Article contents
La Critique de la philosophie de l'État de Hegel par K. Marx
Published online by Cambridge University Press: 05 May 2010
Extract
Le manuscrit sur la Critique de la philosophie de l'État de Hegel fédigé par Marx à l'été de 1843 est demeuré inconnu de la tradition marxiste jusqu'en 1922, date ou le savant russe, David Rjazanov, l'a decouvert dans les archives du Parti Social-Démocrate à Berlin. Dans l'édition critique allemande de Dietz, le texte occupe 130 pages. II s'agit d'un texte ardu, difficile, voire meme rébarbatif. Marx recopie les paragraphes 261–313 de la Philosophic du Droit de Hegel pour en faire une critique détailléè, quelquefois brillante, souvent obscure et nebuleuse. Le texte peut etre divisé en quatre parties: la critique de la conception générate de l'État (Par. 261–274), la critique de la monarchic (Par. 275–286), du pouvoir exécutif (Par. 287–297) et du pouvoir legislatif (Par. 298–313). Mais comme l'écrit Marx dans une lettre en date du 5 mars 1842 à Arnold Ruge «le fond en est la réfutation de la monarchie constitutionnelle comme une chose bâtarde, contradictoire et qui se condamne elle-même». Notre propos prendra appui sur la premiere partie du texte, mais les conclusions auxquelles nous arriverons pourront s'étendre a l'ensemble du manuscrit.
- Type
- Articles
- Information
- Dialogue: Canadian Philosophical Review / Revue canadienne de philosophie , Volume 15 , Issue 1 , March 1976 , pp. 75 - 91
- Copyright
- Copyright © Canadian Philosophical Association 1976
References
1 Le manuscrit de Marx ne comporte ni titre ni date. Ceux-ci devaient se trouver sur la couverture du cahier, qui a été perdue. La date proposee par Landshut et Mayer est celle de 1841–1842. Nous adoptons le titre et la date suggérée par D. Rjazanov et reproduits dans l'édition Dietz de Berlin, Marx-Engels Werke, Bd. 1, 1961, p. 202–203. II existe une traduction française du texte par Molitor, J., Oeuvres Complétes de Marx, Paris, A. Costes, 1948, t. IV, p. 1–259Google Scholar et une traduction anglaise par O'Malley, Annette Jolin et Joseph, Critique of Hegel's Philosophy of Right by Karl Marx, Cambridge, University Press, 1970, 151 pGoogle Scholar. On peut aussi trouver en petit format le texte allemand au complet sous le titre: Kritik des Hegelschen Staatsrechts, Nachwort von Theo Stammen, Reclam, P., 1973, 240 pGoogle Scholar.
2 Les quatre premiéres pages du cahier manquent de même que la couverture. On suppose qu'elles devaient contenir les commentaires des paragraphes 257–260 qui commencent la section sur I'État dans la Philosophie du Droit de Hegel. Pour une description sommaire de l'état du manuscrit, voir J. O'Malley, Critique of Hegel's Philosophy of Right, op. cit., p. LXIV–LXV.
3 Marx-Engels Correspondance, publiée sous la responsabilité Mortier, de G. Badia et J., t. I (1835–1848). Paris, Ed. Sociales, 1971, p. 244Google Scholar.
