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Les savoirs de Thalès et de Kadmos. Histoire et représentations religieuses en Grèce ancienne

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Karin Mackowiak*
Affiliation:
Université de Franche-Comté

Résumé

Selon une tradition grecque, le héros Kadmos était l’ancêtre de Thalès de Milet.étudier cette généalogie a pour finalité de dégager l’approche de leur passé culturel par les Grecs. Elle interroge les rapports problématiques entre mythe et histoire, dont on propose une nouvelle approche méthodologique.Si des souvenirs historiques transparaissent de quelque manière dans cette généalogie, celle-ci forme un discours historique qui réorganise les connaissances du passé et les met en forme dans le respect de croyances religieuses.La comparaison des portraits et des fonctions de Kadmos et de Thalès, passeurs de savoirs entre l’Orient et la Grèce, montre que la mémoire historique grecque se structure, ici, autour de représentations imaginaires précises.Transmise par le mythe, la conception grecque de l’histoire touche aux limites du logos cultuel et constitue un discours construit avec une logique incontestable.

Summary

Summary

According to Greek tradition, the hero Kadmos was Thales’ of Miletos ancestor. The aim of analysing this genealogy is to understand the Greek approach of the past. It interrogates the problematical relations between myth and history which need a new methodological approach. This genealogy, containing historical rememberings, constitutes above all a historical discourse reorganizing the knowledge concerning the past in the respect of Greek religious believes. Comparing the portrait and the functions of Kadmos and Thales, responsible of the passage of human scholarship from the East to the West side of the Aegean, we note that the Greek historical memory is structured around precise imaginery representations. Transmitted by myth, the Greek conception of history becomes a kind of religious logos and, clearly, a discourse based on an indisputable logic.

Type
Sciences et mythologie entre Grèce et Orient
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2003

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References

* « Eh bien donc, comme l’affirment Hérodote, Douris et Démocrite, Thalès, avait pour père Examyos et pour mère Kléoboulinè, du génos des Thèlides dont l’origine est phénicienne car il remonte à Kadmos, fils d’Agénor. »

1- Respectivement, I. Finley, Moses, Mythe, mémoire, histoire. Les usages du passé, Paris, Flammarion, 1981 (2e éd.),Google Scholar et Veyne, Paul, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, Paris, Le Seuil, 1983.Google Scholar

2- Cf. Lexikon Iconographicum Mythologiae Classicae, « Kadmos I », vol. V, 1, 1990, pp. 863 882 Google Scholar (Michalis A. Tivérios) pour la probabilité d’un culte en Laconie (p. 875) ou Kos, M.Sasel, « Cadmus and Harmonia in Illyria », Arheolo ski Vestnik, 44, 1993, pp. 209211,Google Scholar pour des attestations en Illyrie et en épire.

3- Cf. infra n. 47.

4- Kadmos servait de point de repère pour le calcul des générations ou d’événements « historiques » primordiaux, depuis l’époque classique jusqu’aux écrits chrétiens : voir HéRodote, Histoires, II, 145 ; Thucydide, Guerre du Péloponnèse, I, 12, 3 ; EusèBe De CéSaréE, La préparation évangélique, X, 8-9, reprenant les données du Marmor Parium, FGrH 239 A7. Pour une étude plus approfondie, P. Veyne, Les Grecs…, op. cit., p. 126 sq., et Vandiver, ÉLisabeth, Heroes in Herodotus. The Interaction of Myth and History, Francfort, P. Lang, 1991, chap. IV, 1.Google Scholar

5- O n peut reprendre aussi Rudhardt, J Ean, « La fonction du mythe dans la pensée religieuse de la Grèce», in Il mito greco. Atti del Convegno internazionale (Urbino, 7-12 Maggio 1973), Rome, Edizioni dell’Ateneo & Bizzarri, 1977, pp. 307320,Google Scholar ici p. 310 :” Des notes généalogiques attestent chez les Grecs le souci de situer chaque récit partiel dans un ensemble […] à l’intérieur duquel, seulement, il revêt un sens à leurs yeux. »

