Hostname: page-component-cd9895bd7-gbm5v Total loading time: 0 Render date: 2024-12-21T12:45:03.212Z Has data issue: false hasContentIssue false

L’éthique et l’éthos de la profession chez les avocats en droit criminel et en droit social

Published online by Cambridge University Press:  02 May 2024

Évelyne Jean-Bouchard*
Affiliation:
Professeure adjointe, Faculté de droit, Université de Sherbrooke, Québec, Canada
Pierre Noreau
Affiliation:
Professeur titulaire Faculté de droit, Université de Montréal, Québec, Canada
*
Auteur correspondant: Évelyne Jean-Bouchard; Email: evelyne.jean-bouchard@usherbrooke.ca
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Résumé

Quelle relation les avocats entretiennent-ils avec les exigences éthiques de leur profession? Ce texte pose l’hypothèse qu’il existe un décalage entre la définition déontologique, universelle et abstraite établie par le Code de déontologie des avocats et les prises de décisions éthiques prises au quotidien par les professionnels du droit dans le contexte de leur domaine de pratique et des relations qu’ils tissent avec leurs clients, leurs collègues et l’administration judiciaire. Ainsi, nous avons identifié les différents sites de socialisation où les professionnels sont susceptibles de faire l’apprentissage des normes propres à leur pratique. Nous nous sommes alors plus directement intéressés aux dimensions systémiques et institutionnelles de celle-ci. À partir des résultats d’une série d’entretiens semi-directifs menés auprès d’avocats en droit criminel et en droit social, nous avons pu constater que leurs prises de décisions éthiques étaient fortement influencées par les manières d’être et les logiques de pratique au sein de leur communauté, c’est-à-dire par l’ethos spécifique à leur profession.

Abstract

Abstract

What relationship do lawyers have with the ethical requirements of their profession? This text hypothesizes that there is a gap between the universal and abstract deontological definition established by the Code of Professional Conduct of Lawyers and the daily ethical decision-making by legal professionals in the context of their field of practice and the relationships they establish with their clients, colleagues, and the judicial administration. Thus, we have identified various socialization sites where professionals are likely to learn the norms specific to their practice. We then focused more directly on the systemic and institutional dimensions of the process. Based on the results of a series of semi-structured interviews conducted with criminal and social law attorneys, we found that their ethical decision-making was strongly influenced by the ways of being and the practices within their community, that is, by the specific ethos of their profession.

Type
Research Article/Article de Recherche
Creative Commons
Creative Common License - CCCreative Common License - BY
This is an Open Access article, distributed under the terms of the Creative Commons Attribution licence (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted re-use, distribution and reproduction, provided the original article is properly cited.
Copyright
© The Author(s), 2024. Published by Cambridge University Press on behalf of Canadian Law and Society Association / Association Canadienne Droit et Société

Introduction

Quelle relation les praticiens du droit, et plus particulièrement les avocats, entretiennent‑ils avec les exigences éthiques de leur profession? Cette question pose le problème de l’éthos de la profession juridique. Sur le strict plan de la normativité, la lecture du Code de déontologie des avocats (RLRQ, c B-1) devrait suffire à saisir la nature de la profession, mais dans quelle mesure les considérations éthiques et déontologiques influent-elles sur la pratique quotidienne du droit? Ce texte s’articule autour de l’hypothèse qu’il existe un décalage entre la définition déontologique, universelle et abstraite établie par le Code de déontologie des avocats et les prises de décisions éthiques prises au quotidien par les professionnels du droit dans le contexte de leur domaine de pratique et des relations qu’ils tissent avec leurs clients, leurs collègues et l’administration judiciaire.

Aux fins de cet article, nous utilisons le terme « pratique » dans sa définition sociologique, c’est-à-dire qui se rapporte à une façon de faire, une action socialement transmise ou envisagée dans un contexte socialFootnote 1. Ainsi, pour valider cette hypothèse, nous avons identifié les différents sites de socialisation où les professionnels sont susceptibles de faire l’apprentissage des normes propres à leur pratique, que ce soit dans le cadre de leur formation en faculté de droit, au sein de leur ordre professionnel ou dans le cadre de leur domaine de pratique. Nous nous sommes plus directement intéressés ici aux dimensions systémiques et institutionnelles de la pratique du droit. La dimension systémique renvoie à la logique d’action qu’impose chaque domaine du droit aux praticiens qui l’exercent. D’autres facteurs sont plutôt associés à la variable institutionnelle ou organisationnelle. C’est notamment le cas de l’influence directe que chaque communauté de pratique exerce sur la culture organisationnelle du champ juridictionnel auquel elle est rattachée. Ces dimensions systémiques et institutionnelles (ou organisationnelles) interagissent de manière continue, de sorte que l’éthos d’une pratique qui renverrait normalement à une logique d’action particulière (de nature systémique) se trouve souvent compromise dans ses interactions avec des aspects plus proches des réalités institutionnelles, organisationnelles ou même matérielles. Il s’ensuit que la pratique empirique observée, c’est-à-dire celle qui repose sur une expérience commune des praticiens et qui dictera leurs comportements réels, est susceptible de dévier de sa position éthique d’origine (Figure 1). Notre analyse s’inscrit donc dans une perspective sociologique qui vise à relever les manières d’être et les logiques de pratique au sein d’une communauté professionnelle (ethos), plutôt qu’en vertu d’une approche plus individuelle fondée notamment sur les tenants de l’éthique appliquéeFootnote 2.

Figure 1. La pratique empirique du droit entre ses dimensions systémiques et institutionnelle.

I. Méthode, échantillonnage et cadre d’analyse

Cette recherche a été réalisée dans le cadre du projet Accès au droit et à la justice (ADAJ). Elle s’appuie sur l’analyse de contenu de quinze entretiens semi‑dirigés menés auprès d’avocats œuvrant au Québec dans le domaine des accidentés de la route (six) et du droit criminel (neuf). Il s’agit de leur domaine de pratique principal, mais sans être le seul. Les entrevues ont été conduites à distance via des logiciels de vidéoconférence au cours des mois de janvier à mai 2021. Elles avaient comme objectif de connaître leur conception de la déontologie et de l’éthique, d’identifier certaines pratiques controversées spécifiques à leur milieu et de comprendre la relation qu’ils entretenaient avec leurs collègues ainsi que les rapports qu’ils entretenaient avec leur ordre professionnel. L’analyse de contenu a été réalisée sur une base thématique en recourant au logiciel N*Vivo. L’anonymat des informateurs interviewés a été préservé tout au long de la recherche. Aux fins de l’exploitation et de l’analyse des données d’entretien, la notion d’« occurrence » est fréquemment utilisée. Elle renvoie au nombre d’extraits (d’occurrences) tirés de l’ensemble des entretiens réalisés auprès de nos informateurs (ici les avocats interrogés aux fins de l’enquête). Ces extraits se rapportent selon le cas à l’une ou l’autre de nos catégories d’analyse. Le recours au nombre d’occurrences enregistrées concernant un aspect ou un autre de l’analyse ne vise pas l’établissement d’une vérité statistique. Il permet surtout de mesurer la récurrence de nos observations, c’est-à-dire de circonscrire une tendance suffisamment forte pour nous permettre de tirer une conclusion valable des données d’enquête dont nous disposonsFootnote 3.

Le cadre d’analyse auquel nous avons eu recours ici pour traiter les données recueillies distingue les variables systémiques et institutionnelles qui interfèrent dans l’analyse que font les praticiens des exigences pratiques et éthiques de leur activité professionnelle. Bien que complémentaires, ces variables seront développées séparément dans les prochaines sections.

II. La dimension systémique

La déontologie professionnelle vise à réguler les situations rencontrées par un corps de personnes exerçant la même activité. Elle est donc utilisée pour définir et encadrer des devoirs de nature professionnelleFootnote 4. Elle s’inscrit ainsi dans une dimension systémique qui se rapporte au domaine de pratique de chaque avocat. On peut en effet supposer que les avocats œuvrant dans le domaine du droit du travail inscrivent leur pratique dans un cadre différent de ceux qui œuvrent en droit de la jeunesse. Les praticiens doivent chaque fois naviguer dans un univers particulier. Celui-ci impose un équilibre également différent entre l’intérêt de la justice, l’intérêt de leurs clients et leur propre intérêt en tant que professionnels. Sur le marché du service juridique, la propension des praticiens à privilégier un intérêt plutôt qu’un autre est ainsi caractéristique de leur champ d’activité professionnelle et, par extension, du domaine du droit où ils exercent. Ces tendances renvoient surtout à des facteurs situationnels et contextuels, plutôt qu’aux prédispositions morales propres à chaque praticien.

