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Daniel Bellingradt, Vernetzte Papiermärkte. Einblicke in den Amsterdamer Handel mit Papier im 18. Jahrhundert, Cologne, Herbert von Halem Verlag, 2020, 250 p.

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Daniel Bellingradt, Vernetzte Papiermärkte. Einblicke in den Amsterdamer Handel mit Papier im 18. Jahrhundert, Cologne, Herbert von Halem Verlag, 2020, 250 p.

Published online by Cambridge University Press:  12 January 2023

Catherine Rideau-Kikuchi*
Affiliation:
catherine.kikuchi@uvsq.fr
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Livres et circulation des savoirs (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Des journaux, des emballages, des cahiers, des papiers usés, raturés, blancs, bruns, de couleur… Une marée de papier, c’est l’impression qui ressort de la lecture de l’ouvrage de Daniel Bellingradt, et nul doute que cela fasse partie de la stratégie rhétorique de l’auteur. Celui-ci cherche à nous convaincre que l’époque moderne est une époque de papier (« Papierepoche », p. 25), qu’Amsterdam est le marchand de papier du monde, et qu’il faut les étudier en tant que tels.

Les faits parlent tout autant que l’accumulation des types de papier : d’environ 60 millions de feuilles de papier produites annuellement à Amsterdam vers 1700, l’on passe vraisemblablement à 200 millions dans le courant du xviiie siècle. La démonstration de l’omniprésence du papier dans la vie quotidienne n’est qu’esquissée, mais de manière très suggestive : la seule multiplicité des produits, conçus pour l’écriture manuscrite, l’impression ou encore l’emballage, témoigne de la manière dont ce matériau a pénétré tous les aspects quotidiens de la société, en dépit des flottements des désignations et des unités utilisées. Ce constat appelle à une nouvelle prise en compte du papier, non pas comme simple ajout à l’histoire du livre ou de la communication, mais bien selon un véritable retournement de perspective. Là où le livre et, plus globalement, l’imprimerie avaient été mis au centre des transformations culturelles de l’époque moderne, cet ouvrage propose de déplacer la focale vers le matériau même qui permet non seulement le développement de l’imprimerie, mais aussi de nouveaux modes de communication et d’information, et dont la production met en connexion des sphères sociales et économiques très diverses.

L’idée, pour D. Bellingradt, est donc d’insister non pas sur le texte mais sur le support qui permet sa diffusion : cette approche, déjà au fondement de la codicologie, avait depuis longtemps engendré des perspectives de recherches fructueuses quand il s’agissait de l’appliquer à l’histoire du livre. L’ouvrage propose d’aller plus loin, prenant en considération l’ensemble des feuilles de papier produites – et ce même si le livre occupe une place conséquente dans les destins possibles des feuilles de papier produites – afin de réfléchir aux rythmes d’approvisionnement et de production qui permettent l’essor d’une communication basée sur le papier dans de multiples domaines.

Le cas d’Amsterdam est emblématique de ce renversement de perspective. Si la ville a longtemps été considérée comme une ville d’imprimerie avant tout, réfléchir à la disponibilité en papier de toutes sortes dans la ville, aux infrastructures, aux structures économiques et aux acteurs qui rendent possible cet approvisionnement permet de prendre en considération dans un même geste l’ensemble des activités fondées sur le papier. Le livre imprimé n’en est que l’un des avatars, et le succès de l’imprimerie est dépendant des autres utilisations possibles de ce papier, fourni parfois par les mêmes acteurs qui en vivent, dans cette plaque tournante que constitue Amsterdam.

Les marchés en réseau, qui donnent son titre à l’ouvrage, sont ceux que la fabrication et la vente du papier mettent en relation. Si les liens entre moulins à papier ruraux et librairies urbaines viennent le plus rapidement en tête de l’historienne du livre, l’auteur invite à prendre en compte les matières premières, des chiffons utilisés pour la fabrication du papier jusqu’au recyclage de ce même papier. La vente du papier met ensuite en relation des acteurs divers : vente en détail ou en gros, vente en librairie, en papeterie, vente directe aux consommateurs de papiers d’emballage ou de papier à imprimer, etc. De façon extrêmement efficace, l’auteur reprend à partir d’une source le fil de l’aventure biographique d’une feuille de papier, depuis le lin des champs servant à la fabrication du tissu qui se transformera en papier jusqu’à la « torture » (p. 114) de sa dissolution permettant la production de nouvelles feuilles à partir de ses fibres. Enfin, le transport et le stockage de ces millions de feuilles de papier ne peuvent pas passer inaperçus et doivent être pris en considération pour la compréhension des systèmes économiques urbains.

