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Dolorisme rel igieuxet reconstructions identitaires: Les conversions néo-évangéliques dans l’Algérie contemporaine

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Karima Dirèche*
Affiliation:
CNRS/Centre Jacques Berque

Résumé

L’Algérie (et le Maghreb en général) est considérée depuis plusieurs décennies comme une terre demission par diverses obédiences néo-évangéliques mondialisées. Les conversions se multiplient, les lieux de culte émergent un peu partout. Les revendications publiques pour une liberté de culte et de conscience ont déclenché un véritable débat national et des réactions plutôt autoritaires et souvent répressives de la part des autorités politiques et religieuses. Cet article analyse le phénomène de la conversion à l’échelle de la Kabylie, région berbère du nord de l’Algérie et considérée (dans les représentations médiatiques et étatiques) comme favorable à la présence missionnaire et à l’entreprise apostolique chrétienne. Dans une perspective historique, l’auteur propose une lecture de la conversion à l’aide de plusieurs paramètres : enjeux identitaires et militants autour de la berbérité, questions économiques liées à la redistribution de la rente pétrolière, effets de la décennie noire, impasse du projet de société, usages idéologiques du passé. Tout cela concourt à l’explication d’un phénomène qui dépasse largement la question de la foi.

Abstract

Abstract

For several decades, Algeria, as Maghreb in general, has been considered by various neo-evangelical persuasions as a land of mission. Conversions have multiplied and new worship places have become numerous throughout the country. Public claims for the freedom of worship and conscience have sparked a national debate, to which the political and religious authorities have reacted with a quite authoritarian and repressive attitude. This article analyzes the conversion phenomenon in Kabylia, a Berber region in the north of Algeria, considered by the media and the government as favourable to a missionary presence and to a Christian apostolic enterprise. In an historical perspective, the author proposes an explanation of conversions taking into account the identity and military stakes around the concept of berberity, economic issues linked with the redistribution of oil revenues, the after-effects of the “black decade”, the failures of the social project of the Government, and the ideological uses of the past. All those factors are relevant to understanding a phenomenon that largely transcends the sole matter of faith.

Type
Conversions algériennes
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2009

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References

1- L’univers chrétien évangélique est extrêmement hétérogène dans ses pratiques etdans ses interprétations dogmatiques. La polysémie du terme évangélique désigne desmouvements aussi divers que les quakers, les pentecôtistes, les méthodistes, les adven-tistes, les anabaptistes ou des groupes plus radicaux comme les mormons (Saints desderniers jours) ou les témoins de Jéhovah. Voir Fath, Sébastien (dir.), Le protestantismeévangélique, un christianisme de conversion. Entre rupture et filiation, Turnhout, Brépols, 2004 CrossRefGoogle Scholar.

2- La réponse la plus courante est : « Nous sommes chrétiens et c’est le plus important. »Le terme protestant est utilisé le plus souvent pour ne pas être confondu avec les catho-liques d’Algérie.

3- 32 communautés religieuses évangéliques sont aujourd’hui recensées et enregistréesen Algérie (chiffre délivré par l’Église protestante d’Algérie en mars 2008).

4- Capitale régionale de la Grande Kabylie.

5- Ces chiffres ont provoqué un émoi dans l’opinion publique et ont fait réagir leministèredes Affaires religieuses : un communiqué du ministre accuse la presse de divulguer avecoutrance ces informations.

6- «De nouveaux croisés essaient par tous les moyens de christianiser les Algériens. Lamosquée, les médias et les institutions de l’État doivent s’y opposer » : propos de Cheikh Abderahmane Chibane, président de l’Association des oulémas algériens, in «Les nou-veaux chrétiens de Kabylie », Le Figaro, 24 mai 2006, mis à jour le 15 octobre 2007 :http://www.lefigaro.fr/actualite/2006/05/24/01001-20060524ARTFIG90012-les_nouveaux_chretiens_de_kabylie.php.

