London, Palgrave, 2003Google Scholar.

5 Il y a en effet un aspect d'arbitrage intertemporel dans la recherche de compromis. Les agents peuvent ainsi, sans renoncer à leurs principes au profit d'autres principes, renoncer au succès complet et immédiat dans la perspective d'une certaine probabilité de succès modéré dans l'avenir. Cet effet est identifié dans le modèle stratégique de Calvert, R. et Johnson, J., «Interpretation and Coordination in Constitutional Politics» dans Hauser, E. et Wasilewski, J., dir., Lessons in Democracy, Jagiellonian University Press and University of Rochester Press, 1999Google Scholar.

6 Cela est plausible, en particulier, si les agents considèrent telle disposition problématique à leurs yeux comme une exception qui peut être vue en même temps comme un cas d'application normale d'un principe qui est par ailleurs reconnu.

7 En ce qui concerne les faits relatifs aux évolutions normatives, je reprendrai librement dans cette section des éléments apportés par A. Isla, qui serviront de base à l'examen de la pertinence de mes propositions initiales. Isla, Voir A., «Le contrôle communautaire des aides d'Etat» dans Ngo-Maï, S., Torre, D. et Tosi, E., dir., Intégration européenne et institutions économiques, Bruxelles, De Boeck, 2002Google Scholar.

8 Historiquement, les problématiques des aides publiques et du contrôle communautaire des politiques industrielles ont pris une importance croissante dans la politique européenne de respect de la concurrence non faussée. Voir la mise en perspective de Geoffron, P., «La politique de la concurrence européenne : du libre-échange à la libre concurrence» dans Cohen, E. et Lorenzi, J.-H., dir., Politiques industrielles pour l'Europe, Paris, La Documentation Française (Conseil d'Analyse Economique), 2000Google Scholar.

9 Supra note 7.

10 Le Galès, P., «Est Maître Des Lieux Celui Qui Les Organise : How Rules Change When National and European Policy Domains Collide» dans Sweet, A. Stone, Sandholtz, W. et Fligstein, N., dir., The Institutionalization of Europe, Oxford, Oxford University Press, 2001Google Scholar. Dans cet article, Le Galès étudie la rencontre de deux systèmes de normes. De son côté, E. Lefrançois aborde ces questions en termes de rencontre entre deux mouvements institutionnels (national, communautaire) se construisant autour de «téléologies» distinctes : le service public, la concurrence. Lefrançois, E., «Services publics et construction européenne: la rencontre du Professeur et du Gendarme» dans Lehmann, P.-J. et Monnier, L., dir., Politiques économiques et construction communautaire. Le choc européen, Paris, L'Harmattan, 2000Google Scholar.

11 Lefrançois, supra note 10.

12 P. Bance et L. Monnier, «Entreprises publiques et construction communautaire. Rupture d'un mode de régulation» dans P.-J. Lehmann et L. Monnier, dir., supra note 10.

13 Supra note 7.

14 L'alinéa 90.2 de l'article 90 du Traité de Rome dispensait déjà les entreprises chargées de «services d'intérêt économique général» de respecter les règles concernant la concurrence, dans la limite où l'application de ces règles ferait échec à l'accomplissement de cette mission (sous réserve que «le développement des échanges n'en soit pas affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté»). On le voit, une certaine idée d'intérêt général (l' «intérêt économique général») intervenait d'emblée dans la délimitation des cas possibles de dérogation aux normes habituelles du libéralisme économique. Sur la dualité de l' «intérêt général» national et de l' «intérêt général» communautaire et sur le rôle de cette dualité dans la base philosophique de la répartition des compétences de gouvernance dans l'espace européen, voir la synthèse de Lang, J. Temple, The Commission and the European Parliament after Nice. Oxford, Europaeum Lectures, Europaeum publications, 2001 (Action Centre for Europe, 2000)Google Scholar.

15 Outre les compétences de la Commission et de la Cour de Justice des Communautés européennes [C.J.E. (Luxemboug)], il existe en la matière une compétence exceptionnelle du Conseil pour décider de la compatibilité de l'aide avec le marché commun. Sur proposition de la Commission, il peut élargir le spectre des «catégories d'aides» considérées comme compatibles avec le marché commun. Il peut, à l'unanimité seulement, décider qu'une aide normalement incompatible avec les règles bénéficiera d'une dérogation en raison de circonstances exceptionnelles.

