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L’autorité de l’écrit pragmatique dans la société chrétienne éthiopienne (xve-xviiie siècle)

Published online by Cambridge University Press:  12 October 2020

Anaïs Wion*
Affiliation:
Institut des mondes africains (IMAF), CNRS anais.wion@univ-paris1.fr

Résumés

Le pouvoir royal chrétien éthiopien a produit, entre le xie et le milieu du xxe siècle, nombre de documents écrits témoignant de donations de terre et de transferts de privilèges accordés aux institutions religieuses et aux grands du royaume. Bien que seule émettrice d’actes écrits, l’autorité royale a manifesté peu d’intérêt pour le devenir de ces documents : elle ne les a pas conservés, ne les dotait d’aucune marque externe de validation et acceptait relativement facilement qu’ils soient modifiés. Ce paradoxe se résout après une étude approfondie des pratiques qui permirent la production, puis la conservation de cette documentation. Ainsi, le pouvoir royal mettait en place des comités ad hoc qui se déplaçaient dans les provinces afin d’y faire promulguer les actes, ou émettait ceux-ci depuis le camp royal pour les dépêcher ensuite vers les institutions concernées. La mise par écrit et l’archivage étaient délégués aux institutions religieuses, qu’elles soient bénéficiaires directes des actes ou qu’elles fonctionnent comme des centres administratifs régionaux. Il est encore difficile de percevoir des scansions chronologiques dans ces processus. Néanmoins, un changement radical s’opère à partir de la décennie 1720 : les personnes privées s’arrogent le droit de faire écrire en langue vernaculaire leurs transferts de droits. La stabilité de la société gondarienne et la professionnalisation des scribes dans les églises ont permis à ces derniers de devenir les notaires de leurs communautés tout en servant les intérêts de la petite noblesse. La bureaucratie éthiopienne échappe au monopole du pouvoir souverain pour servir la communauté des propriétaires fonciers.

Abstracts

Abstracts

Between the eleventh and mid-twentieth centuries, the Christian royal power in Ethiopia produced documents recording land donations and transfers of privileges granted to religious institutions and important men of the kingdom. Although it was the only producer of written deeds, the royal authority showed little concern for the fate of these documents: it did not conserve them or endow them with any external mark of validation, and accepted modifications relatively easily. This paradox can be resolved through an in-depth study of the practices surrounding the production and preservation of this documentation. The royal power set up ad hoc committees that traveled to the provinces in order to have the acts promulgated there, or issued them from the royal camp and sent them to the institutions concerned. Both writing processes and archiving were delegated to religious institutions, whether they were direct beneficiaries of the acts or functioned as regional administrative centers. The chronological scansions of these phenomena remain difficult to trace. Nevertheless, a radical change took place from the 1720s onwards, as private individuals claimed the right to have transfers that concerned them written in the vernacular language. The stability of Gondarian society and the professionalization of scribes linked to the churches allowed them to become the notaries of their communities and to serve the interests of the lower nobility. Ethiopian bureaucracy thus escaped the monopoly of sovereign power to serve the community of landowners.

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References

1 Sur la résolution du dilemme du « cartulaire » dans le contexte éthiopien, la lecture de l’article de Laurent Morelle, « Comment inspirer confiance ? Quelques remarques sur l’autorité des cartulaires », in J. Escalona et H. Sirantoine (dir.), Chartes et cartulaires comme instruments de pouvoir. Espagne et Occident chrétien (viii e-xii esiècles), Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2013, p. 153-163, a apporté des pistes à ma réflexion.

2 Les guillemets sont mis en préalable à l’examen de ces notions.

3 Carlo Conti Rossini, Documenta ad illustrandam historiam, vol. 1, Liber Axumae, 1909-1910 [Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, vol. 54 et 58, Scriptores Aethiopici, t. 24 et 27], partiellement traduit en anglais par George Wynn Brereton Huntingford, The Land Charters of Northern Ethiopia, Addis-Ababa, Institute of Ethiopian Studies and the Faculty of Law, Hailé Sellassie I University/Oxford University Press, 1965 ; Id., « L’evangelo d’oro di Dabra Libānos », Rendiconti della Reale Accademia dei Lincei, s. 5, vol. 10, 1901, p. 177-219 ; Ignazio Guidi, « Gli archivi in Abissinia », Atti del Congresso internazionale di scienze storiche, 1903, p. 651-698.