Par exemple, les perceptions des avocats à l’égard du système juridique et de la moralité du droit en général affectent la façon dont ils abordent les décisions comportant une dimension éthiqueFootnote 5. En fait, dans le cadre de leurs pratiques, les avocats doivent sans cessent tenter d’équilibrer des intérêts qui sont souvent contradictoires : l’intérêt de la justice, l’intérêt du client et l’intérêt du praticien lui-même en regard des exigences économiques de son activité et de la réalité du marché où elle se déploieFootnote 6. Des pratiques dont les finalités s’opposent peuvent survenir en raison des tensions qui sous-tendent ces différents intérêts. Le Code de déontologie entretient lui-même un certain flou en ce qui a trait aux intérêts que le praticien doit privilégierFootnote 7.

Par ailleurs, la façon dont les praticiens priorisent certains intérêts plutôt que d’autres favorise l’établissement de profils de pratique différents, chacun privilégiant un type spécifique de rationalisation éthiqueFootnote 8. On peut ainsi identifier quatre profils de pratique : la pratique accordée au profil de la représentation adversative (adversarial advocacy), la pratique dite responsable (responsible lawyering), le profil associé à l’activisme moral (moral activism) et le profil dit de la pratique relationnelle fondée sur l’éthique du care (ethics of care)Footnote 9. Ces rationalisations doivent être comprises comme des archétypes, au sens wébérien du termeFootnote 10. Elles circonscrivent un positionnement normatif particulier susceptible d’exprimer le consensus des acteurs d’un champ d’action donné sur la nature et les conditions de cette action. Butter résume de la manière suivante les caractéristiques de ces profils, en tenant compte de la compréhension que l’avocat entretient de son rôle social, des intérêts de son client et de ceux de la justice, mais également de ses inclinaisons personnelles à l’égard de principes substantifs souvent inspirés de référents externeFootnote 11. En raison des résultats de notre recherche, nous nous attarderons ici seulement sur les profils de la représentation adversative ainsi que de la pratique responsable.

Pour commencer, la représentation adversative est par sa nature même associée à un régime de type adversatif. Il découle du rôle social que les avocats sont appelés à jouer dans le cadre du processus judiciaire et du système juridique. Il combine des principes de parti pris et de non-responsabilité. Poussée à ses limites ultimes, cette approche impose au praticien qu’il résolve en faveur du client toute ambiguïté reliée au droit ou à l’exercice de ses propres devoirs professionnelsFootnote 12.

La pratique responsable pour sa part découle également de la place tenue par l’avocat au sein du système juridique et dans la société en général, mais elle se rapporte plus directement à son rôle en tant qu’officier de justice et gardien de l’organisation judiciaire. En tant que procureur agissant au nom de son client, l’avocat possède également l’obligation d’agir dans l’intérêt supérieur de la justice. Il doit donc faciliter l’administration de la justice et agir dans l’intérêt public en respectant les exigences imposées par la loi. Le devoir de représentation du praticien est ainsi tempéré par les exigences entourant le respect de la loi et la déférence due à l’autorité des tribunauxFootnote 13.

Dans le cadre de nos entretiens, le profil le plus fréquent dénoté chez les avocats de la défense en droit criminel est celui de la représentation adversative. En effet, il y a été relevé 18 fois sur 27 occurrences. Les avocats représentant les accidentés de la route ont en contrepartie tendance à privilégier la pratique responsable, fondée sur l’observance stricte de la normativité. Ainsi, tout au long de l’enquête, sur les 25 occurrences où le profil de la pratique responsable a été enregistré, 18 étaient tirées d’entretiens menés auprès des praticiens œuvrant dans le domaine des accidents automobiles, c’est‑à‑dire dans le domaine du droit social (et partant du droit administratif).

III. Les dimensions institutionnelles et organisationnelles de la pratique

Les dimensions institutionnelles et organisationnelles de la pratique renvoient aux aspects les plus concrets de l’activité professionnelle, que ces aspects soient associés aux dimensions relationnelles, procédurales ou matérielles de l’activité des avocats. Ces dimensions sont d’importance diverse selon le domaine où elles sont observées. Sur le plan institutionnel, elles sont inhérentes à différents éléments, notamment : aux exigences de preuve et d’expertise d’un certain domaine de pratique ou aux caractéristiques associées à la gestion d’instance dans certaines juridictions; à l’opacité de la normativité de référence ou à la nature particulière des relations entre praticiens et clients (par exemple en protection de la jeunesse ou en matière de maladie mentale); ou encore à la nature des relations entre avocats, notamment lorsque certains praticiens se trouvent en situation de dépendance ou d’infériorité à l’égard de l’avocat de l’autre partie. Des calculs stratégiques se trouvent inévitablement associés aux caractéristiques du cadre procédural propre de certaines instances ou de certaines juridictions. Sur le plan de la pratique observable (de la pratique empirique), tous ces aspects viennent menacer la posture idéale-typique qu’on s’attend voir adoptée par les praticiens de chaque domaine particulier du droit (tableau 1).

Tableau 1. Les profils de pratique.

Certaines dimensions institutionnelles ou organisationnelles de la pratique sont plus directement rattachées à une logique du marché. On ne renvoie pas seulement ici aux logiques procédurales, matérielles ou relationnelles dont il vient d’être question, mais à des dimensions plus directement liées à la nécessité pour les praticiens de maintenir leur place sur un certain « marché » et de s’assurer de la rentabilité personnelle ou collective de leur pratique, qu’il s’agisse de pratiques très « nichées » ou de pratiques « à volume ». Ces dimensions peuvent elles aussi se superposer aux cohérences systémiques entourant la définition du rôle des praticiens dans un certain domaine et la compromettre (figure 1). Les menaces dont on parle ici sont liées à la marchandisation graduelle des services juridiques. La logique du marché a entraîné des changements importants au sein de la profession, en raison notamment de l’introduction de nouvelles technologies et de nouvelles stratégies d’accroissement de la clientèle, associées aux exigences de la concurrence et aux objectifs poursuivis par les praticiens et pour leurs bureaux en termes de rentabilité et d’heures facturablesFootnote 14. Ces développements ont mené à l’adoption du managérialisme, c’est-à-dire d’une approche permettant que la pratique juridique soit gérée comme une activité d’entrepriseFootnote 15. Cette logique s’articule différemment selon les domaines que nous avons étudiés. En droit criminel, elle se rapporte surtout aux enjeux liés à la tarification de l’aide juridique qui poussent certains praticiens à privilégier les défenses de culpabilité dans le contexte d’une pratique à haut volume. Les avocats qui représentent les accidentés de la route étaient surtout, pour leur part, concernés par le coût des expertises médico-légales, qu’ils considéraient comme un enjeu majeur d’accès à la justice pour les citoyens. La structure de rémunération des différents cabinets qui, dans ce domaine, fonctionnent majoritairement à pourcentage a aussi été soulevée par plusieurs des praticiens rencontrés. En effet, pour certains observateurs externes, cette structure peut paraître contraire à l’éthique, car les avocats sont susceptibles de ne vouloir « gagner la cause » de leur client que pour des raisons financières, toujours dans le contexte d’un régime d’indemnisation publique sans égard à la faute, où la pratique adversative n’a théoriquement pas sa place.

Au rang des problèmes associés à la pratique du droit, les tensions engendrées par la logique du marché sont parmi les plus fréquemment relevées. Nous analyserons dans cette section l’expérience des praticiens en droit social et en droit criminel. Nous verrons en effet que, malgré le fait qu’elles soient toutes deux liées sur le plan systémique au rôle social que les avocats sont amenés à jouer au sein du système de justice (que ce soit dans le cadre de la pratique responsable ou de la pratique adversative), ces praticiens ont tendance à privilégier des intérêts opposés lorsqu’ils se retrouvent confrontés aux réalités très concrètes de leur pratique : contraintes procédurales, règles de preuve, asymétrie d’ascendant, rentabilité de la pratique, etc., qui toutes renvoient à la variable institutionnelle et organisationnelle de notre étude.

