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La mise en scène d'un drame intérieur dans le poème Sur le péché originel d'Avit de Vienne

Published online by Cambridge University Press:  29 July 2016

Paul-Augustin Deproost*
Affiliation:
Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve

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Le deuxième livre de la Geste de l'histoire spirituelle publiée par l'évêque gallo-romain Avit de Vienne au début du VIe siècle apparaît, en réalité, comme le cœur d'une trilogie hexamétrique consacrée aux premiers instants bibliques de l'histoire du monde et des hommes, et que l'on a parfois comparée au Paradis perdu de Milton. Dès le premier vers de ce livre, le poète prend soin de rattacher le sujet du péché originel à la longue méditation initiale Sur le début du monde, jusque dans l'emploi d'un adverbe temporel de transition qui marque le début du récit, interea. Par ailleurs, comme l'a observé Michael Roberts, la longue digression finale sur l'épisode de la femme de Lot et de la destruction de Sodome et Gomorre, qui occupe quatre-vingt-un vers du deuxième livre, assure la transition entre le sujet majeur de ce livre, à savoir la lutte qui oppose Ève au serpent, et le problème de la culpabilité d'Adam, qui sera débattu au troisième livre: la femme de Lot est, comme Ève, une autre «fouineuse de malheurs», mais à l'inverse de la première femme, elle n'est pas parvenue à séduire son «propre Adam». Un peu à la manière des décors simultanés en usage dans le drame médiéval, le récit principal se double ici d'un récit secondaire qui annonce recentrage au livre III sur l’évaluation de la complicité d’Adam et Ève dans la faute. Parmi d'autres détails qui confirment le lien entre cet épisode adventice du livre II et le livre III, la malédiction de Dieu contre le sol des deux cités condamnées est un exemple particulier de cet espace de punition et d'illusions qu'est devenue la terre depuis la sentence de Dieu contre Adam; du reste, le châtiment de Sodome réapparaît explicitement au livre III comme une figure du feu éternel qui attend les damnés à la fin des temps.

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References

1 Guizot, M., Histoire de la civilisation en France depuis la chute de l'empire romain, t. 2 (Paris, 1886), 65–77. Pour les périodiques, nous avons adopté les abréviations en usage dans l’Année philologique; pour les références aux auteurs latins, nous nous sommes aligné sur les abréviations prévues par le Thesaurus linguae latinae; pour les citations du texte d’Avit, nous utilisons l’édition de Peiper, R., MGH Auctores Antiquissimi 6.2.Google Scholar

L'unité des trois premiers livres du poème d’Avit a été réaffirmée en dernier lieu par Ehlers, W., “Bibelszenen in epischer Gestalt: ein Beitrag zu Alcimus Avitus,” VChr 39 (1985): 353–69 (surtout 354). Voir aussi une étude sur la technique de la composition dans les trois premiers livres du poème d’Avit, dans Roncoroni, A., “L'epica biblica di Avito di Vienne,” VetChr 9 (1972): 303–29 (surtout 303–18), et le travail de Kirkconnell, W., “Avitus’ Epic on the Fall,” LThPh 3 (1947): 222–42.Google Scholar

2 Avit. carm. 2.1–3: «Vtitur interea uenturi nescia casus / libertas secura bonis fruiturque beata / ubertate loci.» On observera que le premier mot du poème est un verbe, qui en introduit le caractère dramatique.Google Scholar

3 Avit. carm. 2.326–28 (début de la digression): «Nec iam sola fuit scrutatrix Eua malorum:/dicam nunc aliam, tali quae peste laborans / et coniuncta uiro proprium non uicerit Adam». Le parallèle entre les deux couples est repris à la fin de la digression, aux v. 400–407, confirmant ainsi le rapport étroit qui existe entre eux dans l'exégèse du poète. Sur cette unité de composition entre la narration et son exégèse, voir Roberts, M., Biblical Epic and Rhetorical Paraphrase in Late Antiquity, ARCA 16 (Liverpool, 1985), 216. On trouve déjà un parallèle entre Ève et la femme de Lot, dans Prud. ham. 738–42.Google Scholar

4 Avit. carm. 3.50 sq. On comparera aussi la malédiction du sol de Sodome en 2.343–54, et celle du sol de la terre après la faute originelle en 3.155 sq.Google Scholar

5 Roberts, Biblical Epic. Comme nous l'avons déjà montré pour le poème d’Avit sur le déluge, la source biblique du poète est bien, ici aussi, la version vulgate du texte de la Genèse (Gen. 2:25–3:7): voir P.-A. Deproost, “La mise en œuvre du merveilleux épique dans le poème «De diluuio mundi» d’Avit de Vienne,” JbAC 34 (1991): 88–103 (surtout 89–90 [n. 10]). En l'absence de toute leçon vieille-latine clairement identifiable, on peut, en effet, repérer quelques indices d'une source vulgate. Par exemple, en Gen. 3:1, la vulgate est la seule version qui décrit le serpent «callidior cunctis animantibus», alors que la uetus latina traduit «sapientior omnium bestiarum» et qu'aucune variante ne décline les formes vulgates callidus ou animans; en carm. 2.118–19, Avit amplifie bien la présentation vulgate du serpent: «Forte fuit cunctis animantibus altior astu, / aemulus arguto callet qui pectore, serpens»; par ailleurs, le serpent de la Genèse est encore qualifié de callidus aux vers 183, 233, et 373 du poème. En Gen. 3:6, en dehors d'une variante vieille-latine uniquement attestée par Dionys. Exig. Greg. Nyss. creat. 21 (PL 67: 381 D), la vulgate est la seule version qui qualifie aussi l'arbre défendu de pulchrum, au lieu de bonum, gratum, ou speciosum dans la uetus latina; l'adjectif pulchrum se retrouve chez Avit au même endroit du récit (210–11), certes pour qualifier le fruit plutôt que l'arbre et avec une innovation majeure, puisque c'est le serpent qui cueille lui-même la pomme, et non Ève: «Vnum de cunctis letali ex arbore malum / detrahit et suaui pulchrum perfundit odore.» Voir un autre indice significatif de la source biblique vulgate d’Avit, infra n. 81. En revanche, la citation remaniée d'Is. 14:13–14, qu’Avit place dans la bouche de Satan en 2.42–44, semble plus proche d'une version vieille-latine de ce passage célèbre, que le poète pouvait connaître de mémoire sous cette forme: «Diuinum consequar, inquit, / nomen et aeternam ponam super aethera sedem / excelso similis summis nec uiribus inpar»; toutefois, si le poète retient la formule vieille-latine «ponam sedem» contre «exaltabo solium» de la vulgate, il paraphrase de façon très personnelle la première partie du verset biblique et il est le seul témoin de la tradition ancienne qui atteste les expressions «super aethera» et «excelso similis»; enfin, le vers 108 «Si nequeo clausos iterum conscendere caelos» est peut-être une allusion négative à la version vulgate d'Is. 14:13 «in caelum conscendam», alors que la uetus latina emploie la forme verbale «ascendam».Google Scholar