La perspective d’histoire économique ici esquissée ouvre en elle-même des voies de recherche très fructueuses. Partant du constat de la fragmentation des marchés du papier, mais aussi de leur nécessaire imbrication, l’auteur plaide pour une réelle interdisciplinarité, notamment avec l’économie ou la sociologie économique, qui nourrit certaines de ses hypothèses et de ses modèles explicatifs. On pense notamment aux analyses de Mark Granovetter, Harrison C. White, Patrik Aspers et d’autres qui ont été reprises dans un cadre historique par Christof Jeggle, largement cité dans cet ouvrageFootnote 1. Ces références théoriques, dont la mise en pratique peut passer par des analyses de réseau ou une prise en considération plus centrale des anticipations des acteurs par exemple, rendent compte du marché comme d’une configuration sociale et permettent donc de mettre en relation la question de la production et de ses caractéristiques, des flux matériels et des interactions entre acteurs qui donnent forme aux échanges marchands.

Les travaux, y compris très récents, qui se sont développés en sociologie économique sur ces questions permettent de sortir de l’impasse d’une conception classique du marché comme lieu d’équilibre de l’offre et de la demande, en redonnant leur place aux inégalités d’information, aux mécanismes de concurrence qui sont tout sauf purs et parfaits, aux phénomènes d’accumulation qui conduisent à des déséquilibres économiques et sociaux importants dans un milieu de producteurs en développement. Du point de vue de l’historienne, ils permettent de réfléchir aux mécaniques de marché dans une économie marquée par l’incertitude, en tentant de prendre en compte des mécaniques à un niveau local, régional, voire suprarégional sans s’en tenir à une approche descriptive des échecs comme des succès des acteurs concernés, mais en les resituant dans des dynamiques plus globales et en cherchant à avancer quelques éléments d’explication. Les études historiques s’inspirant de ces développements en sciences sociales prennent aujourd’hui de plus en plus d’ampleur pour comprendre l’économie d’Ancien Régime.

L’ouvrage de D. Bellingradt explicite un réel changement de perspective par rapport à de nombreux travaux d’histoire économique, d’histoire du livre ou de la communication, bien que différemment selon le champ. Des connexions historiographiques auraient pu être davantage exploitées et pourront l’être par la suite. La prise en considération du papier et de sa production dans les études codicologiques n’est en effet pas une absolue nouveauté : cela fut le cas, de façon approfondie bien que surtout en lien avec la production livresque, en France ou en Italie. Les travaux d’Ezio Ornato et de Carlo Federici ou encore d’Ivo Mattozzi ou d’Ennio SandalFootnote 2, pour ne citer qu’eux, auraient apporté un éclairage utile. De la même manière, les travaux sur les écritures grises et sur la bureaucratie à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne constituent un champ de recherche extrêmement dynamique, non seulement en Allemagne, mais aussi en France et en Italie. Ces études auraient permis de nuancer et compléter les affirmations historiographiques qui s’appuient quasi exclusivement sur la bibliographie germanophone et anglophone, même si celle-ci est exploitée de façon très large. On sent que la communication scientifique entre des aires linguistiques de traditions diverses pose de réels problèmes, qui dépassent largement le cadre de cette seule étude. En tout état de cause, des recherches futures tireront profit à s’appuyer sur ces travaux et à les faire dialoguer.

Ceci étant, que ce soit dans les traditions historiographiques anglophone, italienne, française ou allemande, il est certain que beaucoup reste à faire. Les perspectives lancées par l’auteur ouvrent des pistes de recherches que les historiens du livre, de la culture, de la communication et de l’économie pourront suivre pour que le papier ne reste pas en marge des raisonnements historiques, ne soit plus pris pour acquis, selon l’expression de John Nerone souvent citée dans cet ouvrage et, au contraire, éclaire les évolutions historiques dans les divers domaines qu’il touche.

References

1 On renvoie en particulier à l’excellent volume d’Andrea Caracausi et Christof Jeggle (dir.), Commercial Networks and European Cities, 1400-1800, Londres, Pickering & Chatto, 2014.

2 Ezio Ornato et al., La carta occidentale nel tardo medioevo, Rome, Istituto centrale per la patologia del libro, 2001 ; Mauro Grazioli, Ivo Mattozzi et Ennio Sandal (dir.), Mulini da carta. Le cartiere dell’alto Garda : tini e torchi fra Trento e Venezia, Vérone, Cartiere Fedrigoni, 2001.