6- Elle ressort d’un apprentissage scientifique global que Thalès aurait eu en égypte : Pamphilè, , Fragmenta Historicum Graecorum [FHG], III, 520,Google Scholar Fragment 1 (=DIOGène Laërce, I, 24); HiéRonyme De Rhodes, frgt 21 (Hiller) (=DIOGène Laërce, I, 27) ; Proclus, Commentaires sur le premier livre des éléments d’Euclide, 65, 3 ; Plutarque, Banquet des sept sages, 146e et 147a. Le domaine par excellence de Thalès fut l’astronomie, comme le suggèrent CALLIMAQUE, Iambes, I, 15-17, Timon de Phlionte et Lobon, cités successivement par Diogène Laërce, I, 34, ou Plutarque, Sur les oracles de la Pythie, 403a.

7- Cf. D’Alexandrie, Clément, Stromates, I, 21, 106;Google Scholar Hérodote, Histoires, V, 58-59 ; Nonnos De Panopolis, Dionysiaques, IV, 259-273 ; PLUTARQUE, Propos de table, 738f. On signalera l’existence d’autres légendes antiques concernant l’introduction de l’alphabet : cf. Jean Bérard, « écriture pré-alphabétique et alphabet en Italie et dans les pays égéens », Minos, 2, 1953, pp. 65-83 ; H. Jeffery, Lilian, « Apxaia Γpammata: Some Ancient Greek Views », in Brice, W. C. (dir.), Europa. Studien zur Geschichte und Epigraphik der Frühen Aegaeis. Festschrift für Ernst Grumach, Berlin, W. de Gruyter, 1967, pp. 152 166;Google Scholar Vian, Francis, Les origines de Thèbes. Cadmos et les Spartes, Paris, Klincksieck, 1963, pp. 5455;Google ScholarGiovanni Pugliese carratelli, Tra Cadmo et Orfeo. Contributi alla storia civile e religiosa dei greci d’Occidente, Bologne, Società editrice il Mulino, 1990, pp. 31-43. L’apparition à Milet d’un Kadmos, fils de Pandion (PLINE, Histoires naturelles, VII, 205, considère qu’il s’agit du premier historien) peut arguer des liens particulièrement solides et connus entre Kadmos et l’écriture.

8- Nous rejoignons les observations soulignées dans Detienne, Marcel (dir.), Les savoirs de l’écriture. En Grèce ancienne, Lille, Presses universitaires de Lille, « Cahiers de Philologie-14 », 1988.Google Scholar

9- Cf. Giuseppe Cambiano, « La démonstration géométrique », in M. DETIENNE (dir.), Les savoirs de l’écriture…, op. cit., pp. 251-272, ici pp. 252-255, où il insiste sur le rôle argumentatif des figures géométriques, considérées comme objet d’étude autonome. Christian Jacob, « Inscrire la Terre sur une tablette. Réflexions sur la fonction des cartes géographiques en Grèce ancienne », ibid., pp. 273-304, montre, pp. 279-280, que les figures servent à la maîtrise intellectuelle du kosmos. On se référera également à Caveing, Maurice, La figure et le nombre. Recherches sur les premières mathématiques des Grecs, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, vol. 2, 1997.Google Scholar

