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Avant le marché, les marchés: en Europe, XIIIe-XVIIIe siècle (note critique)

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Alain Guerreau*
Affiliation:
CNRS

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En abordant frontalement la question de la structure des marchés dans la France du XVIIIe siècle, Jean-Yves Grenier démontre une nouvelle fois, non sans quelque panache, qu’une construction abstraite, explicite et raisonnée est mille fois plus réaliste que n’importe quelle monographie prétendument empirique mais surtout cousue d’anachronismes en tous genres. On s’imagine trop volontiers que la tradition historiographique a légitimé toutes ces notions qui « vont de soi », et dont chacun sait bien ce qu’elles veulent dire, puisqu’elles constituent précisément la structure du sens commun, c’est-à-dire un système de représentation étroitement lié au monde le plus contemporain.

Type
Les Économies Anciennes
Copyright
Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2001

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References

À propos de Grenier, Jean-Yves, L’économie d’Ancien Régime. Un monde de l’échange et de l’incertitude, Paris, Albin Michel, 1996 Google Scholar. Je remercie Jérôme Baschet et Ludolf Kuchenbuch qui m’ont fait d’utiles observations sur une première version de ce texte. Pierre Jeannin, qui l’a lu avec une extrême attention, m’a fait part d’un grand nombre de remarques et d’objections sans concession: je lui exprime ma plus vive reconnaissance.

1. Clavero, Bartolomé, Antidora. Antropología católica de la economía moderna, Milan, Giuffrè Editore, 1991 Google Scholar (trad. fr., La grâce du don. Anthropologie catholique de l’économie moderne, Paris, Albin Michel, 1996 Google Scholar).

2. Grenier, Jean-Yves, Séries économiques françaises (XVIe-XVIIIe siècles), préface de Jean-Claude Perrot, Paris, Éditions de l’Ehess, 1985 Google Scholar.

3. On ne trouve pas dans le livre de J.-Y. Grenier une discussion bien ordonnée de l’« é tat des questions ». Discrétion tout à fait louable: à quoi bon enfoncer des portes ouvertes, en montrant que les éléments de cohérence relatifs à ces séries que l’on peut trouver chez Labrousse, Goubert, Le Roy Ladurie, Morineau et autres sont des artefacts résultant d’une sélection (très sélective !) subjective et injustifiable?

4. On a écarté ici l’idée d’une discussion juxtalinéaire. Ce livre suscite la discussion presque à chaque page; c’est un indice manifeste de sa richesse.

5. L’objection courante qui consiste à remarquer que l’hétérogénéité se trouve dans les données elles-mêmes est inconsistante: c’est une absolue banalité de rappeler que telle ville diffère de telle autre, telle firme commerciale diffère de telle autre, et ainsi de suite. La difficulté, bien réelle au contraire, est de savoir ce qu’on entend par « ville » ou par « firme commerciale », et dans quelles conditions, plus spécialement dans quel cadre et dans quelles limites, cela peut avoir du sens de comparer, d’ordonner, d’agréger plusieurs « villes » ou « firmes commerciales ». En tant qu’objet intrinsèque, une ville ou une firme commerciale n’ont aucun sens (à l’inverse de ce que croit le sens commun); une ville n’a de sens que comme élément d’un réseau urbain, une firme commerciale comme agent dans un circuit commercial. Comparaison et agrégation, qui n’ont de sens que par rapport à cette structure (à propos de laquelle on ne peut faire l’économie de quelques hypothèses minimales, en particulier s’agissant des limites des ensembles considérés), sont ab ovo vouées à l’échec si les descriptions monographiques reposent sur des a priori conceptuels et/ou méthodologiques hétérogènes.

6. Cette formule n’est pas bénigne: elle repose sur deux notions « lourdes » qui sont bien loin d’être claires a priori, et qui mériteraient d’autant plus d’être discutées qu’elles impliquent en fait une reconsidération radicale de la manière de « faire de l’histoire ». C’est en soi tout un programme de réflexion.

7. Kuchenbuch, Ludolf et Michael, Bernd, Feudalismus. Materialien zur Theorie und Geschichte, Francfort-sur-le-Main, Ullstein, 1977 Google Scholar; Guerreau, Alain, «Fief, féodalité, féoda-lisme. Enjeux sociaux et réflexion historienne», Annales ESC, 45-1, 1990, pp. 137166 Google Scholar (surtout pp. 139-143).

8. Bien entendu, il s’agissait là de trois grandes tendances. Les auteurs concrets énonçaient des points de vue particuliers. Beaucoup étaient plus préoccupés de solutions empiriques que d’analyses abstraites (spécialement les administrateurs). Mais le champ était ce qu’il était, et tous les textes dont il est question étaient des prises de position dans ce champ.