6 Le livre 3 commence, d'ailleurs, sur la conscience de cette honte. Le prélude du livre 2 occupe les vers 1–34. Les deux thèmes des corps rassasiés et innocents dans leur nudité seront inversés aux vers 228–32 dans l'image de la «faim éternelle» d’Ève et aux vers 271–76 dans la découverte honteuse des corps nus.Google Scholar

7 Avit. carm. 3.98–107. Par ailleurs, la complicité du serpent et d’Ève apparaît dans la façon comparable dont le poète décrit leurs tromperies respectives: cf. Avit. carm. 2.136–37: «Ergo ut uipeream malesuada fraude figuram / induit»; 204: «fallaci susurro» (à propos du serpent); 254: «Accipit infelix malesuadi uerba susurri», où le poète combine, à propos du discours d’Ève à Adam, le vocabulaire déjà utilisé pour les paroles du serpent.Google Scholar

8 Les cinq livres de la Geste de l'histoire spirituelle d’Avit sont, on le sait, suivis d'un poème dont le prologue précise le titre révélateur De consolatoria castitatis laude, et dont la destinataire est Fuscina, la sœur d’Avit entrée en religion.Google Scholar

9 Aux v. 277–325, Avit condamne les pratiques divinatoires de tous ordres, notamment la consultation des astres, des morts, ou des serpents; à cette occasion, il évoque le prodige biblique de Moïse et des mages du Pharaon (295–302) et la célèbre légende antique des Marses (303–16). Sur l'importance de l’épisode de la femme de Lot dans la structure du poème, voir supra n. 3. On observera que la péricope de l’Exode et la légende des Marses apparaissent respectivement en 11.29.37 et 11.28.35 du commentaire de Genesi ad litteram d’Augustin, qui a influencé, par ailleurs, une bonne part de la démonologie d’Avit dans ce poème.Google Scholar

10 Avit. carm. 2.1–3: «Vtitur interea uenturi nescia casus / libertas secura bonis fruiturque beata / ubertate loci.»Google Scholar

11 On sait combien cette opposition entre uti et frui est chère à Augustin: voir e.g. ciu. 15.7.1, et récemment un paragraphe consacré à ce thème, dans J. van Oort, Jerusalem and Babylon. A Study into Augustine's «City of God» and the Sources of his Doctrine of the Two Cities, Supplements to Vigiliae Christianae, 14 (Leiden, 1991), 142–45; on ajoutera à la bibliographie qui apparaît dans les notes de ce paragraphe, l'article de Cayré, F., “Frui et uti,” L'Année théologique 10 (1949): 50–53.Google Scholar

12 La formule uenturi nescia casus rappelle les fins d'hexamètre uenturique inscius aeui de Verg. Aen. 8.627, et uenturi praescia Manto d’Ov. met. 6.157, qui évoquent respectivement les pouvoirs de Vulcain et de Manto, la fille de Tirésias. Pour Avit, cette tentation de vouloir connaître l'avenir a été décisive dans la faute originelle, et il lui consacre la première digression exégétique aux v. 277–325.Google Scholar

13 Avit. carm. 2.1–21. Parmi les sources antiques d’Avit dans cette description, on citera les textes parallèles de Verg. georg. 4.273: «Namque uno ingentem tollit de caespite siluam» (cf. Avit. carm. 2.5: «Sumitur adsiduus tenui de caespite fructus»); ecl. 1.79–83, où, parmi les ingrédients de la vie paisible de Tityre, on trouve précisément les mitia poma, qui agrémentent aussi le paysage du paradis d’Avit (7); georg. 3.435–36: «Ne mihi tum mollis sub diuo carpere somnos / neu dorso nemoris libeat iacuisse per herbas» (cf. Avit. carm. 2.10–11: «Iam si praedulces delectat carpere somnos, / mollibus in pratis pictaque recumbitur herba»; de surcroît, l'expression mollibus in pratis en tête de vers apparaît aussi en Verg. georg. 2.384). Plus globalement, la vie facile dans les amoena uirecta évoqués par Avit appartient déjà au répertoire des âges d'or ou des paradis antiques, comme, par exemples: Verg. georg. 1.127–28; Aen. 6.638–41, 673–75; Ov. met. 1.101–03, 109–10. Pour la survie des paradis antiques dans les poèmes chrétiens, voir e.g. Fontaine, J., “Trois variations de Prudence sur le thème du Paradis,” Forschungen zur römischen Literatur. Festschrift K. Büchner (Wiesbaden, 1970), 96–115 (= Études sur la poésie latine tardive d’Ausone à Prudence [Paris, 1980], 488–507); idem, “Un «paradis» encore bien classique: le prélude du poème «De aue Phoenice» (v. 1–29),” Autour de Tertullien. Hommage à René Braun, t. 2, Publications de la Faculté des lettres et sciences humaines de Nice, 56 (Nice, 1990), 177–92; Deléani, S., “Une quatrième «variation sur le paradis» dans le «Cathemerinon» de Prudence (7, 136–40),” De Tertullien aux Mozarabes, t. 1. Antiquité tardive et christianisme ancien (IIIe–VIe siècles). Mélanges offerts à Jacques Fontaine, Collection des Études Augustiniennes. Série Antiquité 132 (Paris, 1992), 465–77.Google Scholar

14 Avit. carm. 2.14: «Sic epulas tamen hi capiunt escamque requirunt», et 20: «Corpora nuda uident». Les mots libertas (2) et honestas (21) entourent cette brève description du paradis, qui est aussitôt suivie d'un commentaire exégétique sur la pureté originelle et d'une comparaison avec la condition future des ressuscités (22–34).Google Scholar

15 Ibid., 2.1–2: «Vtitur interea uenturi nescia casus / libertas secura bonis»; 21: « … rudis foedum nil sentit honestas»; 22: «Non natura hominis uitio, sed causa pudori est.»Google Scholar