4 Ce texte commence à peine à recevoir des marxologues occidentaux l'attention qu'il mérite. Nous citons les commentaires suivants: Hyppolite, J., La conception hégélienne de I'État et sa critique par Karl Marx, ds. «Études sur Marx et Hegel», Paris, Riviere, 1965, p. 120–141Google Scholar, Cornu, A., Karl Marx et Friedrich Engels, Paris, P.U.F., 1958, t. II, p. 193–228Google Scholar, Rubel, M., Karl Marx. Essai de biographie intellectuelle, Paris, Riviere, 1971, p. 49–73Google Scholar, Henry, M., De Hegel a Marx. Essai sur la Critique de la philosophic de I'Etat de Hegel de Marx, ds. «Hommage à Jean Hyppolite», coll. Epiméthée, Paris, P.U.F.. 1971, p. 81–143Google Scholar, Wackenheim, C., Lafaillite de la religion d'aprés Karl Marx, Paris, P.U.F., 1963, p. 142–152Google Scholar, Aviniri, S., The Hegelian Origins of Marx's Political Thought, ds. The Review of Metaphysics, 21 (1967) 33–50Google Scholar, Adams, H.L., Karl Marx in his Earlier Writings, New York, Russell & Russell, 1965, p. 72–85Google Scholar, Dupré, L., The Philosophical Foundations of Marxism, New York, Hartcourt, Brace & World, 1966, p. 87–108Google Scholar, Friedrich, M., Philosophie und Oekonomie beim jungen Marx, Berlin, Duncker und Humblot, 1960, p. 50–77Google Scholar, Barion, J., Hegel und die marxistische Staatslehre, Bonn, H. Bouvier Verlag, 2e ed. 1970, p. 78–141Google Scholar.
5 Engels écrit: «Sur nos rapports avec Hegel, nous nous sommes expliques en diverses occasions, mais nulle part d'une maniére exhaustive» (Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, Paris, Ed. Sociales, trad, revue par G. Badia, 1966, p. 6)Google Scholar.
6 Althusser, L.Pour Marx, Paris, Maspero, 1967Google Scholar. En particulier sa Preface, p. 11–34 et son article: Sur le Jeune Marx, p. 47–83. Le concept de «coupure epistemologique» est emprunte par Althusser à G. Bachelard comme instrument de lecture et d'interpretation des œuvres de jeunesse de Marx. La coupure indique la mutation d'une problématique pré-scientifique à une problématique scientifique. Cette coupure est située par Althusser en 1845 avec l'Idéologie Allemande où Marx et Engels font la critique de leur ancienne conscience philosophique. Elle donne lieu à deux disciplines théoriques distinctes: la théorie de l'histoire (le matérialisme historique) et une nouvelle philosophie (le matérialisme dialectique). Á partir de ce concept, Althusser établit une périodisation des oeuvres de Marx: la période encore «idéologique» antérieure à la coupure de 1845 et la période «scientifique» postérieure à la coupure de 1845. Durant la période idéologique la problématique de Marx est de type kantien-fichtéen, puis feuerbachien de sorte que pour Althusser, l'hégélianisme du jeune Marx demeure tout simplement un mythe. (Pour Marx, p. 23–30).
7 Lefebvre, H.Sur une interprétation du Marxisme, ds. L'homme et la Société, 4 (1967) 3–22, et surtout p. 12–13Google Scholar.
8 Nous défendons ici I'interpretation de Cornu et de Lefebvre contre celle d'Althusser. Cornu écrit: «La Critique de la Philosophie du Droit de Hegel devait constituer ainsi la premiére grande étape de I'élaboration du matérialisme historique, base théorique sur laquelle Marx allait développer sa doctrine révolutionnaire prolétarienne» (Karl Marx et Friedrich Engels, op. cit., t. II, p. 217). De son côté, Lefebvre écrit: «On ne peut done séparer la période du matérialisme historique et celle du matérialisme dialectique» (La Pensée de Karl Marx, Paris. Bordas, 1966, p. 19)Google Scholar.
9 Engels, F. Litdwig Feuerbach et la fin de la philosophie elassique allemande, op. cit., p. 19.
10 Marx-Engels Correspondance, op. cit., t. I, p. 35. La phrase qui précède notre citation suffirait à condamner l'affirmation suivante d'Althusser: «les ceuvres du premier moment supposent un problématique de type kantien-fichtéen». (Pour Marx, op. cit., p. 27). En effet, Marx écrit: «Partant de l'idéalisme que, soit dit en passant, j'ai confronte et nourri avec ce que me fournissaient Kant et Fichte, j'en suis arrivé à chercher I'idée dans le réel». Cette phrase montre que Marx n'adhera jamais à là philosophie de Kant ni à celle de Fichte, mais qu'il se dissocia de ces idéalismes dés 1837.