9. J.-Y. Grenier aurait sans doute pu se donner la peine de fournir un minimum de références sur tous ces personnages. Il utilise volontiers des auteurs tels Auxiron, Boesnier de l’Orme, Goyon de la Plombanie, Hocquart de Coubron, Isnard, Saint-Péravy: si l’on n’est pas très familier de ces célébrités et que l’on souhaite quelques renseignements, où doit-on les chercher?

10. Dostaler, Gilles, Marx, la valeur et l’économie politique, Paris, Anthropos, 1978 Google Scholar. ID., Valeur et prix, histoire d’un débat, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 1978 Google Scholar. Voir aussi Hofmann, Werner, Wert- und Preislehre, Berlin, Duncker & Humblot, 1971 Google Scholar.

11. Kuchenbuch, Ludolf, Zur Entwicklung des Feudalismuskonzepts im Werk von Karl Marx, dact., 1982. Résumé dans «Marxens Werkentwicklung und die Mittelalterforschung», in A. Lüdtke, (ed.), Was bleibt von marxistischen Perspektiven in der Geschichtsforschung?, Göttingen, Wallstein Verlag, 1997, pp. 3366 Google Scholar.

12. On trouvera par exemple une ample matière à réflexion dans le livre de de La Ronciere, Charles-Marie, Prix et salaires à Florence au XIVe siècle (1280-1380), Rome, École française de Rome, 1982 Google Scholar.

13. Dumoulin, Olivier, «Aux origines de l’histoire des prix», Annales ESC, 45-2, 1990, pp. 507522 Google Scholar.

14. Voir par exemple Meuvret, Jean, «Les données démographiques et statistiques en histoire moderne et contemporaine», in Samaran, C. (ed.), L’histoire et ses méthodes, Paris, Encyclopédie de la Pléiade, 1961, pp. 893936 Google Scholar.

15. Un utile dossier sur économie et calculs, dans le numéro « Histoire de la pensée économique » de la revue Histoire & Mesure, 7-1/2, 1992.

16. La méthode de Box et Jenkins repose largement sur le savoir-faire du prévisionniste. Il faut choisir divers coefficients, et il n’y a pas de test d’optimalité. En pratique, on effectue toute une série d’extrapolations en faisant varier ces coefficients, et l’on s’arrête lorsqu’on s’aperçoit que l’on obtient des extrapolations à peu près identiques dans un assez large intervalle de variation de ces coefficients. Ceux-ci n’ont aucun sens en dehors de la procédure de calcul.

17. Entendons-nous bien ! On ne peut vraiment parler de cycles que s’ils couvrent une période constante. Sinon, on parlera de pseudo-cycles. Ce qui est tout autre chose, cela revient seulement à considérer qu’il y a « des hauts et des bas », la question demeurant ouverte de savoir si ces montées et descentes correspondent, ou non, à la réitération de processus analogues. Notons d’ailleurs que, du point de vue du sens, ce dernier aspect est beaucoup plus important que la permanence de la longueur des périodes. Pourtant, depuis le XIXe siècle, c’est cette question de la régularité des périodes qui a retenu l’essentiel de l’attention (cf. Pomian, Krzysztof, «The Secular Evolution of the Concept of Cycles», Review, II, 4, 1979, pp. 563646 Google Scholar). Plusieurs travaux allemands apportent d’intéressants développements: Ebeling, Dietrich et Irsigler, Franz, Getreideumsatz, Getreide- und Brotpreise in Köln, 1368-1797, Cologne-Vienne, Böhlau Verlag, 1976 Google Scholar; Metz, Rainer, Geld, Währung und Preisentwicklung. Der Niederrheinraum im europäischen Vergleich: 1350-1800, Francfort-sur-le-Main, Knapp, 1990 Google Scholar; Bauernfeind, Walter, Materielle Grundstrukturen im Spätmittelalter und der Frühen Neuzeit. Preisentwicklung und Agrarkonjunktur am Nürnberger Getreidemarkt von 1339 bis 1670, Nuernberger Stadtarchiv, 1993 Google Scholar.

18. Intellectuellement, s’entend. Il n’est que triste de constater que nombre d’historiens contemporanéistes ne s’en sont pas encore avisés, et continuent à singer les « méthodes » de l’économétrie...