16 Cf. Ibid., 2.31–33: «Cessabit gemitus, luxus, metus, ira, uoluptas, / fraus, dolor atque dolus, maeror, discordia, liuor. / Nullus egens, nullus cupiens», et Verg. Aen. 6.273–81. Jacques Fontaine avait déjà isolé ce passage de l’Énéide comme une source à rebours du paradis de l'oiseau Phénix dans le poème de Lactance, complétée par d'autres souvenirs virgiliens: voir Fontaine, “Un «paradis» encore bien classique” (n. 13), 185–86; comme chez Avit, l'absence de la passion amoureuse est, du reste, explicite aussi dans le paradis du Phénix (voir Lact. de aue Phoenice 18). Cette liste de maux recoupe également des énumérations que l'on trouve dans les lettres pauliniennes: voir e.g. Rom. 1:28–31; Gal. 5:19–21. Pour les textes néotestamentaires sur la chasteté des anges et des ressuscités, voir e.g. Mat. 22:30; Luc 20: 34–36.Google Scholar

17 Avit. carm. 2.35–37: «His protoplastorum sensum primordia sacra / continuere bonis, donec certamine primo / uinceret oppressos fallacem culpa per hostem.» On observera également que le mot hostem est à la fois le dernier mot de la phrase et du vers 37, et que l'adjectif fallacem est mis en évidence à la coupe du vers.Google Scholar

18 Ibid., 2.35–76. Parmi les thèmes des débats patristiques sur le diable présents dans ce passage, on retrouve sa nature angélique, sa nature bonne avant la chute, l'orgueil à la base de son péché; cfr. plusieurs textes du livre 11 du commentaire d’Augustin de Genesi ad litteram, et les notes complémentaires 46 et 47 sur «la chute du diable» et «le serpent du paradis» dans l’édition de cette œuvre dans la Bibliothèque augustinienne 49 (Paris, 1972): 545–55. Plus loin, on trouvera également l'idée de la «subtilité» du corps du diable: voir infra n. 43. Pour un dossier patristique sur le diable et les démons, on peut partir de l'article d’E. Mangenot, “Démon. II. Démon d'après les Pères,” DThC 41(1939), 339–84.Google Scholar

19 Avit. carm. 2.38–44: «Angelus hic dudum fuerat, sed crimine postquam / succensus proprio tumidos exarsit in ausus, / se semet fecisse putans, suus ipse creator / ut fuerit, rabido concepit corde furorem / auctoremque negans: ‘Diuinum consequar, inquit, / nomen et aeternam ponam super aethera sedem / excelso similis summis nec uiribus inpar.’»Google Scholar

20 Cf. ibid., 2.39: «Succensus proprio tumidos exarsit in ausus», et Verg. Aen. 7.445: «Talibus Allecto dictis exarsit in iras»; 11.376: «Talibus exarsit dictis uiolentia Turni»; voir l'emploi de l'adjectif tumidus pour qualifier le serpent qui hiberne sous la terre, en Verg. Aen. 2.472, ou Turnus belliqueux, en Verg. Aen. 10.21; le mot ausus, qui conclut le vers d’Avit, fait aussi penser au célèbre vers de Verg. Aen. 6.624: «Ausi omnes immane nefas ausoque potiti», où le poète exprime doublement l'audace sacrilège des damnés des enfers. Cf. aussi Avit. carm. 2.41: « … rabido concepit corde furorem», et Verg. Aen. 4.501–502 et 4.474, où le poète évoque la folie suicidaire de Didon. Pour une comparaison détaillée, peut-être un peu excessive, entre le péché d'orgueil de Satan et la colère de Turnus au chant 11 de l’Énéide, voir Simonetti Abbolito, G., “Avito e Virgilio,” Orpheus, N.S. 3 (1982): 49–72 (surtout 64–65).Google Scholar

21 Cf. Avit. carm. 2.41–44, et Is. 14:12–14 (voir supra n. 5); pour l'interprétation patristique de ces versets d'Isaïe, voir la liste des témoins dans la Vetus latina de Beuron (Esaias, éd. Gryson, R., Bd. 12, fasc. 5 et 6, 396–407).Google Scholar

22 Avit. carm. 2.53–76: «Sed quod uiuaces pertendit in abdita sensus / quodque futura uidet rerumque arcana resignat, / angelici feruens superest natura uigoris. / Horrendum dictu signisque notabile monstrum: / nam quidquid toto dirum committitur orbe, / iste docet scelerumque manus ac tela gubernat / pugnat et occultus per publica crimina latro. / Et nunc saepe hominum, nunc ille in saeua ferarum / uertitur ora nouos uarians fallentia uultus. / Alitis interdum subito mentita uolantis / fit species habitusque iterum confingit honestos. / Apparens nec non pulchro ceu corpore uirgo / protrahit ardentes obscena in gaudia uisus. / Saepe etiam cupidis argentum inmane coruscat / accenditque animos auri fallentis amore / delusos fugiens uano phantasmate tactus. / Nulli certa fides constat uel gratia formae: sed quo quemque modo capiat teneatque nocendo, / opportuna dolis clausaeque adcommoda fraudi / sumitur exterior simulata fronte figura. / Maior adhuc etiam saeuo permissa potestas, / ut sanctum fingat: dudum conlata creato / sic natura ualet, rectam quam condidit auctor, / sed post ad prauos subuersor transtulit usus.» La digression moralisante qui précède ce portrait a pu être inspirée d'un passage de Juvénal: cf. Avit. carm. 2.49–52: «Quandoquidem grauior talem sententia punit, / quem mirum cecidisse putes; nam crimen acerbat / auctor, in ignoto minor est peccante reatus / durius atque malum, quod maior fecit, habetur», et Iuv. 8.140–41: «Omne animi uitium tanto conspectius in se / crimen habet, quanto maior qui peccat habetur.»Google Scholar

23 Sur les sources et l'histoire de l'image du «démon-brigand», voir Bartelink, G. J. M., “Les démons comme brigands,” VChr 21 (1967): 12–24. Pour le cliché virgilien du monstrum horrendum dictu, voir e.g. Verg. Aen. 3.26, où est raconté le prodige qui signale à Énée la présence de la sépulture de Polydore; 4.454, à propos du fantasme de Didon qui, dans son délire, voit l'eau sainte noircir et le vin des libations se transformer en sang; etc.Google Scholar

24 Verg. georg. 4.387 sq, et Ov. met. 8.730 sq. Les métamorphoses animales de Satan font aussi penser au récit fameux des tentations de saint Antoine racontées par Athanase dans sa Vie de saint Antoine (chapitres 9, 23, 53), dont on sait qu'elle a été rapidement traduite en latin et qu'elle a eu une grande influence en Occident, notamment sur saint Augustin au moment de sa conversion (Aug. conf. 8.6.14); le chapitre 12 de la Vie de saint Antoine évoque même la tentation de l'or, également présente dans les diableries du Satan d’Avit.Google Scholar

25 Cf. Avit. carm. 2.62–63: «Alitis interdum subito mentita uolantis / fit species», et Verg. Aen. 12.860 sq, et surtout 862: «Alitis in paruae subitam collecta figuram.» Google Scholar

