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Le Cogito érigénien

Published online by Cambridge University Press:  29 July 2016

Édouard Jeauneau*
Affiliation:
Centre National de la Recherche Scientifique, Pontifical Institute of Mediaeval Studies

Extract

Les premiers qui pensèrent avoir trouvé dans les écrits du Moyen Age un antécédent au Cogito cartésien furent probablement les auteurs de l'Histoire littéraire de la France. Voici ce qu'ils écrivent au sujet d'Heiric d'Auxerre: “Il ne possédoit pas moins parfaitement la Philosophie que les autres sciences. Il poussa en effet ses réflexions sur cette faculté de Litérature, jusqu'à découvrir le doute méthodique de M. des Cartes, qu'il explique fort clairement.” Pour étayer cette affirmation, nos Bénédictins citaient une glose, placée par Heiric lui-même en marge de sa Vita Sancti Germani. Stimulé par cette remarque, Barthélemy Hauréau s'intéressa àla glose citée. Avec plus d'enthousiasme encore que les Mauristes, il y salua le Cogito cartésien: “Rien ne manque, en effet, àcette démonstration, et Descartes, il faut le reconnaître, ne l'a pas donnée en des termes plus rigoureux, plus énergiques, plus concluants.” Hauréau, cependant, eut le mérite de reconnaître en cette glose un extrait du Periphyseon (I, 490 AB) d'É rigène, un texte sur lequel nous aurons l'occasion de revenir. Le vrai précurseur de Descartes, selon lui, est Érigène; Heiric d'Auxerre n'est qu'un écho du maître irlandais.

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References

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3 Il la trouva précisément à l'endroit que les auteurs de l’Histoire littéraire avaient indiqué, c'est-à-dire dans l’édition de la Vita Sancti Germani publiée par les Bollandistes: Acta Sanctorum Iulii, Tomus VII, die 31 a Iulii (Paris/Rome, 1868), 260.Google Scholar

4 Hauréau, Barthélemy, Histoire de la philosophie scolastique, lère partie (Paris, 1872), 182.Google Scholar

5 Ibid., 183–84.Google Scholar

6 “The Cogito ergo sum of Descartes, which is the point of departure of all modern philosophy, is clearly anticipated by Erigena in a very remarkable passage…. But Erigena borrowed the thought, as he did so much else, from Augustine” (H. Bett, Johannes Scotus Erigena. A Study in Mediaeval Philosophy [Cambridge, 1925], 138–39).Google Scholar

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9 Les manuscrits du douzième siècle (Cambridge, Trinity College, 0.5.20, p. 147 et Avranches, Bibl. mun. 230, fol. 76v) ont scire au lieu de nescire. Les éditions de Gale (178) et de Schlüter (338) ont adopté la leçon du manuscrit de Cambridge.Google Scholar

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14 Otten, , The Anthropology of Johannes Scottus Eriugena, 184.Google Scholar

15 Un autre manuscrit carolingien (Paris, BN Latin 12964, p. 262) introduit un point supplémentaire: “Et si omne quod potest nescire seipsum. nescire non potest ignorare seipsum. esse….”Google Scholar

16 Pour être précis, disons que le manuscrit d'Avranches ponctue de la façon suivante: “Et si omne quod potest nescire seipsum nescire. non potest ignorare; seipsum esse….” En réalité, seul le point entre nescire et non potest importe à la discussion présente.Google Scholar

17 Ludwig Traube, introduction à E. K. Rand, Johannes Scottus, Quellen und Untersuchungen zur lateinische Philologie des Mittelalters, 1, 2 (Munich, 1906), ix; idem, Palaeographische Forschungen. V. Autographa des Iohannes Scotus, éd. E. K. Rand, Abh. Akad … Munich 26/1 (1912), 3.Google Scholar

18 Dans une lettre qu'il m'adressait le 3 avril 1974, T. A. M. Bishop écrivait: “Unless i1 can be detected in misspelling Greek his claim to be J[ohn] S[cottus] seems very strong. His Latin misspellings are almost negligible. His corrections of the Caroline scribes’ spellings in Laon 81 are significantly casual and incomplete. He writes like a highly literate Irish scholar who was not a scribe de métier and whose interests were at the furthest possible remove from pedantry. I2 on the contrary was an excellent professional scribe who may also have been something of a scholar.” Cf. T. A. M. Bishop, “Autographa of John the Scot,” dans Jean Scot Érigène et l'histoire de la philosophie (n. 7 ci-dessus), 89–94.Google Scholar

