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Dalia Gesualdi-Fecteau et Emmanuelle Bernheim, dir. La recherche empirique en droit : méthodes et pratiques. Montréal : Éditions Thémis, 2022, 336 pp.

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Dalia Gesualdi-Fecteau et Emmanuelle Bernheim, dir. La recherche empirique en droit : méthodes et pratiques. Montréal : Éditions Thémis, 2022, 336 pp.

Published online by Cambridge University Press:  02 November 2022

Zoé Boirin-Fargues*
Affiliation:
Doctorante en droit Université d’Ottawa et Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne zboir026@uottawa.ca
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Reviews / Compte rendus
Copyright
© The Author(s), 2022. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Law and Society Association

Voici un livre fort attendu dans la recherche universitaire.

En effet, il n’existait aucun écrit francophone sur la recherche empirique en droit. L’ouvrage collectif dirigé par Dalia Gesualdi-Fecteau et Emmanuelle Bernheim vise à combler ce manque. Il se veut utile aux juristes dont les recherches portent sur la relation entre le droit et la société. Il s’adresse aussi bien à ceux et celles qui débutent qu’aux chercheuses et chercheurs plus avancés. Plus généralement, il bénéficiera à toute personne intéressée à approfondir sa réflexion sur la recherche en droit. L’ouvrage réunit treize textes, tous écrits par des juristes. L’introduction en pose les fondations. Elle définit la recherche empirique et souligne son importance pour le champ du droit. Elle rappelle les différentes démarches (inductive et déductive) et approches (quantitative et qualitative) qui peuvent être utilisées. Elle se termine par une présentation des considérations éthiques, y compris les exigences liées à la certification éthique. Plus encore, elle souligne la position de pouvoir des chercheurs et chercheuses, qui nécessite que ceux-ci fassent preuve de réflexivité quant à leurs pratiques afin d’établir un « climat de confiance » (p. 25) avec les participants et participantes à leurs recherches.

L’ouvrage est ensuite divisé en deux parties. La première décrit les techniques et méthodes de la recherche empirique en droit. Elle se compose de six chapitres, chacun traitant d’une ou de plusieurs méthodes de collecte des données : l’ethnographie juridique (chap. 1, par Véronique Fortin); la jurisprudence, les dossiers de plaintes et les entretiens (chap. 2, par Guylaine Vallée); l’entretien (chap. 3, par Dalia Gesualdi-Fecteau et Laurence Guénette); le sondage (chap. 4, par Pierre Noreau); l’observation (chap. 5, par Emmanuelle Bernheim); trois outils informatiques (chap. 6, par Julie Paquin et Wolfgang Alschner) et trois méthodes de recherche en ligne (chap. 7, par Alexandra Bahary-Dionne).

La seconde partie réunit cinq chapitres qui dépeignent certains enjeux particuliers à la recherche empirique : la recherche empirique sur des sujets sensibles (chap. 8, par Dalia Gesualdi-Fecteau et Andréanne Thibault); auprès de personnes en situation de vulnérabilité (chap. 9, par Suzanne Bouclin et Justine Bouquier, et chap. 11, par Christine Vézina et Morgane Leclercq); la recherche empirique partenariale (chap. 10, par Stéphanie Bernstein) et la recherche engagée « avec et auprès » des acteurs judiciaires (chap. 12, par Julie Perreault et Marie-Eve Sylvestre).

En tant que production collective, cet ouvrage est confronté au défi de l’harmonie entre les différentes contributions. Le ton varie ainsi d’un chapitre à un autre : on passe de l’exposé général des méthodes de collecte des données (chap. 1, 3, 4, 5, 6 et 7) à l’exposé détaillé d’une recherche particulière (chap. 2). Il y a un certain décalage entre les chapitres quant au niveau de réflexion développé par rapport à la recherche empirique en tant que telle. Par ailleurs, l’ouvrage n’est pas un guide sur la conduite d’une recherche empirique du début à la fin. Il appartient donc aux lecteurs et lectrices de parcourir l’ouvrage selon leurs besoins. Sans surprise, beaucoup de développements sont issus des sciences sociales, bien qu’ils soient ponctués d’exemples de recherche en droit. Concernant ces derniers, beaucoup portent sur le droit du travail ou sur le droit pénal appliqué aux personnes en situation d’itinérance. Il aurait été, selon nous, bénéfique que la lectrice ou le lecteur soit exposé à une plus grande variété de contextes. Dans la mesure où les résultats issus de recherches empiriques sont difficilement généralisables (p. 54, 77, 134), cela aurait permis de mieux démontrer tout le potentiel de la recherche empirique. De même, il aurait été intéressant que l’ouvrage offre plus de contenu dédié à l’analyse des données. Enfin, un chercheur ou une chercheuse novice dans le domaine aurait pu souhaiter se renseigner sur les conséquences d’une recherche empirique sur le déroulement d’un doctorat ou d’une carrière universitaire (compte tenu, par exemple, du temps écoulé avant la publication des résultats).

En dépit de cela, l’ouvrage atteint ses objectifs. Il démontre avec précision la pertinence de la recherche empirique en droit. Il met en lumière l’arsenal d’outils existants en la matière. La personne faisant de la recherche pourra savoir dans quelles circonstances et de quelles façons utiliser telle ou telle méthode de collecte. Elle en connaîtra les limites et les stratégies disponibles pour dépasser ces dernières. Ainsi, le traitement d’un grand nombre de données pourra nécessiter la mobilisation d’outils informatiques (chap. 6); une recherche auprès de personnes vulnérables sera réalisable grâce à la mobilisation de méthodes adaptées, telles que le théâtre-forum ou le dessin-entretien (chap. 11); la recherche partenariale devra reposer sur une structure de gouvernance solide (chap. 10); elle pourra être engagée et mener à des réformes concrètes du droit (chap. 12).

L’ouvrage met par ailleurs en exergue la rigueur que requiert la conduite d’une recherche empirique. Il souligne le besoin de maîtriser les méthodes de collecte des données, par exemple en développant des « tactiques visant à stimuler la discussion » pour mener une ethnographie juridique (p. 88). Les autrices précisent en outre que des compétences humaines sont nécessaires pour conduire une ethnographie, une observation, une recherche partenariale ou engagée : des « compétences affectives » (p. 93), de la « bienveillance » (p. 219), de l’« empathi[e] », de l’« écoute sensible » (p. 231), de la « réflexivité », de la « flexibilité » et de la « créativité » (p. 304).

En résumé, cet ouvrage nous montre toute la richesse que la recherche empirique peut apporter au champ du droit et toutes les méthodes existantes à portée des juristes. Les lecteurs et lectrices pourront en saisir la pertinence, mais également comprendre ce que ces recherches exigeront d’eux en tant que chercheurs et chercheuses et en tant qu’êtres humains. Il ne fait aucun doute que la lecture de cet ouvrage suscitera l’envie, pour les chercheuses et chercheurs en herbe ou établis, d’entreprendre de telles recherches empiriques.