26 Prud. psych. 551–52: «Dixerat et toruam faciem furialiaque arma / exuit, inque habitum sese transformat honestum». Voir aussi plusieurs exemples de personnages punis pour leur excès d'ascèse ou leur goût excessif pour la solitude, qui sont autant de tentations, dans les Conférences de Jean Cassien. En 74.3, la Règle du Maître invite même à intervenir contre le frère qui ferait vœu de jeûner au-delà de la mesure prescrite, parce que «per bonum subripit diabolus.»Google Scholar

27 Avit. carm. 2.77–88. En quatre vers, Avit multiplie les mots ou expressions qui traduisent le bonheur paisible de la vie des premiers hommes au paradis: 77–80: «Vidit ut iste nouos homines in sede quieta / ducere felicem nullo discrimine uitam, / lege sub accepta famulo dominarier orbi / subiectisque frui placida inter gaudia rebus». La progression de l'envie chez Satan est décrite selon l'imagerie classique du «feu de la jalousie»: 81–82: «Commouit subitum zeli scintilla uaporem / excreuitque calens in saeua incendia liuor»; cf. Prud. ham. 188–89: «Arsit enim scintilla odii de fomite zeli, / et dolor ingenium subitus conflauit iniquum». La description haute en couleurs du diable par Prudence dans l’Hamartigenia (126–205) présente, par ailleurs, d'autres points de contact avec le portrait qu'en dresse Avit, comme, par exemple, la prétention de Satan de s’être créé lui-même (ham. 167–73 // Avit. carm. 2.38–42), sa nature angélique déchue, mais bonne et radieuse à l'origine (ham. 159–62, 184–85 // Avit. carm. 2.38, 45–47, 74–75), le triple sifflement de sa langue (ham. 201–202 // Avit. carm. 2.135), son enseignement nuisible (ham. 204–205 // Avit. carm. 2.183, 420–21), le même adjectif aemulus en tête de vers (ham. 178 // Avit. carm. 2.119), etc.Google Scholar

28 Avit. carm. 2.85–86: «Hoc recolens casumque premens in corde recentem / plus doluit periisse sibi, quod possidet alter.» Sur la jalousie de Satan, voir e.g. Sg. 2:24; Comm. ap. 151–54; Lact. inst. 2.12.17; Cypr. zel. 4; Tert. patient. 5.6; Aug. gen. ad litt. 11.14.18; Leo-M. serm. 49.3; etc.Google Scholar

29 Cf. Avit. carm. 2.85–86 (voir note précédente) et Verg. Aen. 1.209: «… premit altum corde dolorem»; 10.464–65: «(Alcides) … sub imo / corde premit gemitum»; pour les remplois poétiques chrétiens de cet hémistiche virgilien, voir Courcelle, P., Lecteurs païens et lecteurs chrétiens de l'Énéide. 1. Les témoignages littéraires, Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Nouvelle Série 4 (Paris, 1984), 67.Google Scholar

30 Avit. carm. 2.87–88: «Tum mixtus cum felle pudor sic pectore questus / explicat et tali suspiria uoce relaxat»; cf. e.g. Verg. Aen. 8.219–20: «Hic uero Alcidae furiis exarserat atro / felle dolor»; 10.398: «(Arcadas) … mixtus dolor et pudor armat in hostis»; 10.870–71: «Aestuat ingens / uno in corde pudor mixtoque insania luctu»; 9.44: «Ergo etsi conferre manum pudor iraque monstrat».Google Scholar

31 Avit. carm. 2.89–117: «‘Pro dolor hoc nobis subitum consurgere plasma / inuisumque genus nostra creuisse ruina! / Me celsum uirtus habuit, nunc ecce reiectus / pellor et angelico limus succedit honori. / Caelum terra tenet, uili conpage leuata / regnat humus nobisque perit translata potestas. / Non tamen in totum periit: pars magna retentat / uim propriam summaque cluit uirtute nocendi. / Nec differre iuuat: iam nunc certamine blando / congrediar, dum prima salus experta nec ullos / simplicitas ignara dolos ad tela patebit. / Et melius soli capientur fraude, priusquam / fecundam mittant aeterna in saecula prolem. / Inmortale nihil terra prodire sinendum est, / fons generis pereat, capitis deiectio uicti / semen mortis erit. Pariat discrimina leti / uitae principium. Cuncti feriantur in uno: / non faciet uiuum radix occisa cacumen. / Haec mihi deiecto tantum solacia restant. / Si nequeo clausos iterum conscendere caelos, / his quoque claudantur. Leuius cecidisse putandum est, / si noua perdatur simili substantia casu, / sit comes excidii, subeat consortia poenae / et, quos praeuideo, nobiscum diuidat ignes. / Sed nec difficilis fallendi causa petetur: / haec monstranda uia est, dudum quam sponte cucurri / in pronum lapsus: quae me iactantia regno / depulit, haec hominem paradisi limine pellet’. / Sic ait et. gemitus uocem clausere dolentis.»Google Scholar

32 Sur les emplois chrétiens de ce cliché des mille nocendi artes appliqué à l'activité des démons, voir Courcelle, Lecteurs païens (n. 29), 539–48. Avit reprendra, de façon plus explicite encore, cette image de la Furie Allecto dans la description qu'il donnera du serpent et de ses mille roueries au chant 6.511–13: «Inpatiens recti toto qui tempore serpens / mille nocendi artes stimulis inflammat amaris, / quod famam uiolare cupit, dedit inde coronam.»Google Scholar

33 On observera le rejet, le chiasme et la formule antithétique au passage des vers 104–105: «… pariat discrimina leti / uitae principium», les oppositions qui remplissent le deuxième hémistiche des v. 105–106: «… Cuncti feriantur in uno: / non faciet uiuum radix occisa cacumen», le jeu de mots antithétiques pereat/pariat de part et d'autre de la césure des vers 103–104: «Fons generis pereat, capitis deiectio uicti / semen mortis erit. Pariat discrimina leti …»Google Scholar

34 Les vers 115–16 sont très expressifs de cette complicité dans la faute et dans le châtiment: «Quae me iactantia regno / depulit, haec hominem paradisi limine pellet», où le poète souligne les parallélismes de terme à terme, jusque dans l'emploi d'une même racine verbale aux deux extrémités du vers 116.Google Scholar

35 Voir Simonetti Abbolito, “Avito e Virgilio” (n. 20), 62–64.Google Scholar

36 Cf. Avit. carm. 2.72: «Sumitur exterior simulata fronte figura», et Verg. Aen. 4.105: «Olli sensit enim simulata mente locutam …», où l'expression simulata mente occupe la même position métrique dans le vers.Google Scholar