7- À propos des enjeux idéologiques autour de l’islamité des Berbères, il y a eu unprécédent avec la promulgation du dahir berbère de 1930 au Maroc. Ce texte de loi,produit par les autorités coloniales du protectorat, reconnaît la primauté du droit coutu-mier berbère sur le droit musulman et soustrait donc les tribus berbères du Maroc à lalégislation musulmane. L’application de ce dahir coïncide avec le développement dunationalisme marocain qui y a vu une volonté de division entre Arabes et Berbères etune volonté de christianiser l’élément berbère du pays. Depuis, il est régulièrementréactivé par les nationalistes marocains, à l’occasion de manifestations identitairesberbères, comme document historique culpabilisant.

8- Archevêque d’Alger de 1867 à 1892, cardinal primat d’Afrique, il fonde sa proprecongrégation missionnaire, la Société des missionnaires d’Afrique (société des PèresBlancs) dont le but est d’évangéliser le continent africain.

9- Ordonnance du 28 février 2006 fixant les conditions et règles d’exercice des cultes autresque musulmans. La loi réglemente de façon très stricte les cultes en leur imposant des’organiser en associations religieuses soumises à des agréments de l’État. La visibilitédes Églises et la transparence de leurs pratiques sont imposées par l’identification deslieux de culte, des déclarations préalables à toutemanifestation religieuse, etc. Par ailleurs,des dispositions pénales (amendes et peines d’emprisonnement) sont prises à l’encontredu prosélytisme : « […] est puni d’un emprisonnement de deux ans à cinq ans et d’uneamende de 500 000 dinars quiconque : incite, contraint ou utilise des moyens de séduc-tion tendant à convertir un musulman à une autre religion, ou en utilisant à cette fin desétablissements d’enseignement, d’éducation, de santé, à caractère social ou culturel, ouinstitutions de formation, ou tout autre établissement, ou toutmoyen financier » (article 11).

10- Les médias algériens et internationaux (surtout français) ont contribué largement àbanaliser l’agitation politique et militante de la Kabylie et à en faire un des élémentsde son identité régionale.

11- Ferhat M’Henni, président pour le Mouvement de l’autonomie de la Kabylie (MAK),El Watan, 21 février 2008 : «La laïcité kabyle continue d’être la cible du pouvoir. Celui-ci encourage l’envoi d’imams intégristes chez nous tout en jetant la suspicion et l’opprobresur notre région au prétexte qu’elle serait le fief des évangélistes. La Kabylie n’est pasplus évangélisée que n’importe quelle autre région d’Algérie mais, pour les besoins dela propagande du régime, pointer du doigt cet abcès de fixation est plus commode. »

12- Il y aurait une étude sociologique à mener sur la perception de la Kabylie par lesautres régions d’Algérie et sur la correspondance systématique effectuée entre « région »,«militantisme identitaire » et « être social ».

13- 42 hommes et 20 femmes qui appartiennent à des catégories socio professionnelle strès diverses : étudiant, agriculteur, ingénieur, chômeur, femme au foyer, enseignant,retraité…

14- Principaux journaux consultés : Liberté, Le Quotidien d’Oran, Le Jeune Indépendant, LeSoir, L’Expression, El Watan, El Moujahid, El Khabar.

15- Neveu, Erik, Sociologie du journalisme, Paris, La Découverte, [2001] 2004 Google Scholar.

16- On parle, pour l’année 2008, d’une recette de 80 milliards de dollars pour les expor-tations d’hydrocarbures (chiffres du ministère de l’Énergie et des Mines, septembre2008).

17- Entre 2001 et 2004, on estime à 522 000 emplois perdus dont 78% enregistrés dansle secteur privé contre 22% dans le secteur public (chiffres empruntés à l’Office nationaldes statistiques, avril 2005).

18- Terme équivalent au marché noir.

19- Selon les sources, en 2008, les chiffres du chômage oscillent entre 13,8% (OCDE)et 30% (Oxford Business Group). Le seul point convergent est le taux du chômage desjeunes qui dépasserait les 40% (que les estimations soient officieuses ou officielles).

20- Chiffres de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADH).

21- Les élections législatives de 1991 avaient vu la victoire écrasante des islamistes aupremier tour du scrutin. Face à ce succès, le gouvernement avait pris la responsabilitéde suspendre le processus électoral.