11 Marx-Engels Correspondance, op. cit., t. 1, p. 35.
12 Ibid., Cet écrit a été perdu.
13 Marx-Engels Correspondance, op. cit., t. 1, p. 37.
14 Nous avons une traduction française de l'Essence du Ghristianisme. par Osier, J.-P. et Grossein, J.-P., Paris, Maspero, 1968, 527 pGoogle Scholar. Les autres textes ont ete traduits par Althusser, L., sous le titre: Manifestes Philosophiques, Paris. Coll. Epiméthée, P.U.F., 1960, 237 pGoogle Scholar.
15 Engels, F. Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, op. cit., p. 23.
16 Marx-Engeh Correspondance, op. cit., t. I, p. 284. Le passage est le suivant: «Tu as done mis en piéces l'ami Ludwig, et laissé ici un cahier central». On peut supposer qu'il s'agit de l'Essence du Christianisme comme l'indique en note le traducteur.
17 Marx-Engels Correspondance, op. cit., t. I, p. 323.
18 Dans son article Sur le Jeune Marx, Althusser fait la critique de la metaphore du «renversement». ll accorde que l'expression peut s'appliquer à la tentative de Feuerbach, mais non à celle de Marx. On pourrait pourtant apporter trois textes de Marx qui contredisent Althusser sur ce point: la lettre de Marx a Engels du 14 Janvier 1858 (Lettres sur le «Capital», Paris, Ed. Sociales, p. 83)Google Scholaroil Marx parle «du fond rationnel de la methode que Hegel a decouverte, mais en même temps mystifiée», la lettre de Marx à Kugelmann du 6 mars 1868 où Marx s'identifle comme materialiste face a l'idealisme de Hegel (Lettres sur le Capital, op. cit., p. 197) et le texte de la Postface à la deuxiéme édition allemande du Capital en date du 24 Janvier 1873 qui suggere clairement l'expression de renversement. «Chez lui elle marche sur la tête, il suffit de la remettre sur les pieds pour lui trouver une physionomie tout à fait raisonnable» (Karl Marx. Oetnres, trad. Rubel, coll. «La Pléiade», t. I, p. 558).
19 Voir à ce sujet le passage sur le matérialisme français du XVIIIe siécle dans La Sainte Famille, Paris, Ed. Sociales, p. 151–160Google Scholar. Marx écrit: «On opposa la philosophie à la métaphysique. tout comme Feuerbach opposa la lucidité froide de la philosophie à l'ivresse de la spéculation le jour où, pour la premiére fois, il prit résolument position contre Hegel». (Ibid., p. 151).
20 Feuerbach, L.Préface à la deuxiéme édition de I'Essence du Christianisme, ds. Manifestes Philosophiques, op. cit., p. 207–208Google Scholar.
21 Marx-Engels Correspondance, op. cit., t. I, p. 289–290.
22 Marx-Engels Correspondance, op. cit., t. I, p. 290–300.
23 Marx-Engels Correspondance, op. cit., t. I, p. 299.
24 C'est I'opinion de della Volpe et Coletti en Italie qui adoptent le concept de «coupure épistémologique» dans la pensée de Marx et distinguent l'idéologie de la science. Cf. Althusser, L. Pour Marx, op. cit., p. 30.
25 Althusser, L.Pour Marx, op. cit., p. 24Google Scholar.
26 Nou s utilisons ici les termes mêmes de Engels dans son Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, op. cit., p. 25–41. Engels divise les philosophes en deu x camps: les idéalistes et les matérialistes. ll écrit: «Ceux qui afflrmaient le caractere primordial de l'esprit par rapport à la nature, et qui admettaient pa r conséquent, en derniere instance, un e création du monde de quelque espece que ce fût — et cette création est sou vent chez les philosophes, par exemple, chez Hegel, beaucoup plus compliquée et plus impossible encore que dans le christianisme —, ceux-là formaient le camp de l'idéalisme. Les autres, qui consideraient la nature comme l'élément primordial, appartenaient aux différentes écoles du matérialisme». (Ibid. p. 27).