19. Insistons: la plupart des logiciels statistiques standards, dans la subdivision « séries chronologiques », ne fournissent que des outils inadaptés et insuffisants pour l’analyse des données historiques. On y trouve tout ce dont on n’a pas besoin: approximations polynomiales, analyses spectrales, Box-Jenkins. En revanche, la prise en compte du problème des données manquantes est en général indigente, et les moyens d’utiliser l’outil fondamental que constituent les fenêtres mobiles, réduits à presque rien. Les distributions de Pareto sont le plus souvent inconnues ou maltraitées, et les méthodes d’analyse des pseudo-cycles, ignorées. Mais il faut bien reconnaître que cette situation résulte essentiellement du désintérêt massif des historiens pour toute analyse statistique. Il y a là un champ de recherche potentiel immense.

20. Chaunu, Pierre, «L’histoire sérielle. Bilan et perspectives», Revue historique, 494, 1970, pp. 297320 Google Scholar.

21. Voir Endettement paysan et crédit rural dans l’Europe médiévale et moderne (Actes des XVII e Journées internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran, septembre 1995), Toulouse, Université Toulouse-le-Mirail, 1998. Ce qu’on appelle crédit dans ce cadre n’a rien à voir avec ce que nous appelons crédit. Il ne s’agissait nullement de moduler et d’accroître la consommation par une création de monnaie supplémentaire, mais d’intégrer dans des réseaux de dépendance, en liant par l’intermédiaire d’une structure temporelle. Cette activité, à laquelle les institutions ecclésiastiques participaient couramment et substantiellement, doit au surplus être distinguée de l’usure, qui constituait un réel commerce d’argent.

22. On saisit sans peine qu’il s’agit d’une question à double fond, pour le moins. Car on cherche à établir des seuils concrets, dans une situation déterminée; mais la difficulté n’est pas moins celle de la limite de validité des concepts employés.

23. C’est en particulier à cette occasion que se font le plus sentir les conséquences regrettables de l’illusion d’avoir « trouvé » des périodicités dans les séries de prix.

24. Pfister, Christian, Klimageschichte der Schweiz 1525-1860. Das Klima der Schweiz von 1525-1860 und seine Bedeutung in der Geschichte von Bevölkerung und Landwirtschaft, Bern, Haupt, 1984 Google Scholar; ID., « Une rétrospective météorologique de l’Europe. Un système de reconstitution de l’évolution du temps et du climat en Europe depuis le Moyen Age central», Histoire & Mesure, 3-3, 1988, pp. 313-358.

25. Soulignons par exemple que des céréales comme le seigle, l’épeautre, le froment, le sarrasin et les divers méteils avaient des réactions sensiblement différentes aux fluctuations interannuelles, mais bien sûr avec des rendements et des qualités de farine également fort différents. C’est une des clés de l’agriculture ancienne. Des informations dans Meuvret, Jean, Le problème des subsistances à l’époque de Louis XIV, I, Paris, 1977 Google Scholar; Comet, Georges, Le paysan et son outil. Essai d’histoire technique des céréales (France, VIIIe-XVe siècles), Rome, École française de Rome, 1992 Google Scholar. J’ai moi-même proposé quelques hypothèses, «L’étude de l’économie médiévale. Genèse et problèmes actuels», in J. Le Goff et G. Lobrichon (eds), Le Moyen Age aujourd’hui. Trois regards contemporains sur le Moyen Age, Paris, Le Léopard d’or, 1998, pp. 31-82, en particulier pp. 44-50.

26. On trouve quelques indications dans Braudel, Fernand et Spooner, Franck, «Les prix en Europe de 1450 à 1750», texte français complet dans Braudel, F., Écrits sur l’histoire, II, Paris, Flammarion, 1990, pp. 31165 Google Scholar, notamment pp. 61-65; mais il s’agit seulement d’un commentaire de cartes à haute altitude.

27. Guerreau, Alain, «Climat et vendanges (XIVe-XIXe siècles): révisions et compléments», Histoire & Mesure, 10, 1995, pp. 89147 CrossRefGoogle Scholar.

28. Exemple et discussions dans Lambert, Georges et Maurice, Brigitte (eds), Les veines du temps. Lectures du bois en Bourgogne, Autun, Musée Rollin, 1992 Google Scholar.

29. Dockes, Pierre et Rosier, Bernard, Rythmes économiques. Crises et changement social, une perspective historique, Paris, La Découverte, 1983 Google Scholar.

