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Deux légitimations historiques de la société française au XVIIIe siècle : Mably et Boulainvilliers

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

François Furet
Affiliation:
Centre de recherches historiques École des Hautes, Études en Sciences Sociales
Mona Ozouf
Affiliation:
Centre de recherches historiques École des Hautes, Études en Sciences Sociales

Extract

Le xvIIIe siècle pose deux questions à l'histoire : qu'est-ce qu'une civilisation ? qu'est-ce qu'une nation ?

Ces deux questions sont indépendantes. Elles ne se recoupent jamais. La première est liée au vif sentiment du progrès qui anime le siècle et à l'élaboration d'un schéma linéaire de l'histoire humaine : la « civilisation » est ce point de perfection des moeurs, des lettres et des arts dont l'Antiquité grecque et romaine a indiqué les traits, et dont l'Europe des lumières est en train d'illustrer à nouveau les bienfaits. Entre Voltaire et Condorcet, cette « civilisation » cesse même d'être pensée sur le mode d'une identité cyclique avec le modèle antique, pour figurer tout simplement le stade supérieur des « progrès de l'esprit humain ». Point de passage obligatoire des sociétés, elle est le rêve de celles qui ne l'ont pas atteint, et la chance de celles qui s'y épanouissent. Mais de toutes façons, un peu plus tôt, un peu plus tard, l'histoire en constitue la garantie pour tous, à partir du moment où elle a un sens.

Summary

Summary

The purpose of the article is to compare the descriptions and analyses of the history of France written at the beginning and end of the 18th century by Boulainvilliers and Mably. The aristocratie interpretation of the first author seems totally opposed to the democratie theory of the second. But in reality both historians use the same conceptual elements, drawn from the enlightened milieux of the period : Germanie invasions, formation of the nation, the traditional liberties periodically reaffirmed in the “Champs de mai”, the contract binding nation and monarchy together. Thus the growth of a civil society, its movement toward the seizure of power which emerges openly in the reign of Louis XIV, is explained in one case as the revival of aristocratie prerogatives, in the other as thejust rights of the Third Estate.

Type
Idéologie et politique
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1979

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References

Notes

1. Boulainviixiers, , Histoire de l'Ancien Gouvernement de la France , La Haye-Amsterdam, aux dépens de la compagnie, 1727.Google Scholar

2. Mably, , De la manière d'écrire l'histoire , Paris, Jombert Jeune, A., 1783.Google Scholar

3. Boulainviixiers, Histoire de l'Ancien Gouvernement de la France, op. cit.

4. Mably, , « De l'étude de l'histoire, à Monseigneur le Prince de Parme » , Maëstricht, Cavelier, 1778. Mably ajoute, en exhortant son élève à choisir un modèle : « Mais je vous en avertis que ce ne soit pas un prince. Je ne sais quelle gloire fausse et ambitieuse ternit toujours la vie des plus grands rois. Choisissez pour modèle un simple citoyen de la Grèce ou de Rome. »Google Scholar

5. Mably, , idem : « Remarquez-le avec soin, les mêmes lois, les mêmes moeurs, les mêmes vertus, les mêmes vices ont constamment produit les mêmes effets. Le sort des États tient donc à des principes fixes, immuables et certains. Découvrez les principes, Monseigneur et la politique n'aura plus de secrets pour vous… »Google Scholar

6. Boulainvilliers, , Histoire de l'Ancien Gouvernement de la France, op. cit. Google Scholar

7. Mably, , De la Législation ou Principes des Lois, dans Œuvres complètes , Londres, 1789.Google Scholar Boulainvilliers de son côté voit dans l'Histoire plus d'exemples à fuir et à détester qu'elle ne nous en montre à imiter : voir Lettre à Mademoiselle Cousinot sur l'Histoire et sa méthode , ms. Bibl. d'Angoulême, 23.