22- Charte de la paix et de la réconciliation nationale, ordonnance du 26 février 2006,article 46 : « […] est puni d’un emprisonnement de 3 ans à 5 ans et d’une amende de 250 000 à 500 000 dinars, quiconque qui, par ses déclarations écrites ou tout autre acte,utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte auxinstitutions de la république algérienne, démocratique et populaire, fragiliser l’État,nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie ou ternir l’image del’Algérie sur le plan international ».

23- La montagne kabyle reste l’un des derniers lieux d’activité du maquis terroriste duGroupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), dissident du GIA.

24- L’émigration reste toujours, auprès des jeunes et moins jeunes, la solution pourchanger radicalement de vie. D’ailleurs le terme harragas (ceux qui brûlent leurs papiersd’identité), emprunté aux émigrés clandestins marocains, est utilisé aujourd’hui parles Algériens.

25- L’organisation du référendum autour de la Charte de la paix et la réconciliationnationale, qui s’est tenu le 29 septembre 2005, avait pour objectif politique de tournerla page d’une décennie de violences.

26- Expression reprise lors d’un meeting, en 2001, par le président de la République, Aziz Bouteflika, au sujet de la question des disparus de la guerre civile. En 2003, on dénombrait 7 200 disparus imputés aux services de sécurité et 10 000 aux terroristesislamiques (chiffres avancés par la commission nationale consultative de promotion etde protection des droits de l’homme).

27- Contrairement au sacrifice consenti pour la guerre d’indépendance qui a fait desAlgériens des héros et/ou des martyrs.

28- Des partis politiques et des associations réclament la mise en place d’une commis-sion vérité-justice à l’instar de certains pays qui ont connu des guerres civiles commela Sierra Leone, le Rwanda ou l’Afrique du Sud.

29- Appelé également Mouvement des citoyens. Voir Dirèche-Slimani, Karima, « LeMouvement des âarch en Algérie : pour une alternative démocratique autonome ? » Revue des Mondes musulmans et de la Méditerranée, 111-112, 2006, p. 183196 CrossRefGoogle Scholar.

30- Avril 2001 est appelé également Printemps noir. La mort d’un adolescent de 17 ansdans les locaux de la gendarmerie d’une petite ville de Kabylie a provoqué des émeutesviolemment réprimées par les forces de l’ordre et qui se sont soldées par la mort de126 personnes et des milliers de blessés.

31- La Tribune du 12 décembre 2002 évoque ainsi le marasme économique de la Kabylie :” Fuite des investisseurs de la région, faillite des commerçants, abandon des projets dedéveloppement. Le budget de la wilaya de Tizi-Ouzou a perdu plus de 8 milliardsde centimes rien que dans le chapitre relatif à la taxe sur l’activité professionnelle en 2001, c’est-à-dire le paiement des impôts par les commerces et les entreprises. » Onpeut également se demander si ces facteurs ne sont pas la conséquence du Printempsnoir qui a freiné les investisseurs.

32- Bien que très rapidement des personnalités comme Belaid Abrika deviennent lesinterlocuteurs privilégiés et incontournables du mouvement.

33- Représentations de la période coloniale qui ont accentué les particularismes dessociétés berbères en y soulignant des « républiques berbères », un statut émancipé dela femme kabyle… Si la génération des insurgés est trop jeune pour exprimer explicite-ment ces références, cellesci n’en imprègnent pas moins l’inconscient collectif.

34- «Ce retour aux sources » a fait l’objet de critiques mais également d’interprétationsplus nuancées comme celle du Quotidien d’Oran du 19 juillet 2001 : « L’Algérien serecroqueville sur des structures lesquelles pour surannées qu’elles soient, n’en consti-tuent pas moins un puissant pôle identificatoire, une solide chaîne de solidarité en cestemps de disette et un riche réseau de clientélisme. »

35- Autre exemple d’archaïsme : pour la représentation des délégués des comités, lemouvement insiste sur un critère uniquement basé sur la résidence et la localité. Celarenvoie à l’unité villageoise qui serait le seul critère identifiant d’un individu.