À la lumière de ces constats, nous avons choisi d’analyser les pratiques des avocats selon les circonstances particulières de leur domaine de spécialisation. En effet, si chaque praticien doit composer avec des enjeux spécifiques, que ce soit dans ses relations avec ses clients, avec ses collègues ou avec le système de justice, les résultats de notre étude montrent que ces éléments sont souvent tributaires du contexte et du cadre particuliers de leur pratique. Ces conditions concrètes (institutionnelles ou organisationnelles) viennent en effet favoriser le développement de pratiques marginales en regard de la posture déontologique (ici systémique) propre à leur domaine. Ces conditions se rapportent alors aux contraintes exercées par une certaine culture juridique interne.

Sur le plan de sa fonctionnalité courante, la culture de chaque organisation (ici de chaque juridiction ou de chaque domaine) facilite implicitement la coordination des activités qui y sont menées, des décisions prises au sein de leur structure et des acteurs qui y sont engagés. Cette culture se compose de points de vue, de croyances et d’interprétations communément partagés qui influencent les événements sociaux et agissent comme autant d’incitatifs à la coopération. Elle est supportée par des modèles de comportement qui se sont avérés utiles et sont transmis aux nouveaux acteurs du système ou de l’institution comme autant de manières rationnelles et émotionnelles de traiter les problèmesFootnote 16. D’une certaine façon, la culture organisationnelle contribue à réduire la complexité des interactions, car le comportement attendu de chaque acteur bénéficie alors d’un plus haut niveau de prévisibilité. Dans le cadre de notre recherche, cette culture organisationnelle est liée à l’existence d’une culture juridique propre à chaque système, c’est-à-dire constituée de normes et de manières de faire communes prévalant dans une communauté socialement localisée. Elle résulte des relations continues entre les parties et façonne la conduite des praticiensFootnote 17.

1. Les avocats représentant les accidentés de la route

Les avocats qui représentent les accidentés de la route que nous avons rencontrés sont surtout des hommes pratiquant dans de petits cabinets. Ils offrent des services juridiques dans tout type de dossier impliquant la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), un organisme gouvernemental qui a pour mission de protéger les personnes contre les risques liés à l’usage de la route et de contribuer à l’application de plusieurs lois et règlements. Les avocats accompagnent essentiellement les accidentés dans leur démarches administratives, déposent des réclamations ou encore contestent des décisions.

1.1. Le contexte particulier de la pratique

Les réclamations concernant essentiellement les indemnités établies en vertu du régime d’assurance automobile s’effectuent généralement par la voie d’une simple demande adressée à la SAAQ qui, une fois saisie du dossier, procède à son examen. Un agent d’indemnisation décide, dans le cadre d’une première évaluation du dossier, du droit du bénéficiaire à une indemnisationFootnote 18. La démonstration des conditions donnant ouverture à cette indemnité incombe à la victimeFootnote 19. En plus du formulaire de réclamations, la victime doit demander à son médecin de faire parvenir un rapport à la SAAQ. Le coût de ce rapport est remboursé selon un tarif maximum prévuFootnote 20.

La décision d’un agent d’indemnisation peut faire l’objet d’une demande de révision devant le Tribunal Administratif du Québec (TAQ), sauf s’il s’agit d’une décision accordant une indemnité maximale ou le remboursement complet des frais auxquels une personne a droit. Malgré tout, peu de dossiers se rendent habituellement devant le TAQ. En 2018 et en 2019, la SAAQ a respectivement traité 96 288 et 98 267 demandes de réclamationsFootnote 21. En 2019, le TAQ ouvrait 3077 dossiers en matière d’assurance automobile. Nous pouvons donc estimer que près de trois pour cent des dossiers sont contestés devant le TribunalFootnote 22. Une fois devant le TAQ, les praticiens estiment leur chance de succès très faible, ce qui s’explique aussi par le nombre important de dossiers qui se règlent en conciliation :

On n’a pas un bon taux de réussite. Moi, personnellement, j’ai un taux de réussite à environ 20 à 30 pour cent, mais je n’arrive pas au stade de l’audience non plus très souvent. J’essaie d’éviter l’audience à tout prix. Le but primordial dans des dossiers de SAAQ, c’est de régler en conciliation, sachant que le taux de réussite est très bas en audience. (avocat représentant les accidentés de la route, Montréal, 1er avril 2021)

Le nombre de dossiers fermés en assurance automobile à la suite d’une conciliation se situe en réalité autour de 20 pour centFootnote 23. Il s’agit d’un des domaines avec le plus haut taux de conciliation, après celui de la sécurité du revenu. Il faut également rappeler que le processus d’indemnisation étatique de la SAAQ est sans égard à la responsabilité. Selon les experts et les décideurs du domaine, le processus adversatif qui prévalait avant la mise en vigueur de la Loi sur l’assurance automobile a maintenant cédé la place à un processus d’indemnisation étatique dans le cadre duquel il n’y a pas d’intérêts divergents à opposer, s’agissant d’un processus qui vise à indemniser une victime dans le cadre des attributions d’un organisme public. Un avocat travaillant au TAQ dans les dossiers impliquant la SAAQ indique queFootnote 24 :

La mentalité de certains avocats de l’État qui, plutôt que de se voir [dans le] rôle de bons administrateurs d’un régime, veulent gagner une cause pis t’sais, on n’est pas en responsabilité civile (…) Fait que moi, je me suis jamais vu comme étant quelqu’un qui gagne une cause [compte tenu de la nature d’un régime de ce type]. Je suis là pour bien administrer le régime (…) pis il y en a d’autres, qui là, eux, c’est vraiment là, favorisent l’indemnisation à tout prix. (avocat du TAQ, 14 janvier 2021)

Cette conception du rôle de l’avocat correspond donc au profil de la pratique responsable. Rappelons en effet que ce type de rationalisation se rapporte au rôle du praticien en tant qu’officier de justice. Bien qu’on ait pu s’attendre à observer un certain activisme moral chez les praticiens de ce domaine, du fait du caractère social du régime, il apparait que le système mis en place par la Loi sur l’assurance automobile donne peu de possibilités d’action aux avocats et à leurs clients. Ceux-ci n’ont donc pas d’autres choix que de contribuer au respect de l’intégrité et de l’esprit de la loi, car l’équilibre des forces avantage un régime étatique qui a beaucoup plus de ressources matérielles et humaines que le simple citoyen qui en réclame les bénéfices. Plusieurs avocats ont d’ailleurs utilisé la métaphore de « David contre Goliath » pour illustrer la place des victimes par rapport à un système imposant : « Le fait d’être aussi contre l’État, ça change un peu les choses, là … T’sais, c’est un peu tout le temps David contre Goliath, les gens ont toujours l’impression de se battre contre une machine » (avocat représentant les accidentés de la route, 25 mars 2021).

Les pratiques juridiques contestables qui ont été relevées par l’étude s’inscrivent dans le cadre de cette relation asymétrique. Ainsi, les enjeux associés aux expertises médico‑légales ont été soulevés vingt fois dans le cadre de nos entretiens. Les problèmes se rapportant aux structures d’honoraires viennent ensuite, avec seize occurrences, puis finalement, la gestion difficile des attentes des clients, avec quatorze occurrences.