4 Manfred Kropp a lancé de nombreuses pistes de réflexion pour penser de façon structurelle cette documentation, en s’appuyant notamment sur les archives du monastère de Hayq Esṭifānos et sur le manuscrit British Library Or. 481 rassemblant des archives de l’ambā Gešēn et de Gondar. Sa démarche intellectuelle féconde et pionnière reste fragmentée dans les nombreux articles érudits qu’il publie depuis quarante ans, souvent en allemand. Les travaux de Donald Crummey, plus orientés vers la compréhension des structures politiques et foncières, sont synthétisés dans son ouvrage Land and Society in the Christian Kingdom of Ethiopia: From the Thirteenth to the Twentieth Century, Urbana, University of Illinois Press, 2000. Mes propres travaux portent sur les corpus des actes des églises d’Aksum Ṣeyon, de Māḫdara Māryām et de Qomā Fāsiladas : Anaïs Wion, « Why Did King Fasilädäs Kill his Brother ? Sharing Power in the Royal Family in Mid-17th c. Ethiopia », Journal of Early Modern History, 8-3, 2004, p. 259-293 ; Id., Paradis pour une reine. Le monastère de Qoma Fasilädäs, Éthiopie, xvii esiècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012 ; Id., « La langue des actes éthiopiens à l’épreuve de la modernité. Un recueil de chartes royales daté de 1943 (église de Maḫdärä Maryam, Bägémder) », in J.-M. Bertrandet al. (dir), Langue et histoire, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, p. 123-152 ; Id., « De l’orgueilleuse geste royale au pragmatisme des bénéficiaires. Les deux versions de l’acte du roi Iyāsu I (1682-1706) en faveur de l’église d’Aksum », Annales d’Éthiopie, 30, 2015, p. 259-281 ; Id., « Cinq cents ans de contrôle royal sur les produits agricoles tributaires d’Aksum », Études rurales, 197, 2016, p. 49-72.

5 Les monastères érythréens ont été inventoriés par une équipe italienne dans les années 1990 avant la fermeture définitive du pays aux chercheurs : Alessandro Bausi et Gianfrancesco Lusini, « Appunti in margine a una nuova ricerca sui conventi eritrei », Rassegna di studi stiopici, 38, 1992, p. 5-36 ; Alessandro Bausi, « Su alcuni manoscritti presso comunità monastiche dell’eritrea », Rassegna di studi stiopici, 38, 1994, p. 13-69 ; Id., « Su alcuni manoscritti presso comunità monastiche dell’eritrea. Parte tre », Rassegna di studi etiopici, 41, 1997, p. 13-56 ; Gianfrancesco Lusini, « Scritture documentarie etiopiche (Dabra Deḫuhān et Dabra Ṣegē, Sarā’ē, Eritrea) », Rassegna di studi etiopici, 42, 1998, p. 5-55. Les spécificités des institutions du Lāstā ont été mises à jour par Claire Bosc-Tiessé et Marie-Laure Derat, « Acts of Writing and Authority in B∂gw∂na-Lasta between the Fifteenth Century and the Eighteenth Century: A Regional Administration Comes to Light », North-East African Studies, 11-2, 2011, p. 85-110. Les caractéristiques du corpus du Livre d’Aksum forment le cœur de nos recherches : Anaïs Wion, « Aux frontières de la codicologie et de la diplomatique. Structure et transmission des recueils documentaires éthiopiens », Gazette du livre médiéval, 48, 2006, p. 14-25 ; Id., « Le Liber Aksumae selon le manuscrit Bodleian Bruce 93. Le plus ancien témoin d’un projet historiographique sans cesse réactivé », Oriens christianus, 93, 2009, p. 135-171 ; Id., « Promulgation and Registration of Royal Ethiopian Acts on Behalf of Political and Religious Institutions (Northern Ethiopia, Sixteenth Century) », Northeast African Studies, 11-2, 2011, p. 59-84. Les transferts de terre des institutions de Gondar au xviiie siècle ont été étudiés par Habtamu Mengistie Tegegne, « Land Tenure and Agrarian Social Structure in Ethiopia, 1636-1900 », thèse de doctorat, University of Illinois, 2011 et Namouna Guebreyesus, « Les transferts fonciers dans un domaine ecclésiastique à Gondär (Éthiopie) au xviiie siècle. Études des actes enregistrés dans l’évangéliaire de l’église de Ḥamärä Noḫ », thèse de doctorat, Ehess, 2017.