36- Parmi les 15 points répertoriés dans le texte de la plate-forme d’El-Kseur (texte derevendication politique rendu publique dans un lieu historique où s’est tenu en 1954le congrès de la Soummam avec tous les leaders de la lutte indépendantiste) : le statutde langue officielle pour le tamazight, langue berbère ; le jugement des gendarmes etdes commanditaires coupables d’homicides et de tentatives d’homicides par des tribu-naux civils non militaires ; les investissements d’ordre économique et la prise en chargesocio-économique de la Kabylie.

37- Thèse empruntée à Hugh Roberts, «Kabylie, un déficit de représentation poli-tique », Algérie interface, 8 décembre 2003.

38- M. A. Temmar, «Les événements du Printemps noir ou la citoyenneté en construc-tion. Des sacrifices et des acquis », LaDépêche de Kabylie, 20 avril 2006 : « Les événementsd’avril 2001 ont eu, par ailleurs, des répercussions économiques très dangereuses surle processus du développement en Kabylie. Durant au moins trois ans, la machineéconomique, productrice, commerciale et de service a failli être réduite au plus basniveau de la courbe. Au moment où la région enregistre le plus haut taux de chômageà l’échelle nationale (1/3 de la population locale de Tizi-Ouzou contre 30% dansl’ensemble du pays) et un sous-emploi de 75% de la population active, des opérateursprivés qui s’y sont à peine installés délocalisent leurs entités économiques vers des cieuxmoins agités qu’en Kabylie. »

39- Un des indicateurs de la crise et du mal-être est certainement le taux de suicidesqui devient un grave problème de santé publique. À l’échelle nationale, les wilayaskabyles de Tizi-Ouzou et de Bejaia (avant Tiaret et Oran) détiennent les chiffres lesplus élevés. Voir Boudarene, M. et Ziri, A. « Le suicide en Algérie, mystification etréalité », in Le suicide : de la culture aux neurosciences, 3e congrès franco-algérien de psychia-trie, Montpellier, 8-9 juin 2007 Google Scholar.

40- Sous les projecteurs des télévisions nationales et (surtout) internationales, la Kabylieest toujours soumise à un traitement médiatique spécifique : terre irrédentiste, luttesdémocratiques autour de la défense de la langue et de la culture berbères, région oùs’applique la répression du pouvoir d’État, etc.

41- Benbassa, Esther, La souffrance comme identité, Paris, Fayard, 2007, p. 15 Google Scholar.

42- Déclenchement de la guerre de Libération nationale, en 1954 ; Congrès de LaSoummam suivi de l’assassinat d’Abane Ramdane en 1956 ; création du Front des forcessocialistes (FFS) d’Aït Ahmed en 1963 ; révolution culturelle en 1973 (Idir, Aït Menguellat,Ferhat, Matoub…) ; 1er printemps berbère en 1980 et création du Mouvement culturelberbère (MCB) ; repli identitaire en 1992 après l’annulation des élections ; 2e prin-temps berbère en 2001 (le Printemps noir).

43- « Non au pardon pour les criminels : ulac smah ulac ! Au déni identitaire, À la dicta-ture, à la répression, au pouvoir assassin ; À une Algérie monolithique et totalitaire ; Ouià la sanction des criminels, au respect de la dignité ; À tamazight (langue berbère) languenationale et officielle, à la liberté, à la démocratie ; À une Algérie algérienne et plurielle ; Stop à la hogra (terme qui traduit à la fois le mépris et l’injustice). »

44- Espace qui correspondait au IIe siècle av. J. -C à la côte orientale de l’Algérie. Termeutilisé pour évoquer un espace géohistorique spécifiquement autochtone. Un État indé-pendant et puissant dirigé par deux rois berbères célèbres : Massinissa (allié de Rome) et Jugurtha (en guerre contre la puissance romaine et vaincu par elle).

