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Fabienne P. Guillén et Roser Salicrú i Lluch Ser y vivir esclavo. Identidad, aculturación y agency (mundos mediterráneos y atlánticos, siglos xiii-xviii), Madrid, Casa de Velázquez, 2021, 290 p.

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Fabienne P. Guillén et Roser Salicrú i Lluch Ser y vivir esclavo. Identidad, aculturación y agency (mundos mediterráneos y atlánticos, siglos xiii-xviii), Madrid, Casa de Velázquez, 2021, 290 p.

Published online by Cambridge University Press:  25 April 2024

José Antonio Martínez Torres*
Affiliation:
jmtorres@geo.uned.es
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Abstract

Type
Race et esclavage (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Comme à l’Antiquité et au Moyen Âge, les esclaves en Europe aux xvi e et xvii e  siècles sont majoritairement blancs, résultat des expéditions punitives que les États les plus importants de l’époque avaient décidé de lancer contre les populations rivales et voisines. Cependant, il se trouve aussi des esclaves noirs, bien que le grand moment de l’esclavage des Noirs soit les xviii e et xix e  siècles. La plupart des esclaves noirs présents dans l’Europe de la première modernité ont été capturés sur les côtes de l’Afrique de l’Ouest par les Portugais qui, de 1415 (prise de la ville de Ceuta) jusqu’au milieu du xvii e  siècle, font de ce continent leur principale navette pour les grandes opérations commerciales vers les Amériques et l’Asie grâce à un système efficace de fortifications et d’usines.

Les esclaves noirs des populations du sud de l’Europe sont principalement utilisés pour le service domestique, l’exploitation minière ainsi que la culture et le raffinage de la canne à sucre. Cette dernière culture, que les Européens ont apprise des musulmans lorsqu’ils les ont combattus lors des croisades (1095-1211), était importante à Chypre et en Sicile aux xvi e et xv e  siècles, et a même bénéficié de l’attention de monarques tels qu’Alphonse V d’Aragon (1396-1458). L’introduction d’esclaves aux Açores, aux Canaries, à Madère et au Cap-Vert est un peu plus tardive et s’appuie sur la main-d’œuvre musulmane.

En Amérique, et plus particulièrement au Brésil, la culture de la canne à sucre est fondamentale depuis que João III (1502-1557) a légalisé l’importation de main-d’œuvre noire en 1549. L’expansion de l’industrie sucrière et l’enrichissement de certaines familles ayant misé sur cette culture, déjà incontestables à la fin du xvi e et au début du xvii e  siècle, s’accompagnent de l’arrivée d’un nombre croissant d’esclaves en provenance des côtes de l’Afrique de l’Ouest. Entre 40 000 et 50 000 esclaves africains, presque tous originaires de l’île de São Tomé, du Congo et de l’Angola, arrivent au Brésil entre 1576 et 1591 pour travailler dans les plantations de sucre brésiliennes. Philippe II (1527-1598), comme son père l’empereur Charles Quint (1500-1558) avant lui, signe une série de contrats au début des années 1580 pour assurer l’approvisionnement en esclaves de l’Amérique. Le travail dans les plantations et les mines est, par conséquent, plus ou moins garanti. Cet approvisionnement en main-d’œuvre servile s’est perfectionné lorsqu’en 1595 la couronne espagnole signe avec Pedro Gómez Reinel, un important marchand portugais d’Angola, l’engagement d’envoyer chaque année 4 250 « esclaves vivants » aux Indes. Plusieurs autres entrepreneurs succèdent à Reinel et le système perdure – avec une brève interruption entre 1609 et 1615 – jusqu’en 1640, date à laquelle la couronne portugaise se sépare de la monarchie espagnole après une longue guerre d’usure dans laquelle les colonies portugaises sont également impliquées.