37 Verg. Aen. 1.34–49.Google Scholar

38 Cf. Avit. carm. 2.89–90: «Pro dolor hoc nobis subitum consurgere plasma / inuisumque genus nostra creuisse ruina!» et Verg. Aen. 7.293–94: «Heu stirpem inuisam et fatis contraria nostris / fata Phrygum!»Google Scholar

39 Cf. Avit. carm. 2.108: «Si nequeo clausos iterum conscendere caelos», et Verg. Aen. 7.312: «Flectere si nequeo superos, Acheronta mouebo.»Google Scholar

40 Cf. Avit. carm. 2.91–92: «Me celsum uirtus habuit, nunc ecce reiectus / pellor et angelico limus succedit honori», et Verg. Aen. 7.308: «Ast ego, magna louis coniunx, … (310) uincor ab Aenea.»Google Scholar

41 Selon l'heureuse expression de Otis, B., Virgil. A Study in Civilized Poetry (Oxford, 1963), 223, et reprise par Thomas, J., Structures de l'imaginaire dans l'Énéide, Collection d’études anciennes (Paris, 1981), 237–38.Google Scholar

42 Aug. gen. ad litt. 11.27.34–11.29.36, souligne que le serpent n'a été que l'organe vocal et l'instrument matériel du diable pour la tentation, et que sa malice relève non pas de sa nature de serpent, mais de l'esprit mauvais qui parle à travers lui; Augustin ajoute qu'il insiste sur ce point contre les partisans de la transmigration des âmes, dont on sait qu'elle est au centre du processus ovidien de la métamorphose. Cependant, en accord avec Augustin, qui conteste toute nature raisonnable au serpent en tant que tel, Avit regrettera plus loin qu’Ève ait prêté attention aux paroles d'un serpent, successivement qualifié de brutus, belua, et monstrum, bref d'animal sans raison (162–65).Google Scholar

43 Avit. carm. 2.118–35. Le vers 118 paraphrase presque mot pour mot le verset biblique correspondant, mais en utilisant les ressources de la versification pour retarder, en fin de phrase et au dernier pied du vers 119, le mot qui désigne le reptile: cf. 118–19: «Forte fuit cunctis animantibus altior astu, / aemulus arguto callet qui pectore, serpens», et Gen. 3:1: «Sed et serpens erat callidior cunctis animantibus terrae.» Plus habituellement réservé, dans la tradition patristique, à Adam ou à l'homme pécheur, Avit utilise ici le terme transgressor (120) pour désigner le diable, sans doute en souvenir des réflexions augustiniennes sur les transgressores angeli (voir e.g. Aug. conf. 1.17.27; gen. ad litt. 3.10.15); Augustin évoque, à plusieurs reprises, la nature «aérienne» du corps du démon (aerium corpus, 121): voir Aug. gen. ad litt. 3.10.14–15; 11.13.17; 11.22.29; ciu. 8.15–16, dans la ligne de la démonologie traditionnelle et apuléenne, qui prête aux démons un corps aérien ou éthéré, en tout cas plus «subtil» que le corps humain (voir aussi la note complémentaire sur «la chute du diable», §1. «La nature du diable», dans l’édition du gen. ad litt. au t. 49 la Bibliothèque augustinienne [supra n. 18], 545–46). Pour une étude sur la nature de l'ange déchu dans la théologie d’Avit de Vienne, voir les travaux de Capponi, F., “Un aspetto demonologico della teologia di Avito,” Meander 22 (1967): 318–24, et idem., “I limiti didascalici della poesia di Avito, A. E.,” Latomus 26 (1967): 151–64, quelque peu nuancés pour les vers qui nous occupent (carm. 2.38–135) par Roncoroni, “L'epica biblica” (n. 1), 311–12.Google Scholar

44 Cf. Avit. carm. 2.126–35: «Qualis uere nouo, primis cum mensibus aestas / praemittit laetos post frigora pigra tepores, / euadens ueterem reparatis motibus annum / et siccum nitido discingens corpore tegmen / procedit coluber terrarumque abdita linquens / perfert terribilis metuendum forma decorem: / dira micant oculi; tum lumine uisus acuto / laetior optatum discit consuescere solem; / nunc simulat blandum, crebro ceu carmine fauces / ludunt et trifidam dispergunt guttura linguam», et Verg. Aen. 2.471–75: «Qualis ubi in lucem coluber mala gramina pastus, / frigida sub terra tumidum quem bruma tegebat, / nunc, positis nouos exuuiis nitidusque iuuenta, / lubrica conuoluit sublato pectore terga / arduus ad solem, et linguis micat ore trisulcis», où l'on trouve déjà, outre des parallèles lexicaux, quelques traits plus longuement développés chez Avit: la froideur de la saison hivernale, l'abandon de l'ancienne peau, la nouvelle apparence brillante, la redécouverte du soleil, la terreur qu'inspire la langue à trois pointes du serpent. L’évocation même du retour du printemps chez Avit — uere nouo — est virgilienne: on la retrouve plusieurs fois dans les poèmes de Virgile, dont une fois dans une autre comparaison, en ecl. 10.74: «Quantum uere nouo uiridis se subicit alnus», au même endroit du vers, juste avant la césure et après le terme qui introduit la comparaison. L'usage épique de la longue comparaison est encore attesté ailleurs chez Avit: voir Deproost, “La mise en œuvre du merveilleux épique” (n. 5), 101–102.Google Scholar

45 Cf. Avit. carm. 2.136–37: «Ergo ut uipeream malesuada fraude figuram / induit et totum fallax processit in anguem», et Verg. Aen. 6.273–77, où la «malesuada Fames» apparaît aux côtés d'autres allégories «terribiles uisu formae», comme le serpent qui vient d’être décrit par Avit.Google Scholar

46 Avit. carm. 2.138–44.Google Scholar

47 Ibid., 2.145–60: «O felix mundique decus pulcherrima uirgo, / ornat quam roseo praefulgens forma pudore, / tu generi uentura parens, te maximus orbis / expectat matrem: tu prima et certa uoluptas / solamenque uiri, sine qua non uiueret ipse / ut maior, sic iure tuo subiectus amori / praedulcis coniunx, reddes cui foedere prolem. / Vobis digna datur paradisi in uertice sedes, / uos subiecta tremit famulans substantia mundi: / quod caelum, quod terra creat, quod gurgite magno / producit pelagus, uestros confertur in usus. / Nil natura negat, datur ecce in cuncta potestas. / Nec equidem inuideo, miror magis. Vt tamen una / contineat liber dulci super arbore tactus, / scire uelim, quis dira iubet, quis talia dona / inuidet et rebus ieiunia miscet opimis?»Google Scholar