1.2. La pratique responsable confrontée au problème de l’expertise

Ainsi, même si le régime de la SAAQ n’est pas, en théorie, un système de type adversatif, les avocats et leurs clients doivent généralement s’engager dans une guerre d’expertise lorsqu’ils se rendent devant le TAQ. Mais cette situation entre en tension avec tout ce qui a été indiqué plus haut de la posture professionnelle qui s’impose généralement dans le domaine du droit social, de sorte que la posture systémique de la pratique s’oppose à la logique institutionnelle et organisationnelle dans laquelle elle s’inscrit. Elle met surtout en évidence la place centrale qu’occupe la variable institutionnelle dans la logique des pratiques :

T’sais, nous, c’est une guerre d’experts systématiquement dans les dossiers. T’sais, des clients qui ont de l’argent pour payer quatre, cinq experts, qui nous donnent carte blanche, là, on les gagne systématiquement, leur dossier. Pis on parle pas de frais d’avocat, vraiment des frais d’experts. Mais l’Aide juridique, faut [que] tu te battes avec l’Aide juridique juste pour qu’il autorise un expert, pis faut [que] tu trouves un expert qui accepte la rémunération au tarif de l’Aide juridique. Donc, finalement, c’est un faux accès à la justice. (16 avril 2021)

Il faut préciser que, si chaque partie peut présenter une expertise médico-légale dans le cadre de l’audience, un médecin-décideur siège également au tribunal. Ce médecin n’est pas seulement un assesseur, comme c’est le cas au Tribunal Administratif du Travail (TAT), mais il est considéré comme un membre à part entière du banc, et participe à l’adjudicationFootnote 25. Plusieurs informateurs ont relevé la situation discutable du médecin‑décideur tant en regard de l’ascendant qu’il exerce sur les experts des parties que de la partialité qu’on est susceptible de lui prêter.

La situation délicate des médecins qui agissent en tant qu’experts dans le cadre de procédures judiciaires ne constitue pas un problème nouveau. En effet, le Collège des médecins du Québec et le Barreau du Québec ont antérieurement créé un groupe de travail chargé de se pencher sur les enjeux reliés à la médecine d’expertise. Leur rapport, paru en 2014, relevait deux constats principaux : 1) la hausse des plaintes auprès du Collège des médecins à l’égard des médecins agissant en tant qu’experts et 2) l’émergence d’une cohorte de médecins délaissant la pratique clinique associée à leur spécialité pour se limiter au seul domaine de l’expertise et devenir des « experts de carrière »Footnote 26. Dans nos entretiens, plusieurs praticiens ont soulevé le fait que certains experts désignés par la victime sont connus par le tribunal pour être « pro-accidentés de la route », et qui, pour cette raison, perdent de leur crédibilité. Ces médecins interviennent régulièrement au tribunal à titre de témoin expert pour la victime, généralement parce qu’ils acceptent le montant accordé par l’Aide juridique pour couvrir les frais de leur expertise :

Il y en a des avocats qui, systématiquement, t’sais, qui allaient vers (un expert) qui avait zéro crédibilité à nos yeux. Il était pas cher, il nous sortait tout le temps des affaires qui avaient aucun bon sens en termes de séquelles, tous les types d’indemnisations, il était provictime… jusqu’à quel point c’était pas commandé d’avance, j’ai pas de preuve là-dessus… (14 janvier 2021)

Cependant, dans la mesure où la conclusion du dossier dépend principalement de ces expertises, les citoyens en situation de vulnérabilité qui bénéficient de l’Aide juridique ont peu de chance de voir leurs recours contre la SAAQ favorablement accueillis. En outre, les praticiens ont souvent l’impression que la décision du médecin-décideur est biaisée aux dépens de leur client :

Souvent, le genre de questions qui sont posées par le juge médical lors de l’audience dévoile un peu la direction dans laquelle le Tribunal va aller lors de la rédaction de sa décision (…) Pis c’est pas seulement moi, des clients aussi. Des clients qui n’ont aucune formation juridique, ils nous disent « J’avais l’impression que la décision était déjà prise lorsqu’on s’était présentés ». Juste dans le genre de questions qui sont posées par les juges, ça devient assez évident. (avocat représentant les accidentés de la route, 1er avril 2021)

1.3. La pratique responsable confrontée à la gestion de l’instance

La Loi sur la justice administrative permet également au TAQ de convier les parties à une conférence de gestion afin de convenir du déroulement de l’audience en précisant les engagements et en fixant le calendrier des échéances à respecter. Les parties peuvent alors s’entendre sur les modalités ainsi que le délai de communication des pièces, la transmission des déclarations écrites et sous serment tant pour les témoins que les expertsFootnote 27. Pour certains avocats cependant, cette conférence de gestion est convoquée trop tôt dans le processus, ce qui limite encore davantage leur marge de manœuvre et entraîne certaines pratiques douteuses liées notamment à l’obtention du consentement de leur client :

Récemment, le Tribunal a instruit un nouveau programme où ils nous convoquent en conférence de gestion très rapidement… ça nous force à un peu dévoiler notre stratégie au préalable à la partie adverse. Puis, ça nous met dans une position difficile si la situation change dans le futur pour le client financièrement ou si la situation change médicalement pour le client aussi. On s’est un peu engagé préalablement et c’est comme si on ne peut pas revenir en arrière on ne peut pas changer la stratégie ultérieurement puis ça, je trouve que c’est pas une bonne pratique pour assurer le respect de la déontologie. (avocat représentant les accidentés de la route, 1 avril 2021)

Dans ce contexte, les praticiens peuvent mettre en place certaines stratégies en vue de contrôler l’administration de leur propre preuve, par exemple en conservant l’expertise entre leurs mains jusqu’au dernier moment, une pratique qui peut paraître déloyale :

Ben, moi, ça m’est arrivé de voir dans des dossiers que l’avocat va conserver en main l’expertise pendant plusieurs mois, voire, il y en a une qui datait de deux ans et va le produire 31 jours avant, on dirait comme pour piéger l’administration publique et là va s’opposer à des demandes de remise en disant « Écoutez, il y a un préjudice pour mon client », là là là. Fait que ça, je trouve que c’est en quelque sorte déloyal. (avocat représentant les accidentés de la route,14 janvier 2021)

1.4. La pratique responsable confrontée à l’opacité des régimes d’indemnité publics

Par ailleurs, la gestion des attentes des clients est le troisième élément le plus fréquemment soulevé par les répondants comme enjeu susceptible de mener à des pratiques controversées, du point de vue éthique. Ces attentes concernent principalement ce qu’il est possible de réclamer ou non en vertu du régime d’assurance automobile :

(La) gestion des attentes, en majorité! En majorité le client vient avec une attente très élevée, ne connaissant pas nécessairement le système dans lequel les décisions ont été rendues, donc, ne connaissant pas les articles de loi qui s’appliquent, donc il y a un réajustement des attentes qui est constant. (avocat représentant les accidentés de la route, 1er avril 2021)

(…) ils réclament plein de choses, dont la moitié est impossible légalement. Donc, tu as beau leur expliquer par écrit (…) souvent, les plaintes qu’on a, c’est plutôt par rapport à ça. (‥) C’est difficile pour les clients de comprendre ça. Souvent, leur plainte à nous, c’est vraiment ça : « T’sais, pourquoi ça marcherait pas? », « Ben, c’est parce que j’ai pas de preuve! » C’est difficile pour eux de comprendre ça. (avocat représentant les accidentés de la route, 25 mars 2021)

En fait, les avocats qui s’inscrivent dans le profil de la pratique responsable conçoivent généralement la pratique du droit comme une profession publique dans laquelle ils occupent une fonction de médiation entre le client et le droitFootnote 28. Dans cette perspective, non seulement il est souhaitable que les avocats soient indépendants de l’État, mais il est également important qu’ils fassent preuve d’autonomie vis-à-vis des clients et des intérêts privés. En regard de cette posture, les avocats doivent éviter d’être trop dépendants ou trop proches de leurs propres clients. En effet, le rôle de l’avocat est d’aider les clients à obtenir justice conformément au droit en vigueur, ni plus ni moins. Si certains praticiens que nous avons rencontrés se montraient sensibles à la situation personnelle de leurs clients, la majorité trace des limites claires :

Si cette personne souffre, comme je suis un avocat, je n’ai pas l’expérience ou la formation pour nécessairement l’aider avec ça (…) je rappelle au client c’est quoi mon travail : décisions qui sont contestées, le cadre juridique et légal, l’aspect que j’étudie, son dossier médical, mais je n’ai pas de jugement à émettre par rapport à sa condition médicale non plus. (avocat représentant les accidentés de la route, 1er avril 2021)

Dès qu’il y a un problème, là, moi, je ferme les dossiers (…) Tantôt, j’ai un client qui me gossait, t’sais, je lui envoie un courriel : on ferme le dossier, c’est tout. [Il y a] du monde qui veulent nous convaincre ou qui répondent pas à nos questions ou qui essaient de détourner, pis du monde qui pense qu’on va les croire sur parole. (avocat représentant les accidentés de la route, 16 avril 2021)

Selon Parker, cette posture particulière du praticien n’implique pas nécessairement que ce dernier impose des interprétations rigides de la loi à des clients réticentsFootnote 29. Il s’agit plutôt d’avocats qui, sans se limiter à une lecture littérale de la règle de droit, optent plutôt pour des formes créatives de conformité répondant aux objectifs de la loi. Dans cette perspective, les avocats exercent un contrôle considérable sur leurs clients et les laissent assez peu participer à la prise de décision, ce qui peut les conduire à agir sans avoir obtenu leur consentement explicite. Une étude empirique publiée par Kritzer sur la relation clients-avocats dans le domaine des dommages corporels aux États-Unis avait de même démontré que les avocats étaient amenés à définir les attentes pour leurs clients. Mettant l’accent sur l’incertitude quant à l’issue du processus, ils les préparent aux modalités exactes d’un éventuel règlementFootnote 30. Ces praticiens sont ainsi amenés à accentuer l’opacité du contexte juridique en réponse à l’opacité même de l’activité juridictionnelle.