30. Mandelbrot, Benoît, Les objets fractals, forme, hasard et dimension, Paris, Flammarion, 1975 Google Scholar; Zajdenweber, Daniel, Hasard et prévision, Paris, Economica, 1976 Google Scholar (importante bibliographie). Cet ouvrage essentiel avait été bien signalé par Perrot, Jean-Claude, «Le présent et la durée dans l’œ uvre de Fernand Braudel», Annales ESC, 36-1, 1981, pp. 315 Google Scholar. Voir aussi Zajdenweber, D., «Chronique d’un randonneur solitaire, le Dow Jones», Histoire & Mesure, 6, 1991, pp. 121136 CrossRefGoogle Scholar; Barbut, Marc, «Une famille de distributions: des paretiennes aux anti-paretiennes. Applications à l’étude de la concentration urbaine et de son évolution», Mathématique informatique et sciences humaines, 141, 1998, pp. 4372 Google Scholar.

31. Lachiver, Marcel, Vins, vignes et vignerons. Histoire du vignoble français, Paris, Fayard, [1982] 1988 Google Scholar.

32. Mccarthy, Michael R. et Brooks, Catherine M., Medieval Pottery in Britain AD 900-1600, Leicester, Leicester University Press, 1988 Google Scholar; Endres, Werner (ed.), Zur Regionalität der Keramik des Mittelalters und der Neuzeit, Bonn, 1995 Google Scholar. Voir le cas de la « céramique à fond marqué » en Dauphiné aux Xe-XIe siècles: Jean-François REYNAUD et alii, « É tude d’une céramique régionale», Archéologie médiévale, 5, 1975, pp. 243-285.

33. Ornato, Ezio, La face cachée du livre médiéval. L’histoire du livre, Rome, Viella, 1997 Google Scholar.

34. L’idée, au premier abord surprenante, est en réalité fort simple: une certaine quantité de monnaie peut servir d’encaisse, de moyen de paiement, de réserve (pour le moins); il s’agit de fonctions qui ont une certaine « utilité » pour celui qui les emploie, il y a donc bien valeur d’usage. Mais, selon les conjonctures, en particulier selon les phases du « circuit », l’urgence de ces fonctions varie du tout au tout; au surplus, la coexistence de monnaies aux caractères très distincts (différences extrêmement fortes qui interdisent de parler de « la monnaie », même si certains auteurs médiévaux ont pu employer l’expression) rend très problématique le passage rapide d’une fonction à une autre. Du coup, l’« utilité » de chaque monnaie est susceptible de varier très fortement, et dans des délais brefs.

35. Il est hallucinant de constater le monétarisme primitif qui s’étale dans ce qui est aujourd’hui à peu près la seule synthèse sur les monnaies médiévales: Spufford, Peter, Money and its Use in Medieval Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1988 CrossRefGoogle Scholar. On trouvera un point de vue beaucoup plus rationnel dans les chapitres consacrés par Marc Bompaire aux questions monétaires dans l’ouvrage classique: Contamine, Philippe et alii, L’économie médiévale, Paris, Armand Colin, 1993 Google Scholar. Dossier varié dans L’argent au Moyen Age, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998.

36. Guerreau, Alain, «Réflexions sur les mutations monétaires en France, à la fin du Moyen Age», in Hackens, T., Depeyrot, G. et Moucharte, G. (eds), Rythmes de la production monétaire, de l’Antiquité à nos jours, Louvain-la-Neuve, Séminaire de numismatique Marcel Hoc, 1987, pp. 521535 Google Scholar. On notera par exemple que les variations monétaires de la fin du Moyen Age entraînaient des variations fortes et brusques des prix et des salaires, non proportionnelles; par exemple, en cas d’affaiblissement des monnaies, les salaires journaliers des compagnons augmentaient (en valeur nominale) à peine plus que ceux des manœuvres, et inversement. Pourquoi?

37. Benoît XIV était tout sauf un esprit borné et rétrograde; l’abbé Ferdinando Galiani, célèbre pour son Della moneta (1751) et son Dialogue sur le commerce du blé (1770), est aussi l’auteur d’un Éloge du pape Benoît XIV (1758).

38. Cf. Endettement paysan et crédit rural..., op. cit.

39. L’un des tout premiers auteurs chez qui le vocable « travail » est employé couramment avec un sens voisin de son sens contemporain de travail « en général » est sans doute Montchretien (Traicté de l’ œconomie politique, François Billacois (ed.), Genève, Droz, [1616] 1999). Je remercie Pierre Jeannin pour cette observation.