48 Ibid., 2.148–49: «Tu prima et certa uoluptas / solamenque uiri», où l'on peut reconnaître un souvenir métrique et phonique de Verg. Aen. 8.581: «Dum te, care puer, mea sola et sera uoluptas», quand Évandre embrasse, pour la dernière fois, son fils, qui s'apprête à partir au combat à la suite d’Énée.Google Scholar

49 La première partie du vers 157, jusqu’à la ponctuation bucolique: «Nec equidem inuideo, miror magis» décalque mot pour mot l’étonnement de Mélibée en Verg. ecl. 1.11, quand il a entendu Tityre vanter les mérites d'un dieu qui lui procure tous les loisirs auxquels il s'adonne.Google Scholar

50 Cf. Avit. carm. 2.161: «Haec male blanditam finxerunt sibila uocem»; 2.136: «Ergo ut uipeream malesuada fraude figuram»; 2.204: «Talia fallaci spondentem dona susurro»; 2.254: «Accipit infelix (= Adam) malesuadi uerba susurri». Google Scholar

51 Ibid., 2.162–65.Google Scholar

52 Pour la réponse d’Ève, voir ibid., 2.169–82 (// Gen. 3:2–3). Avant de rapporter les propos d’Ève, Avit ne laisse planer aucun doute sur sa crédulité: Avit. carm. 2.166–68: «Ergo ubi mortiferum seductilis Eua uenenum / auribus accipiens laudi consensit iniquae, / tunc ad serpentem uano sic ore locuta est».Google Scholar

53 Ibid., 2.169: «Suauibus o pollens coluber dulcissime dictis.»Google Scholar

54 Ibid., 2.178–82: «Nam si libertas temeraret noxia legem, / iurans terribili praedixit uoce creator / quadam nos statim luituros morte reatum. / Quid uocitet mortem, tu nunc, doctissime serpens, / pande libens, quoniam rudibus non cognita res est.»Google Scholar

55 Voir supra n. 9.Google Scholar

56 Gen. 3:4–5.Google Scholar

57 Avit. carm. 2.183–84: «Callidus inde draco et leti tum sponte magister / interitum docet et captas sic fatur ad aures.»Google Scholar

58 Ibid., 2.185–203: «Terroris uacuum formidas femina nomen. / Non ueniet uobis rapidae sententia mortis: / sed pater inuisus sortem non contulit aequam / nec uos scire dedit, sibimet quae summa reseruat. / Quid iuuat ornatum conprendi aut cernere mundum / et caecas misero concludi carcere mentes? / Corporeos pariter sensus oculosque patentes / sic brutis natura creat, sol omnibus unus / seruit et humano non distat belua uisu. / Consilium mage sume meum mentemque supernis / insere et erectos in caelum porrige sensus. / Namque hoc, quod uetitum formidas tangere, pomum / scire dabit, quaecumque pater secreta reponit. / Tu modo suspensos tantum ne contine tactus, / nec captiua diu frenetur lege uoluptas. / Namque ubi diuinum libaueris ore saporem, / mox purgata tuo facient te lumina uisu / aequiperare deos, sic sancta ut noxia nosse, / iniustum recto, falsum discernere uero.»Google Scholar

59 Voir déjà Platon rep. 9.586a, repris chez les Latins, notamment par Sall. Cat. 1.1; Cic. leg. 1.9.26; Ov. met. 1.84–86; Iuv. 15.142–47.Google Scholar

60 Cf. Avit. carm. 2.187–88: «Sed pater inuisus sortem non contulit aequam / nec uos scire dedit, sibimet quae summa reseruat», et 2.196–97: «Namque hoc, quod uetitum formidas tangere, pomum / scire dabit, quaecumque pater secreta reponit». Observons également que formidas était déjà le verbe utilisé dès le premier vers de la réponse du serpent (185).Google Scholar

61 C'est le dernier mot du vers 199. Les deux derniers pieds de ce vers réunissent, du reste, les deux mots qui s'opposent implicitement tout au long de ce débat: «lege uoluptas», soit la loi de Dieu et le plaisir de l'homme.Google Scholar

62 Cf. Avit. carm. 2.204–205: «Talia fallaci spondentem dona susurro / credula submisso miratur femina uultu», et Verg. Aen. 12.807: «Sic dea summisso contra Saturnia uoltu», où l'expression est métriquement identique.Google Scholar

63 Avit. carm. 2.208–16: «Ille ut uicino uictam discrimine sensit, / atque iterum nomen memorans arcemque deorum / unum de cunctis letali ex arbore malum / detrahit et suaui pulchrum perfundit odore. / Conciliat speciem nutantique insuper offert / nec spernit miserum mulier male credula munus; / sed capiens manibus pomum letale retractat. / Naribus interdum labiisque patentibus ultro / iungit et ignorans ludit de morte futura.»Google Scholar

64 Pour le serpent: «detrahit» (en rejet au v. 211), «conciliat … offert» (aux deux extrémités du v. 212). Pour la femme: la litote «nec spernit» ouvre le vers 213, avant d’être confirmée par le dernier mot du vers 214 «retractat», et «iungit» est en rejet au vers 216.Google Scholar

65 Avit. carm. 2.217–31: «O quotiens ori admotum conpuncta retraxit / audacisque mali titubans sub pondere dextra / cessit et effectum sceleris tremefacta refugit! / Dis tamen esse cupit similis serpitque uenenum / ambitione nocens. Rapiunt contraria mentem / hinc amor, inde metus: pulsat iactantia legem / interdumque etiam lex subuenit. Aestuat anceps / diuidui cordis dura inter proelia fluctus. / Nec tamen incentor desistit fallere serpens / ostentatque cibum dubiae queriturque morari / et iuuat in lapsum pendentis prona ruinae. / Vt tandem uictae grauior sententia sedit / aeternam temptare famem per criminis escam, / serpentem satiare cibo, quem sumeret ipsa, / adnuit insidiis pomumque uorata momordit.»Google Scholar

66 Fontaine, J., Naissance de la poésie dans l'occident chrétien. Esquisse d'une histoire de la poésie latine chrétienne du III e au VI e siècle (Paris, 1981), 258.Google Scholar