6 D. Crummey, Land and Society…, op. cit. ; Habtamu Mengistie Tegegne, « Rethinking Property and Society in Gondärine Ethiopia », African Studies Review, 52-3, 2009, p. 89-106.

7 Anaïs Wion, Sébastien Barret et Aïssatou Mbodj-Pouye (dir.), no spécial « L’écrit pragmatique africain », Afriques. Débats, méthodes et terrains d’histoire, 7, 2016.

8 Voir une synthèse des avancées théoriques de ces travaux dans Pierre Chastang, « Introduction », Tabularia, Études, 9, 2009, p. 27-42.

9 Joseph Morsel, « Le médiéviste, le lignage et l’effet de réel. La construction du Geschlecht par l’archive en Haute-Allemagne à partir de la fin du Moyen Âge », n° spécial « Fabrique des archives, fabrique de l’histoire », Revue de synthèse, 125, 2004, p. 83-110, ici p. 85.

10 Je remercie particulièrement Sébastien Barret, historien médiéviste (Cnrs, Irht), et Aïssatou Mbodj-Pouye, anthropologue (Cnrs, Imaf), avec qui j’ai coédité le numéro spécial « L’écrit pragmatique africain », précédemment cité, ainsi que Paul Bertrand (Université catholique de Louvain), avec qui j’ai coécrit l’introduction du numéro spécial « Production, Preservation and Use of Ethiopian Archives (14th-18th centuries) », Northeast African Studies, 11-2, 2011, pour nos échanges intellectuels riches et formateurs au cours de ces deux projets éditoriaux. Mon goût pour l’archive ne serait pas ce qu’il est sans les innombrables conversations érudites avec Denise Ogilvie (Archives nationales) : qu’elle en soit aussi remerciée.

11 Un « companion book » sur l’histoire médiévale de l’Éthiopie vient de paraître et offre une synthèse des connaissances récentes sur l’Éthiopie médiévale : Samantha Kelly (dir.), A Companion to Medieval Ethiopia and Eritrea, Leyde, Brill, 2020.

12 Les très rares exceptions connues de personnages non royaux attribuant des g welt ou faisant porter par écrit leurs actes fonciers confirment la règle : voir Anaïs Wion, « Les documents copto-arabes dans les archives chrétiennes d’Éthiopie. De rares témoins de l’autorité épiscopale (xive-xve s.) », Afriques. Débats, méthodes et terrains d’histoire, 8, 2017, https://doi.org/10.4000/afriques.2021.

13 Il s’agit de l’acte du roi Tantāwedem, conservé à l’église d’Urā Masqal : Marie-Laure Derat, « Les donations du roi Lālibalā. Éléments pour une géographie du royaume chrétien d’Éthiopie au tournant du xiie et du xiiie siècle », Annales d’Éthiopie, 25, 2010, p. 19-42.