1.5. La pratique responsable confrontée à la compétition entre les professionnels

En ce qui a trait aux relations entre professionnels, les pratiques controversées qui ont été observées se rapportent généralement aux modèles d’affaires des autres cabinets, que ce soit du point de vue de la structure des honoraires ou encore de la représentation des victimes par des plaideurs qui ne sont pas avocats. On aborde ici la pratique en fonction des impératifs du marché des services juridiques. La chose est observée dans le domaine des accidents du travail comme dans celui des accidentés de la route :

Parce qu’il y a des firmes de représentants qui vont tirer de l’argent [du bénéficiaire], qui sont pas avocats, fait qu’ils ont pas les mêmes règles, ils font n’importe quoi pour n’importe quel prix, le travailleur, l’accidenté de la route y compris, il y a un paquet de petites firmes, là, qui existent, là, de consultants, il y en a une peste sur l’internet qui sont pas avocats, ils font quand même les démarches en accident de la route jusqu’au Tribunal. Rendu au Tribunal, là, ils disent aux clients qui savaient pas trop, trop qu’ils peuvent pas le représenter : « vas-y tout seul ». (avocat représentant les accidentés de la route, 22 avril 2021)

Selon la Loi sur le Barreau, seuls les avocats membres de l’ordre peuvent représenter une victime d’accidents automobilesFootnote 31. Cependant, une étude réalisée en 2003 par l’économiste Pierre Boucher évaluait qu’entre 30 % à 50 % des dossiers étaient introduits au TAQ par des non‑avocatsFootnote 32. En outre, la SAAQ tolère que des représentants qui ne sont pas avocats représentent des victimes devant les agents d’indemnisation et le service de révision, mais soulève l’illégalité de cette pratique devant le tribunalFootnote 33. Il n’existe actuellement aucune structure légale de contrôle ou d’encadrement des activités de tels conseillers, qui ne sont soumis à aucun code de déontologie, ni à aucune mesure d’assurance professionnelle permettant d’assurer la protection du publicFootnote 34.

Ainsi, malgré le fait que le régime des accidentés de la route s’inscrive dans un processus d’indemnisation étatique sans égard à la responsabilité, il existe tout de même de nombreux intérêts divergents, opposant notamment la SAAQ et les victimes, les clients et les avocats, sinon les avocats et les représentants qui ne sont pas membres du Barreau. En outre, la pratique responsable implique que ces praticiens tentent de résoudre des dilemmes éthiques qui naissent de ces tensions toujours en préservant l’esprit et l’intégrité du droit. Cependant, il ne s’agit pas ici de dispositions liées aux valeurs individuelles ou à l’éthique personnelle du praticien. Elles découlent plutôt de contraintes du système, associées à la culture organisationnelle du TAQ qui laissent très peu de marge de manœuvre aux praticiens et aux citoyens. Les avocats qui représentent les accidentés de la route adoptent donc une pratique responsable tout simplement parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, mais celle-ci entre en tension avec des logiques juridictionnelles (la place de l’expertise, du rôle particulier du médecin-décideur ou de la gestion d’instance), mais également des oppositions professionnelles diverses.

2. Les avocats en droit criminel

Les avocats en droit criminel que nous avons rencontrés étaient surtout des hommes qui pratiquent principalement dans de petits cabinets et cumulent entre 11 et 20 années d’expérience. Leur profil s’inscrit principalement dans l’archétype de l’avocat plaideur, c’est-à-dire dans la perspective de la représentation adversative. Rappelons que cette approche est liée à la défense active et résolue des intérêts du clients. Dans cette perspective, les avocats sont censés et même encouragés à exploiter les lacunes du système juridique, à tirer parti de chaque erreur tactique et de chaque oubli observé chez leurs adversaires, puis à s’appuyer sur toute interprétation juridique ou factuelle susceptible de venir appuyer la prétention de leur clientFootnote 35.

2.1. Le contexte particulier de la pratique

En raison de cette posture particulière, il n’est pas étonnant que ce profil soit celui qui paraît le plus controversé ou « amoral » pour le profane. En effet, les avocats de ce domaine de spécialisation sont souvent considérés comme de simples porte-voix de leur client, eux-mêmes généralement perçus a priori comme des criminelsFootnote 36. Certains auteurs ont cependant suggéré que l’activité des avocats ne peut être régie par les impératifs moraux généralement partagés dans la collectivité, mais plutôt par des normes qui découlent de l’organisation d’un régime public, le système judiciaire, c’est-à-dire là où leur action s’inscritFootnote 37. En effet, le rôle de l’avocat au sein du système juridique implique une certaine autorité et des obligations distinctes. Ces dernières incluent le droit de plaider devant un tribunal, de fournir à leur client les conseils juridiques que nécessite leur situation, le droit d’agir en leur nom de même que le devoir de protéger les informations reçues sous le couvert du secret professionnelFootnote 38.

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de constater que les pratiques les plus susceptibles de faire l’objet de controverse correspondent aux exigences reliées à la représentation active des intérêts du client. Ces considérations ont été soulevées trente-six fois dans le cadre des entretiens réalisés aux fins de l’étude, suivies des enjeux liés aux relations tendues qui naissent de leurs relations avec leurs confrères (vingt fois) et enfin, des contraintes et pratiques associées aux tarifs de l’Aide juridique (dix-sept fois). Ces deux dernières considérations restent cependant étroitement associées elles-mêmes à la représentation des intérêts des clients.

La conception traditionnelle de la représentation juridique en matière criminelle est fonction de ce que la fonction de l’avocat n’est pas tant d’évaluer le comportement moral de son client, que de défendre ses intérêts. Ici, la notion d’intérêt du client peut connaitre des nuances. Car il ne s’agit pas tant d’obtenir son acquittement, que de s’assurer du respect de ses droits au sens large. La représentation pleine et entière du client devient dès lors une condition nécessaire à la tenue d’un procès juste et équitable. Plusieurs praticiens que nous avons rencontrés dans le cadre de cette recherche partageaient cette conception de leur rôle à l’égard des intérêts des clients :

En droit criminel, c’est comme l’art de la nuance, c’est pas blanc ou noir, c’est des êtres humains, c’est pas des monstres, ils ont commis, des fois, des actes qui sont horribles, mais, t’sais, souvent, il y a une histoire derrière ça (…) pis c’est à l’État de démontrer hors de tout doute raisonnable que la personne a commis l’infraction parce que, moi, je crois fondamentalement à ça, t’sais, on préfère avoir une personne qui est coupable qui est libérée (…) qu’une personne qui est faussement accusée, parce que ça, c’est un préjudice qui est grave. (avocat en droit criminel, 19 février 2021)

La personne quand elle nous engage, elle nous engage pour défendre ses droits, pas nécessairement la faire acquitter, contrairement à ce que certaines personnes pensent, mais, à tout le moins, de représenter leurs intérêts pis de s’assurer que leurs intérêts sont tenus à cœur, s’assurer que ça soit pas simplement une séance où finalement on est des figurants dans le système et pis on se fait imposer ce que les autres veulent nous imposer. (avocat en droit criminel, 17 mai 2021)