67 La mise en œuvre poétique de ce passage est particulièrement élaborée. Au vers 217, les mouvements contraires «admotum» et «retraxit» s'opposent à la fin de chaque hémistiche; «retraxit» s'oppose, du reste, à «retractat» de la fin du vers 214, qui marquait le premier temps de la chute d’Ève. Le participe présent «titubans» au centre du vers 218 est très expressif des sentiments d’Ève. Au vers 219, «cessit» et «refugit» s'opposent aux deux extrémités du vers, et le participe «tremefacta» occupe la même place métrique que le participe «conpuncta» du vers 217; par ailleurs, «refugit» prolonge, à la fin du vers, l'idée de «retraxit» à la fin du vers 217. Le rejet de «ambitione nocens» au vers 221 donne tout le sens du péché d’Ève. Dans l'alternance «hinc / inde», le premier hémistiche du vers 222 exprime toute la contradiction des sentiments qui s'emparent de l'esprit d’Ève, et que l'on vient de dire dans le deuxième hémistiche du vers précédent. Le contre-rejet de «aestuat anceps» au vers 223, aussitôt suivi de l'adjectif «diuidui» en tête du vers suivant, va dans le même sens. Enfin, les ultimes et décisives insistances du serpent sont exprimées dans une succession de verbes d'action aux vers 225–27, avant que l'expression de la chute n'occupe presque la totalité du vers 227 dans un vocabulaire surabondant, dont le dernier mot est précisément «ruinae». Le serpent avait déjà été défini comme «incentor» dans un sermon de Léon le Grand, qui lui adjoignait l'adjectif «occultus» (voir supra n. 23 l'expression «occultus latro» chez Avit): voir Leo-M. serm. 36.2; aussi e.g. serm. 9.1; 39.4; Ambr. in psalm. 118, serm. 1.13.1: «Ipse (diabolus) est incentor, ipse accusator»; etc.Google Scholar

68 Cf. Avit. carm. 2.206–207: «Et iam iamque magis cunctari ac flectere sensum / incipit et dubiam leto plus addere mentem»; 226: «Ostentatque cibum dubiae queriturque morari»; et Verg. Aen. 4.55: «Spemque dedit dubiae menti soluitque pudorem.»Google Scholar

69 Cf. Avit. carm. 2.206–207 (voir note précédente), et Verg. Aen. 1.719–22: «At memor ille / matris Acidaliae paulatim abolere Sychaeum / incipit et uiuo temptat praeuertere amore / iam pridem resides animos desuetaque corda», où l'on retrouve notamment la même intonation «incipit et» qu'au vers 207 d’Avit; Verg. Aen. 4.22–23: «Solus hic inflexit sensus animumque labantem / impulit»: en plus du parallèle «flectere sensum / inflexit sensus», le participe «labantem» de ce vers de Virgile n'est pas sans annoncer l'expression «in lapsum» du vers 227 d’Avit.Google Scholar

70 Cf. Avit. carm. 2.222–23: «Pulsat iactantia legem / interdumque etiam lex subuenit», et Verg. Aen. 4.27: «Ante, pudor, quam te uiolo aut tua iura resoluo.»Google Scholar

71 Cf. Avit. carm. 2.220–21: «Serpitque uenenum / ambitione nocens»; Verg. Aen. 4.1–2: «At regina graui iamdudum saucia cura / uolnus alit uenis et caeco carpitur igni»; 4.66–67: «Est mollis flamma medullas / interea et tacitum uiuit sub pectore uolnus.»Google Scholar

72 Verg. Aen. 4.285–86: «Atque animum nunc huc celerem nunc diuidit illuc / in partisque rapit uarias perque omnia uersat», où l'on trouve déjà le mouvement des vers 221–22 d’Avit: «Rapiunt contraria mentem / hinc amor, inde metus», et 223–24: «Aestuat anceps / diuidui cordis dura inter proelia fluctus.» Ce parallèle antithétique entre Ève et Énée., après l'intervention de Mercure au chant 4 de l’ Énéide, a été bien observé par Simonetti Abbolito, “Avito e Virgilio” (n. 20), 66–67.Google Scholar

73 Cf. Avit. carm. 2.222: «Hinc amor, inde metus», et Verg. Aen. 4.281–82: «Ardet abire fuga dulcisque relinquere terras, / attonitus tanto monitu imperioque deorum», précédés d'une description expressive de la peur horrifiée d’Énée après le départ de Mercure.Google Scholar

74 Verg. Aen. 11.550–51: «Omnia secum / uersanti subito uix haec sententia sedit». Pour le parallèle entre la décision d’Ève et celle d’Énée, cf. Avit. carm. 2.228: «Vt tandem uictae grauior sententia sedit», et Verg. Aen. 4.287: «Haec alternanti potior sententia uisa est.»Google Scholar

75 Cf. Avit. carm. 2.144: «Auditum facilem leni sic uoce momordit», et 2.231: «Adnuit insidiis pomumque uorata momordit.» Google Scholar

76 Ibid., 2.232–34: «Dulce subit uirus, capitur mors horrida pastu. / Continet hic primum sua gaudia callidus anguis / dissimulatque ferum uictoria saeua triumphum.»Google Scholar

77 Voir supra n. 50. Voir aussi l'emploi de l'adjectif malesuadus pour qualifier Ève au moment où elle tente de convaincre Adam, dans Prud. cath. 3.113–14: «Vt socium malesuada uirum / mandere cogeret ex uetitis.»Google Scholar

78 Avit. carm. 2.144: «Auditum facilem leni sic uoce momordit»; 166–67: «Ergo ubi mortiferum seductilis Eua uenenum / auribus accipiens laudi consensit iniquae»; 205: «Credula … femina»; 213: «Mulier male credula.»Google Scholar

79 Ibid., 2.256–60: «Non illum trepidi concussit cura pauoris / nec quantum gustu cunctata est femina primo: / sed sequitur uelox miseraeque ex coniugis ore / constanter rapit inconstans dotale uenenum / faucibus et patulis inimicas porrigit escas.» Adam est qualifié de «miser maritus» en ibid., 2.241 et d’«infelix» en 2.254.Google Scholar

80 Ibid., 2.261–62: «Vix uno pomum libauerat horrida morsu / ingluuies»; pour l'emploi de ce mot dans la satire romaine, voir e.g. Hor., sat. 1.2.8.Google Scholar

81 Avit. carm. 2.235–37: «Ignaras facti diuersa parte reuertens / Adam diffusi laetus per gramina campi / coniugis amplexus atque oscula casta petebat». Alors que l'absence d’Adam au moment de la tentation d’Ève peut être déduite du texte vulgate de Gen. 3:6, qui ne donne aucune précision à ce sujet («deditque uiro suo»), elle est un contre-sens par rapport à une forme européenne du texte vieux latin, qui ajoute à cet endroit la précision «secum» (var. simul), pour traduire le grec de la Septante μετ’ .Google Scholar