27 Engels décrit en ces termes la démarche de Feuerbach: «La demarche de Feuerbach est celle d'un hégélien — à vrai dire jamais complétement orthodoxe — qui va vers le matérialisme, démarche qui, à un stade déterminé, améne une rupture totale avec le systéme idéaliste de son prédecésseur». (Ludwig Feuerbach. op. cit., p. 31). Ceci décrit bien la demarche de Marx dans le manuscrit de 1843, sauf pour ce qui concerne la «rupture totale». En effet, si Feuerbach a rejeté la méthode dialectique de Hegel, Marx de son côté n'a jamais opéré cette « rupture totale». ll écrit à Engels en 1858: «Si jamais j'ai un jour de nouveau du temps pour ce genre de travail, j'aurais grande envie, en deux ou trois placards d'imprimerie, de rendre accessible aux hommes de bon sens, le fond rationnel de la méthode que Hegel a découverte, mais en même temps mystifiée». (Lettres sur le Capital, ed. Sociales, p. 83).
28 Cette traduction est nôtre. Le texte allemand est le suivant: «Die wirkliche Idee, der Geist. der sich selbst in die ideellen Spharen seines Begriffs, die Familie und die bürgerliche Gesellschaft. als in seine Endlichkeit scheidet, um aus ihrer Idealität für sich unendlicher wirklicher Geist zu sein, teilt somit diesen Spháren das Material dieser seiner endlichen Wirklichkeit, die Individuen als die Menge zu, so dass diese Zuteilung am Einzelnen durch die Umstände, die Willkür und eigene Wahl seiner Bestimmung vermittelt erscheint». (Kritik des Hegelschen Slaatsrevhts ed. Dietz, op. cit., p. 205)
29 Hegel écrit au par. 164: «Der Begriff ist das schlechthjn Konkrete, weil die negative Einheit mit sich als An-und-für-sich Bestimmtsein, welches die Einzelheit ist, selbst seine Beziehung auf sich die Allgemeinheit ausmacht. Die Momente des Begriffes konnen insofern nicht abgesondert werden…» (Enc. der philos. Wissenschaften, ed. , Suhrkamp, vol. 8. p. 313)Google Scholar.
30 Hegel écrit au par. 163, remarque: «Jedes Moment des Begriffs ist selbst der ganze Begriff (par. 160), aber die Einzelheit, das Subjekt, ist der als Totalität gesetzte Begriff».
31 Le texte original est le suivant: «In diesem Paragraphen ist das ganze Mysterium der Rechtsphilosophie niedergelegt und der Hegelschen Philosophic iiberhaupt» (Kritik des Hegelschen Staatsrechts, éd. Dietz. p. 208).
12 Feuerbach, L. Contribution à la Critique de la Philosophic de Hegel, ds. « Manifestes Philosophiques», op. cit., p. 31–36.
33 L'idée de I'assimilation de la Logique de Hegel à la théologie est fréquemment développée chez Feuerbach. Voir à ce sujet: Théses Provisoires pour la Réforme de la Philosophic, ds. «Manifestes Philosophiques», op. cit, p. 107, p. 120. Principes de la Philosophic de I'Avenir, ds. « Manifestes Philosophiques», op. cit., p. 128–132, 134–142, p. 158, etc.
34 Principes de la Philosophie de I'Avenir, ds. « Manifestes Philosophiques» op. cit., p. 143.
35 Théses Provisoires, ds. « Manifestes Philosophiques», op. cit., p. 113.
16 Principes de la Philosophie de I'Avenir, ds. « Manifestes Philosophiques» op. cit., p. 113.
37 Critique de la Philosophic de l'État de Hegel, trad. Molitor, t. IV, p. 29.
38 Ibid., p. 31
39 Henry, M. De Hegel a Marx. Essai sur la Critique de la Philosophie de l'Etat de Hegel de Marx, art. cit., p. 85ss.
40 Critique de la Philosophie de l'État de Hegel, trad. Molitor, t. IV, p. 25–26.
- 1
- Cited by