16 Cette montée en puissance se retrouve dans la jurisprudence de la C.J.E. qui, à l'occasion de deux arrêts C.J.E. Procédure pénale c. Paul Corbeau, – concernant les services de poste – C-320/91, [1993] E.C.R. I-02533) et C.J.E. Commune d'Almélo c. NV Energiebedrijf Ijsselmij, – concernant la distribution d'électricité –C-393/92, [1994/ E.C.R. I-01477), a remis en piste l'article 90.2 du Traité de Rome et l'idée d'intérêt économique général pour justifier des restrictions de concurrence; voir Bance et Monnier, supra note 12. Ainsi, dans les motivations de la seconde décision, on lit au para. 46: «L'article 90, paragraphs 2, du traité prévoit que les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général peuvent échapper aux règles du traité sur la concurrence, dans la mesure où des restrictions à la concurrence, voire une exclusion de toute concurrence, de la part d'autres opérateurs économiques, sont nécessaires pour assurer l'accomplissement de la mission particulière qui leur a été impartie (voir arrêt du 19 mai 1993, Corbeau […] point 14)».

17 Sur la pluralité des modèles successivement mobilisés à ce propos, voir Geoffron, supra note 8 aux pp. 376-77.

18 Louri, Voir V., «‘Undertaking’ as a Jurisdictional Element for the Application of EC Competition Rules» (2002) 29:2L.I.E.I. 143–76Google Scholar.

19 Précisons bien qu'il ne s'agit pas ici de prétendre que les principes ont par eux-mêmes un effet causal, ni même d'attribuer un tel effet à l'acceptation individuelle de ces principes. Ce que l'on veut dire, c'est que certains aspects des anticipations formées par les agents et de leurs interprétations des situations ne se laissent comprendre – et tout d'abord, ne se laissent décrire – qu'en référence à certains principes. Ces principes doivent alors jouer un rôle dans l'explication des propriétés des interactions considérées.

20 Loi n°96-115 du 4 février 1995, J.O., 5 février 1995, 1973 [Loi Pasqua].

21 Loi n°96-987 du 14 novembre 1996, J.O., 15 novembre 1996, 16656.

22 Ces lois synthétisaient à vrai dire de nombreuses préoccupations : redéploiement européen de la politique française d'aménagement du territoire, lutte contre le chômage des jeunes et les difficultés des «cités de banlieue» des grandes villes, recherche d'une intégration plus poussée dans l'économie nationale des zones périphériques (la Corse en particulier), volonté de dynamiser des parties du territoire (le Nord en particulier).

23 C.J.E. Ecotrade Srl/Altiforni e Ferriere di Servola SpA (AFS), C-200/97, [1998] E.C.R. I-07907. Il était rappelé par la Cour que «[l]a notion d'aide est plus générale que celle de subvention parce qu'elle comprend non seulement des prestations positives telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d'une entreprise». Les avantages concenés pouvaient être, dans la situation considérée, des «avantages, tels qu'une garantie d'État, un taux réduit d'impôt, une exonération de l'obligation de paiement d'amendes et autres sanctions pécuniaires ou un renoncement effectif, total ou partiel, aux créances publiques, auxquels n'aurait pas pu prétendre une autre entreprise insolvable dans le cadre de l'application des règles de droit commun en matière de faillite».

24 Isla, supra note 7, sec. II C.

25 Voir en ce sens l'argumentaire très détaillé de la décision de la Commission du 27 juillet 1994 concernant la souscription de CDC-Participations à des émissions d'obligations d'Air France, C.E. Décision 334/04, JOCE n L 258, 4/04, 30 septembre 1994 à la p. 0026-0036. Certains des arguments considérés, avancés par les autorités françaises, visent à établir que l'investissement a eu lieu selon un taux conforme aux conditions du marché, ce qui indique un comportement d'investisseur avisé, lequel se trouve confirmé par la participation d'investisseurs privés – mais dans le cadre d'une opération ayant comme seul objet la restructuration axée sur la réduction des coûts.

26 Piloté par le ministre de l'industrie (le gaulliste Franck Borotra), le «plan textile» a été lancé en 1995 par le gouvernement d'Alain Juppé. Il s'agissait d'un plan de soutien sectoriel aux petites et moyennes entreprises, prévoyant un montant d'aides de 80 millions d'euros pour venir en aide à quelque 550 firmes. Les dispositions principals furent adoptées par le Parlement français en avril 1996.