45- Les sièges épiscopaux, recensés au début du Ve siècle, étaient puissants dans lesrégions fortement urbanisées même avant la conquête romaine, dans le nord-est de la Tunisie actuelle. Ils étaient également importants dans les régions correspondant à l’Estde l’Algérie d’aujourd’hui, là où les pôles urbains numides et puniques ou de colonisa-tion romaine ancienne rayonnent encore (régions de Constantine, Guelma, Annaba,Timgad…). L’Église d’Afrique antique était dirigée par l’évêque de Carthage, primatd’Afrique, et organisée autour de six provinces ecclésiastiques.

46- Alain Besançon, « Au seuil d’un pontificat. Essai sur le cardinal Joseph Ratzinger,élu pape sous le nom de Benoît XVI le mardi 12 avril 2005 », http://www.asmp.fr/fiches_academiciens/besancon_alire.htm : «Le fondamentaliste lit la Bible comme lesmusulmans lisent le Coran : deux textes infaillibles tombés du ciel. Le christianisme,sous cette forme, manifeste une structure analogique à celle de l’islam, et cela favorisele passage. C’est pourquoi la mission évangélique, pour la première fois dans l’histoiredes missions chrétiennes en terre musulmane, remporte des succès appréciables. »

47- Cité par Lesourd, Paul, Les pères blancs du Cardinal Lavigerie, Paris, Grasset, 1935, p. 167 Google Scholar.

48- Présentation d’une association franco-kabyle, Tafat Umasihi (Lumière des chrétiens) : «Notre association consiste à valoriser la culture kabyle qui nous a été transmisepar nos aïeux et défendre nos origines en matière de religion premièrement à savoir lechristianisme avec des pionniers comme saint Augustin ou saint Cyprien ; revendiquer notre identité si souvent bafouée au niveau linguistique : la langue amazighe, héritagede nos pères mais aussi nos valeurs, le folklore qui font la richesse de notre culture » :http://evangelique-kabyle.blog.mongenie.com.

49- Karima Dirèche-Slimani, , Chrétiens de Kabylie, 1873-1954. Une action missionnairedans l’Algérie coloniale, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2004 Google Scholar.

50- Le ministère des Affaires religieuses et la direction des Affaires religieuses de lawilaya de Tizi-Ouzou lancent, par ailleurs, une contre-offensive et avancent des chiffresrelatifs à la pratique de l’islam en Kabylie : 500 mosquées, 400 associations religieuses,18 zaouïas, chiffres censés démontrer l’attachement des Kabyles à leur religion.

51- Les premiers missionnaires étaient arrivés en Kabylie en 1873, soit peu de tempsaprès l’écrasement de la dernière grande insurrection de 1871, au moment où la Kabylierendait les armes et se soumettait définitivement à l’armée coloniale. La situation socialeet psychologique de la société kabyle était celle d’une société défaite qui avait capitulésans conditions. Pertes humaines, humiliations, répressions, séquestres… Le dénuementde la population était profond et généralisé, et le lien social détérioré. Cette situationpolitique renforça le sens de l’apostolat catholique : venir en aide aux plus démunis,prodiguer des soins, entrer dans l’intimité des groupes sociaux … et enfin convertir. Lespremières conversions furent celles des groupes les plus malmenés (veuves, orphelins,personnes âgées, malades).

52- On estime, aujourd’hui, les évangéliques (pentecôtistes, méthodistes, adventistes,baptistes…) à 500 millions sur 2 milliards de chrétiens. Voir le numéro spécial « Lesévangéliques à l’assaut du monde », Hérodote, 119, 2005.

53- Ibid. Un tiers des Coréens sont chrétiens et appartiennent, pour la grande majoritéd’entre eux, aux nouvelles Églises évangéliques. La mission coréenne est la deuxièmemission du monde après la mission américaine.

54- Eugène Casalis et Thomas Arbousset, missionnaires du Lesotho, ont passé quelquetemps en Algérie dans les années 1840. Janus Hocart et Émile Brès, pasteurs métho-distes, s’étaient installés à Ilmaten en Kabylie dans les années 1880. Voir Aïtabdelmalek, Zohra, Protestants en Algérie. Le protestantisme et son action missionnaire en Algérieaux XIX e et XX e siècles, Lyon, Éditions Olivetan, 2004 Google Scholar. La mission Rolland a été créée àTizi-Ouzou, en 1908, par un laïc de Montbéliard.