40. Trois articles repris dans Pour un autre Moyen Age, Paris, Gallimard, 1977 (pp. 46-65, 91-107 et 162-180), ainsi, notamment, que « Travail, techniques et artisans dans les systèmes de valeur du haut Moyen Aˆge», Settimane di Spoleto, 18, 1970, pp. 239-266; « Les métiers et l’organisation du travail dans la France médiévale», in M. François (ed.), La France et les Français, Paris, Gallimard, 1972, pp. 296-347; «Le travail dans les systèmes de valeur de l’Occident médiéval», in Hamesse, J. et Muraille-Samaran, C. (eds), Le travail au Moyen Age. Une approche interdisciplinaire, Louvain-la-Neuve, Université catholique de Louvain, 1990, pp. 721 Google Scholar.

41. On a particulièrement utilisé un ensemble exceptionnel, qui se présente sous la forme d’un cours imprimé de la Fernuniversität de Hagen, sous la direction de Kuchenbuch, Ludolf et alii, Arbeit im vorindustriellen Europa, 6 vols, Hagen, 1989-1990Google Scholar. Des réflexions globales tirées de cet énorme ouvrage dans Kuchenbuch, Ludolf et Sokoll, Thomas, «Vom Brauch-Werk zum Tausch-Wert: U¨berlegungen zur Arbeit im vorindustriellen Europa», Leviathan, Zeitschrift für Sozialwissenschaft, 11, 1990, pp. 2650 Google Scholar.

42. Chenu, Marie-Dominique, Pour une théologie du travail, Paris, Le Seuil, 1955 Google Scholar. D’ailleurs, plus récemment, le père Philippe Delhaye, qui s’inquiète de « donner au thomisme une troisième chance », le dit encore plus clairement: « Quelques aspects de la doctrine thomiste et néo-thomiste du travail», in J. Hamesse et C. Muraille-Samaran (eds), Le travail au Moyen Age..., op. cit., pp. 157-175. Pourtant, dans ce même volume, Jacqueline Hamesse ellemême en arrivait à l’observation renouvelée: « On ne peut conclure que de manière négative. Les définitions du vocabulaire du travail sont rares chez les lexicographes, inexistantes chez les philosophes. C’est l’absence même de textes qui est ici significative » (« Le travail chez les auteurs philosophiques du 12e et du 13e siècle. Approche lexicographique », ibid., pp. 115-127). Ne parlons pas de l’infinie littérature sur «le travail chez les moines», spécialement ceux du haut Moyen Age.

43. Il faudrait insister ici sur le fait (de portée très générale) que l’on trouve bien des « salariés » au XIIIe siècle et des « salariés » au XIXe siècle, et que, au-delà des caractères nettement distinctifs, tels que ceux que J.-Y. Grenier explore, le noyau de la relation salariale était en gros le même. Ce qui n’empêche que cette relation, grosso modo identique, avait néanmoins un sens social radicalement différent et sans commune mesure, dès lors que dans un cas il s’agissait d’un rapport social dominant et, dans l’autre, d’une forme marginale: le cadre détermine entièrement la signification et non l’inverse.

44. L’étude classique est celle de Brown, E. H. Phelps et Hopkins, Sheila, «Seven Centuries of the Prices of Consumables, Compared with Builders’ Wage Rates», Economica, 23, 1956, pp. 296314 CrossRefGoogle Scholar. Voir aussi Fourastie, Jean (ed.), L’évolution des prix à long terme, Paris, PUF, 1969 Google Scholar, notamment le chapitre de René Grandamy, « Prix des aliments et histoire », pp. 325-345. Une observation rapide tend à montrer que la règle « phase B = salaires réels plutôt plus élevés » est loin de se vérifier partout.

45. L’auteur décisif est sans aucun doute John Locke, en particulier dans Two Treatises of Government (1690). Voir Crawford Macpherson, Brough, The Political Theory of Possessive Individualism, Hobbes to Locke, Oxford, Clarendon Press, 1962 Google Scholar (trad. fr., La théorie politique de l’individualisme possessif, de Hobbes à Locke, Paris, Gallimard, 1971). Nous avons suivi les analyses du vol. 6 de Arbeit im vorindustriellen Europa, op. cit.

46. Parmi les notions ordinaires qui articulent les conceptions « é conomiques » contemporaines, la notion de « risque » joue un rôle important. Nous avons montré ailleurs que cette notion, tout à fait marginale avant le XVIIe siècle, se généralisa précisément au XVIIIe ( Guerreau, Alain, «L’Europe médiévale: une civilisation sans la notion de risque», Risques, 31, 1997, pp. 1118 Google Scholar).

47. « Règle générale d’herméneutique théorique: chaque fois qu’on rencontre une expression (sentence) où intervient le mot nature, on doit le remplacer par le mot idéologie pour avoir la clé de la signification énoncée », Althusser, Louis, Lettres à Franca: 1961-1973, Paris, Stock/IMEC, 1998, p. 501 Google Scholar.

