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Temporalités en regard Le Vieil Ordre amish entre slow et fast time
Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
Résumés
Affecté par la modernisation américaine, l’Old Order Amish, communauté traditionnelle héritière de l’anabaptisme européen, connaît une transformation de son rapport au temps. Le propos analyse ces changements de temporalité qui distinguent deux temps, l’un dit slow, l’autre fast. Ce manichéisme conceptuel articule les représentations que les amish se font de la tradition et de la modernité. Temps du monde moderne, le fast time gagne aussi l’univers communautaire amish et oblige les fidèles à des adaptations pratiques et sémantiques qui puissent rendre cette intrusion compatible avec l’univers de la tradition. L’utopie et l’exaltation d’un retour à la terre délaissée pour l’artisanat apparaissent alors comme une tentative de sortie de ce dualisme temporel.
Summary
The Old Order Amish, a religious minority and a traditional community originating in European anabaptism, faces the modernization of its American environment. Its relationship to time is being affected. A “slow time” and a “fast time” are recognized that respectively encompass traditional society and modern world. The fast time also interferes with the amish community and way of life. Practical and semantic adaptations are sought to sort out this temporal entanglement. Utopia taking the form of a return to an agrarian life style abandoned for cottage industry appears as a possible way out of this difficulty.
- Type
- Observatoires du religieux Expériences, attitudes
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2002
References
1 - L’anabaptisme constitua une expression radicale de la Réforme. Conrad Grebel et Felix Manz, disciples dissidents du réformateur Zwingli, furent à la tête de ce mouvement émergent qui présentait les caractéristiques du modèle de la secte tel qu’il fut défini par Max Weber et Ernst Troeltsch. Les pères de cette nouvelle religiosité reprenaient à leur compte l’idéal communautaire des premières Églises chrétiennes. Ils aspiraient à former des assemblées régénérées de croyants adultes, volontaires et convaincus, unis par la foi et par le projet de suivre littéralement les enseignements du Christ énoncés dans la Bible. Ne reconnaissant pour toute autorité que celle de Dieu, ils se voulaient indépendants par rapport à l’Église instituée et à l’État. Le refus de prêter serment, celui de prendre les armes et la revendication du droit de nommer leurs propres pasteurs constituèrent les principales modalités de l’opposition à l’ordre établi. C’est toutefois la dénonciation du pédobaptême et le rebaptême des adultes, inauguré entre adeptes le 17 janvier 1525, qui fondèrent le mouvement en tant que tel et lui valurent sa désignation. Son éclatement géographique en réponse aux persécutions religieuses entrava sa consolidation et son unification autour d’une même discipline. Les particularismes régionaux s’exacerbèrent en traditions de croyances et de pratiques différentes, favorables au schisme. En 1693, l’anabaptisme sescinda en deux obédiences, mennonite et amish, reflétant les divergences entre les courants suisse et alsacien.
2 - Yoder, Paton, Tradition and Transition: Amish Mennonite and Old Order Amish 1800-1900, Scottdale, Herald Press, 1991, chap. 7Google Scholar, analyse les controverses de cette époque. Les « libéraux » se sont regroupés sous la dénomination « amish mennonites ». Poursuivant leur acculturation, ils ont rejoint la Conférence des Églises mennonites. On se référera aussi, pour une mise en perspective de la formation des « Vieux Ordres » et du contexte religieux américain, à Stauffer-Hostetler, Bellah, « The Formation of the Old Orders», Mennonite Quarterly Review, 66, 1992, pp. 5–26 Google Scholar.
3 - Il n’existe pas de décompte exact de la population amish dans son ensemble. Tout au plus certaines colonies tiennent-elles un registre des familles par districts. Les estimations indiquées sont celles que permettent le taux de croissance de la population à partir des recensements effectués par Luthy, David, « Amish Migration Patterns», in Kraybill, D., The Amish Struggle with Modernity, Hanover, University Press of New England, 1994, pp. 243–259 Google Scholar. Indicatives, ces données taisent néanmoins la distinction fondamentale entre non-baptisés et baptisés. Seuls ces derniers sont membres à part entière du Vieil Ordre et volontairement assujettis à la règle des congrégations. Le nombre des moins de dix-huit ans, 53,2% dans la colonie de Lancaster en Pennsylvanie, permet toutefois d’approcher la part respective de ces deux populations, sachant que le baptême intervient à l’âge adulte ( Kraybill, Donald, The Riddle of Amish Culture, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1989, p. 263 Google Scholar).
4 - On se reportera à ce propos à Randaxhe, Fabienne, «Vers une modernité technique et religieuse. Trajectoires anabaptistes aux États-Unis», Ethnologie française, 4, 2000, pp. 611–619 Google Scholar.
5 - A titre d’exemple, les adeptes ont approuvé les batteries de douze volts, les générateurs, les lampes de poche, l’air comprimé, les moteurs hydrauliques, les machines à laver le linge non électriques, les réfrigérateurs au gaz, les gazinières en lieu et place des cuisinières à bois ou charbon, les machines à coudre à air comprimé remplaçant le système à pédale, les trayeuses mécaniques, les batteuses tirées par les chevaux, les téléphones communautaires installés en bordure des fermes, ou encore la location de taxi.
6 - Randaxhe, Fabienne, « La modernité à l’aune de la tradition: les amish de Pennsylvanie», Bastidiana, 25-26, 1999, pp. 187–204 Google Scholar.
7 - Textes historiques, ils traitent l’un et l’autre de l’anabaptisme européen et de la période tragique des persécutions.