Dès le début du xviii e  siècle, la Hollande, la France et la Grande-Bretagne internationalisent la traite négrière, brisant le monopole ibérique et réduisant le taux de mortalité des esclaves grâce à une série d’améliorations en matière de transport, d’hygiène – les négriers ont pour obligation d’embarquer un chirurgien à bord des navires – et de nourriture. D’environ 30 % de décès lors de la traversée de l’Atlantique à la fin du xvii e  siècle, le taux tombe à 15 % au xviii e  siècle. Contrairement à la période précédente, l’esclave du xviii e  siècle est une marchandise beaucoup plus chère pour l’armateur et sa vente sur les marchés doit assurer à ce dernier un bénéfice substantiel. L’accélération de la traite entre 1740 et 1750 est spectaculaire. D’ailleurs, 60 % de la traite européenne se concentre au xviii e  siècle, 33 % au xix e  siècle et seulement 7 % aux xvi e et xvii e  siècles.

Malgré les efforts d’historiens comme Olivier Grenouilleau, nous sommes encore loin de disposer d’une histoire complète de l’esclavage dans le sud de l’Europe entre la fin du xvi e  siècle et le début du xix e  siècle. Le volume de ce trafic reste une question à élucider. Alessandro Stella et Bernard Vincent, qui sont deux des meilleurs spécialistes du sujet, avancent le chiffre raisonnable d’un peu plus d’un million de personnes. Or, nous ne disposons pas de chiffres sur les marchés aux esclaves, surtout pour celui de Lisbonne, le plus important de la péninsule Ibérique en termes de commerce d’esclaves. Des recherches et des propositions sur la base des sommes disponibles doivent se poursuivre. Des hypothèses ont été avancées à partir des pourcentages de la population servile dans certaines villes andalouses. À Séville, par exemple, entre la fin du xvi e et le début du xvii e  siècle, les esclaves représentaient entre 7 et 8 % de la population. Malaga, à la même époque, aurait compté entre 10 et 11 % d’esclaves, peut-être le même pourcentage que Lisbonne. Dans le sud de l’Italie et de la France, il y avait également des esclaves, mais en nombre probablement beaucoup moins important qu’en Espagne et au Portugal. Au nord d’une ligne reliant Lisbonne, Madrid, Valence et Florence, l’esclavage, quand il existe, est très ténu. Cela signifie que le travail effectué par les esclaves dans le sud de l’Europe est réalisé par d’autres dans le nord de l’Europe, mais dans des conditions de précarité presque similaires. Il faut donc penser le problème des personnes dépendantes dans son ensemble, globalement. En France, par exemple, d’importantes recherches récentes ont montré que les domestiques ont de nombreux points communs avec les esclaves. Certes, ils s’en distinguent par le fait qu’ils sont libres, ce qui est beaucoup, mais les conditions de travail ne sont souvent pas très différentes.

L’ensemble des études réunies par Fabienne P. Guillén et Roser Salicrú i Lluch sous le titre Ser y vivir esclavo part de certaines des lacunes et prémisses méthodologiques mentionnées ci-dessus, et les dépasse même toutes lorsque les chercheuses mentionnent dès les premières pages de leur livre que les études quantitatives sur l’esclavage, « tout en fournissant un soutien essentiel, sont particulièrement prudentes dans l’exploration des interactions entre les esclaves et l’environnement qui les entoure, laissant une grande partie de l’histoire sociale de l’esclavage non écrite » (p. 4-5). De plus, « la recherche quantitative ne peut faire autrement que d’être confrontée à un moment ou un autre à la question cruciale de savoir comment les esclaves s’adaptent à leur nouvel environnement social, comment ils s’identifient, ou comment un statut juridique qui les rend incapables d’agir pour ou en leur nom propre pèse sur leur marge de manœuvre » (p. 5).