48. J.-Y. Grenier signale à très juste titre que les textes de Karl Polanyi sont complètement inutilisables pour analyser cette forme de société. La notion d’« embededness » est un piège redoutable, dans la mesure où elle a pour effet pratique de sauver la notion d’économie dans une situation où elle n’a strictement rien à faire. La substantification de l’« é conomie » oblitère entièrement le fait que cette notion résulte avant tout et fondamentalement d’un découpage, opéré à un moment précis et dans une situation sociale spécifique. Tout au contraire, la distinction proposée par M. Godelier entre fonction et institution manifeste ici toute sa pertinence.

49. Cf. A. Guerreau, « Fief, féodalité, féodalisme... », art. cit.

50. Godelier, Maurice, Horizons, trajets marxistes en anthropologie, Paris, Maspéro, 1973 Google Scholar, en particulier, pour cette définition, le chapitre « Anthropologie et économie », pp. 13-82.

51. Godelier, Maurice, «Transition», in Labica, G. (ed.), Dictionnaire critique du marxisme, Paris, PUF, 1982 Google Scholar.

52. Tout à fait parallèle à cette évolution, la représentation de l’individu subit elle aussi un remaniement profond. Magnifique analyse de Kittsteiner, Heinz-Dieter, Die Entstehung des modernen Gewissens, Francfort-sur-le-Main, Insel Verlag, 1991 Google Scholar (trad. fr. La naissance de la conscience moderne, Paris, Le Cerf, 1997 Google Scholar).

53. Postel-Vinay, Gilles, La rente foncière dans le capitalisme agricole, Paris, Maspéro, 1974 Google Scholar.

54. Cette relation concernait en fait tout autant les dominants que les dominés. Dans les Manuscrits de 1844, Marx évoque très bien cette relation spécifique: « Dans la possession foncière féodale, la domination de la terre s’exerce sur les hommes comme celle d’une puissance étrangère. Le serf est l’accessoire de la terre. De même, le détenteur du majorat, le fils aîné, appartient à la terre. Elle en hérite » (Marx-Engels Werke, t. suppl. I, p. 505. Manuscrits de 1844, p. 50).

55. Dockes, Pierre, L’espace dans la pensée économique du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Flammarion, 1969 Google Scholar.

56. Galiani et Condillac furent, au XVIIIe siècle, les principaux représentants de la valeur-utilité, et sont pour cela considérés comme précurseurs des marginalistes (il est dommage que, pour cette raison, J.-Y. Grenier les ait écartés de son tableau). Inversement, Turgot, qui tentait de décrire des mécanismes d’égalisation du taux de profit, n’avait aucune raison de considérer l’espace autrement que comme un obstacle; mais justement, il ne parvint pas à une théorie unifiée, et c’est sans doute aussi pourquoi il était encore question d’espace dans ses œ uvres. Le dogmatisme pur des physiocrates sauta par-dessus l’obstacle, et son unification de la doctrine fut directement liée à l’élimination de l’espace (je trouve très discutable l’interprétation de J.-Y. Grenier, L’économie d’Ancien Régime, op. cit., p. 45: les « causes indépendantes du commerce » ne renvoient pas au « jeu du marché », fût-il global).

57. C’est ce réalisme qu’on trouve avec le plus de netteté chez des représentants anciens du mercantilisme comme Montchrétien, qui raisonnait clairement en fonction de l’opposition fondamentale intérieur vs extérieur, qui était le pivot de la représentation féodale de l’espace; ce qui paraît surprendre P. Dockès, lorsqu’il écrit: « son mercantilisme reste curieusement teinté d’un étroit esprit de clocher » (L’espace dans la pensée économique, op. cit., p. 107). Il n’est pas douteux que ce système de représentation était encore totalement dominant dans la première moitié du XVIIe siècle.

58. Tentative provisoire dans Guerreau, Alain, «Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen», in Bulst, N., Descimon, R. et Guerreau, A. (eds), L’État ou le Roi. Les fondations de la modernité monarchique en France (XIV e-XVIIe siècles), Paris, Éditions de la MSH, 1996, pp. 85101 Google Scholar.

59. Mesqui, Jean, Le pont en France avant le temps des ingénieurs, Paris, Picard, 1985 Google Scholar.

60. Il est vrai que toute discussion sérieuse sur l’importance relative de la « circulation » supposerait que l’on dispose d’indices concrets, en particulier sur les trafics fluviaux.

61. Margairaz, Dominique, Foires et marchés dans la France préindustrielle, Paris, Éditions de l’Ehess, 1988 Google Scholar.