14 Il faut là encore nuancer et mentionner l’existence tardive de chartriers. Ainsi le registre (mazgab) de l’église royale de Qwesqwām, fondée dans la seconde moitié du xviiie siècle, n’est-il composé que de documents d’archives, copiés au fur et à mesure et abondamment modifiés. Voir Donald Crummey et Shumet Sishagne, « The Lands of the Church of Däbrä S’aḥay Qwesqwam, Gondär », in C. Lepage (dir.), Études éthiopiennes. Actes de la x econférence internationale des études éthiopiennes (Paris, 24-28 août 1988), vol. 1, Paris, Société françaises d’études éthiopiennes, 1994, p. 225-236 ; Id., « Land Tenure and the Social Accumulation of Wealth in Eighteenth-Century Ethiopia: Evidence from the Qwesqwam Land Register », The International Journal of African Historical Studies, 24-2, 1991, p. 241-258 ; Claire Bosc-Tiessé, Les îles de la mémoire. Fabrique des images et écriture de l’histoire dans les églises du lac Ṭana, Éthiopie, xvii e-xviii esiècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008 ; Donald Crummey, « Gondär Land Documents: Multiple Copies, Multiple Recensions », Northeast African Studies, 11-2, 2011, p. 1-42.

15 María Milagros Carcel Ortí (dir.), Vocabulaire international de la diplomatique, Valence, Universitat de València, 1997, p. 30.

16 Ces documents de l’administration de Hayle Sellasié sont aujourd’hui conservés au centre d’archives Walda Masqal, à Addis Abeba.

17 A. Wion, « Promulgation and Registration of Royal Ethiopian Acts... », art. cit. Ce manuscrit n’est accessible qu’à travers la copie faite au milieu du xixe siècle par Antoine d’Abbadie. Elle est déposée à la Bibliothèque nationale de France (BnF) sous la cote Éthiopien Abbadie 152. Les chartes royales contenues dans ce codex ont été éditées et traduites par C. Conti Rossini, Documenta…, op. cit.

18 D’après Pedro Páez, jésuite qui décrivit précisément la réorganisation opérée par le roi Susenyos (1607-1632) dans les attributions des officiers de cour. Le ba’āla maṣhaf est décrit comme un « palace doorman », un huissier, au même titre que le ba’āla tagwāzagwāza, dont on sait qu’il est en charge des tapis et des jonchées lors des cérémonies : Manuel João Ramos, Hervé Pennec et Isabel Boavida (dir.), Pedro Paez’s History of Ethiopia, 1622, vol. 1, Londres, Hakluyt Society, 2011, p. 50.

19 Voir A. Wion, « De l’orgueilleuse geste royale… », art. cit.

20 Pour une première tentative d’analyse des rapports entre le son et le pouvoir dans l’Éthiopie gondarienne, voir Anaïs Wion, Anne Damon-Guillot et Stéphanie Weisser, « Sound and Power in the Christian Kingdom of Ethiopia (17th-18th c.) », Aethiopica, 19, 2016, p. 61-89.

21 Il s’agit de la trompe nommée gantā au xvie siècle : voir A. Wion, « Promulgation and Registration of Royal Ethiopian Acts… », art. cit. À la période contemporaine, elle est nommée malaket. Un entretien de l’autrice à Aksum en 2013 avec le dernier joueur officiel de trompe confirme que la transmission héréditaire de la charge, déjà visible dans des sources écrites du xvie siècle, était toujours de mise en 1974, à la veille de la révolution marxiste.

22 C. Conti Rossini, Documenta…, op. cit., p. 34 (trad.), p. 29 (texte).

23 Charles Fraser Beckingham et George Wynn Brereton Huntingford, The Prester John of the Indies: A True Relation of the Lands of the Prester John, Being the Narrative of the Portuguese Embassy to Ethiopia in 1520, Cambridge, Cambridge University Press, 1961, p. 256-257.

24 Le parallélisme peut être fait avec le cas d’étude qui ouvre l’excellente analyse de Martin Gravel, Distances, rencontres et communications. Réaliser l’Empire sous Charlemagne et Louis le Pieux, Turnhout, Brepols, 2012.

25 C. Bosc-Tiessé et M.-L. Derat, « Acts of Writing and Authority in B∂gw∂na-Lasta… », art. cit., ici p. 89-90.

26 Michel Lauwers, « Memoria. À propos d’un objet d’histoire en Allemagne », in J.-C. Schmitt et O. G. Oexle (dir.), Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, p. 105-126.