10- Sur cette prévision thalésienne, voir Diogène LaëRce, Vie des philosophes illustres, I, 23, citant les Histoires astronomiques d’Eudème, ou Hérodote, Histoires, I, 74. Thalès a-t-il déjà pu utiliser les lettres – ou grammata –comme expression chiffrée ? La prévision de l’éclipse solaire totale de 585 avant J.-C. a pu se faire sur la base d’un calendrier de type babylonien : cf. l’explication de Der Waerden, Bartel L. Van, Die Astronomie der Griechen. Eine Einführung, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1988, pp. 10 12,Google Scholar et Tannery, Paul, Pour l’histoire de la science hellène, Sceaux, J. Gabay, 1930, pp. 54-83.Google Scholar Mais le rapport entre grammata et chiffres semble avoir été connu assez tôt :Wilbur Knorr, s. v. « Mathématiques », in Brunswick, J. et Lloyd, G. (dir.), Le savoir grec. Dictionnaire critique, Paris, Flammarion, 1996, pp. 409439,Google Scholar rappelle l’existence, avant le milieu du Ve siècle avant J.-C., du système acrophonique où certains signes numériques sont formés à partir des premières lettres des noms des nombres : ce système, issu de l’adoption de l’alphabet phénicien, devait permettre des opérations arithmétiques pratiques ou théoriques. Or, selon Proclus, Commentaires sur le premier livre des éléments d’Euclide, 65, 3, Thalès usait d’approches variées, « tantôt plus universelles (), tantôt plus empiriques () ». Par ailleurs, l’expression alphabétique des chiffres était suffisamment répandue pour que les Grecs gardent bien en vue une association étroite entre écriture et calcul : cf. PLATON, Phèdre, 274c-d, ou PLUTARQUE, Propos de table, 738f.

11- Apulée, Florilège 18 ; Diogène Laërce, Vie des philosophes illustres, I, 24; EudèMe De Rhodes, frgt 135 et frgt 145 (Colli) ; Platon, République, 600a ; Proclus, , Commentaires sur le premier livre des éléments d’Euclide, 157,10 et 250, 20 (Colli).Google Scholar

12- Cf.Marceldetienne, « L’espace de la publicité : ses opérateurs intellectuels dans la cité », in M. DETIENNE (dir.), Les savoirs de l’écriture…, op cit., pp. 29-81, ici pp. 75-76.

13- On rappellera le point de vue d’Hérodote sur le gouvernement barbare des Perses : l’exécution du gouverneur de Sardes, Oroitès, se fait sur la base de messages royaux, l’équivalent de nos anciennes lettres de cachet (Histoires, III, 128). Les lettres issues du palais royal sont l’expression même du pouvoir absolu – et arbitraire pour Hérodote – du souverain perse. Pour le caractère privé de ce moyen de gouvernement, voir également III, 122 ou 126.

14- Sur la fondation de Thèbes par Kadmos, voir APOLLODORE, Bibliothèque, III, 4, 1- 2 ; Euripide, Bacchantes, 170-172 ; Phéniciennes, 5-6 et 638-689 ; Hellanikos de lesbos, Fragmente der griechischen Historiker [FGrH], I, 4, F51; Nonnos De Panopolis, Dionysiaques, V, 1-34 et 49-189 ; PAUSANIAS, Description de la Grèce, IX, 5, 1-3, PHéRéCYDE, FGrH, I A, 3, F89 (=APOLLODORE, Bibliothèque, III, 2, 5) ; PINDARE, Dithyrambes, II, 70b, 25-29 (Snell) ou frgt 32 (8) (Snell) ; Plutarque, Dialogues pythiques, 397a ; THéOGNIS, Poèmes élégiaques, I, 15-18.

15- Système de notation dit alypien, datant de la période archaïque selon D. Anderson, Warren, Music and Musicians in Ancient Greece, Londres, Cornell University Press, 1994, p. 198 sq.Google Scholar Dans les poésies d’Alkman, du VIIe siècle avant J.-C., le terme « nomos » qui se rapporte en général à « la loi » et à « l’ordre » a également une connotation musicale : il s’agit d’un mode de composition harmonique selon Heinimann, Félix, Nomos und Physis. Herkunft und Bedeutung einer Antithese im Griechischen Denken des 5. Jahrhunderts, Bâle, F. Reinhardt, 1945, pp. 6162.Google Scholar

16- Il existe une version samothracienne de la légende de Kadmos et d’Harmonie qui pourrait s’intégrer dans des traditions orphiques, reconnaissables par l’importance qu’elles donnent à la musique et à l’usage d’écrits sacrés à destination des initiés : voir Brisson, Luc (trad.), Orphée. Poèmes magiques et cosmologiques, Paris, Les Belles Lettres, 1993, p. 155 sq. Google Scholar

17- Dionysiaques, IV, 263 et 267-269 ; Nonnos est le seul à conférer à Kadmos ces connaissances religieuses mais il n’a pu les inventer. HéRODOTE, Histoires, II, 49 et 145, mentionnait déjà les rapports étroits entre Kadmos et la religion dionysiaque.