3.2. La représentation adversative et la dynamique avocat/client

Toutefois, les règles déontologiques prévues au Code ne tiennent pas compte du caractère dynamique de la relation entre les avocats et leurs clients, qui peut être influencée par plusieurs facteurs contextuels. Comme nous l’avons vu précédemment chez les avocats qui représentent les accidentés de la route, plusieurs éléments ont une incidence sur la capacité des clients à exprimer correctement leurs attentes par rapport à leur avocat et à l’égard du processus judiciaire en généralFootnote 39. On pense notamment à leur niveau de stress personnel et financier, à la nature et la complexité du litige, à leur point de vue par rapport au droit et au rôle de l’avocat, sinon à ce qu’il est possible ou non de faire à l’intérieur d’un cadre juridique strict :

Il y en a un, une fois, qui m’a demandé d’aller chez eux, il était détenu, et il m’avait signé une procuration, je fais toujours signer une procuration vide, pour le futur, si j’ai besoin de quelque chose, t’sais, elle est déjà signée, tout ça. Hum… il me demande : « Ouais, tu as une procuration, va chez-moi, rentre dans le salon, dans le tiroir en bas, il y a le téléphone, il faut que tu prennes le téléphone avant que la police vienne le chercher ». J’ai dit « Woh, woh, woh, non écoute, moi… [rires]. Il faut que tu leur expliques ces choses-là, parce qu’ils ne comprennent pas, ils savent pas, pis c’est pas parce qu’ils sont bêtes, mais c’est juste qu’ils savent pas, t’sais? » (avocat en droit criminel, 5 mars 2021)

C’est souvent des demandes anodines honnêtement, mais qui ne sont pas anodines du point de vue juridique, mais que c’est des demandes vraiment de bonne foi, là, que je qualifie comme anodines, à la base de bonne foi de la part du client, mais qu’il réalise pas la portée de ce qu’il va demander en réalité. (avocat en droit criminel, 5 février 2021)

De plus, il semblerait que certains clients ne savent pas ce qu’ils veulent réellement et se fient plutôt à leur avocat pour les informer de ce qu’ils doivent faire. Plusieurs praticiens ont en effet relevé la relation de confiance très particulière qu’ils avaient avec leurs clients:

Ce qui m’a séduit dans ce métier-là, c’est à quel point, rapidement, le client fait confiance à son avocat. Pis je me suis toujours demandé « Mais qu’est-ce qui faisait qu’un individu que je ne connais pas, après quelques secondes, je suis important pour lui? » C’est parce qu’il est dans une situation de nécessité, il a besoin d’aide, il a besoin d’avoir un roc, il a besoin d’avoir un élément positif et c’est ce qui fait que rapidement, ce lien-là va se créer. Fait qu’il faut que l’avocat, je pense, en soit conscient de cette importance-là (…) il faut aussi comprendre qu’il vient de la vulnérabilité, dans un premier temps, de quelqu’un, soit vulnérabilité sociale, économique ou par rapport aux événements, et il faut en être conscient. (avocat en droit criminel, 5 février 2021)

Une approche trop centrée sur le client ne tient donc pas compte de l’autorité ni de l’expertise professionnelle du praticien. Les intérêts du client ne sont pas prédéterminés et fixes, ils sont plutôt façonnés et construits à travers les interactions du client avec son avocat. Ainsi, il faut considérer la construction des objectifs du client comme un processus social au cours duquel l’avocat influence la définition du problème, le cadrage du dossier, la formulation d’alternatives, ainsi que de nombreuses autres décisions susceptibles d’affecter le résultat du processus judiciaireFootnote 40. Les clients peuvent par conséquent modifier leurs objectifs en cours de représentation. Cela étant, l’avocat est tout de même amené à exercer une influence importante sur son client :

(Les clients) sont tous très différents, hein? Souvent, dépendant du type d’accusation, si ce sont des nouveaux clients versus des anciens clients que je représente depuis un certain temps. Je pense que j’essaie d’établir très clairement dès le début, ma façon de fonctionner, mes attentes, les obligations en termes financiers, là, d’honoraires auxquels je m’attends. L’échéancier, le calendrier, tout ça, j’essaie de mettre ça au clair dès le début, justement, pour pas qu’il y ait de surprises pour personne. (avocat en droit criminel, 12 avril 2021)

Oui, il y a une zone grise… moi, quand le client veut me parler rapidement de sa version, je lui suggère de ne pas me la donner, de prendre connaissance de l’ensemble de la preuve, qu’il puisse prendre du recul, connaître l’entièreté de la preuve avant de s’exprimer. Il y a deux raisons sous-jacentes à ça. C’est que je veux pas que le client, me parlant des choses qui se sont passées il y a des mois s’avance trop rapidement et après recule et moi, je me retrouve dans une situation où j’ai des doutes sur ce qu’il me dit, sa crédibilité ou j’ai l’impression qu’il me ment ou qu’il va se parjurer, pour un, éviter ça, bien entendu, mais pour permettre aussi au client d’avoir le recul nécessaire et de se positionner. (avocat en droit criminel, 5 février 2021)

Le rôle des praticiens en droit criminel par rapport à leur client est également renforcé par le fait que les clients choisissent initialement leur avocat et payent pour leurs conseils. Selon sa situation professionnelle, ce rôle dépend aussi de la capacité de l’avocat à se retirer de la représentation ou à demander à son client de se trouver un autre avocat :

Quand le dilemme devient pour moi insurmontable, je cesse d’occuper. Quand j’arriverai pas à m’entendre [avec mon] client ou que, il arrivera pas à comprendre ce que je fais. Comme le dossier que je vous parlais qui m’a amené, avec tant de problèmes, là. J’avais fait deux requêtes pour cesser d’occuper, mais la Cour les a refusées (rires)! J’étais prise avec, là, t’sais?! J’étais prise avec! Mais sinon, ça va être ça ma solution. (avocate en droit criminel, 7 décembre 2020)

Il s’ensuit que les ressources des clients et la structure des honoraires influent sur l’approche des avocats en matière de représentation. Il semble en effet qu’un tarif unique ou forfaitaire encourage généralement les avocats à minimiser le temps consacré à une affaire et à contrôler davantage leurs clientsFootnote 41. Cet enjeu est bien connu des praticiens au Québec et a été soulevé maintes fois dans le processus de réforme des tarifs de l’aide juridique :

Ça, c’est un gros problème qui peut mener à des erreurs judiciaires grossières, des fois, où est-ce que l’avocat il est comme « Arfff… je suis payé des pinottes de toute façon! », t’sais? « M’a réglé le dossier », « Ouais, je suis pas assez payé pour faire le procès » (…) Ça amène à des inégalités, c’est sûr et certain que ça peut mener à des erreurs judiciaires, des fois, assez grossières. (avocat en droit criminel, 5 mars 2021)

(…) je prends mon client, je lui dis « Écoute, tu vas plaider coupable, là, tu as aucune chance, t’sais? Plaide coupable demain matin, je vais te négocier un bon deal, tu vas avoir une amende », mettons que c’est pour une amende, là, t’sais? Donc ça, c’est un problème, qui, à mon sens, est systémique, qui est majeur, qui fait en sorte que il y a plusieurs avocats qui ont un peu moins d’intégrité, un peu moins de scrupules, qui vont faire une pratique qu’on appelle « à volume ». (avocat en droit criminel, 19 février 2021)

Les praticiens possèdent donc une marge de manœuvre importante dans l’interprétation des intérêts de leurs clients. Certaines recherches ont en effet montré qu’avec les besoins sociaux et juridiques accrus des accusés et les nouvelles alternatives en matière de traitement psychosocial, par exemple celles liées à la justice réparatriceFootnote 42, les avocats sont obligés d’élargir leur compréhension de la représentation en matière criminelle, tout comme du travail juridique en généralFootnote 43. Ainsi, pour de nombreux praticiens, la justice ne repose pas nécessairement sur un acquittement ou une réduction des accusations, mais plutôt sur la prise en considération des besoins des clients, autant du point de vue légal qu’extra-judiciaire :