8. Sur ce thème, Mably paraît souvent recopier Boulainvilliers : « Ceci peut nous convaincre de plus en plus du principe certain qu'entre toutes les notions du monde, la nôtre est distinguée par le caractère de légèreté et d'inattention, tel que d'un siècle à l'autre les Français ont toujours oublié ce que leurs pères avaient fait. » Et Mably : « La France est la nation la plus inconsidérée et la plus aisée à tromper, parce qu'elle est la moins attentive à consulter le passé. »

9. Le meilleur exposé de ces thèses se trouve dans le livre de carcassonne, Élie Montesquieu et le problème de la Constitution française au XVIIIe siècle , Paris, PUF, 1927.Google Scholar

10. Mably, , Observation sur les Grecs , Genève, par la Compagnie des Libraires, 1749.Google Scholar « On sait aujourd'hui ce qu'il faut penser de ces lits de verdure, de ces couronnes de fleurs, de ces concerts, de ce doux loisir…, etc. »

11. Boulainvilliers, Mémoire sur la noblesse de France , ms. Bibl. d'Angoulême, n° 23. Boulainvilliers a un mot de commisération pour les hommes libres que, d'un coup, la conquête rend esclaves. C'est pour ajouter aussitôt que « s'étant mal défendus, ils ont justement subi la loi du vainqueur ».

12. Boulainvilliers, Histoire de l'Ancien Gouvernement de la France, op. cit.: « Comme si une possession non contestée de 700 ans paraissait un titre si médiocre ! Cette faiblesse est d'autant plus dangereuse qu'elle a enfanté le faux et ridicule système de ceux qui disent qu'Hugues Capet abandonne à ses nouveaux sujets la propriété des terres, des fiefs et des biens-fonds pour les récompenser de ce qu'ils lui avaient décerné la Royauté. Système d'où on a tiré la plus abominable conséquence, savoir que tous les biens appartiennent au Roi, qu'il n'en peut laisser à ses sujets que telle part qui lui plaît. »

13. Dans la Dissertation abrégée (Amsterdam, 1732), sur les premiers Français et leur origine, qui clôt les Essais sur la noblesse de France , Boulainvilliers va jusqu'à rassurer les anoblis du despotisme : « Quant aux nouveaux nobles et anoblis, ils n'ont rien à craindre de notre travail. Nos vues sont générales, simples et innocentes. Elles ne tombent jamais nommément dans un examen particulier. Ils peuvent donc jouir tranquillement de leur métamorphose. »

14. De la Législation ou Principes des Lois, op. cit.

15. Boulainvilliers, Mémoire pour la construction d'un nobiliaire général , ms. Éc. Sup. de Guerre, n°s 25-26 : « La noblesse ancienne n'a aucun moyen d'assurer son État ; une partie a perdu ses titres et ses chartes par les guerres étrangères ou intestines, et à l'exception des familles dont les noms restent dans l'histoire, il ne reste aux autres que des actes particuliers, sujets à périr par une infinité d'accidents. » Le but poursuivi est du reste clairement exposé : il faut que « l'ancienne noblesse puisse se distinguer de la nouvelle, celle qui a été accordée par lettres particulières ou qui est conséquente de la possession de certains offices… ».

16. Boulainvilliers, Histoire de l'Ancien Gouvernement de la France, op. cit.

17. Boulainvilliers, , Abrégé de l'Histoire de France , La Haye, Gesse et Néaulme, 1733.Google Scholar« Les Belles-Lettres, qui languissaient depuis longtemps et qui étaient ensevelies par le mauvais goût des siècles précédents, reparurent en celui-ci avec tout leur éclat… »

18. Mably, , Observations sur l'Histoire de France , Genève, par la Compagnie des Libraires, 1765.Google Scholar

19. Mably, , De la Législation ou Principes de Lois, op. cit. Google Scholar

20. Mably, , De l'étude de l'Histoire, op. cit.: l'exemple de quelques cantons suisses illustre aux yeux de Mably cet arrangement astucieuxGoogle Scholar.

21. Mably, , Entretiens de Phocion , Amsterdam, 1763.Google Scholar

22. C'est la solution préconisée par Les Lois, op. cit. « Que la noblesse ait un patrimoine qu'elle ne puisse augmenter, que sous aucun prétexte il ne lui soit permis de posséder les terres ou les héritages qui sont destinés à un autre ordre de citoyens… »