82 Cf. Avit. carm. 2.237: «Coniugis amplexus atque oscula casta petebat», et Verg. Aen. 1.687: «Cum dabit amplexus atque oscula dulcia figet». Outre la reprise du même vocabulaire au même endroit du vers, il faut observer une structure symétrique, qui fait suivre les deux substantifs d'un adjectif accordé avec «oscula» et d'un verbe à la troisième personne du singulier.Google Scholar

83 Avit. carm. 2.238–51: «Occurrit mulier, cui tunc audacia primum / flabat femineos animosa in corda furores. / Et sic orsa loqui, semesum namque gerebat / adseruans misero pomum exitiale marito. / ‘Sume cibum dulcis uitali ex germine coniunx, / quod similem summo faciet te forte tonanti / numinibusque parem. Non hoc tibi nescia donum, / sed iam docta feram. Primus mea uiscera gustus / attigit audaci dissoluens pacta periclo. / Crede libens, mentem scelus est dubitasse uirilem, / quod mulier potui. Praecedere forte timebas, / saltim consequere atque animos attolle iacentes. / Lumina cur flectis? Cur prospera uota moraris / uenturoque diu tempus furaris honori?»Google Scholar

84 Cf. Avit. carm. 2.250: «Lumina cur flectis?», et Verg. Aen. 4.369: «Num fletu ingemuit nostro? num lumina flexit?»Google Scholar

85 Cf. Avit. carm. 2.250–51: «Cur prospera uota moraris / uenturoque diu tempus furaris honori?», et 2.226: «Ostentatque cibum dubiae queriturque morari». Pour l'usage insistant de l'interrogation rhétorique dans les discours de Didon contre Énée, voir e.g. Verg. Aen. 4.305–30.Google Scholar

86 Avit. carm. 2.261–62: «Vix uno pomum libauerat horrida morsu / ingluuies». Pour la complicité d’Adam et Ève dans la démission de leurs sens, cf. Avit. carm. 2.255: «Inflexosque retro deiecit ad ultima sensus» et les textes cités supra n. 69. Pour la transmission du fruit de mort, cf. Avit. carm. 2.210–11: «Vnum de cunctis letali ex arbore malum / detrahit», et 252: «Haec effata dabat uicturae fercula mortis»; le participe futur uicturae, à la césure, semble répondre, en négatif, au participe uenturo en tête du vers 251, où le poète faisait allusion à la gloire qui, selon Ève, devait bientôt récompenser leur désobéissance.Google Scholar

87 Cf. Gen. 3:7 et Avit. carm. 2.263–72, où l’éclair de la faute est notamment traduit dans l'expression «culpa rebellis fulsit» (271–72).Google Scholar

88 Avit. carm. 2.272–76, et, plus particulièrement, 273–74: «Tum primum nudos — dubium, quid dicere possim — extinctus natusne pudor circumspicit artus.»Google Scholar

89 Pour les parallèles entre les deux couples, voir surtout les vers 326–28, où les deux couples sont formellement identifiés; 373–84, où Avit constate, chez le serpent, la même hésitation à s'attaquer d'abord à l'«animus uirilis» et à lui préférer la «feminea mens», et où le poète déplore le malheur de la femme qui, dans les deux cas, a montré un goût pervers pour connaître ce qu'il ne lui était pas permis de connaître; 400–407, où l'on retrouve plusieurs expressions qui apparaissaient déjà dans le récit de la faute d’Adam et Ève: contrairement à Adam, Lot, désigné par la formule «iste Adam», ne se laisse pas «fléchir» ni ne «suit» son épouse, et contrairement à Ève, celle-ci n'a pas eu l'occasion d’«aller à la rencontre» de son mari pour lui raconter ce qu'elle vient de voir: cf. Avit. carm. 2.400–403: «Hoc tamen hic magnum, quod non inflectitur iste / nec sequitur sociam fortis nec uincitur Adam. / Credo equidem melius, quod non occurrerit uxor / enarrare uiro», et supra n. 83 la mise en scène de la tentation d’Adam.Google Scholar

90 Avit. carm. 2.408–21: «Tum uictor serpens certamine laetus ab ipso, / puniceam crispans squamoso in uertice cristam, / iam non dissimulans, quem presserat ante, triumphum / acrior insultat uictis et taliter infit: / ‘En diuina manet promissae gloria laudis. / Quidquid scire meum potuit, iam credite uestrum est; / omnia monstraui sensumque per abdita duxi / et quodcumque malum sollers natura negabat, / institui dextrisque dedi coniungere laeuum. / Istinc perpetua uosmet mihi sorte dicaui. / Nec deus in uobis, quamquam formauerit ante, / iam plus iuris habet: teneat, quod condidit ipse; / quod docui, meum est; maior mihi portio restat. / Multa creatori debetis, plura magistro.’»Google Scholar

91 Ibid., 2.36–37: «Donec certamine primo / uinceret oppressos fallacem culpa per hostem», et 2.97–98: «Iam nunc certamine blando / congrediar, dum prima salus … (99) … ad tela patebit.»Google Scholar

92 Voir plusieurs exemples et une analyse détaillée de ce rituel dans McCormick, M., Eternal Victory. Triumphal Rulership in Late Antiquity, Byzantium and the Early Medieval West, Past and Present Publications (Cambridge/Paris, 1986). Voir aussi e.g. Verg. Aen. 2.329–30: «Victorque Sinon incendia miscet / insultans». Cette insolence du vainqueur était encore celle des Vertus victorieuses dans la Psychomachie de Prudence: voir notre article P.-A. Deproost, “L'intériorisation des espaces épiques dans la «Psychomachie» de Prudence,” Descriptions et créations d'espaces dans la littérature, Université de Louvain. Recueil de travaux d'histoire et de philologie, 7e sér., fasc. 1 (Louvain-la-Neuve, 1995): 53–75 (surtout 55). Pour les aigrettes, voir plusieurs références dans l’Énéide, et cf. Avit. carm. 2.409: «Puniceam crispans squamoso in uertice cristam», et Ciris, 501: «Puniceam concussit apex in uertice cristam.» Google Scholar

93 Cf. Avit. carm. 1.324–25: «At pater instructos sacrata in sede relinquens / laetus in astrigeram caeli se sustulit aulam», et 2.422–23: «Dixit et in media trepidos caligine linquens / confictum periit fugiens per nubila corpus.» Le diable victorieux vient d’être qualifié de laetus par Avit au vers 408 (voir supra n. 90).Google Scholar

94 L'expression est de Fontaine, Naissance de la poésie (n. 66), 258.Google Scholar

95 Voir notre article cité supra n. 92, et J.-L. Charlet, “L'apport de la poésie latine chrétienne à la mutation de l’épopée antique: Prudence précurseur de l’épopée médiévale,” BAGB (1980): 207–17.Google Scholar