8 - L’ouvrage de Seguy, Jean, Les assemblées anabaptistes-mennonites de France, Paris-La Haye, Mouton, 1977 Google Scholar, retrace l’évolution sociale et géographique de l’anabaptisme qui, tout d’abord urbain et intellectuel, devint rural et paysan.
9 - Le service se déroulant chez les fidèles, l’effectif des congrégations est de fait limité par la surface des demeures; il atteint au maximum deux cents personnes.
10 - L’affiliation correspond à un ensemble de congrégations apparentées par la concordance de leurs règles de conduite. Les adeptes traduisent ce principe par la notion de full fellowship qui, outre l’harmonie des disciplines, signifie le partage possible de la communion et le droit pour un fidèle ordonné de prendre part au sermon lors d’une visite dominicale à une congrégation amie. Les principaux groupes affiliés sont les Old Order Amish, les New Order Amish ou encore les Beachy Amish.
11 - Bender, Harold S., « The First Edition of the Ausbund », Mennonite Quarterly Review, 3, 1929, pp. 147–150 Google Scholar.
12 - La posture de la Gelassenheit est au centre de l’être amish. Elle témoigne d’une filiation entre la pensée de maître Eckhart, à l’origine de la mystique rhénane, et l’anabaptisme. Cette attitude est à rapprocher de la notion de « détachement » qui correspond à l’Abegescheidenheit eckhartienne. De Certeau, Michel, La Fable mystique, Paris, Gallimard, 1982, p. 232 Google Scholar, évoque la « Gelassenheit » telle qu’elle apparaît sous la plume de maître Echkart et chez les auteurs mystiques des XVIe et XVIIe siècles. Pour un usage de ce terme historique chez les anabaptistes, voir Friedmann, Robert, « Gelassenheit», The Mennonite Encyclopedia, 2, Scottdale, Herald Press, 1956, pp. 444–449 Google Scholar. Cronk, Sandra, «Gelassenheit: The Rites of the Redemptive Process in Old Order Amish and Old Order Mennonite Communities», Mennonite Quarterly Review, 55, 1981, pp. 5–44 Google Scholar, montre que la Gelassenheit participe du processus rédempteur qui affirme l’ordre moral quotidien du Vieil Ordre en s’opposant aux rites par lesquels la société nord-américaine actualise son propre ordre moral.
13 - Evans-Pritchard, Edward, Les Nuer. Description des modes de vie et des institutions politiques d’un peuple nilote, Paris, Gallimard, 1968 Google Scholar, chap. 3.
14 - Hall, Edward, The Dance of Life. The Other Dimension of Time, New York, Anchor Press, 1983 Google Scholar.
15 - Ce temps éprouvé exalte l’instant vécu. Il inscrit l’adepte dans un hic et nunc dont l’accès se trouve en définitive fermé par le retrait du monde qu’organise la règle communautaire et par la croyance en un Dieu maître de l’avenir.
16 - Une femme à qui je disais ne pas avoir un moment pour rendre visite à une connaissance commune me fit remarquer: «Tu parles comme une Américaine. Les Américains sont toujours occupés et pressés. Ils ne savent pas rester tranquilles. » Elle s’étonnait que l’on puisse appréhender le temps comme une denrée épuisable que l’on possède ou dont on manque. Affirmer « I have no time » trahissait pour elle un trait identitaire.
17 - De retour en Pennsylvanie après deux ans d’absence, je suis allée saluer la famille qui, la première, m’avait accueillie. A mon arrivée dans la cour de leur maison, mes hôtes notèrent avec amusement que je m’étais modernisée et circulais maintenant comme une English. J’avais en effet abandonné un vieux vélo rouillé au profit d’une voiture qui, je l’espérais, mais à tort, passerait inaperçue.
18 - Berger, Peter, Affrontés à la modernité. La société, la politique, la religion, Paris, Centurion, 1980, p. 101 Google Scholar.
19 - Gurvitch, Georges, « La multiplicité des temps sociaux », in La vocation actuelle d la sociologie, t. 2, Paris, PUF, 1963, pp. 325–430 Google Scholar.
20 - La situation est parfois très lourde. Une femme de trente-cinq ans, responsable d’un atelier prospère et qui venait de donner naissance à son huitième enfant, faisait observer à son mari: « Si je continue comme ça d’avoir des enfants, je vais devoir arrêter l’entreprise. »
21 - Au sujet de la modernité de la famille, se reporter à Shorter, Edward, Naissance de la famille moderne. XVIIIe-XXe siècle, Paris, Le Seuil, 1977 Google Scholar.
22 - 30% des jeunes hommes possèdent un véhicule, 40% ont leur permis et 70% conduisent à un moment ou à un autre ( Kraybill, Donald, The Riddle of Amish Culture, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1989, p. 138 Google Scholar).
23 - Les filles demandent de nos jours le baptême plus tôt que les garçons. Renoncer aux usages et aux biens du monde semble plus facile pour elles. Pourtant, elles aussi sont en contact avec le monde extérieur, à l’occasion d’un travail ou à la faveur de vacances. A l’instar de leurs frères, certaines finiront par renoncer au baptême et à devenir amish. Selon les ministres, 80 % des jeunes deviennent cependant amish. Cette estimation est difficile à vérifier, les parents préférant se taire au sujet de leurs enfants non amish. Il n’est pas exclu que ce pourcentage représente pour la communauté le seuil de fuite moralement acceptable.