18- Cette conception a prédominé à Thèbes : cf. PINDARE, Pythique, III, 86-88 et frgt 21 (Puech), qui inclut Kadmos dans la catégorie des « rois sages » et « illustres ».

19- Lahaye, Robert, La philosophie ionienne. L’école de Milet : Thalès, Anaximandre, Anaximène, Héraclite d’éphèse, Paris, éditions du Cèdre, 1966, p. 24 Google Scholar sq. : les moralistes sont « ceux quiconnai ssent les causes des oeuvres d’art et sont capables d’ordonner les opérations qui les produisent ».

20- La renommée de Thalès et certaines anecdotes comme l’épisode du puits (Platon, Théetète, 174a) contribuent à créer un personnage proprement légendaire : « Ainsi Thalès observait les astres […] et, le regard aux cieux, venait choir dans le puits. Quelque Thrace, accorte et plaisante soubrette, de le railler, ce dit-on, de son zèle à savoir ce qui se passe au ciel, lui qui ne savait voir ce qu’il avait devant lui, à ses pieds ». La vie de Thalès peut être issue d’une mise en forme mythique analogue à celle qui concerne la vie de Pythagore. Voilquin, Jean, Les penseurs grecs avant Socrate. De Thalès de Milet à Prodicos, Paris, Garnier/Flammarion, 1964 Google Scholar (chap. I et II), rappelle les connaissances exceptionnelles de Pythagore en matière d’astronomie et de géométrie, ses spéculations sur l’arithmétique, la physique et la cosmologie : cela le rapproche de très près de Thalès, de même que l’attribution d’apophtegmes. Vérités fondées sur aucune discussion ou raisonnement mais sur une autorité divine, elles concernent la conduite humaine et font de leurs auteurs des modèles éthiques et des législateurs de première importance. Sur le rôle des sages, voir Vernant, Jean-Pierre, Les origines de la pensée grecque, Paris, PUF, 1983 Google Scholar (5e éd.), p. 65 sq. Thalès est le premier des sages et apparaît dans toutes les listes de sages connues : on peut se référer à APULéE, Florilège, 18, ou à la liste plus ancienne de PLATON, Protagoras, 343a.

21- La constatation selon laquelle les Grecs étaient attirés par le passé historique selon des intérêts moraux est de Finley, M. I., Mythe, mémoire, histoire…, op. cit., p. 26 :Google Scholar ils voulaient surtout tirer un enseignement du passé. La poésie répondait aux mêmes intérêts : elle était dépositaire de traditions éducatives. Les Grecs recréaient ainsi leur passé et les mythes jouaient une part non négligeable dans ce processus (ibid., pp. 20 et 29).

22- La « théôria », essai d’explication des mécanismes stellaires, fait la spécificité de la pensée grecque milésienne, à l’opposé de l’astronomie babylonienne ou égyptienne, fondée sur la simple observation et des systèmes de calculs très complexes. Outre les réflexions d’ordre général de Vernant, Jean-Pierre sur la pensée ionienne, Mythe et pensée chez les Grecs. étude de psychologie historique, I, Paris, Maspéro, 1978 Google Scholar (2e éd.), on trouvera des exposés plus détaillés dans Baccou, Robert, Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate, Paris, Aubier, 1951;Google Scholar G. Cambiano, « La démonstration… », art. cit., p. 254 sq. ; C. Jacob, « Inscrire la Terre… », art. cit., pp. 273-304 ;Geoffrey E. R. Lloyd, Magie, raison et expérience. Origines et développements de la science grecque, Paris, Flammarion,1990, p. 256 sq.; Pedersen, Olaf, Early Physics and Astronomy. A Historical Introduction, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 2 Google Scholar sq. Sur la conscience par les Grecs eux-mêmes de la nouveauté milésienne, voir J.-P. Vernant, Les origines…, op. cit., pp. 47-49 et p. 90 sq., ou PLATON, Timée, 22b.