55- Nommé à Alger quelques mois avant le déclenchement de la révolution algérienne(novembre 1954), Mgr Duval dénonça très tôt l’usage de la torture et les violations desdroits de l’homme par l’armée française. Il fut surnommé avec dérision, par ses détrac-teurs et par les partisans de l’Algérie française, Mohamed ben Duval.

56- Propos de Mgr Alphonse Geroger, évêque d’Oran, interrogé pour un dossier intitulé«Évangélisation : un phénomène rampant », El Watan, 21 février 2008 : « Je dirais doncque nous, catholiques, sommes en dehors de ce débat sur l’évangélisation en Algérie.Concernant la loi régissant les cultes non musulmans, je pense que c’est une bonnechose qu’il y ait une loi mais il y a des aspects qui ne sont pas positifs. Il ne faut pas,en l’occurrence, que n’importe qui fasse n’importe quoi. »

57- L’assassinat des sept moines de Tibéhrine (près de Médéa à 100 km d’Alger) estl’objet d’une autre lecture plus complexe. Dans un long article, le père Armand Veilleux,procureur général de l’ordre des Cisterciens et chargé de suivre l’affaire, montre lesimplications des autorités militaires algériennes dans l’enlèvement des moines : Armand Veilleux, «Hypothèses de la mort des moines de Tibéhirine », Le Monde, 24 janvier2003. Il explique que leur présence dans la montagne se révélait encombrante pourl’armée algérienne chargée du ratissage du maquis islamiste. Attribuer leur enlèvementpar un islamiste (qui serait un agent des services secrets de l’armée algérienne infiltrédans le GIA) entrerait dans la stratégie d’éloignement des moines. Leur exécution seraitdue à un dérapage tragique de l’opération, à une bavure monumentale de l’arméealgérienne. «Le but de ce ‘vrai faux enlèvement’ était purementmédiatique : il s’agissaitde convaincre les hommes politiques et le peuple français des dangers de l’islamisme. »Il faut souligner que la mort des moines entraîne la fin de la présence de la dernièrecommunauté catholique contemplative d’Algérie. Cette lecture des faits vient d’être relancée, début juillet 2009, à Paris, par le témoignage inédit d’un général françaisrecueilli par le juge d’instruction antiterroriste qui confirme la thèse d’une bavure del’armée algérienne. Une bavure que Paris aurait couverte pour préserver ses relationsavec Alger. Voir «Les moines de Tibéhirine auraient été victimes d’une méprise del’armée algérienne », Jeune Afrique, 6 juillet 2009.

58- Mgr Tessier, Henri, Église en islam. Méditation sur l’existence chrétienne en Algérie, Paris, Centurion, 1984 Google Scholar ; Sanson, Henri, Christianisme au miroir de l’islam. Essai sur la rencontredes cultures en Algérie, Paris, Éd. du Cerf, 1984 Google Scholar.

59- Saad Lounès, «Les acteurs de l’évangélisation de la Kabylie », El Watan, 22 juillet2004.

60- Fédération qui est la branche française d’Arab World Ministries, organisation mis-sionnaire internationale qui agit sur le monde arabe et musulman, Maghreb et Moyen-Orient et sur les populations immigrées musulmanes en Europe.

61- Accueil du site web de la MENA : http://www.awm.org/fr/.

62- Selon le directeur de l’Observatoire d’études politiques, Charles Saint-Prot,«L’évangélisation s’appuie sur des réseaux », El Watan, 21 février 2008 : «Cette évan-gélisation vise en particulier certaines communautés musulmanes dont les originesethniques pourraient être utilisées pour des projets sécessionnistes et anti-arabes : c’est le cas avec les minorités kurdes d’Irak et de Syrie, mais aussi avec les Kabyles et lesBerbères au Maghreb. »

63- Comme par exemple la Joshua's Project : voir Mézié, Nadège, « Les évangéliquescartographient le monde. Le spiritual mapping », Archives des Sciences Sociales des Religions,142, 2008, p. 6385 CrossRefGoogle Scholar.

