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Observation féminine et idéologie masculine : le corps de la femme d'après les médecins grecs

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Aline Rousselle*
Affiliation:
Université de Perpignan

Extract

La distance à l'objet d'étude étant de règle dans le travail historique autant que l'implication, les hommes ne devraient pas être disqualifiés pour étudier les femmes et même la génitalité féminine, non plus que les femmes pour étudier les hommes. Ce sont des hommes qui, en fait, ont conduit les éditions, traductions et études des textes anciens concernant la vie génitale de la femme, ou la reproduction en général. J'ai lu le livre de R. Joly, Le niveau de la science hippocratique, bien avant de lire les traités cnidiens sur les femmes. Pour R. Joly, un des critères de non-scientificité des traités est l'explication animiste de toutes les maladies féminines par les mouvements d'une matrice personnifiée. Je suis entrée avec confiance dans cette vue et j'ai cru, avec R. Joly, que les hommesmédecins de l'Antiquité écrivaient sur le corps féminin des absurdités déduites de leurs théories. Ma première lecture des livres De la nature de la femme, Des maladies des femmes, Des femmes stériles, dans la traduction d'É. Littré, s'est faite dans cette perspective.

Summary

Summary

The women of Greece, whose learning is related in the Cnidian treatises that form part of the Hippocratic Collection, had observed the principal symptoms of infections of the female genital tracts. Fear of these infections and of sterility seem to have been stronger than the desire for contraception. They examined themselves, looked for symptoms, and had some effective means of treatment. They supposed that in orgasm they emitted a sperm which played a vital part in procreation. A ristotle disagreed, denying both the necessity of female orgasm and the role of the female's sperm in conception. Soranos, in 1st century AD Rome, adapted this knowledge of the female body to the requirements of an aristocratie, Malthusian society, which the Augustan laws constrained to marriage and procreation. Progress in gynaecology, better maternal and neo-natal care, were the fruit of these legal and social conditions. In a world in which the question of the superiority of virginity was held to be of vital importance, medicine offered a form of sexual hygiene. Galen, in the 2nd century AD, drew attention to the relation between troubles affecting single women and the absence of sexual relations, thereby acknowledging the strength of female desire.

Type
Images Médicales du Corps
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1980

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References

Notes

1. Jolly, R.. Le niveau de la science hippocratique, Paris, Les Belles-Lettres, 1966 Google Scholar.

2. Œuvres complètesCthippocrate, traduites par É. Littré, Paris. 1839-1861 ; ici. t. VII, Nature de la femme,1851 ; t. VIII, Maladies des femmes,1853.

3. Je remercie Colette Pépin-Rollin de m'avoir montré la justesse des observations faites par les femmes grecques.

4. Observation reprise encore par Galien au nc siècle de l'è.c. Des lieux affectés,VI, 5. Sur les oeuvres et la vie de Galien, Sarton, G., Galen of Pergamon, Lawrence-Kansas, University of Kansas Press, 1954 Google Scholar, qui donne les diverses éditions et traductions. Je citerai Galien dans la traduction française de Daremberg, Ch., Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales de Galien, 2 vols, Paris, 1854-1856Google Scholar.

5. Laffont, A., Manuel de gynécologie, Paris, 1952, pp. 452453.Google Scholar

6. De la nature de l'enfant,édité et traduit par R. Jolly. Hippocrate, t. XI, Collection des Universités de France, 1970, p. 55 ; non cité par W. L. Westerman, The slave Systems ofGreek and Roman Antiquity,Philadelphie, 1955. Voir encore Nardi, E., Procurato aborto nel monda Greco-Romano, Milan. 1971, pp. 6670 Google Scholar. Ce qui m'intéresse n'est pas la pratique abortive mais la décision de la maîtresse de faire avorter son esclave, et la soumission active de celle-ci à ce qu'elle sait être une obligation de sa condition.

7. Deux exemples seulement de toucher vaginal par le médecin dans le Corpus hippocratique. Relevés par Bourgey, Louis, Observation et expérience chez les médecins de la collection hippocratique, Paris, 1953, p. 177 Google Scholar, n. 6.

8. Soranos d'Éphèse, au début du nc siècle de l'è. c , montre la présence du médecin lors des accouchements difficiles. Mais celui-ci interroge la sage-femme et n'intervient que dans les cas d'extraction du foetus et d'embryectomie. Gynaecia,IV, 9 [61]. Soranos a été édité avec une traduction latine par Kuhn, C. G., Medicorum graecorum opéra quae extant, Leipzig. 1827 Google Scholar, t. III ; par. II.Berg, J., Sorani gynaeciorum libri IV, Leipzig-Berlin, Teubner, 1927 Google Scholar (Corpus medicorum graecorum,IV); il faut utiliser la traduction anglaise et les notes de Owsei Temkin, Soranus' gynecology,Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1956.

9. Aristote, Histoire des animaux,édité et traduit par P. Louis, Collection des Universités de France, t. III, livres VIII-X, 1969.

10. Édité et traduit par R. Jolly, Hippocrate, t. XI, Collection des Universités de France. 1956.

11. Prendre les définitions qui résultent de l'article de J. Poullion, « Remarques sur le verbe 'croire’ », La fonction symbolique,essais d'anthropologie réunis par M. Izard et P. Smith, Paris, 1979, pp. 43-52.

12. Aristote, Histoire des animaux, op. cit.,t. III.

13. Aristote, Génération des animaux,édité et traduit par P. Louis, Collection des Universités de France, 1961, donne en n. 2, p. 38 le relevé des indications d'Aristote sur les sécrétions des femelles animales.