62. En gros, un doublement (ibid., p. 92).

63. Comme on l’a signalé plus haut, il faudrait intégrer dans le modèle les échanges lointains. è cet égard, le grand travail de Kula, Witold, Théorie économique du système féodal. Pour un modèle de l’économie polonaise, 16e-18e siècles, Paris-La Haye, Mouton, 1970 CrossRefGoogle Scholar, qui montre bien l’articulation d’un commerce du blé à longue distance avec une production de type médiéval, constitue une base de réflexion de premier ordre. Son intégration dans le modèle proposé par J.-Y. Grenier ne devrait pas se heurter à des difficultés importantes.

64. Langdon, John, Horses, Oxen and Technological Innovation. The Use of Draught Ani mals in English Farming from 1066 to 1500, Cambridge, Cambridge University Press, 1986 Google Scholar.

65. L’examen montre nettement que les bœ ufs présentaient de véritables avantages en termes « é conomiques ». Ce qui explique que les grandes exploitations, qui avaient parfaitement les moyens d’entretenir des chevaux, et qui en possédaient toujours quelques-uns, aient conservé des trains de culture constitués de bœ ufs bien plus tard que les exploitations de plus petite taille. Ces dernières ne disposaient souvent que d’un seul train de culture, et devaient donc choisir entre bœ ufs et chevaux. Le passage des uns aux autres ne générait pas d’avantage matériel; on ne peut pas expliquer ce passage tendanciel autrement que par la considération de la signification du cheval dans le système de représentation médiéval, particulièrement comme instrument aristocratique de domination de l’espace. Le « passage au cheval » était ainsi exclusivement ce qu’on pourrait appeler une « question de prestige ». Mais, comme J. Langdon le montre, ce passage eut pourtant de très réels effets matériels, et l’on a donc un cas remarquable d’« effets structuraux inintentionnels ».

66. « La propriété ecclésiastique faisait à l’ordre traditionnel de la propriété foncière comme un boulevard sacré » ( Marx, Karl, Le Capital, I, ed. fr., vol. III, p. 163, Marx-Engels-Werke, 23, p. 750Google Scholar).

67. On pourra sans doute trouver quelques opérations de spéculation foncière dans les plus grandes villes de l’époque (Anvers ou Florence par exemple) dès la fin du XVIe siècle. Mais cela reste marginal. En revanche, il serait important de savoir à partir de quand les notaires ruraux se sont enrichis en intervenant directement dans les transactions foncières. Peut-on documenter de tels phénomènes avant le XIXe siècle?

68. Pastor, Reyna, «Quelques réflexions sur l’expansion seigneuriale. Un regard castillan», in Duhamel-Amado, C. et Lobrichon, G. (eds), Georges Duby. L’écriture de l’histoire, Bruxelles, De Boeck Université, 1996, pp. 103107 Google Scholar.

69. On ne dispose pas d’une étude sérieuse du sens de terra en latin médiéval. C’est une lacune extrêmement gênante. Dans le système de représentation médiéval, l’opposition qui produisait le plus de sens était terra vs celum ( Guerreau, Alain, «Le champ sémantique de l’espace dans la vita de saint Maieul (Cluny, début du XIe siècle)», Journal des savants, 1997, pp. 363419 CrossRefGoogle Scholar).

70. Lopez, Roberto S., Naissance de l’Europe, Paris, Armand Colin, 1962, p. 272 Google Scholar.

71. Warnke, Martin, Bau und Überbau. Soziologie der mittelalterlichen Architektur nach den Schriftquellen, Francfort, Suhrkamp, [1976] 1984 Google Scholar.

72. Bernardi, Philippe, Métiers du bâtiment et techniques de construction à Aix-en-Provence à la fin de l’époque gothique (1400-1550), Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1995 Google Scholar.

73. Il est remarquable de constater l’incroyable quantité de constructions monastiques au XVIIIe siècle: bénédictins et cisterciens en particulier, voyant s’élever leurs revenus, se lancèrent dans des chantiers colossaux. Mais cette période fut aussi la première durant laquelle une partie des constructions utilitaires peuvent, jusqu’à un certain point, être définies comme des investissements; c’est surtout le cas des granges en pierre et autres bâtiments d’exploitation rurale, constructions qui d’ailleurs permirent d’améliorer sensiblement les capacités et les conditions de stockage, et qui ne furent donc sans doute pas sans effet sur « les marchés des grains ».

74. Cet amalgame, il faut le souligner, fut un des aspects les plus importants de la reconfiguration de l’ordre social ancien qui intervint au XVIIIe siècle. Il constituait une subversion radicale de la logique féodale.