23- Cf. Aristote, Métaphysique, I, 983b, 24-26 ; Eudème de rhodes, frgt 133 (Colli) ; Hérodote, Histoires, II, 109 ; PLATON, Phèdre, 274c-d ; PROCLUS, Commentaires sur le premier livre des éléments d’Euclide, 65, 3-11 ; STRABON, Géographie, XVI-24 et XVII, 3. Les généralisations sur les Phéniciens sont encore lisibles dans les sources mentionnant la venue de Kadmos en Grèce, comme par exemple dans DIODORE DE SICILE, Bibliothèque historique, V, 74, 1. Concernant les égyptiens, voir CHRISTIAN FROIDEFOND, Le mirage égyptien dans la littérature grecque d’Homère à Aristote, Aix-en-Provence, Publications universitaires des lettres et sciences humaines d’Aix-en-Provence, 1970.

24- Un passage très intéressant de Plutarque, Banquet des sept sages, 147a, insiste sur l’admiration du roi d’égypte Amasis qui vit comment Thalès mesura la hauteur d’une pyramide. Pour Baccou, R., Histoire de la science grecque…, op. cit., pp. 6263,Google Scholar on peut interpréter l’étonnement du roi comme l’introduction d’une méthode entièrement nouvelle qui surpasse la science somme toute embryonnaire et empirique des égyptiens.

25- C’est une fois arrivé à Thèbes qu’il invente les « caractères grecs » : « »

26- Le témoignage le plus explicite se lit dans Hérodote, Histoires, II, 49 et 145 : arrivé en Grèce grâce à son grand-père Kadmos, Dionysos est à la fois égyptien et Grec.

27- Sur ce passage, voir les remarques de J.-P. Vernant, Mythe et pensée…, op. cit., p. 215.

28- Expliquée à partir des concepts du «Même” et de « l’Autre » dans Hartog, François, Le miroir d’Hérodote. Essai sur la représentation de l’autre, Paris, Gallimard, 1980, p. 224 sq.Google Scholar : le «Même», c’est-à-dire le Grec, part de son point de vue pour caractériser le monde quil’entoure, « l’Autre » non-grec, sans le connaître profondément : les « règles opératoires de la fabrication de l’Autre » consistent en l’application systématique d’antithèses par rapport à ce que le Grec est.

29- Concernant le domaine culturel, Hartog, François, Mémoire d’Ulysse. Récits sur la frontière en Grèce ancienne, Paris, Gallimard, 1996,Google Scholar souligne, p. 18 sq., la valorisation de l’origine orientale des sciences grecques jusqu’aux environs du IIe siècle après J.-C., notamment de la philosophie.

30- Voir la conclusion de Hartog, F., Le miroir d’Hérodote…, op. cit., p. 376,Google Scholar par exemple.

31- Voir l’étude de Froma Zeitlin, « Thebes: Theater of Self and Society in Athenian Drama », in Euben, J. P. (éd.), Greek Tragedy and Political Theory, Berkeley, University of California Press, 1986, pp. 101141, et Edith|Hall,Google Scholar Inventing the Barbarian. Greek Self-Definition Through Tragedy, Oxford, Clarendon Press, 1991.Google Scholar

32- Vers 291-294. Sur l’origine barbare des Thébains, cf. encore 5-6, 202, 247, 280, 497, 828, etc.