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21 PG 91:1400 A6.Google Scholar

22 Maxime le Confesseur Ambigua ad Iohannem 63. 72; CCSG 18:248 (apparat critique).Google Scholar

23 Iohannis Scotti Eriugenae Periphyseon (De Diuisione Naturae) Liber quartus, éd. É. Jeauneau, Scriptores Latini Hiberniae, 13 (Dublin, 1995), 84, 5–18.Google Scholar

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26 Gilson, E., René Descartes. Discours de la Méthode. Texte et commentaire (Paris, 1947), 4 e partie, 31–40 (le cogito cartésien), 285–98 (les antécédents médiévaux). Cf. P. Markie, “The Cogito and its Importance,” The Cambridge Companion to Descartes, ed. Cottingham, J. (Cambridge, 1992), 140–73. A. Maurer, “Descartes and Aquinas on the Unity of a Human Being: Revisited,” American Catholic Philosophical Quarterly 67 (1993): 497–511.Google Scholar

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28 “Nulla natura siue rationalis siue intellectualis est, quae ignoret se esse, quamuis nesciat quid sit.” (Periphyseon 1. 490B). Par natura rationalis il faut entendre la nature humaine, par natura intellectualis la nature angélique.Google Scholar

29 Periphyseon 4. 776BC.Google Scholar

30 Periphyseon 2. 585 BC.Google Scholar

31 Le pronom eius est absent des premières rédactions. Son addition alourdit la phrase sans grand profit pour le sens. Cf. Periphyseon 4, 758A: “Minus enim ualet ad ineffabilis diuinae essentiae significationem affirmatio quam negatio.”Google Scholar

32 Denys l'Aréopagite Epistula 1 (PL 122:1177B; PG 3:1065A). Cf. Jean Scot Commentaire sur l'évangile de Jean 1.25. 98–99 (SC 180:126; PL 122:302B). Periphyseon 1, 510B; 2, 593C, 594A, 597D.Google Scholar

33 Augustin De ordine 2.16.44 (CCL 29:131, 15–16; PL 32:1015).Google Scholar

34 Periphyseon 4. 771BC.Google Scholar

35 Maxime le Confesseur Ambigua ad Iohannem 12. 24–32 (CCSG 18:123; PG 91:1221D–1224A).Google Scholar

36 Grégoire de Nysse De imagine [De hominis opificio] 11 (PG 44:156AB). Ce texte est cité dans le Periphyseon 4. 788D–789A.Google Scholar

37 Periphyseon 4. 768 BC.Google Scholar

38 Il faut comprendre οὐσιώδης. Concernant ce genre de définition, cf. Marius Victorinus, Liber de definitionibus, ed. von Stangl, Th., Tulliana et Mario-Victoriniana. Programm des K. Luitpold-Gymnasiums in München für das Studienjahr 1887–1888 (Munich 1888), 7, 10–21; P. Hadot, Marius Victorinus. Recherches sur sa vie et ses oeuvres (Paris 1971), 337, 10–21; PL 64, 895CD. Érigène Periphyseon 1. 483CD.Google Scholar

39 Periphyseon 4. 768C.Google Scholar

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41 Pascal, , Pensée 434, ed. Brunschvicg, L. (Paris, 1904), 346–47.Google Scholar

42 Periphyseon 1. 490C.Google Scholar

43 Periphyseon 1. 490B.Google Scholar

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45 Denys l'Aréopagite De Caelesti Hierarchia 11.2 (éd. Heil et Ritter, 42, 1–2; PG 3: 284D); De Diuinis Nominibus 4. 23 (ed. Suchla, 170, 16–17; PG 3: 724C); Maxime le Confesseur Ambigua ad Iohannem 6. 1539–40 (CCSG 18:97; PG 91:1184D). La triade οὐσία, δύναμις, ἐνέργεια se trouve aussi chez le Pseudo-Augustin Categoriae Decem 5, 102, 115 (Aristoteles Latinus 1. 5. 134, 156, 160) et dans le Glossaire de Martin de Laon: MS Laon, Bibl. Mun. 444, fol. 290r-v; éd. E. Miller, Notices et extraits des manuscrits de la bibliothèque nationale.… 29/2 (Paris, 1880), 181–83.Google Scholar