64- Élisabeth Dorier-Apprill et Robert Ziavoula, «La diffusion de la culture évangélique en Afrique centrale », Hérodote, op. cit., p. 129-156 : « Le flou de l’appartenanceecclésiale, qui résulte de la conception du rapport direct de l’individu au divin, peutêtre considéré comme caractéristique du ‘néo-pentecôtisme’ que l’on rencontre dansbeaucoup de villes africaines. La confusion d’interprétation est donc fréquente à proposde la ‘mouvance pentecôtiste’, qui est par définition hétérogène. »

65- Djmaledine Benchenouf, «La face cachée du prosélytisme évangélique en Algérie »,Algeria Watch, 2 septembre 2007 : http://www.algeria-watch.org/fr/article/analyse/proselytisme_evangelique.htm, montrait de façon réactive et surtout peu convaincanteles interactions entre réseaux financiers et politiques de l’ultra-droite conservatrice amé-ricaine, de la CIA, du Congrès américain, du mouvement des sionistes chrétiens et desgroupes évangélisés algériens. La démonstration cherche surtout à montrer l’importancedes intérêts et les positions acquises par les États-Unis dans l’économie algérienne et lesprotections dont bénéficieraient les convertis algériens acquis à leurs bienfaiteurs américains.

66- André Mary, «Les pentecôtismes : cultures globales et christianismes du Sud », inActes du colloque. Le fait religieux. Connaître et comprendre, 14 mars 2005, http://dafip.ac-aix-marseille.fr/actes_colloque/actes_2004_11.htm : « Cette religion d’inspiration protestante,très attachée à la Bible, est vraiment très peu préoccupée de théologie et ne s’embarrassepas beaucoup d’exégèse de textes, ni d’ailleurs de guides liturgiques. » Voir également Cox, Harvey, Retour de Dieu. Voyage en pays pentecôtiste, Paris, Desclée de Brouwer, 1995 Google Scholar, et Henry, Christine, « Le discours de la conversion », Journal des Africanistes, 68/1-2, 1998, p. 155172 CrossRefGoogle Scholar.

67- Femme, 31 ans, profession libérale.

68- Homme, 29 ans, ingénieur.

69- Cela n’empêche pas les mariages arrangés entre chrétiens qui répondent très sou-vent à deux critères exclusifs : kabyle et chrétien.

70- Homme retraité, 66 ans.

71- Homme, 56 ans, agriculteur.

72- De la même façon d’ailleurs que dans la tradition musulmane inspirée par un hadith(tradition coranique) : « Le musulman est le frère du musulman. Il ne lui fait pas d’injus-tices, ne le méprise pas et ne lui refuse pas son secours », et par le texte coranique :«Les croyants ne sont que des frères » (sourate 49, verset 10). Fraternité accentuée parla suite par les groupes salafistes et wahhâbites. Tous les groupes islamistes moderness’inspirent des frères musulmans (ikhwân al-muslimûn), organisation matrice créée en1928 par Hassan el-Banna.

73- A. Mary, «Les pentecôtismes… », art. cit. : « Cette culture (pentecôtiste) se caracté-rise enfin par un pragmatisme manifeste dans les réponses apportées aux problèmes desgens et de la souffrance (‘arrêtez de souffrir !’), et dans la mobilisation des ressources. »

74- Littéralement, ce qui est écrit. Dans l’usage courant, terme qui désigne le destin.

75- M., 30 ans, technicien supérieur.

76- Homme, 42 ans, fonctionnaire.

77- Homme, 37 ans, chômeur.