14. Dans son introduction, O. Temkin fait porter l'interrogation sur une confusion de Soranos qui ne croirait pas à l'existence de l'hymen, alors qu'on trouve au long du texte la notion de défloration, et que Soranos envisage les cas d'hymen imperforé.

15. O. Temkin, p. xxxix, admet que la vérification ne puisse se faire que par dissection et s'interroge à ce propos sur les possibilités de dissection au temps de Soranos. Il s'agit pourtant d'une partie accessible du corps féminin vivant, ce qu'indique Soranos lui-même en donnant l'argument de l'introduction d'une sonde chez la fille vierge.

16. Les travaux sur l'âge des filles romaines au mariage constatent tous la possibilité légale du mariage avant la puberté officielle de 12 ans. M. Durry, « Les mariages de filles impubères dans la Rome antique », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,1955, pp. 84-91 et Revue internationale des Droits de l'Antiquité (Rida),II, 1955, p. 263 ss, pense que la pratique en est partiellement abandonnée à l'époque historique, mais donne l'exemple d'Augustin iConf,13, 23) et de textes du Digestepour en suivre l'évolution jusqu'à la fin de l'Empire. R. Villiers, « Le statut de la femme à Rome jusqu'à la fin de la République ». dans La femme, Recueils de la Société Jean Bodin,XI1, Bruxelles, 1959, p. 181, constate que les filles ne sont pas à la maison pour aider aux grands travaux ruraux avec leur mère : elles sont déjà mariées. Il s'interroge sur la fréquence de ces mariages précoces. (Le problème n'apparaît pas dans l'article de E. Eyben, « Antiquity's view of puberty », Latomus,1972, pp. 678-687..

17. Introd. p. xxxvm. Caton le Censeur soignait tous ses dépendants : Pline l'Ancien, XIX, 14.

18. Sur l'examen de puberté du garçon et ses aspects juridiques, les références sont rassemblées dans l'article de Ch. Lécrivain, Malrimonium,dans le Dictionnaire des Antiquitésde Ch. Daremberg et E. Sagi io, III, p. 1 658 b.

19. L'article de R. Besnier, « L'application des lois caducaires d'Auguste d'après le gnomon de l'idiologue », Mélanges F. de Visscher, I, Rida,II, 1949, pp. 93-119, reste indispensable. On trouve dans deux très beaux articles de R. Astolfi, « I béni vacanti e la legislazione caducaria », Bolletino dell'Istituto di Diritto romano,LXVIII, 3e série, 1965, pp. 323-336, et « Note per una valutazione storica délia lex Julia et Papia », dans Studia et Documenta Historiae et Juris,t. XXXIX, 1973, pp. 187-228. outre une appréhension particulièrement concrète de l'impact de ces lois, une bibliographie abondante.

20. Sur les façons de tourner la loi : R. Astolfi, « Note per una valutazione », loc. cit., pp. 212- 215.

21. D,23, 2, 21 ; CJ,5, 4, 12 et 14. Voir J. Gaudemet, Justum Matrimonium,Mél. F. de Visscher, Rida,II, 1949. p. 319.

22. R. Astolfi, « Note per una valutazione », loc. cit.. p. 222 et R. Astolfi, La lex Julia et Papia,Padoue, 1970, p. 105.

23. A rapprocher de ce que R. Besnier, Rida,II, 1949, p. 97 et R. Astolfi, « Note per una valutazione », p. 213, nomment la conception stoïcienne des lois caducaires : le mariage est fait uniquement pour la reproduction. E. J. Jonkers, A few réfections on the background of Augustus laws to increase the birth-rate. Symbolae ad Jus et Hisloriam Antiquitatis pertinentes Julio van Oven dedicatae,Leyde, 1946.

24. Soranos ne parle pas de semence féminine dans le coït (I, 36). Il suppose une semence féminine dans le chapitre sur la gonorrhée féminine (III, 45). Mais le terme de gonorrhée couvre pour les hommes la spermatorrhée, la masturbation et la gonorrhée (O. Temkin, p. 168, n. 80).

25. Les rites de passage à l'âge adulte sont liés au mariage pour la fille ; c'est la veille de son mariage qu'elle dépose la bulle, offre ses jouets à une divinité et prend la lunica recta.Pour le garçon ces rites correspondent à la véritable puberté physique, ou encore à l'âge de 17 ans, majorité politique sous la République, entre 14 et 16 ans sous l'Empire, en général à la fête des Liberalia. 26. Noonan, Contraception et mariage,loc. cit. p. 79.

27. Voir Ilza Veith, Histoire de l'hystérie,trad. frse, Paris, 1973. Il me semble que I. Veith a tendance à chercher une approche antique de l'hystérie telle que nous la définissons aujourd'hui..

28. Laffont, A., Manuel de gynécologie, Paris, 1952, p. 420 Google Scholar : « Toute femme qui souffre, même à distance de sa sphère génitale — douleurs hautes, basses, tardives, paroxystiques, irradiées, etc. — doit vous inciter à un examen gynécologique complet. Ainsi vous éviterez de passer à côté de diagnostics importants (nidations ectopiques, torsions, etc.) parfois si difficiles à établir. ».

29. G. Sarton, Galen of Pergamon,loc. cit., pp. 40-41.

30. Les menstrues comme sperme non élaboré chez Aristote : Gén. An., llbb-llla.; 728a- 728b ; 738a.