46 Periphyseon 2. 570 AC.Google Scholar

47 Descartes, , Discours de la Méthode, 4e partie; éd. Adam et Tannery, 6. 33. 3–7.Google Scholar

48 Periphyseon 2. 567A–580A; 4. 743C. Cf. éd. Jeauneau (n. 23 ci-dessus), 278–79 (n. 4).Google Scholar

49 Genèse 1:26–27.Google Scholar

50 Érigène Commentaire sur l’évangile de Jean 3.6. 19–21 (SC 180:232; PL 122:321A). Periphyseon 4. 786C–87A.Google Scholar

51 Hadot, P., “L'image de la Trinité dans l’âme chez Victorinus et chez saint Augustin,” dans Studia Patristica 6/4 (TU 81: Berlin, 1962): 409–12.Google Scholar

52 Augustin De trinitate 9.4. 4; 15.3. 5 (CCL 50:297, 465–466; PL 42:963, 1060).Google Scholar

53 Augustin De trinitate 10.11. 17–19 (CCL 50:329–32; PL 42:982–84).Google Scholar

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55 Grégoire Palamas Capita 150. 37–40, éd. R. Sinkewicz (Toronto, 1988), 122–28.Google Scholar

56 Maxime le Confesseur Ambigua ad Iohannem 3. 355–57; 6. 1747–51 (CCSG 18:32–33, 103–04; PG 91:1088 A, 1196A).Google Scholar

57 Maxime le Confesseur Ambigua ad Iohannem 6. 119–21 (CCSG 18: 48; PG 91:1112D).Google Scholar

58 Periphyseon 2. 568D–79A.Google Scholar

59 Ibid., 574B.Google Scholar

60 Ibid., 642A.Google Scholar

61 On retrouve cette triade dans les Annotationes in Marcianum 7. 16 (éd. C. Lutz, 11, 23–24).Google Scholar

62 Periphyseon 2. 569A.Google Scholar

63 Ibid., 569BC, 577D.Google Scholar

64 “The equation of dianoia … with the sensus interior seems to be peculiar to Eriugena” (Sheldon-Williams, , ed. [n. 19 ci-dessus], 238, n. 347).Google Scholar

65 Grégoire vient d'examiner les caractéristiques suivantes: pureté, absence de passion (απάθεια), béatitude, éloignement de tout mal (PG 44:137B).Google Scholar

66 Jn 1:1.Google Scholar

67 I Cor. 2:16.Google Scholar

68 Grégoire de Nysse De imagine 5 (PG 44:137BC); traduction érigénienne éditée par Cappuyns dans RTAM 32 (1965): 214, 12–17.Google Scholar

69 Periphyseon 2. 569B.Google Scholar

70 Ibid., 579B–580A.Google Scholar

71 Periphyseon 3. 732D.Google Scholar

72 Ibid., 733BD. Il faut remarquer, cependant, que la triade essentia, uirtus, operatio s'applique non seulement à l'homme mais aussi à l'ange (Periphyseon 1. 490A-B), alors que la triade mens, ratio, sensus interior s'applique à l'homme seul, à l'exclusion de l'ange.Google Scholar

73 Εἴποι δ’ ἄν τις σὺν ἑτέροις καὶ τò τριαδικòν ἡμετέρας γνώσεως ἀγγέλων δεικνύειν κατ’ εἰκόνα , οὐ μόνον ὄτι τριαδικόν, ἀλλ’ ὅτι καὶ συμπεριβάλλει γνώσεως ἅπαν . (Grégoire Palamas Capita 150. 63; éd. R. Sinkewicz, 156)Google Scholar

74 Periphyseon 1. 486BC, 489C–490D, 505C-D; 2. 567AB; 4. 825C.Google Scholar

75 Augustin, , Confessiones 13.11.12 (CCL 27:247–48; PL 32:849–50).Google Scholar

76 Denys l'Aréopagite Hiérarchie céleste 11.2 (éd. Heil et Ritter, 41–42; PG 3:284D). Noms divins 4.23 (éd. Suchla, 170, 16–17; PG 3:724C).Google Scholar

77 Periphyseon 5. 941D–942B.Google Scholar

78 Periphyseon 4. 776C.Google Scholar

79 ὁ ἅνθρωπος, τò μέγα καὶ καὶ ὄνομα, τò θείας φύσεως ἀπεικόνισμα (Grégoire de Nysse De imagine 21[20], PG 44:200D–201A; ed. Cappuyns, , 243, 3). Ce texte est cité en Periphyseon 4. 821C.Google Scholar