27 L'explication proposée plus bas est très largement une réinterprétation théorique et une mise en perspective (dans les cadres d'analyse proposés ici) des résultats antérieurs de Le Galès, supra note 10. Cette réinterprétation n'engage en rien l'auteur de l'étude antérieure.

28 Aghion, Voir P. et Tirole, J., «Formal and Real Authority in Organisations» (1997) 105 Journal of Political Economy 129CrossRefGoogle Scholar.

29 Backhaus, J. «Constitutional guarantees and the distribution of power and wealth» (1979) 33:3Public Choice 4563CrossRefGoogle Scholar.

30 Le Galès, supra note 10.

31 En théorie politique générale, Thomas Pogge a fortement souligné le lien entre l'indétermination des accords (la «malléabilité» des arrangements) et l'anticipation par un agent du risque d'affaiblissement de sa position de pouvoir ou de négotiation. Pogge dérive de ce lien les tentatives pour «prendre les devants» par l'agression dans un «état de nature» entre Etats lorsque les traités se prêtent à renégotiation ou réinterprétation. En somme, la malléabilité dans le long terme conduit à l'instabilité dans le court terme. Pogge, Voir T., Realizing Rawls. Ithaca et Londres, Cornell University Press, 1989 aux pp. 220–21Google Scholar.

32 Voir supra note 5.

33 La pratique institutionnalisée des «communications» de la Commission européenne, comme aussi les circulaires administratives nationales, jouent un rôle cognitif important dans la construction de références partagées pour le regroupement des cas d'espèce dans des catégories générales permettant la mise en application des normes. Lefèvre, Voir S. «Interpretative Communication and The Implementation of Community Law at National Level» (2004) 29:6Eur. L.Rev. aux pp. 808–22Google Scholar.

34 Gelpi, C., «Crime and Punishment : The Role of Norms in Crisis Bargaining» (1997) 91:2American Political Science Review 339–60CrossRefGoogle Scholar.

35 Latéralement, on peut observer que c'est là une raison suffisante d'aborder l'institutionnalisation des règles plutôt comme un processus (pouvant comporter des évolutions) que comme une transition ponctuelle. Sur le rôle des raisons et valeurs dans l'explication de la dynamique des normes, voir en particulier les travaux récents de Pierre Demeulenaere, dont on pourrait reconstruire ainsi la position : les valeurs comptent dans l'explication de la dynamique des normes; elles comptent non pas seulement parce qu'elles se reflètent ou non dans les solutions sociales, mais parce que leurs rapports mutuels (notamment d'incompatibilité) appellent des solutions sociales. Demeulenaere, P., Les Normes sociales, Paris, Presses Universitaires de France, 2003CrossRefGoogle Scholar.

36 Le compromis n'est donc pas, ici, un consensus. Sur la nécessité d'une distinction théoriquement fondée entre les deux notions, voir par exemple Bellamy, R., Liberalism and Pluralism. Towards a Politics of Compromise, Londres et New York, Routledge, 1999Google Scholar; Arnsperger, C. et Picavet, E., «More than Modus Vivendi, Less than Overlapping Consensus: Towards a Political Theory of Social Compromise» (2004) 43:2Social Science Information 167204CrossRefGoogle Scholar.

37 Putnam, H., «Taking Rules Seriously» dans Putnam, H. et Conant, J., dir., Realism with a Human Face, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1990 à la p. 195Google Scholar. [notre traduction]

38 On peut utiliser par exemple les outils de la théorie des jeux, ceux de l'économie de l'information et des incitations, la théorie philosophique des faits institutionnels, la théorie sociologique de l'émergence des institutions, ainsi que de nombreux autres outils.

39 La pertinence de la référence à des significations «pures» (délivrées du contexte social) pour la compréhension du rapport aux normes est par ailleurs contestée d'une manière efficace grâce à la prise en compte des aspects performatifs du langage. Laugier, Voir S., «Performativité, normativité et droit» (2004) 67:4, Archives de philosophie 607–27Google Scholar.

40 Les travaux déjà cités de Bénédicte Reynaud en économie et de Robert Matland en science administrative semblent poser des jalons pour une enquête de ce genre, en montrant que l'interprétation et la spécification graduelle du contenu concret des règles ou des politiques jouent un rôle important dans la coordination des conduites des décideurs politiques et économiques.