Je ne suis pas travailleur social, mais on est un peu travailleur social d’une certaine façon, intervenant social, disons, là, t’sais? Moi, je fais des dossiers, mettons, en matière sexuelle, t’sais… envers des gens, mettons, de pornographie juvénile, des trucs comme ça, ben, je peux tout te nommer les ressources qu’il y a à Montréal, là, les sexologues, les meilleurs sexologues qui sont spécialisés en délinquance sexuelle (…), pis on réfère nos clients à ces endroits-là dès le début du mandat. Le mandat, le monsieur est arrêté, le Jour 3 il est dans mon bureau, le Jour 4, je lui dis « Tu fais tes démarches pour commencer une thérapie », pis on garde ça secret, disons, pis on dit « Ça va être notre Plan B, là, s’il y a de quoi, t’sais? Si mettons que ça va pas dans le sens qu’on veut la défense, ben, au moins, il y aura de quoi, là, qu’on pourra démontrer que tu as fait des démarches. (avocat en droit criminel, 19 février 2021)

Les praticiens sont donc amenés à assumer différents rôles et à s’appuyer sur de multiples disciplines et compétences au moment d’établir une stratégie de représentation. Pour remplir ses devoirs déontologiques, l’avocat doit établir quelle stratégie répond au meilleur intérêt de son client et assumer de multiples rôles intermédiaires afin d’assurer une représentation qui réponde non seulement aux exigences judiciaires immédiates mais aux besoins plus larges du justiciable qu’il représente. Une approche trop strictement associée à la représentation adversative ne permet donc pas de rendre compte des multiples fonctions assumées par le praticien dans le cadre du système de justice criminelle.

2.3. La représentation adversative et la dimension stratégique de la pratique

D’un point de vue plus systémique, le processus de prise de décision professionnelle doit également être compris dans son contexte social et organisationnel. Tout en défendant leurs clients, les avocats criminalistes doivent en effet s’adapter à la culture du tribunal elle-même, notamment en anticipant la façon dont leurs stratégies et leurs tactiques seront reçues par le procureur et le jugeFootnote 44. Cette nécessité est associée à la culture organisationnelle sinon à la culture juridique propre à la juridiction criminelleFootnote 45. Dans le cadre de notre recherche et tel que mentionné précédemment, cette culture organisationnelle est liée à l’existence d’une culture juridique interne, constituée de normes et de manières de faire communes prévalant dans une communauté bien précise. Elle résulte des relations continues entre les parties et façonne la conduite des avocatsFootnote 46. Ainsi, à travers des interactions répétées dans le cadre d’une activité commune, les acteurs de la justice criminelle, que ce soit les avocats, les procureurs ou les juges, établissent informellement des attentes en regard de leur conduite respective.

Plusieurs recherches ont plus spécifiquement analysé l’influence de la culture juridique interne sur les pratiques des avocats en droit criminel. Pour Mortarano Van Cleve, la position institutionnelle de l’avocat criminaliste a effectivement un impact important sur son travail et ses choix. Cependant, il a constaté que les avocats se sentaient souvent intimidés et généralement contraints par les normes de comportement internes déterminées par le tribunal et le ministère public. Ces normes de comportement les amènent à éviter une représentation trop combative de leur client et à adopter une attitude plus coopérativeFootnote 47. Ces normes de comportement ont également été constatées dans le cadre de nos entretiens, surtout dans le contexte des interactions entre les avocats de la défense et les procureurs :

Le Ministère public, et je pense que si j’étais procureur de la Couronne, j’aurais probablement la même attitude qu’eux, parce que oui on est tous des officiers de justice, mais ils se retrouvent dans une position relativement privilégiée par rapport à nous (…) En défense, nous sommes toujours en train de quémander, de demander donc, je dois, à la limite plaire ou du moins ne pas déplaire, tandis que le Ministère public est toujours en train de se faire demander ou quémander. Ça installe une dynamique où (c’est) celui qui a le contrôle et ça, avec le temps, il s’installe une forme d’attitude où certains croient ou donnent l’impression qu’ils sont des officiers de justice peut-être plus importants que la défense. (avocat en droit criminel, 5 février 2021)

Parce que, souvent, les procureurs de la Couronne ont une image de l’avocat de la défense, t’sais, comme… « Il défend les croches …il manigance des choses », pis c’est eux les gardiens, le défenseur de la veuve et de l’orphelin. Mais c’est pas ça ta job, number one, number two, tu n’as pas de client! Et number three… la présomption d’innocence « allo?! » (rires). Souvent, ils ont comme une image de nous que c’est comme, on est des croches, là! On n’est pas croches parce qu’on représente des croches, t’sais?! (avocat en droit criminel, 5 mars 2021)

Le fait que les avocats de la défense soient contraints par cette culture juridique interne à adopter une attitude coopérante devant le tribunal peut avoir des répercussions sévères sur leur client dans le cas où l’avocat aurait décidé d’opter pour une approche plus adversative :

J’ai une collègue qui me racontait que, dans un dossier en matière de facultés affaiblies, un dossier bien normal, là, qui a pas de facteurs aggravants ou quoi que ce soit, que si le client avait plaidé coupable au départ, il aurait forcément eu une peine minimale de 1 000 $ avec une interdiction de conduire d’un an. Mais le client avait une défense, donc, elle fait le procès, puis au moment où finalement monsieur est déclaré coupable à l’issue d’un procès d’une journée, la Procureure de la Couronne va plaider que la peine devrait être de 1 500 $ puisqu’il y a eu un procès (…) C’est une jeune procureure, pis elle a eu ce réflexe-là de se dire « Ben, il y a eu un procès donc ça a coûté cher à l’État, donc, on va aller récupérer ces sous-là », mais je veux dire c’est la base, là, tout le monde aurait le droit de fixer un procès s’il le voulait, c’est la base du fait qu’on a le droit de se défendre. (avocate en droit criminel, 2 juin 2021)

Conclusion

Les conceptions traditionnelles de l’éthique et de la déontologie professionnelles se fondent principalement sur les droits et les devoirs individuels, compris et appliqués à partir d’un raisonnement formel, abstrait, d’inspiration universaliste. Dans cette perspective, l’adoption de comportements controversés, contraires ou à la marge des exigences déontologiques, s’explique par les caractéristiques personnelles d’un individu, que ce soit en raison d’un manque de connaissances et de formation ou encore d’une moralité personnelle douteuse. Les résultats de notre recherche démontrent au contraire que les facteurs systémiques et institutionnels ont une plus grande incidence sur la conduite des praticiens que la normativité à laquelle les ordres professionnels prétendent les soumettre. Cette conclusion tend à démontrer l’importance des communautés de pratique dans les processus de socialisation éthique des professionnels. Il importe alors de considérer cet aspect social plutôt que de fonder exclusivement l’analyse sur une variable individuelle propre à une certaine éthique appliquée.

Par ailleurs, malgré le fait que les pratiques des avocats que nous avons rencontrés en droit social et en droit criminel s’inscrivaient sur le plan systémique au sein de profils types opposés, ces tendances sont le plus souvent tempérées par toute une série de facteurs contextuels et situationnels. En effet, les tensions entre les variables systémiques et institutionnelles entraînent certains paradoxes qui s’inscrivent alors dans une pratique empirique du droit, c’est-à-dire selon l’éthos particulier de chaque communauté de pratique. Pour les avocats représentants les accidentés de la route, ils se trouvent confrontés à des luttes liées aux expertises médicales, tandis qu’on se serait attendu, sur le plan systémique, à une pratique davantage administrative et formalisée. Les avocats en droit criminel étaient contraints par une culture juridique interne qui les poussaient à négocier des compromis autant avec leurs clients qu’avec le ministère public. Ils déviaient ainsi du profil type de la représentation adversative qui les aurait surtout amenés à développer des stratégies offensives. Ceci démontre encore une fois l’importance de la variable institutionnelle ou plus précisément, des champs de spécialisation de la pratique et de la culture organisationnelle qui en découle, dans la prise de décisions éthiques qui s’imposent aux praticiens. Malgré tout, la pratique concrète des professionnels ne s’oppose pas frontalement aux exigences déontologiques élaborées par leur ordre professionnel. Les avocats adaptent plutôt ces exigences à leur réalité de pratique. La variable institutionnelle constitue alors une modalité de la mise en œuvre de ces normes déontologiques.

Remerciements

Les auteurs remercient le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada pour le soutien financier accordé au projet ADAJ.