27 D. Crummey, Land and Society, op. cit., p. 108-109.

28 Id., « Gondär Land Documents… », art. cit.

29 Catarina Madeira Santos, « Écrire le pouvoir en Angola. Les archives ndembu (xviie-xxe siècles) », Annales HSS, 64-4, 2009, p. 767-795, ici p. 771.

30 Marie Dejoux, « Gouverner par l’enquête au xiiie siècle. Les restitutions de Louis IX (1247-1270) », résumé d’une thèse soutenue en 2011 à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, accessible sur academia.edu (Marie Dejoux, Les enquêtes de Saint Louis. Gouverner et sauver son âme, Paris, Puf, 2014).

31 Marie-Laure Derat, « Les homélies du roi Zar’a Ya’eqob. La communication d’un souverain éthiopien du xve siècle », in A. Bresson, A.-M. Cocula et C. Pebarthe (dir.), L’écriture publique du pouvoir, Bordeaux, Ausonius, 2005, p. 45-57.

32 A. Wion, Paradis pour une reine…, op. cit., p. 108-110.

33 Manfred Kropp, Die äthiopischen Königschroniken in der Sammlung des Däǧǧazmač Haylu. Entstehung und handschriftliche Überlieferung des Werks, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 1989 ; Id., « Notes on Preparing a Critical Edition of the Ś∂r’atä mäng∂śt », Northeast African Studies, 11-2, 2011, p. 111-140.

34 L’important volume de documents pragmatiques émis par Tēwodros afin de gouverner et d’administrer le Tigrāy en témoigne. Sa correspondance diplomatique internationale et nationale fait aussi montre d’une grande maîtrise de l’écrit pour construire les relations politiques et économiques. Voir Richard Pankhurst, Tax Records and Inventories of Emperor Téwodros of Ethiopia, 1855-1868, Londres, University of London, School of Oriental and African Studies, 1978 ; David Appleyard et Richard Pankhurst, Letters from Ethiopian Rulers (Early and Mid-Nineteenth Century): Preserved in the British Library, the Public Record Office, Lambeth Palace, the National Army Museum, India Office Library and Records, Oxford, Oxford University Press, 1985 ; Sven Rubenson, Tewodros and his contemporaries. 1855-1868, Lund, Lund University Press, 1994.

35 Voir Estelle Sohier et Serge Tornay, Empreintes du temps. Les sceaux des dignitaires éthiopiens du règne de Téwodros à la régence de Täfäri Mäkonnen, Addis Abeba, Centre français des études éthiopiennes, 2007. Les sceaux éthiopiens dans les collections européennes sont rares. Le Musée ethnographique de Genève conserve trois anneaux sigillés éthiopiens datant du xxe siècle. Deux appartenaient à des institutions religieuses. Le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme possède un sceau en fer représentant une étoile à six branches (Inv. 99.30.002), emmanché et gravé en champlevé. Il faisait certainement partie des objets apportés par la vague d’évangélisation sioniste de la fin du xixe siècle. Les églises éthiopiennes conservent des sceaux dont certains peuvent dater de la fin du xixe siècle, et les utilisèrent parfois jusqu’à la révolution de 1974.

36 E. Sohier et S. Tornay, Empreintes du temps…, op. cit.

37 Richard Pankhurst, « Letter Writing and the Use of Royal and Imperial Seals in Ethiopia prior to the Twentieth Century », Journal of Ethiopian Studies, 11-1, 1973, p. 179-207 ; Id., « Ethiopian Royal Seals of the Seventeenth and Eighteenth Centuries », in G. Goldenberg (dir.), Proceedings of the Sixth International Conference of Ethiopian Studies, Tel-Aviv, 14-17 April 1980, Rotterdam, A. A. Balkema, 1986, p. 397-417 ; Estelle Sohier, « Seal », Encyclopaedia AEthiopica, vol. 4, Wiesbaden, Harrassowitz, 2010, p. 585-586 fait une synthèse des deux articles de Pankhurst. Ce dernier a dépouillé les sources jésuites, ainsi que Hiob Ludolf, Geronimo Lobo ou encore Charles Poncet, mais sans faire d’analyse des sources et sans chercher à détecter des emprunts possibles des unes aux autres.