78- C’est une lecture de l’islam qu’on peut retrouver sur certains sites néo-évangéliquesqui dans une démonstration scientifique, ici une analyse sémiologique du texte cora-nique, tendent à prouver l’absence d’amour et de compassion dans la religion musul-mane. Exemple de commentaires d’un article intitulé L’amour de Dieu dans le Coran etrésumé ainsi «Dans le Nouveau Testament, l’amour inconditionnel deDieu est placé au centre de la Bonne Nouvelle de Jésus. L’étude du Coran révèle-t-elle un enseignementsimilaire ? », http://www.awm.org : «En étudiant le concept islamique de Dieu, il y aun siècle, Samuel Zwemer a noté que le Coran ne contenait que de très rares expressionsd’amour humain envers Allah (quatre versets utilisent des dérivés du verbe ‘habba’ dontaucun n’est un commandement). Il n’a pu s’empêcher de remarquer le contraste entrecet état de fait et ‘les enseignements nombreux et clairs du Nouveau Testament concer-nant l’amour que Dieu demande de l’homme et qui coule du cœur de Dieu versl’homme !’ Néanmoins la preuve doit être révélée par la lecture. Une lecture des versetscontenant les verbes ‘habba’ et ‘wadda’ montre clairement que l’amour d’Allah dans leCoran est réservé à ceux qui obéissent à ses commandements. »

79- Homme retraité, 66 ans.

80- Tribus arabes (de la région du Nejd en Arabie) qui envahirent le Maghreb en 1051,les Banu-Hillal sont arrivés avec femmes et enfants (entre 200 000 à 250 000 personnesdont 50 000 guerriers) et se sont intégrés au substrat berbère d’Afrique du Nord.

81- Les sites évangéliques livrent régulièrement des informations sur les persécutionsau Pakistan, en Iran, au Nigeria… Voir, sur cet aspect de la question, le site de l’Allianceévangélique française.

82- On a constaté très souvent, au fil des entretiens, des discours expansionnistes surl’évangélisme dans le monde. Il faut rappeler que le sionisme chrétien, un courantpolitique et théologique né dans le milieu évangélique, a développé la théorie de ladouble alliance. Celle-ci se réalisera après le retour du Messie en Terre promise et aprèsavoir rassemblé l’ensemble du peuple juif qui garde toujours le bénéfice (de l’allianceet de l’élection) que Dieu a établi avec ses prophètes. Pour cela, il faut garantir lasécurité d’Israël qui permettra, par la suite, la conversion de tous les Juifs.

83- À propos du positionnement des convertis après la promulgation de la loi de 2006 :«La loi des hommes ne nous intéresse pas. Seule la loi du Christ nous guide. »

84- Homme, 29 ans, ingénieur.

85- Femme, 31 ans, profession libérale.

86- «Les chrétiens d’Algérie sous pression », La Croix, 6 avril 2008. Par ailleurs, cinqchrétiens sont arrêtés pour possession de littérature chrétienne en février 2008 et un prêtrecatholique d’Oran condamné à un an de prison avec sursis pour avoir célébré la messede Noël pour des migrants catholiques subsahariens et clandestins.

87- Affirmation proclamée par le ministre des Affaires religieuses, Bouabdallah Ghlamallah.

88- En référence à l’Évangile selon Saint Matthieu, 28, verset 19-20 : « Allez, faites detoutes les nations des disciples les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Espritet enseignez-leur à observer tout ce que j’ai prescrit. »

89- Roy, Olivier, L’islam mondialisé, Paris, Le Seuil, 2002 CrossRefGoogle Scholar.

90- Lemouvement tablighi (jama’a at-tablighi), créé à la fin des années 1920 dans la pénin-sule indienne, et le mouvement salafiste né d’un courant wahhâbbite en Arabie saoudite.

91- Khedimallah, Moussa, « Jeunes prédicateurs du mouvement tablighi. La dignitéidentitaire retrouvée par le puritanisme religieux ? », Socio-anthropologie, 10-1, 2001 Google Scholar :http://socio-anthropologie.revues.org/document155.html ; Amghar, Samir, « Le salafismeau Maghreb : menace pour la sécurité ou facteur de stabilité politique ? », Revue inter-nationale et stratégique, 67, 2007, p. 4152 CrossRefGoogle Scholar.

92- Le ministre des Affaires religieuses a même prononcé, en décembre 2006, un avisjuridique (une fatwa) contre ces pratiques.

93- Femme au foyer, 65 ans.