References

1 Puyuelo, Voir Rémy, dir., Penser les pratiques sociales (Paris : Éditions Érès, 2001)CrossRefGoogle Scholar.

2 L’éthique appliquée donne une place significative à l’individu qui est alors en mesure de faire valoir sa parole et ses intérêts propres. Dans cette perspective, l’éthique implique une certaine démarche réflexive et délibérative de la part du professionnel. Legault, Voir George A., Professionnalisme et délibération éthique : Manuel d’aide à la décision responsable (Sainte-Foy, QC : Presses de l’Université du Québec, 1999)Google Scholar. Voir également Luc Bégin, « Favoriser la réflexivité en contexte organisationnel », dans L’action. Penser la vie, ‘agir’ la pensée : Actes du XXXIIIe congrès international de l’ASPLF, dir. Jean Ferrari, Roberto Formisaro et Maurizio Malaguti (Paris : Vrin, 2013), 349-52.

3 Paillé, Pierre et Mucchielli, Alex, L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales (Malakoff : Éditions Armand Colin, 2021)Google Scholar.

4 Alain, Couret, « Droit des affaires : éthique et déontologie », dans Ethique, déontologie, et gestion de l’entreprise, dir. de La Bruslerie, Hubert, Bourricaud, Francois, Jobard, Jean-Pierre et Gregory, Pierre (Paris : Economica, 1992)Google Scholar.

5 Levin, Leslie C. et Mather, Lynn, « Epilogue », dans Lawyer in Practice: Ethical Decision making in Context, dir. Levin, Leslie C. et Mather, Lynn (Chicago : Chicago University Press, 2012), 365–69CrossRefGoogle Scholar.

6 Morrhead, Richard Lewis, Hinchly, Victoria, Parker, Christine, Kershaw, David et Holm, Soren, Designing Ethics Indicators for Legal Service Provision (Londres : UCL, Center for Ethics and Law, 2012), 17 Google Scholar.

7 Code de déontologie des avocats, RLRQ c B-1, r 3.1, art 23, 71, 111, 132.

8 Or, comme on le verra, celles-ci entrent elles-mêmes en tension avec les logiques du marché (rattachées aux dimensions institutionnelle et organisationnelle de l’action). Butter, Voir Tamara, Asylum Legal Aid Lawyers’ Professional Ethics in Practice (La Haye : Eleven, 2018)Google Scholar.

9 Cette typologie est tirée de Christine Parker, « A Critical Morality for Lawyers: Four Approaches to Lawyers’ Ethics », Monash Law Review 30, no 1 (2004) : 49-74.

10 Max Weber parle de « tableau de pensée ayant une valeur heuristique ». Max Weber, Essais sur la théorie de la science (Paris, Plon, 1922), 69-87.

11 Butter, Asylum Legal Aid Lawyers, 41.

12 Butter, Asylum Legal Aid Lawyers, 41.

13 Butter, Asylum Legal Aid Lawyers, 41.

14 Baron, Paula et Corbin, Lillian, Ethics and legal professionalism in Australia (Oxford : Oxford University Press, 2015), 1721 Google Scholar.

15 Baron et Corbin, Ethics and legal professionalism in Australia, 21.

16 Piekarczyk, Anna, « Organisation Culture From Systems Theory of Organisation Perspective », dans Recent Advances in the Roles of Cultural and Personal Values in Organizational Behavior, dir. Nedelko, Zlatko et Brzozowski, Maciej (Hershey : IGI Global, 2020), 3952 Google Scholar.

17 Mather, Lynn, McEwen, Craig A. et Maiman, Richard J., Divorce Lawyers At Work: Varieties Professionalism In Practice (Oxford: Oxford University Press, 2001), 11 CrossRefGoogle Scholar.

18 Janick, Perreault, L’indemnisation du préjudice corporel des victimes d’accident automobile, éd. rév., (Montréal : LexisNexis, 2016)Google Scholar.

19 Loi sur l’assurance automobile, RLRQ c A-25, art. 83.17, alinéa 2, consulté le 2021-11-05, https://canlii.ca/t/6cxrw.

20 Règlement sur le remboursement de certains frais, Décret 1925-89, 1989 G.O. II, 6351, art. 50.

21 Société de l’assurance automobile du Québec, Rapport annuel de gestion 2019 (p. 3), consulté le 26 mai 2020), https://saaq.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/publications/rapport-annuel-gestion-2019.pdf.

22 Selon les données fournies par le TAQ en vertu de la Loi d’accès à l’information.

23 Tribubal administratif du Québec, Rapport annuel de gestion 2017-2018 (p. 56), consulté le 26 mai 2020, https://www.taq.gouv.qc.ca/documents/file/TAQ%20Rapport%20annuel%20de%20gestion%202018-2019-ecran.pdf.

24 M.P. c Québec (Société de l’assurance automobile), 2015 CanLII 17780 (QC TAQ), para 68, consulté le 2021-11-04, <https://canlii.ca/t/gh5jx>. Voir également Perreault, L’indemnisation du préjudice corporel, 1048.

25 Perreault, L’indemnisation du préjudice corporel, 819.

26 Collège des médecins du Québec et Barreau du Québec, La médecine d’expertise, Rapport du groupe de travail sur la médecine d’expertise, 2014, http://www.barreau.qc.ca/fr/actualites-medias/communiques/2014/10/30-rapport

27 Loi sur la justice administrative, RLRQ c J-3, art 119.1, https://canlii.ca/t/6d6ls. Voir également Perreault, L’indemnisation du préjudice corporel, 887.

28 Butter, Asylum Legal Aid Lawyers, 41.

29 Parker, « A Critical Morality for Lawyers », 49.

30 Kritzer, Herbert M., « Contingent-Fee Lawyers and Their Clients: Settlement Expectations, Settlement Realities, and Issues of Control in the Lawyer-Client Relationship », Law & Social Inquiry 23 (1998) : 812 CrossRefGoogle Scholar.

31 Loi sur le Barreau, RLRQ, c B-1, art 128

32 Journal du Barreau, vol. 35, no 1, 15 janvier 2003.

33 Perreault, L’indemnisation du préjudice corporel, 747.

34 Lu Chang Khuong, « La représentation par des non-avocats devant les tribunaux administratifs », dans Développements récents en matière d’accidents d’automobile (2003), Service de la formation permanente, Barreau du Québec, vol. 199 (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2003), 141.

35 Butter, Asylum Legal Aid Lawyers, 60

36 Simon, William, « The Ideology of Advocacy: Procedural Justice and Professional Ethics », Wisconsin Law Review 1978, no 29 (1978) : 34 Google Scholar.

37 Hazard, Geoffrey C. Jr., « The Morality of Law Practice », Hastings Law Journal 66, no 2 (2015) : 359 Google Scholar.

38 Charles W. Wolfram, Modern Legal Ethics (Minnesota : West Publishing Company, 1986), chap. 15.

39 Mather, Lynn, « What Do Clients Want — What Do Lawyers Do », Special Edition Emory Law Journal 52 (2003) : 1065 Google Scholar.

40 Van Cleve, Nicole Martorano, « Reintrepreting the Zealous Advocate », dans Lawyers in Practice: Ethical Decision Making in Context, dir. Levin, Leslie C. et Mather, Lynn (Chicago : University of Chicago Press, 2012), 296 Google Scholar.

41 Martorano Van Cleve, « Reintrepreting the Zealous Advocate », 297.

42 Voir, par exemple, Rossi, Catherine et Cario, Robert, « Restorative Justice: Acknowledged Benefits versus Emerging Issues », International Journal on Criminology 4, no 2 (2016) : 132 CrossRefGoogle Scholar.

43 Martorano Van Cleve « Reinterpreting the Zealous Advocate », 297.

44 Martorano Van Cleve « Reinterpreting the Zealous Advocate », 297.

45 Friedman, Lawrence M., The Legal System: A Social Science Perspective (New-York : Russell Sage Foundation, 1975)Google Scholar.

46 Anna Piekarczyk, « Organisation Culture From Systems Theory of Organisation Perspective » dans Exploring the Influence of Personal Values and Cultures in the Workplace, dir. Zlatko Nedelko et Maciej Brzozowski (IGI Global, 2017), 39.

47 Martorano Van Cleve, « Reinterpreting the Zealous Advocate », 297.

Figure 0

Figure 1. La pratique empirique du droit entre ses dimensions systémiques et institutionnelle.

Figure 1

Tableau 1. Les profils de pratique.