38 Ghyslaine Lydon a proposé cette expression lors d’un séminaire à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 2016 ; je renvoie à son ouvrage en préparation Paper Economies of Africa and their Relevance to World History.

39 Augustus Dillmann, Lexicon linguae aethiopicae cum indice latino, Leipzig, Weigel, 1865, col. 603 ; Wolf Leslau, Comparative Dictionary of Geʿez Classical Ethiopic: Geʿez-English, English-Geʿez, with an Index of the Semitic Roots, Wiesbaden, O. Harrassowitz, 1987, p. 267.

40 Ignazio Guidi, Annales Iohannis I, ʾIyāsu I et Bakāffā. Corpus scriptorum christianorum orientalium, vol. 22 et 24 ; Scriptores Aethiopici, t. 5 et 8, Louvain, Peeters, 1905, p. 80 (trad.), p. 80 (texte) et 124 (trad.), p. 119-120 (texte) ; Id., Annales regum Iyasu II et Iyoʾas. Corpus scriptorum christianorum orientalium, vol. 61 et 66, Scriptores Aethiopici, t. 28 et 29, Paris, E Typographeo Reipublicae, 1910-1912, p. 55-59.

41 Id., Annales Iohannis I, ʾIyāsu I…, op. cit., p. 146 (trad.) et 140 (texte).

42 « wa-nabira gizē yetenabab māḫtam za-neguś ». Stanislas Kur, Actes de Iyasus Mo’ā, abbé du couvent de St-Étienne de Hayq, Corpus scriptorum christianorum orientalium, vol. 259 et 260 ; Scriptores Aethiopici, t. 49 et 50, Louvain, Secrétariat du Corpus SCO, 1965, p. 23-25 (trad.) et 28-30 (texte). À propos du privilège octroyé aux grands de rester assis, une compilation des prébendes accordées par Śarṣa Dengel à l’église Māryām Ṣeyon d’Aksum stipule que le métropolite copte a le droit de rester assis devant la porte du roi lors des jugements dans l’enceinte de l’église et que les deux chefs de cette église bénéficient de cette même permission pour boire l’hydromel (ṭaǧǧ) en présence du roi lors des banquets donnés à Aksum.

43 Voir la version de la Chronique Brève du manuscrit Tanasse 106, fol. 34v, qui témoigne de l’envoi d’un messager avec un māḫtam du roi Tewoflos à Dāgā pour attribution de terre en g welt afin de commémorer la mémoire des rois Zar’a Yā‘eqob, Dāwit, Za-Dengel et Fāsiladās : Franz Amadeus Dombrowski, Ṭānāsee 106. Eine Chronik der Herrscher äthiopiens, Wiesbaden, Harrassowitz, 1983, p. 258.

44 M. J. Ramos, H. Pennec et I. Boavida (dir.), Pedro Paez’s History…, vol. 1, op. cit., p. 50.

45 « ils ouvrirent [brisèrent] le sceau en sa présence [littéralement : devant son visage] [à l’azzāž Giyorgis] et ils lui dirent ce que le roi et la reine leur avaient ordonné », wa-sabaru māḫtama qedma gaṣu wa-nagarwo kwalo za-azazwomu neguś wa-negeśt, cité dans I. Guidi, Annales regum Iyasu II…, op. cit., p. 74 (trad.) et 69 (texte). La même expression « briser le sceau devant son visage » est répétée quelques lignes plus loin.