Le sous-titre de ce volume, « identité, acculturation et agency  », est présent dans toutes les contributions, explicitement ou implicitement, et les concepts qu’il met en avant ne sont pas absolus mais changeants, comme la réalité dans laquelle ils s’inscrivent. Que signifie être un esclave dans l’Europe des xvi e et xvii e  siècles ? De la réalité juridique à la pratique sociale, il existe un large éventail de nuances qui rendent impossible toute généralisation. Ainsi, avec les Siete Partidas d’Alphonse X le Sage, il existait en Castille une réglementation permettant de réduire un être humain en esclavage, mais aussi de s’offrir volontairement comme esclave dans le cadre d’un appel d’offres au plus offrant. L’esclavage n’est pas un statut fixe, car il est soumis à des changements constants, et l’esclavage des Noirs n’est certainement pas le même que celui des Blancs. L’esclave en général, dans la mesure où il fait partie d’un groupe social différent de celui d’origine, est soumis à un nouveau processus de socialisation, adoptant ainsi une nouvelle identité qui n’est pas nécessairement pire que celle d’origine. Comme le montre cet ouvrage, il y a eu des esclaves blancs, comme dans le cas des chrétiens capturés par les corsaires musulmans, qui ont été envoyés travailler dans les mines et les galères d’Alger et de Turquie dans des conditions très dures. D’autres esclaves, en revanche, ont accédé à des postes militaires et politiques de premier plan au sein des États de l’Islam parce qu’ils ont décidé de renoncer à leur foi et de faire valoir leurs compétences et leurs qualités. Dans le cas inverse, celui des esclaves noirs, il est plus difficile de trouver des exemples d’ascension sociale, mais certains parmi eux se sont mariés, ont eu des enfants et ont créé de petites entreprises prospères grâce aux économies qu’ils avaient réalisées par leur travail pendant leurs longues années de privation de liberté.

Il ne fait aucun doute que la question de l’identité est un sujet de réflexion récurrent dans ce volume. Pour les auteurs et autrices de cet ouvrage, être esclave implique une perte d’identité, mais aussi un gain, car tous ont fini par embrasser une nouvelle nature identitaire avec les processus d’acculturation et de subjectivation correspondants. Sur ce point précis, les chercheurs et chercheuses de cette étude ont recueilli un large éventail de documents notariaux qui montrent que les esclaves étaient considérés comme des êtres grossiers et immoraux, au même titre que les animaux avec lesquels ils partageaient souvent l’espace. Il incombait aux propriétaires de les corriger et de leur donner des ordres, par exemple sur la manière dont ils devaient s’habiller. Tous ces individus, privés de liberté pendant tous ces siècles, comme le reste des membres de la société européenne de l’Ancien Régime, avaient des identités multiples, qui n’étaient en aucun cas immuables, prises dans un processus constant de transformation et de reconfiguration. Pour l’histoire sérielle, l’opposition esclave/libre peut être pertinente afin d’expliquer certaines situations. Cependant, comme le rappelle ce livre, il est plus enrichissant de se tourner vers la dichotomie homme/femme, vieux/jeune, chrétien/musulman, instruit/analphabète. Cela permet sans doute d’expliquer les nombreux paradoxes qui se sont produits au cours de ces siècles.

Un autre succès de cette recherche est de proposer l’utilisation des concepts d’« acteur » et d’« agent » issus de l’anthropologie et de la sociologie pour les études futures sur l’esclavage. Comme nous le savons, les acteurs sont intégrés dans un cadre délimité par des règles de coexistence et, en conséquence, ils agissent ou n’agissent pas. Cependant, un acteur est aussi un acteur parce qu’il peut modifier et changer les structures dans lesquelles il agit en créant des espaces de résistance et de subversion. Pour un acteur, le contexte détermine son comportement, tandis que l’agent peut façonner quelque peu son contexte. Des exemples de ce dernier type se trouvent dans le livre, mais celui des esclaves de Barcelone à la fin du Moyen Âge qui, en violation des règlements municipaux, s’échappent, la nuit, des maisons de leurs maîtres pour rejoindre d’autres esclaves afin d’accomplir les rites et les coutumes de leurs populations d’origine est particulièrement frappant. Ces pratiques étaient plus ou moins récurrentes, et même les châtiments corporels ne parvenaient pas à les empêcher.

En résumé, il s’agit d’un livre solide qui démontre à quel point le dialogue entre l’histoire sérielle économiquement biaisée et la casuistique particulière qui résulte de l’examen minutieux des archives et de diverses bibliothèques est fructueux, enrichissant et nécessaire. Comme le font ici les auteurs et autrices, il est nécessaire de faire ressortir la dimension plus humaine de l’esclavage, et cela ne peut se faire qu’en combinant des micro-perspectives avec des stratégies d’étude multidisciplinaires.