75. B. Clavero, La grâce du don..., op. cit.

76. Ibid., pp. 42 et 195.

77. C’est pourquoi la notion, très appréciée des anthropologues, de « contre-don » est en opposition avec la logique féodale (le guerredon, thème courant de la littérature courtoise, doit sans doute s’interpréter au sens de Clavero). Comme le montre parfaitement celui-ci, il faut concevoir l’échange comme un cas limite.

78. B. Clavero, La grâce du don..., op. cit., p. 174.

79. B. Clavero, quoiqu’il ait vu la relation entre parenté et caritas, se trompe assez lourdement dans son analyse de cette structure. Voir Guerreau-Jalabert, Anita, « Inceste et sainteté. La Vie de saint Grégoire en français (XIIe siècle)», Annales ESC, 43-6, 1988, pp. 12911319 Google Scholar; ID., « Prohibitions canoniques et stratégies matrimoniales dans l’aristocratie médiévale de la France du Nord», in P. Bonte (ed.), Épouser au plus proche. Inceste, prohibitions et stratégies matrimoniales autour de la Méditerranée, Paris, Éditions de l’EHESS, 1994, pp. 293-321; ID., « Spiritus et caritas. Le baptême dans la société médiévale», in Heritier, F. et É. Copet-Rougier, (eds), La parenté spirituelle, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 1995, pp. 133203 Google Scholar.

80. Le rôle de la « monarchie » avant le milieu du XVIIe siècle est demeuré extrêmement modeste, infiniment plus modeste que ce que laisse entendre une historiographie complaisante et distordue. Cette distorsion a, parmi d’autres, le fâcheux effet de ne pas permettre d’apprécier avec réalisme le grand tournant de la seconde moitié du XVIIe siècle. A partir de ce moment-là en effet, mais de ce momentlà seulement, on peut parler d’un premier appareil d’État et de son action. C’est un des rares points où les observations de J.-Y. Grenier ne sont pas générali-sables à toute la période.

81. Ludolf Kuchenbuch, Habilitationsschrift, non publiée (sur le Harz à la fin du Moyen Âge).

82. Il n’y a pas pire absurdité que de se représenter ce brelan comme une suite: les trois types se trouvent déjà dans les listes de redevances mérovingiennes, et on les retrouve à l’époque « moderne ». Les permutations, continuelles, s’effectuaient dans tous les sens, selon les circonstances. L’essentiel est de percevoir leur coexistence structurée.

83. Il faut souligner que ce type de double imbrication, qui n’a pratiquement jamais été étudié, se retrouve aisément dans une multitude de cas, à toutes les époques. On l’observe par exemple, remarquablement, dans la région de Cluny aux Xe-XIe siècles (recherches personnelles). Bonnes remarques critiques de Julien Demade, Champ économique et pouvoir noble. Mouvements des prix et revenus de la petite noblesse dans les pays d’Empire des XIVe-XVesiècles, mémoire inédit, Paris, 1997.

84. On se contentera de renvoyer ici au volumineux travail d’ Langholm, Odd, Economics in the Medieval Schools. Wealth, Exchange, Value, Money and Usury according to the Paris Theological Tradition, 1200-1350, Leyde, Brill, 1992 Google Scholar. On y trouve un utile répertoire de citations et de références. Mais, quand on analyse la manière dont ces citations sont exploitées, on s’aperçoit que les termes les plus intéressants sont le plus souvent déclarés irréalistes et non-significatifs, tandis que sont mises en avant de soi-disant « implications », qui permettent de réintroduire sans façon toutes les notions courantes de l’économie politique. Somptueux empilement de contresens. On ne pourra jamais empêcher des « é conomistes » de croire à l’éternité de la nature humaine et des notions de base de l’économie politique. Les a priori indémontrables sont par nature irréfutables.

85. Notons qu’il s’agit là d’une cause supplémentaire de non-pertinence des travaux de K. Polanyi: la tripartition proposée par cet auteur (réciprocité, redistribution, échange) ne permet en aucune manière de rendre compte du mécanisme de circulation généralisée animé par l’impératif de la caritas.

86. O. LANGHOL croit manifestement à l’existence du « travail » au XIIIe siècle: il interprète systématiquement labor comme labour, c’est tellement plus simple ! Mais précisément, un examen proprement historique montre, assez logiquement, que les textes du XIIIe siècle ne contiennent ni labour ni competitive market.

87. Jacques Le Goff, préface à B. Clavero, La grâce du don..., op. cit., p. XV.