46 I. Guidi, Annales Iohannis I, ʾIyāsu I…, op. cit., p. 60 (trad.) et 62 (texte).

47 Ce sont des registres tenus en double, afin de permettre le contrôle de l’un par l’autre.

48 Charles Poncet, Relation de mon voyage d’Éthiopie, 1698-1701, Besançon, Éd. la Lanterne magique, 2010, p. 39-40.

49 Les deux critères principaux pour qualifier de novatrice la politique de Iyāsu I sont, d’une part, l’explosion du nombre de terres attribuées et possédées par des personnes privées selon le statut rim et, d’autre part, le modèle inédit et qui fit date de l’église royale de Dabra Berhān Sellāsē à Gondar, richement dotée de terres grâce notamment à l’expropriation partielle. Voir Habtamu Mengistie Tegegne, « Land Tenure and Agrarian Social Structure… », op. cit., reprenant des intuitions de D. Crummey, Land and Society…, op. cit., p. 86.

50 Plus loin, Poncet décrit son retour vers la mer Rouge. Sa caravane est précédée par un envoyé royal qui porte dans de petites courges des rouleaux de parchemin qui sont les « ordres du roi » (aṣē azzāž). Il les remet aux chefs des régions traversées afin que ceux-ci reçoivent la caravane, en la logeant et en la nourrissant. La personne qui reçoit cet ordre « le met sur sa teste pour marque de respect et d’obéissance » (C. Poncet, Relation de mon voyage…, op. cit., p. 164-165).

51 Pendant le règne de Bakāffā (1721-1730), les egr zaqunoč sont mentionnés comme fonctionnaires royaux. Voir I. Guidi, Annales Iohannis I, ʾIyāsu I…, op. cit., p. 343 (trad.). Le terme disparaît presque à la période contemporaine. Seul le vocabulaire amharique de Ignazio Guidi le mentionne encore avec la définition suivante : « officier de justice de bas rang » (Ignazio Guidi, Vocabulario amarico-italiano, Rome, Casa editrice italiana, 1901, p. 618).

52 M. J. Ramos, H. Pennec et I. Boavida (dir.), Pedro Paez’s History…, vol. 1, op. cit., p. 48-49, puis I. Guidi, Annales Iohannis I, ʾIyāsu I…, op. cit., p. 343 (trad.).

53 Ces exemples proviennent d’un manuscrit encore inédit photographié par l’autrice, mais on peut citer un acte contenant une formule similaire publié par Donald Crummey, qui appartient au corpus documentant les querelles autour des prébendes et des charges d’abēto Galāwdēwos : D. Crummey, Land and Society…, op. cit., p. 193.

54 Habtamu Mengistie Tegegne , « Land Tenure and Agrarian Social Structure… », op. cit., p. 266-267.

55 A. Wion, « Les documents copto-arabes… », art. cit.

56 Osbert Guy Stanhope Crawford, Ethiopian itineraries, circa 1400-1524, Cambridge, Hakluyt Society, 1958, p. 45 : « Le roi ne partirait pas en campagne avec une force de moins de deux cent mille ou trois cent mille personnes. Chaque année, il se bat pour la foi. Il ne paie aucun de ceux qui partent en campagne, mais il assure leur subsistance et exempte ces soldats de tout impôt royal. Et tous ces guerriers sont choisis, identifiés et marqués du sceau royal sur le bras » (v. 1482).

57 Habtamu Mengistie Tegegne, « Land Tenure and Agrarian Social Structure… », op. cit., p. 264 et British Library, ms. Or 604, fol. 2.

58 Carlo Severi définit de façon synthétique, dans sa conclusion, ce phénomène de saillance : « […] deux traits formels organisent les techniques les plus simples de l’exercice de la mémoire fondée sur l’image. Le premier est la saillance, fondée […] sur la mobilisation des aspects implicites de l’image » ; le second est l’ordonnancement. Les « traditions iconographiques » étudiées par Severi s’éloignent bien évidemment du cas éthiopien mais offrent une belle matière à penser. Voir C. Severi, Le principe de la chimère…, op. cit., p. 326.

59 Shelomoh Dov Goitein, A Mediterranean Society, vol. 1, Economic Foundations, Berkeley, University of California Press, 1967, p. 240 et 245, cité par Ghislaine Lydon, On Trans-Saharan Trails: Islamic Law, Trade Networks, and Cross-Cultural Exchange in Nineteenth-Century Western Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 277.