33- Cratère en calice attique attribué à un peintre proche de Polygnotos (vers 450/440 avant J.-C.), New York, Metropolitan Museum of Art, 1907.286.6.

34- Calice attribué au peintre de Cassel (vers 435 avant J.-C.), New York, Metropolitan Museum of Art, 1922.139.11.

35- On mentionnera l’étude fondamentale de Loraux, Nicole, Les enfants d’Athéna. Idées athéniennes sur la citoyenneté et la division des sexes, Paris, Maspéro, 1981,Google Scholar avec les illustrations du Lexikon Iconographicum Mythologiae Classicae, « Erechtheus », IV-1, 1988, pp. 923-951, ici pp. 928-932 et vol. IV-2, pp. 632-634 (Uta Kron).

36- Elle est le synonyme de la vraie hellénité dont les Athéniens se réclament : ils sont « seuls parmi les Grecs à n’avoir pas changé de demeure » (paroles d’un Athénien selon Hérodote, Histoires, VII, 161).

37- Le contraste entre errance et autochtonie est particulièrement appuyé sur une hydrie attique datée de 420-410 avant J.-C. (Musée du Louvre, Paris, 3325. M12 (N 3325, MN 714) =Kadmos no 18 dans le Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, « Kadmos-I », vol. V, 1, 1990, pp. 867 (M. A. Tivérios). Le serpent chthonien surgit à partir de la frise inférieure délimitant la scène, dans la manière des anodoi (” naissances de la terre »). Les enfants du serpent sont les Spartes, guerriers nés de la terre et cofondateurs de Thèbes avec Kadmos. Ils sont connus à l’extérieur de la Béotie depuis le VIe siècle avant J.-C. au moins : il en est fait mention dans l’de Stésichore, frgt 18 (=195) Page, Denys L. (éd.), Poetae Melici Graeci, Oxford, Clarendon Press, 1962.Google Scholar Il est symptomatique de voir que les peintres attiques ont délibérément choisi de taire cet épisode de l’autochtonie thébaine parce qu’il était concurrent de celui d’Erichthonios, et que la seule représentation connue de la naissance des Spartes est sicilienne, tardive et indépendante du traitement athénien (cratère fragmentaire à figure rouge de Lipari, Museo Archeologico Eoliano 11359-61, dans la manière du peintre d’Adraste, daté de 340-330 avant J.-C.).

38- Cf. les remarques de Claude Bérard, « L’image de l’Autre et le héros étranger », dans Sciences et racismes. Publications de l’université de Lausanne (cours général public 1985- 1986), Lausanne, Payot, 1986, pp. 5-22, ici pp. 8-9.Google Scholar

39- Vian, F., Les origines de Thèbes…, op. cit., pp. 45 sq. Google Scholar

40- Nous refusons par là un certain nombre de thèses affirmant une origine sémitique du héros et sa considération par les Grecs comme tel, ainsi que l’affirmait C. Astour, Michael, Hellenosemitica. An Ethnic and Cultural Study in West Semitic Impact on Mycenaean Greece, Leyde, E. J. Brill, 1965.Google Scholar Le problème est bien plus complexe. Nous ne retiendrons pas non plus la thèse de MARTA SORDI, « Mitologia e propaganda nella Beozia arcaica », Atene e Roma, vol. 11, 1966, pp. 15-24, selon laquelle un skyphos béotien du Kabirion (Berlin, Staatliches Museum 3284, attribué au peintre du Cabire, 420- 400 avant J.-C.) représenterait Kadmos en Oriental grotesque, dans un but évident de moquerie. Cette unique illustration béotienne du héros est à replacer dans le cadre des figurations habituellement rustiques de la région et liées au Kabirion. Sur tous les autres vases connus de Grèce ou de Grande-Grèce, le héros conserve des traits classiquement grecs : il ne porte jamais de vêtements barbares, tout au plus un casque conique, la kunè béotienne ; il est représenté dans la nudité héroïque, associée au concept de « kalo´ ∼ », la « beauté », quine peut qu’être grecque. Le port d’un chiton court sur le cratère en calice de New York constitue une des rares exceptions à la règle. On notera des apparitions de Kadmos sur trois monnaies de Tyr du règne de Philippe l’Arabe et de Gallien. Clairement associé à l’Orient, mais dans le cadre de l’idéologie des cités de l’Empire romain, le héros reste néanmoins représenté en héros grec, avec lance et phiale, parfois avec un himation.

