Il n’est pas inhabituel de rencontrer des ouvrages collectifs assemblant des travaux issus d’horizons très variés, réunis autour d’un thème très général qui est abordé de divers points de vue. C’est le cas du présent recueil. Hava Bat-Zeev Shyldkrot, Silvia Adler et Maria Asnes nous proposent une sélection d’articles concernant les problématiques liées à l’approximation et la précision, regroupant un certain nombre d’études de cas et quelques réflexions plus générales. Des approches relevant tantôt de la syntaxe ou de la sémantique, tantôt de la linguistique historique se côtoient, s’associent et se complètent dans cet ouvrage dont le thème concerne à la fois les concepts de ‘précision’ et d’‘imprécision’ (en rapport avec des aspects linguistiques), et les expressions linguistiques de ces concepts. Cette particularité – qui pourrait être un des points forts de l’ouvrage, puisqu’il permet à un grand nombre de lecteurs d’y trouver leur ‘bonheur’, suivant les spécialités de chacun – n’est pas pour autant exploitée à son avantage. Bien que les contributions soient précédées d’une introduction (9–13) qui en présente les contenus respectifs et d’un état des lieux (15–24) fort intéressant où Bat-Zeev Shyldkrot fait le tour de la problématique, on ne trouve nulle part une justification de la sélection des articles choisis, ni un fil conducteur pour ce recueil. Étant donné qu’elles y figurent dans l’ordre alphabétique des noms d’auteur, les études relevant des sciences du langage dans un sens large se mêlent à des analyses linguistiques proprement dites, chose qui n’est pas répréhensible en soi, pourvu que soit explicitée la nature différente de leurs objets d’étude respectifs, ainsi que les rapports entre ces objets. Cette différenciation apparaît en filigrane dans le texte de Bat-Zeev Shyldkrot, mais n’a pas abouti à une organisation des contributions selon leurs objets.
Il peut donc être utile de faire cette différenciation ici, par le prisme de quelques idées soulevées et sujets abordés dans le recueil. Il faut cependant insister sur le fait que la répartition proposée des textes en deux catégories n’a pas été faite selon le critère ‘études générales’ versus ‘études de cas’ mais selon l’objet: est-ce que ce sont les concepts ou notions que les auteurs examinent ou les mots ou termes se rapportant à ces concepts ou notions? Il se trouve par ailleurs que les deux types de catégorisation couvrent pratiquement les mêmes groupes d’articles mais cela est probablement dû au hasard et, en tous cas, comme on l’a fait remarquer ci-dessus, cela n’a pas été thématisé par les éditrices.
Les réflexions concernant les concepts d’‘imprécision’ et de ‘précision’ sont majoritairement menées dans leurs rapports avec un phénomène d’ordre linguistique. Quelques singularités d’ordre général sont relevées dans l’état des lieux dressé par Bat-Zeev Shyldkrot, comme le fait que des termes approximatifs peuvent référer à des concepts précis, que les langues ont plus de ressources pour rendre compte de l’approximation que de la précision, que les mots exprimant la précision ne sont pas pour autant exempts de subjectivité concernant ce concept, ou encore que l’instabilité et l’imprécision sont inhérentes aux langues naturelles, en raison de leur polysémie. Silvia Adler et Maria Asnes (25–42) montrent que précision et approximation ne sont pas complémentaires, en relation de disjonction exclusive, mais qu’il existe entre elles une relation scalaire. Sabine Lehmann (111–143) analyse les stratégies d’approximation par l’argument d’autorité dans les discours scientifiques en moyen français et en français préclassique. Moshé Tabachnick (173–193) examine la notion de ‘précision’ dans l’espace interprétatif du texte littéraire, du point de vue de la scalarité des effets de sens qui y sont structurés. Eva Havu (91–110) s’intéresse à la manière dont certaines constructions subordonnées relevant de cas d’approximation sont traduites du français en finnois.
Les études linguistiques sur les mots et termes exprimant les notions de ‘précision’ et d’‘approximation’ sont elles-mêmes plutôt hétéroclites, allant des analyses diachroniques jusqu’aux approches guillaumiennes (le cadre théorique de la psychomécanique du langage). Les analyses lexicales concernent les emplois des mots précis et exact (Hava Bat-Zeev Shyldkrot, 15–24); l’évolution sémantique des quantificateurs assez (Annie Bertin, 43–62), tant (Olivier Soutet, 159–172) et plusieurs (Bernard Combettes, 63–76); et des aspects syntaxico-sémantiques de l’adjectif unique (Tania Gluzman, 77–90) et des syntagmes une sorte de / un genre de / une espèce de (+ N) (Charlotte Schapira, 145–158). L’évolution syntaxique de l’adverbe presque fait l’objet de la contribution de Thomas Verjans (195–210).
Tout bien considéré, Précis et imprécis: études sur l’approximation et la précision est un ouvrage qui est davantage destiné à la consultation d’articles individuels, en fonction des intérêts du lecteur à la recherche de renseignements très précis, qu’à la lecture d’un bout à l’autre permettant d’avoir une idée cohérente de la thématique.