41- La venue de Kadmos en Grèce refléterait ainsi une immigration effective d’Orientaux quelque part entre l’époque mycénienne et archaïque selon Bertrand Hemmerdinger, « Trois notes. I. Kadmos ; II. Emprunts du grec mycénien à l’akkadien ; III. L’infiltration phénicienne en Béotie », Revue des études grecques, 79, 1966, pp. 698-703 ; Huxley, Georges, Crete and the Luwians, Oxford, Vincent Baxter Press, 1961, pp. 16 et 36;Google Scholar F. Willetts, Ronald, Cretan Cults and Festivals, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1962, pp. 156158.Google Scholar Voir également la position plus récente de RUTH B. EDWARDS, Kadmos the Phoenician. A Study in Greek Legends and the Mycaneaen Age, Amsterdam, A. M. Hakkert, 1979, chapitres I et VII.

42- Dans les textes historiques en général, le terme « Phénicien » se rapporte indifféremment aux peuples de Tyr, de Sidon ou de Carthage. Il ne se déduit pas en fonction d’une lecture géographique précise de la Méditerranée par les Grecs. Les « Phéniciens », ce sont avant tout des navigateurs, des commerçants qui habitent sur les îles et qui revêtent à ce titre la réputation de pilleurs : cf. Musti, Domenico, « Modie fasidella rappresentazione dei Fenici nelle fonti letterarie greche », in Atti del II Congresso Internazionale di Studi Fenici e Punici (Rome, 9-14 novembre 1987), Rome, La Roccia, vol. 1, 1991, pp. 161168,Google Scholar Heleni A. Paraskevaidou, « The Name of the Phoenicians: Some Considerations », ibid., vol. 2, pp. 523-528, ou Ribichini, Sergio, « Mito e Storia: l’Immagine deiFeni cinelle FontiClassi che », in Atti del ICongresso Internazionale di Studi Fenici e Punici (Rome, 5-10 novembre 1979), Rome, La Roccia, vol. 2, 1983, pp. 443448.Google Scholar Concernant Kadmos, on rappellera combien les textes mythographiques hésitent entre son origine tyrienne, sidonienne, phénicienne, syrienne, voire égyptienne ou grecque : comparer Euripide, Phéniciennes, 5, 202, 280, 639 ; Hellanikos De Lesbos, FGrH I, 4, F51; Pausanias, Description de la Grèce, IX, 12, 2 et IX, 19, 1 ; TZetzès, scolie à Lycophron, Alexandra, 1206 (Scheer) et les scolies à Apollonios de Rhodes, Argonautiques, III, 1177-1187a et b (Wendel).

43- À l’image de ceux que Hartog, F., Mémoire d’Ulysse…, op. cit., p. 13 sq.,Google Scholar a appelés les « voyageurs inauguraux [qui] se portent aux frontières : gens du “dedans”, ils ont connu le “dehors” ; aussi peuvent-ils en avoir le “visage”, aux yeux du moins des gens du “dedans” ». F. Hartog étudie un rôle précis de ces figures : elles fixent des frontières, qu’il s’agisse de héros comme Ulysse, ou de sages comme Pythagore ou Hécatée de Milet. 44 - Le passage entre le monde des vivants et celui des morts par exemple est protégé par Hermès psychopompe, « l’accompagnateur des âmes », sans lequel les défunts ne pourraient rejoindre l’Hadès. Il est aussi celui qui permet à Korè, enlevée par le dieu des morts Hadès, de retourner à la vie en protégeant son passage à travers la terre cosmique : cf. Claude Bérard, Anodoi. Essai sur l’imagerie des passages chthoniens, Lausanne, Paul Attinger, 1974, p. 129 sq. et fig. 50, pl. 15. Pour une analyse approfondie des représentations religieuses du passage cosmique, cf. Kahn, Laurence, Hermès passe, ou les ambiguïtés de la communication, Paris, Maspéro, 1978.Google Scholar

45- En tant que telles, les représentations religieuses doivent donc se rajouter aux réflexions de Moses I. Finley, évoquées supra note 21, qui privilégient la dimension éthique de la véracité historique.

46- La traduction de Philippe E. Legrand (Les Belles Lettres) use du terme de « Kadméens », mais on notera l’absence dans le texte grec du qualificatif de « Kadmeoi » ou « Kadmeônes » tel qu’il apparaît dans d’autres sources littéraires.

47- Ce sont bien sûr les Grecs qui se sont adaptés à l’alphabet phénicien et non l’inverse, comme l’avance Hérodote. Par ailleurs, les Ioniens ont effectivement joué un rôle dans l’élaboration de l’alphabet grec, mais pas de la façon indiquée par les Histoires. Pour une mise au point sur la question des modes de diffusion de l’alphabet et du problème de la date des « lettres de Kadmos », voirMARIO BURZABECHI, « L’adozione dell’alfabeto nel mondo greco », La Parola del Passato, 31, 1976, pp. 82-102 ;margareta Guarducci, «La culla dell’alfabeto greco », Rendiconti dell’Accademia Nazionale dei Lincei. Classe di Scienze morali, storiche e filologiche, 33, 1978, pp. 381-388 ; Amadasi Guzzo, Maria Giulia, « Origine e sviluppo della scrittura fenicia: stato degli studi », Atti del II Congresso Internazionale di Studi Fenici e Punici, Rome, G. Bretschneider, 1991, vol. 2, pp. 441449;Google Scholar Bernal, Martin, Cadmean Letters. The transmission of the Alphabet to the Aegean and Further West before 1400 B. C., Winona Lake, Eisenbraus, 1990;Google Scholar L. H. Jeffery, « Apxaia ΓPammata… », art. cit.

48- Pour une analyse approfondie de ces Géphyréens, voir Suys, Véronique, « Le culte de Déméter Achaia en Béotie. état actuel des connaissances », L’Antiquité classique, 63, 1994, pp. 120.CrossRefGoogle Scholar

49- Voir par exemple Histoires, VIII, 144 : l’identité d’un homme est généralement définie par sa langue, qui intervient tout de suite après le sang et avant la religion qu’il pratique.

50- Cela confirme plus encore l’écart existant entre un héros civilisateur comme Kadmos et un autre comme Héraklès. Chacun assume son rôle différemment, comme le montre le sens de leurs pérégrinations respectives : Héraklès délimite le monde à conquérir, fixe les frontières géographiques de la civilisation en Méditerranée, selon la thèse de Jourdain-Annequin, Colette, « Héraklès en Occident. Mythe et histoire », Dialogues d’histoire ancienne, 8, 1982, pp. 227281;CrossRefGoogle Scholar les pérégrinations de Kadmos nous semblent plutôt correspondre à des représentations cultuelles du passage qui agissent dans l’ensemble des traditions rapportées au héros. Ce n’est pas un hasard si le héros est associé à une quête, celle de sa soeur Europe enlevée par Zeus au-delà de la mer : ce motif procède des rapports existant entre Kadmos et un certain nombre de cultes sotériologiques ou eschatologiques comme les mystères de Samothrace ou ceux du Kabirion thébain. De tels liens doivent remettre en cause l’historicité des événements kadméens telle qu’elle a été énoncée jusqu’à présent (cf. supra n. 40) : les pérégrinations de Kadmos se comprennent, à notre sens, au moins autant – et sinon plus – en termes cosmologiques qu’en termes simplement géographiques.